Chapitre 27 - Niall

Lorsque Melvin ouvre la porte, il accueille les filles en les prenant tour à tour dans ses bras. Il me serre la main avant de nous entraîner à sa suite dans son salon. Pendant que notre hôte met de l'eau à chauffer dans une bouilloire, Skye se laisse tomber dans le fond du canapé, l'air absent. Ciara s'approche de moi et chuchote pour rester discrète.

— Tu as réussi à lui parler ?

Je secoue la tête, incapable d'avouer que je ne sais pas du tout ce qui se passe dans la vie de celle pour qui j'aurais été capable de me sacrifier il y a quelques années. Ciara presse mon biceps et me gratifie d'un regard compatissant.

— Qu'est-ce qui s'est passé là-bas ? demandé-je, crispé.

— Je n'en suis pas vraiment sûre. Je n'ai jamais vu Aïdan dans cet état. La jalousie qu'il nourrit envers toi est viscérale. Il a été odieux avec Skye. Et ce mot n'est pas encore assez fort. Je ne te parle même pas de ce qu'il a dit à mon sujet. On aurait dit quelqu'un d'autre.

Je serre les dents, mon sang bouillonne. J'ai du mal à maîtriser la colère qui monte en moi. J'ai trop longtemps supporté la pseudorivalité qu'entretient Aïdan avec moi.

— Qu'est-ce qu'il t'a dit ? grondé-je en bougeant à peine les lèvres.

Elle glisse ses mains sur mes poings fermés et les caresse avec douceur, sans me quitter des yeux. Elle reprend d'un timbre troublé :

— Peu importe pour le moment. Rejoins-la, elle a besoin de toi, même si là, elle est murée dans le silence. Je ne sais pas ce qui se passe entre eux au quotidien, mais ça n'a pas l'air d'être la joie en ce moment. Je reste avec Mel pour lui expliquer la situation, je lui ai juste dit qu'on arrivait pour une gestion de crise.

Elle dépose un rapide baiser sur mes lèvres et me laisse. Mon attention dévie vers Skye. Qu'ai-je raté ? À quel point l'ai-je délaissée ? Comment ai-je pu rester aussi aveugle ? La détresse peinte sur son visage me terrasse. Je m'approche et m'installe à ses côtés. Lorsque je pose la main sur son genou, elle sursaute. Ses yeux embués se relèvent sur moi.

— Niall, rends-moi mon téléphone, s'affole-t-elle.

Surpris de cette réaction que je ne lui connais pas, je fronce les sourcils. Elle insiste, un voile dans la voix.

— S'il te plaît, il faut que je lui réponde.

— Pourquoi ?

— Il doit s'inquiéter.

— C'est la seule raison ?

Sa mine s'assombrit, ses doigts s'emmêlent. Elle s'acharne sur ses ongles. Je n'arrive pas à me rappeler si je l'ai déjà vue aussi triste. J'attrape sa main dans la mienne, replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille. J'inspire profondément pour atténuer la tempête qui fait rage en moi et ne pas la brusquer.

— Skye, qu'est-ce qui se passe ?

— Rien. T'inquiète pas, c'était qu'une dispute. Mais il faut que je l'appelle.

— Pourquoi ? persisté-je.

— Je te l'ai dit, il doit se demander où je suis passée et comment je vais. Je veux le rassurer.

La rouquine malmène ses lèvres de ses dents. Son regard est absent. Je m'obstine pour tenter de lui faire cracher le morceau.

— Pourquoi ?

— Mais lâche-moi ! s'emporte-t-elle.

Elle se lève à la hâte en me repoussant et se dirige vers la porte d'entrée. Je la suis et lui attrape le bras pour la retourner vers moi.

— Skye ! Regarde-moi.

Elle détourne le visage. Je pose mes paumes sur ses joues pour l'obliger à me fixer.

— Skye, raconte-moi.

— Mais y a rien à dire !

Elle tente de s'écarter de nouveau, alors je la prends dans mes bras et la serre fort. Mes doigts se nichent dans ses longs cheveux que je caresse machinalement. Je la sens lâcher la pression et se blottir contre moi. Son corps reprend ses légers sursauts, mais je patiente sans rien dire, le cœur meurtri de la voir dans cet état. Les secondes s'égrènent et me semblent interminables. Je pose la question qui me tourmente :

— Est-ce qu'il te frappe ?

Elle secoue la tête sur mon t-shirt et je pousse un soupir de soulagement, même si la raison de sa crise de larmes peut être aussi terrible.

— De ce que m'a dit Ciara, il a été mauvais verbalement avec elle. Est-ce qu'il l'est avec toi ?

Ses spasmes se font plus intenses. Au lieu de me répondre, elle n'émet qu'une sorte de hoquet. J'appréhende la réponse.

— J'ai du mal à le reconnaître ces derniers temps, marmonne-t-elle quand elle parvient à calmer un peu son agitation.

— Comment ça ?

— Il a toujours été doux, attentionné, prévenant. Mais, parfois, il est jaloux. Très jaloux. Il était tellement heureux quand tu es parti...

Je lui prends la main et la guide vers le canapé pour qu'on y poursuive ses confidences. Elle se livre et mon cœur se brise peu à peu.

Elle m'explique qu'il lui fait des scènes quand elle sort voir ses potes s'il y a des hommes, lui reproche certaines tenues qu'elle porte, car il a peur que ça excite ses collègues. Elle a déjà eu beaucoup de discussions à ce sujet avec lui et, après, il est toujours adorable. Malheureusement, ça ne dure qu'un temps. S'il se montre attentionné en public, une fois chez eux, elle se prend des remarques. Elle tripote sa bague de fiançailles tout au long de son récit.

— Parce que ma jupe m'arrive juste au-dessus des genoux, parce que mon haut est trop décolleté, il demande à ce que je me change. Pourtant, il aimait quand je m'habillais comme ça. Quand mes collègues m'invitent à boire un verre, il ne veut pas que j'y aille, parce que c'est du temps que je ne passe pas avec lui, parce que je vais me faire draguer. Une fois, je lui ai menti en disant que j'allais travailler un peu plus tard. Il est passé au bureau pour vérifier si j'y étais. Et... ce n'était pas le cas. Quand je suis rentrée, il a explosé.

Son corps tremble. Je crois que si je serre encore plus les dents, je vais les péter. Je tente de me détendre en respirant profondément et passe mon bras sur ses épaules pour la prendre contre moi.

— Pourquoi tu m'en as pas parlé ? Pourquoi tu restes avec lui ? questionné-je en essayant de garder mon calme.

Elle essuie les quelques larmes qui ruissellent sur ses joues, puis m'explique en réfrénant ses sanglots.

— Il tend l'oreille quand je suis au téléphone. Quand je t'écris, quand je t'appelle, je supprime de temps en temps mon historique, au cas où, parce que je sais que sa haine envers toi est maladive. Je reste avec lui parce que je sais que ce n'est que sa jalousie qui parle et que ça va lui passer. Dans le fond, il n'est pas mauvais. Il a un problème de confiance en lui.

Je respire en plissant le nez pour dégager le dégoût qu'Aïdan m'inspire, puis la prends par les épaules pour la tourner vers moi. Je plonge mon regard dans ses yeux rougis. Sa détresse me broie le cœur. Pourtant, je n'arrive pas à me contenir.

— Merde, Skye ! Est-ce que tu te rends compte que son attitude est méprisable ? Tu mérites tellement mieux ! T'es une femme incroyable, tu devrais pouvoir vivre ta vie comme tu l'entends, et s'il t'aime vraiment, il ne doit pas t'enfermer dans sa prison. Ça, c'est pas de l'amour. Il veut te posséder, ne jamais te laisser aller quelque part sans lui et toi, tu restes ?

— Mais... je l'aime, affirme-t-elle.

— Et qu'aimes-tu chez lui, au juste ?

Je savais que je ne pouvais pas piffrer ce mec. Je ne l'ai jamais senti. Elle déclare dans un souffle, les yeux larmoyants :

— Là, tout de suite, je sais plus...

Sa tête tombe contre mon épaule et elle fond en larmes. Ma main trouve le chemin de ses cheveux, je lui caresse le crâne avec douceur. Mon autre bras l'enserre bien fort. Je renifle un peu trop fort, mes yeux commencent à piquer.

— Ma Skye... Je suis désolé de n'avoir rien vu. Mais cette situation ne peut plus durer. Tu devrais être épanouie, pas malheureuse dans ta relation. Votre mariage...

Je prends le temps de peser mes mots, mais je ne vois pas comment proposer ça autrement.

— Tu devrais annuler le mariage.

Ses pleurs redoublent.

Nous restons un moment sans bouger, elle dans mes bras à déverser sa tristesse, moi, impuissant. Je lui dépose quelques baisers sur le haut du crâne tout en le lui massant et frotte ma joue contre ses cheveux.

Un raclement de chaise me sort de ma torpeur. Je tourne la tête en direction de la cuisine et réintègre la réalité. Ciara, discrète jusque-là, s'approche de nous et s'installe sur un pouf près de moi.

— Annuler le mariage, c'est peut-être un peu radical, commence-t-elle.

— Ah, parce que tu trouves que ce que ton frangin fait est correct ?

Mon ton, plus sec que je ne l'aurais voulu, la fait grimacer.

— Je sais qu'Aïdan peut être très con quand il s'y met. Il était pas tendre avec moi non plus, quand je vivais avec lui. Il a toujours été, comment dire... OK, il était con, souffle-t-elle très fort. Parfois. Il aimait bien que je m'habille comme un sac pour éviter les ennuis avec les mecs. S'il savait à quel point ça n'a pas marché... Plus tard, il m'a croisée en boîte alors que je sortais des chiottes juste après un gars, habillée comme... Enfin bref, il m'a incendiée de conneries. Comme aujourd'hui. Quand il se met en colère, il a des excès de violences verbales. Je ne cherche pas à lui trouver des excuses, mais si sa mère a quitté son père, c'est parce que cet homme était violent avec elle, un vrai pervers narcissique. Aïdan n'a pas eu d'autre modèle à suivre, mon père est arrivé trop tard dans sa vie.

— T'es en train de me dire que ton frère est un pervers narcissique ? m'écrié-je.

Skye s'écarte de moi et me regarde avec de grands yeux avant de s'exclamer :

— Non ! Aïdan n'est pas comme ça.

— Pardon, mais de ce que vous me racontez, il en a tout l'air !

Je me lève brusquement et appuie mes propos en remuant les bras. Derrière moi, je sens Melvin s'approcher.

— Si je peux me permettre d'intervenir, moi aussi je connais Aïdan. Un peu. Je l'ai déjà vu avec Ciara, je sais comment il peut être. Si vous voulez vérifier s'il est vraiment dangereux, il y a toujours le violentomètre.

— Le violentoquoi ?

— Tiens, regarde, dit-il en me tendant son smartphone.

Je détaille l'image affichée sur l'écran. On dirait une frise divisée en trois parties : une verte pour les comportements sains, une orange pour les violents et une rouge pour le grand danger. Dans chacune, des actes qu'il faut vérifier. Avec une moue dubitative, je demande des précisions.

— Il faut cocher combien de lignes pour savoir si quelqu'un est un danger pour l'autre ?

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