Chapitre 4 - Niall
— Niall, debout ! chantonne Skye.
La tornade rousse se jette presque sur le lit. Heureusement que je somnolais... J'attrape le rebord de la couette pour recouvrir mon visage en bougonnant.
— On a une belle journée qui nous attend ! Active-toi, paresseux.
Elle me secoue en douceur. Geste insuffisant. Aucune parole compréhensible ne sort de ma bouche.
— On va rater le début...
Je dégage le drap de ma tête et constate sa moue implorante.
— Tu étais sérieuse en m'en parlant ? Tu comptes vraiment me traîner à la Fashion Week ?
Sa frimousse triste qui opine du chef m'enquiquine. J'ai envie de lui faire plaisir, de passer du temps avec elle, mais...
— Je sais pas si je suis prêt.
— Tu te pointes incognito, on croisera personne que tu pourrais connaître.
— Mais bien sûr... Ton futur mari veut pas t'accompagner ?
— Il aime pas ça.
— Moi non plus.
— Arrête, tu baignais dans le milieu. Comme ça tu remets un pied dans la place, tu te montres pour retrouver des contrats dans le coin, et tu reviens habiter par ici !
— Je croyais que je pouvais y aller incognito, marmonné-je.
— On sera tous les deux, comme au bon vieux temps ! Skye et Niall, le duo d'enfer.
Un long soupir m'échappe. Argument imparable. Elle me claque une bise sonore sur la joue et s'éclipse. Après tout, ça fait plus de deux ans que j'ai disparu. Les gens ont dû m'oublier.
— J'arrive !
J'entends son cri de victoire dans le salon et esquisse un sourire. Si j'insistais pour ne pas y aller, elle resterait avec moi. Seulement, je ne veux pas la priver de ce grand moment ni perdre un instant en sa compagnie, elle m'a trop manqué. Au moins, je n'aurai pas à me farcir la présence de l'autre bampot*.
Assis sur le rebord du lit, j'avale mes médocs. Pas la peine de le faire devant Aïdan et son regard assassin. J'ai à peine le temps de m'habiller et de grignoter pour le petit-déjeuner. Skye trépigne d'impatience, comme une gosse le matin du 25 décembre. Nous quittons vite l'appartement, m'évitant ainsi toute interaction prolongée avec son futur mari – rester courtois plus longtemps relèverait du défi. Direction les défilés de créateurs pour la collection automne-hiver !
Qu'est-ce que j'ai hâte...
Pendant le trajet, entre métro et marche, mon amie détaille le programme et m'expose les possibilités de contrats que je pourrais dégoter dans le coin. Mais plus nous approchons de la cour du Somerset House au centre de Londres, plus l'appréhension me tord les boyaux. Elle s'accroche à mon bras en le pressant.
— On peut faire demi-tour.
— Non. Je suis content de partager ce moment avec toi, la rassuré-je. Je sais aussi que si la moindre personne ouvre sa bouche, je n'aurai rien le temps de dire, tu...
— Lui rentreras dedans, me coupe-t-elle, le visage rayonnant.
L'immense chapiteau érigé pour ce grand événement de la mode se dresse face à nous. Je marque quelques secondes d'arrêt devant l'entrée. La foule se presse, en effervescence. Mon souffle se bloque d'un coup, mes muscles se tendent.
— Niall, je suis là. On se tire quand tu veux, même maintenant si tu le sens pas.
— Ça va le faire. Y a tellement de monde. Je vais passer inaperçu, non ?
— Tous les yeux seront rivés sur le défilé.
J'approuve d'un hochement de tête, malgré les battements de mon cœur résonnant dans mes tempes. Skye saisit mon petit doigt avec le sien, puis nous pénétrons dans l'antre de l'extravagance.
L'importante scénographie m'impressionne. De faux arbres en carton blanc se dressent un peu partout, éclairés par des projecteurs aux multiples couleurs. D'immenses sphères miroir sont accrochées au plafond, réparties çà et là, reflétant l'atmosphère de façon déformée.
Nous nous frayons un chemin pour gagner les sièges réservés par le grand magasin où Skye travaille. Le spectacle a déjà commencé dans l'assistance. Un homme s'avance en marchant d'un pas allongé, accoutré d'un genre de sac-poubelle en guise de robe. Une femme, ayant clairement abusé de la chirurgie esthétique, débarque à sa suite, coiffée d'un chapeau en carton. Elle rejoint une autre femme, habillée d'une tenue en papier bulle dévoilant des sous-vêtements noirs. Les deux simulent une bise sans se toucher, les paumes levées au niveau des épaules. Je jette un coup d'œil désespéré à Skye, mais elle prend déjà des notes pour alimenter un futur article pour son blog. Quelques bribes de conversations me parviennent.
— J'étais hyper charrette tu vois, le boss m'avait demandé la prez asap avec la start.
— Trop dingue. C'est quoi la next step ?
— Mise en place de workshops, brainstorm pour trouver les best practices... On doit penser out of the box !
— Nan mais c'est clair !
Je ris un peu trop fort. Skye sort de sa concentration en me lançant un regard désapprobateur.
— Quoi ? J'ai pas l'habitude d'être assis dans le public. Sache que je me délecte de cette partie du show que je rêvais de découvrir, charrié-je. T'as préparé ton wording avec ton mind set pour l'envoyer asap à ton boss ? J'suis trop content de voir ça IRL.
— Mais que t'es con... s'esclaffe-t-elle en me cognant l'épaule. Chut, ça va commencer.
Le son se met à hurler dans les haut-parleurs pour rythmer les pas des premiers mannequins qui vont bientôt faire leur entrée sur le podium. Tout s'éteint, sauf la scène qui se pare de teintes arc-en-ciel.
Les passages de chaque grand couturier s'enchaînent. J'assiste, blasé, à une enfilade de vêtements de toutes les formes : trench-coats, pantalons larges, chemises revisitées, robes aux aspects complètement décalés, sans parler des accessoires. Les flashs crépitent, me rappelant d'anciennes missions effectuées pour des magazines et des sponsors.
Après le dernier spectacle, Skye s'attarde, en quête de pièces de marque à acquérir pour son travail. Mains dans les poches, je me balance d'un pied sur l'autre, impatient de quitter ce lieu.
— Niall ? C'est bien toi ?
Eh merde...
Une grande blonde un peu trop maigre, la nuque dégagée avec ses longs cheveux coiffés dans un chignon impeccable, s'approche de moi, la démarche hésitante. Si j'en crois mes souvenirs, nos corps ont déjà fusionné dans une loge après un défilé que je couvrais.
— J'ai appris pour... enfin... tu sais, bafouille la mannequin avec son accent slovaque.
— Ouais, je sais.
— Du coup, je t'embrasse pas, hein, tu m'en veux pas.
— Ça va pas te tuer, hein.
— Non, mais... Bref, ravie de t'avoir revu. Je me demandais si... Bref. Bye !
Si quoi ? T'es juste venue vérifier que j'étais encore en vie ? Quelle conne...
Il faut vite que je me tire d'ici. Je balaie la pièce des yeux à la recherche de ma partenaire, un pincement au cœur, quand des cheveux bleus attirent mon attention. Mais qu'est-ce que Ciara fout là ? Et c'est qui le type à qui elle tient le bras ?
Le bras de Skye s'accroche au mien et me ramène à moi.
— Ça va ? T'es tout pâle.
— J'ai croisé une ancienne... connaissance. J'aurais pu avoir la peste, c'était pareil.
— Oh, Niall, je suis désolée !
Je chasse son inquiétude en brassant l'air.
— Dis-moi plutôt ce que fait ta belle-sœur ici ?
Tandis qu'elle la cherche partout, je lui prends le menton et tourne son visage dans la bonne direction.
— Là.
— Ah oui. Hé, Ciara !
Comme si elle ne l'avait pas appelée assez fort, elle lève la main bien haut pour s'assurer d'être vue. Je me retiens de rouler des yeux. Bonjour la discrétion... La sœur d'Aïdan, tout sourire, s'avance vers nous, accompagnée du gars, qu'elle n'a pas lâché.
— Skye ! Je savais pas si je te croiserais dans cette foule.
Elle l'embrasse, puis se tourne vers moi. Son regard lumineux plonge dans le mien. Ma respiration se bloque et le monde s'éclipse.
— Qu'est-ce que tu fais là ? l'interroge mon amie.
— Je tenais compagnie à Melvin.
— Yep, confirme ce dernier, je mixais pendant le défilé de U.Mi-1 !
Je détaille brièvement le Melvin en question. Son sweat jaune, son bonnet assorti, d'où dépassent quelques cheveux noirs frisés, ses grandes lunettes de soleil. Mais, surtout, le bras qu'il passe autour des épaules de Ciara. Un goût piquant d'amertume me saisit à la gorge.
— Je t'attends dehors, Skye, annoncé-je en filant.
Mieux vaut me tenir loin de Ciara, elle déclenche trop de choses en moi. À l'extérieur, j'extirpe une clope de mon paquet. J'ai à peine le temps de tirer quelques taffes qu'elle est là, sublime dans un long manteau beige. Les mèches bleues qui s'échappent de sa queue de cheval dansent devant son visage.
— C'est moi ou tu me fuis ?
Mon répit a été de courte durée. Nous nous fixons un instant, pendant lequel mon corps se raidit.
— J'avais besoin de prendre l'air, lancé-je, comme elle la veille. T'as abandonné ton copain ?
— Il arrive, il récupère son matos.
La savoir en couple devrait me réjouir. Pas d'espoir, pas de peine. Pourtant, une pointe s'enfonce dans ma poitrine.
— Comment tu as trouvé la soirée d'hier ?
— C'était... hésite-t-elle.
— À vomir ?
Elle rit avec légèreté. Malgré le froid ambiant, j'ai d'un coup très chaud, mes vêtements me collent à la peau.
Bordel, qu'est-ce qui m'arrive ?
— Toutes ces niaiseries, c'est pas mon truc.
— Ouais, enfin, si ça leur fait plaisir. Ton valentin pouvait pas être là ?
— Qui ?
— Le gars avec toi aujourd'hui.
— Melvin ? C'est pas mon mec, c'est mon meilleur pote !
Le soulagement que je ressens me crispe. Qu'est-ce que j'en ai à foutre qu'elle soit maquée ou pas ? Je ne peux rien tenter avec elle de toute façon.
Skye sort enfin, accompagnée du non petit copain, et Ciara s'éclipse avec lui en chantonnant un « À ce soir ! » Mon regard glisse sur ses mollets, où je devine des rouages tatoués, puis, sourcil relevé, je me tourne vers mon amie.
— J'espère que ça te dérange pas, je les ai invités à boire un coup à l'appart, m'explique-t-elle. C'est lui le DJ du mariage, on a des détails à voir.
***
Lorsque Ciara entre dans le salon, suivie de son pote, je manque de m'étouffer avec une gorgée de ma Guinness.
— Eh ben alors, monsieur l'ours, quelque chose ne passe pas ? me chambre-t-elle.
Les cuissardes à talons, peut-être...
— Tu es...
Ravissante.
— J'aime beaucoup la jupe écossaise.
Son clin d'œil complice ne me laisse pas de marbre. A Dhia, si seulement elle pouvait juste être sympa. Elle s'assied dans le fauteuil en face de moi. Éviter de poser les yeux sur elle va se révéler complexe. Skye et Aïdan apportent l'apéritif, puis entament leur discussion musicale avec Melvin.
Évidemment, j'ai du mal à me concentrer sur ce qu'ils racontent, mon attention bifurquant sans cesse sur la jolie Écossaise. Elle le remarque et ne me lâche plus du regard. Elle porte un toast à sa bouche souriante, la referme lentement dessus pour le croquer. Comme la veille avec l'éclair, mon cœur s'emballe de la même façon.
Est-ce que cette fois, je rentre dans son jeu ? Si elle savait, elle ne serait probablement pas là ce soir. Alors, à quoi bon ? En plus, Aïdan finira bien par la mettre en garde. C'est d'ailleurs étonnant qu'il ne l'ait pas déjà fait. Skye aurait-elle réussi à le calmer ?
Skye me sort de mes rêveries.
— Niall, ça t'embête vraiment pas d'être notre photographe officiel ? J'ai peur que tu profites moins de la fête à cause de ça...
— Bien sûr que non. Ça ira. Il me faudra juste un assistant pour faire le job à ma place quand mon rôle de témoin sera requis.
— Ou une assistante ? propose Ciara.
— C'est une super idée, ça ! s'exclame Skye.
Ma première envie est de refuser. Mais après tout, pourquoi pas ? On pourrait devenir potes. Même si son attitude me désarçonne. Aïdan tente d'intervenir, Melvin le devance.
— Mais carrément ! Ciara a l'œil.
— Pourquoi pas ? annoncé-je. Il faudra que je te teste. Enfin, je veux dire, pour vérifier comment tu t'en sors avec mon appareil. Avec un appareil.
Je ferme la bouche avant de m'enfoncer encore plus. Ma gorge s'assèche, mon pouls tambourine dans mes oreilles. Son frangin me fusille du regard en serrant les dents tandis qu'elle pouffe.
— Je compte retourner voir seanmhair dans pas longtemps, ça sera l'occasion ! Tu me montreras des trucs de photographe.
— T'as personne d'autre à qui demander ? maugrée le grand frère.
— Mais ça me fait plaisir d'aider ! scande Ciara. Arrête de faire ton rabat-joie, t'es relou.
Je les laisse se chamailler et me tourne vers Skye.
— Sinon, si j'ai bien compris mon rôle, faut que j'organise avec l'équipe des témoins ton enterrement de vie de jeune fille, c'est ça ?
— Notre enterrement, nuance-t-elle. On préfère préparer une sortie avec tout le monde.
C'est nouveau, ça. Je repère Ciara qui lève les yeux au ciel et ne peux m'empêcher de sourire.
Cette fille me plaît de plus en plus, fait chier...
Melvin finit par s'éclipser pour aller mixer dans la discothèque où il est résident. Ciara ne tarde pas non plus. Après avoir dit au revoir au couple, elle s'approche de moi et me tend son téléphone.
— Entre ton numéro, comme ça je t'appelle direct et tu auras le mien pour qu'on se capte quand je viens en Écosse.
Je m'exécute. Le baiser brûlant qu'elle dépose ensuite sur ma joue déclenche un électrochoc qui me coupe le souffle.
A Dhia ! Je suis mal barré avec elle.
-
*bampot : idiot
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