Chapitre 28 - Niall

— Donc, si on résume, Aïdan serait pas un pervers narcissique, juste un gros con.

— Niall ! s'exclame Skye en me donnant un coup sur l'épaule.

Je lève les yeux au ciel. Mine de rien, avec son idée de violentomètre, Melvin a fait mouche. Nous avons pris les éléments point par point : mon amie n'est pas en danger avec son futur mari. Ce qui m'a terrorisé l'espace de quelques heures se révèle inexistant. Skye a retrouvé des couleurs et ses larmes se sont taries. Un léger soulagement m'envahit, j'ai carrément flippé en la voyant dans cet état.

Mais la jalousie maladive d'Aïdan, qui le fait devenir bien trop possessif, me dérange fortement, comme ses crises parfois incontrôlables. Le fait qu'il tente d'avoir l'œil sur les relations amicales de Skye avec des hommes m'énerve au plus haut point. Elle affirme pourtant qu'il respecte ses décisions et qu'il veille toujours à avoir son consentement pour toutes les choses qu'ils font ensemble ; j'ose espérer que son comportement ne cache rien d'autre. Savoir qu'elle arrive à le calmer la majorité du temps me rassure. Au fond, c'est sûrement un mec qui s'est un peu perdu par manque de confiance en lui. Néanmoins, sa dernière crise ne peut pas rester sans conséquence. Il est allé trop loin dans ses paroles.

— Je pense que je vais pouvoir rentrer, déclare mon amie.

— Non, lâché-je.

Ciara, assise en face de nous, m'observe avec intensité et lève un sourcil devant mon air résigné. Quant à Skye, elle s'étonne.

— Comment ça, non ?

— Eh ben, je me dis que je devrais peut-être aller chez vous pour lui parler.

— Et pourquoi tu ferais ça ? Je crois que Ciara et moi, on est encore capables de se défendre.

— Oui, bien sûr, mais là, Aïdan est hors de contrôle par ma faute. Son ressentiment envers moi le fait aller beaucoup trop loin. C'est avec moi qu'il a un problème, c'est donc à moi d'aller le régler. Il est grand temps que je le fasse, d'ailleurs.

Skye redevient muette et Ciara vient s'asseoir à côté d'elle.

— Je crois que c'est une bonne idée, affirme-t-elle en lui prenant la main.

Nos regards se croisent et je ressens des palpitations plus fortes. La rouquine hoche la tête pour donner son approbation.

— OK. Je le préviens par message que j'arrive, indiqué-je. Vous, vous restez chez Melvin.

Mon amie soupire. Je me lève et Ciara me rejoint pour m'enlacer.

— Essaye de pas l'amocher... glisse-t-elle à mon oreille.

— C'est pas parce que tu m'appelles monsieur l'ours que je vais dévorer ton frangin, hein.

— Je sais bien.

Elle pouffe et me serre fort dans ses bras, la tête bien calée contre mon torse. Je me remplis de son doux parfum. Mes yeux se ferment un instant, mes lèvres se perdent dans ses cheveux. Une agréable chair de poule se répand sur mon épiderme. Vraiment, j'ai cette fille dans la peau.

***

Lorsque Aïdan ouvre la porte, je ressens son hésitation. En quelques secondes à peine, il opère un mouvement de recul en commençant à fermer le battant, les sourcils froncés et les lèvres pincées, puis le rouvre d'un coup sec, ses traits laissant transparaître une colère naissante.

— Où elle est ? m'attaque-t-il d'emblée, d'un ton irrité.

— Pas avec moi. Faut qu'on cause tous les deux, déclaré-je en tempérant ma montée d'adrénaline.

Mes poings se contractent, mais j'ai promis de ne pas céder à ma rage. Je suis là pour avoir un échange entre adultes.

— J'ai pas envie de te voir, ducon, assène-t-il. C'est ma femme que je veux. Alors, dis-moi où elle est !

Je serre les dents et prends une profonde inspiration par le nez.

— Écoute, Aïdan, toi et moi, on doit discuter. Skye est très mal après ce qui s'est passé. Et ce que t'as pu dire à Ciara...

Il s'avance vers moi, l'air menaçant et l'index pointé sur mon torse.

— Tu crois que tu peux me l'enlever ? T'as décidé de bousiller mon existence en me prenant l'amour de ma vie et ma petite sœur en même temps ?

L'envie de l'éclater me vrille l'estomac. Mon bras balaye sa main et je le repousse à l'intérieur en entrant sans y avoir été invité. Pas question d'avoir une altercation dans le couloir.

— D'abord, tu vas te calmer, OK ? lancé-je. On va essayer de mettre nos différends de côté et parler entre adultes responsables pour une fois. Tu peux faire ça, pour Skye ?

Je ferme la porte derrière moi et le fixe droit dans les yeux. Il ne souffle pas un mot, pourtant, un tas d'émotions contradictoires passent dans ses yeux qui se plissent, se froncent, s'ouvrent plus grand.

— Je ne suis pas là pour qu'on se batte, mais pour comprendre. On va s'asseoir ? proposé-je en désignant le salon d'un geste du bras, fier de mon calme apparent.

— Et pourquoi je t'écouterais ?

— Tu vas m'écouter pour ta future femme, soupiré-je. Si t'es un mec bien, comme Skye l'affirme, on va parler tous les deux et démêler le merdier dans lequel on s'est mis. Tu penses que c'est possible ?

Il ouvre la bouche, mais au lieu de protester à nouveau, il hoche la tête et se dirige vers sa cuisine.

— Une bière ? me propose-t-il.

Je tente de masquer mon étonnement. Ce mec change d'attitude à une vitesse déconcertante. J'accepte et m'installe dans un des fauteuils du salon. J'observe Aïdan, debout devant le réfrigérateur. Il tient la porte grande ouverte, immobile, la tête baissée. Quelques secondes passent sans qu'il ne bouge.

— Ça va ? demandé-je.

Son corps est soudain pris de soubresauts. Je me relève pour m'approcher et entends son souffle rapide et erratique.

— Aïdan ?

Je pose ma main sur son épaule. Quand il se retourne, j'aperçois les larmes prêtes à déborder de ses yeux. Si je m'attendais à ça...

— Niall, je sais pas ce qui m'arrive.

Les tremblements dans sa voix me percutent. Moi qui pensais qu'il allait chercher à me coller une droite, me voilà devant un homme désespéré.

— Viens t'asseoir, proposé-je.

Je ferme le frigo à sa place après avoir pris deux bières et attrapé le décapsuleur sur le bar. Il s'avachit dans le canapé, à l'instar de Skye chez Melvin, et je m'installe face à lui. Son front repose dans sa paume, il se mure dans le silence. Je le laisse reprendre ses esprits. Je décapsule les boissons, avale une gorgée de la mienne. Il s'enfonce dans le fond du fauteuil et redresse le visage pour me fixer. Je n'arrive pas à déceler son intention et je me méfie.

— J'ai tellement peur de la perdre.

OK, c'est parti. Me voilà devenu le confident d'un homme qui me méprise. Je ravale mes attaques et tente de rester raisonnable.

— Tu te rends compte que l'attitude que t'as va finir par la faire fuir ? Je ne sais même pas comment c'est possible que vous soyez encore ensemble vu ton comportement.

— Ça te ferait plaisir qu'elle me largue, pas vrai ? assène-t-il avec mesquinerie.

J'avance un peu le torse et cale mes avant-bras sur les genoux après avoir posé ma bière sur la table basse.

— Moi, ce que je veux, c'est que Skye soit heureuse. Sauf que là, en l'état actuel des choses, elle ne l'est plus.

— La faute à qui ?

— Écoute, Aïdan, on va pas jouer au ping-pong pour savoir qui a le plus merdé dans cette histoire. T'as jamais accepté son amitié avec moi, alors qu'on est comme frère et sœur. C'est pas parce que tu t'sens mal dans ta peau qu'il faut que tu fasses payer les autres. Skye, elle t'aime. Et elle m'aime, pas de la même façon. Rentre-toi dans le crâne qu'elle et moi, on cessera jamais d'être amis. On a besoin l'un de l'autre, mais elle a aussi besoin de toi.

Ses traits crispés et ses poings serrés n'augurent rien de bon. Après la tristesse, va-t-il céder à la colère ? Je sens que le sujet Ciara ne va pas tarder à éclater.

— Tu te crois malin à m'faire la morale ? T'as vu dans quelle merde tu t'es fourré ? Et tu crois que...

— Stop, Aïdan, le coupé-je, l'estomac noué. Je sais ce que j'ai fait. Crois-moi, je suis bien assez puni comme ça sans que t'aies besoin d'en rajouter. Mais dans mon malheur, j'ai de la chance. Je ne suis pas malade, je ne peux contaminer personne. Et, incroyable, tu peux me toucher, tu n'attraperas pas le sida, parce que je ne l'ai pas. Et, oh ! je peux même avoir des relations sexuelles sans rien transmettre, dis donc.

Le ton monte, j'ai du mal à me contenir. Mais pour les filles, je dois prendre sur moi.

— Donc tu t'es dit que pour te remettre en selle, t'allais te taper ma sœur ? s'énerve-t-il en se levant.

Il se tient droit et me fusille du regard. Je décide de la jouer plus finement et me réinstalle dans le fond mon siège.

— Je veux pas me taper ta sœur. Ta sœur, j'ai des sentiments pour elle. Des vrais. Je tiens énormément à elle. Et si quelqu'un lui a fait du mal, c'est plutôt toi, il me semble, avec tout ce que tu lui as balancé à la gueule. T'as pété un câble, Aïdan.

Il saisit sa bouteille et boit une longue rasade avant de se rasseoir. Quelques secondes s'écoulent dans le silence, pendant lesquelles nous nous toisons.

— J'admets que mes mots ont dépassé ma pensée, confesse-t-il. Je comprends pas ce qui m'arrive, je me reconnais plus. J'ai tellement envie de les protéger des... ben, des types comme toi, que je m'emporte, alors que c'est pas leur faute.

Je laisse échapper un rire jaune et imagine Ciara et Skye à mes côtés, chacune me tenant une épaule pour que je ne fonce pas sur Aïdan.

— Pardon... Des types comme moi ? Et je suis quel genre de type, selon toi ?

— Tu t'en fous de qui tu te tapes, t'enchaînes les conquêtes sans jamais rien construire alors que t'as trente piges maintenant. Skye me raconte pas tout, mais je suis pas débile. Et à faire le con, ben t'as chopé une sacrée saloperie.

— Ça t'est pas venu à l'esprit que si je me suis pas posé, c'est que j'avais pas encore trouvé la femme que j'aime ? J'ai aussi un scoop. On vit très bien avec le V.I.H. de nos jours, et nos partenaires ne risquent rien. Ciara ne risque rien avec moi.

Je bois quelques gorgées pour ravaler les jurons que j'ai envie de gueuler à son encontre. Il reste silencieux un instant, puis reprend la parole.

— Franchement, je sais pas. Comment être sûr que t'es sincère ?

A dhia... Et ta connerie, elle est permanente ou tu peux la soigner ?

Contre toute attente, un sourire étire ses lèvres. Il pouffe avant de reprendre son sérieux.

— Je veux juste pas que ma frangine souffre. Elle a déjà ses propres problèmes à gérer.

— Y a pas de raison que j'aille voir ailleurs, j'en ai fini avec ça. Et puis merde ! J'aime vraiment Ciara, alors lâche-nous ! T'as jamais cherché à en savoir plus sur le V.I.H. Tu restes cantonné à de fausses croyances. Le monde a évolué, il serait temps que tu suives le mouvement. Je te le répète, elle risque rien avec moi. Et crois-moi, te l'affirmer me coûte, parce qu'aujourd'hui encore, je meurs de trouille, alors que même mon médecin me dit que tout est OK. Et entre Skye et moi, je peux t'assurer qu'il n'y a rien de plus qu'une profonde amitié fraternelle. Déstresse un peu !

Nous buvons en même temps avant de reposer nos bières sur la table.

— J'avoue que j'ai jamais rien voulu savoir de ce que tu vis. Je crois pas à l'amitié hommes-femmes. C'est plus fort que moi, je me dis qu'elle finira par me jeter pour finir avec toi. Et maintenant que ma sœur fait partie de cette histoire, j'ai peur qu'elle souffre aussi.

— T'en es rendu au point de laisser ta jalousie te bouffer et d'empêcher Skye de vivre pleinement comme elle en a envie ? Juste parce que t'as l'air apparemment de manquer de confiance en toi ? Elle t'a dit oui, elle veut se marier avec toi. Et moi, j'ai juste cette mauvaise image de toi, celle du type qui veut l'enfermer et la contrôler. T'es ce genre de type, Aïdan ?

Sa main empoigne son menton pour malaxer sa peau rasée de près. Je l'observe fermer les yeux et les rouvrir à intervalles réguliers. Son manège dure un petit moment, pendant lequel je me contente de finir ma bière en silence. Son regard accroche enfin le mien.

— Comment je peux te faire confiance ?

Je fais rouler la bouteille entre mes paumes, puis attrape le goulot pour la pointer vers lui.

— En ayant confiance en Skye et en Ciara ? Et en choisissant de me croire quand je te dis que ta future femme n'est que mon amie et que je veux le bien de ta sœur. Je sais que t'as toujours eu du mal avec moi, mais personne n'a dit qu'on devait s'apprécier. C'est juste qu'on fait tous les deux partie de leur vie. Alors soit on prend sur nous et on se tolère, soit on les rend malheureuses. T'en dis quoi ?

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