Chapitre 25 - Ciara
Niall a eu du mal à penser à autre chose depuis que Skye est partie rejoindre Aïdan. La tristesse de la rouquine le préoccupe au point qu'il a fini par m'avouer que, dernièrement, elle est distante avec lui. Leurs échanges sont devenus disparates, et bien qu'il n'en disait rien, ça le touche plus que de raison. Il se sent démuni, tandis que sa meilleure amie demeure muette quant à ce qui la tracasse. Il n'est pas rassuré à l'idée que j'aille confronter mon frère seule et a donc tenté de m'en dissuader. D'ailleurs, il continue, alors que l'heure d'embarquement approche et que nous prenons un dernier café au bar de l'aéroport, histoire de profiter ensemble jusqu'à la dernière minute. J'essaie de le tranquilliser une nouvelle fois.
— Niall, ça va bien se passer. Que veux-tu qu'il m'arrive ?
— Je suis désolé, mais je l'ai jamais senti, ce type, soupire-t-il en s'enfonçant dans la chaise. Il me sort par les yeux depuis que Skye l'a rencontré. Je sais pas ce qu'il lui a fait, mais ça me démange d'aller lui en coller une, que ce soit ton frère ou pas.
Ses iris inquiets fixent les miens. Je pose ma paume sur le dos de sa main dans le but de caresser sa peau à l'aide de mon pouce et l'apaiser.
— Je m'en occupe, déclaré-je d'une voix conciliante. Il vaut mieux que ce soit moi qui aille lui parler, tu crois pas ? C'est peut-être pas la peine que ça finisse en combat de coqs.
Il pince ses lèvres, puis inspire profondément par le nez. Je ne suis pas si sereine que ça, mais je tente de faire bonne figure. Pas question de l'angoisser davantage alors qu'il repart. Je souhaite qu'il puisse rentrer l'esprit tranquille, même si je suis face à une bombe qu'il va falloir que je désamorce.
Malheureusement, le temps file et son vol ne va plus tarder à décoller. Il doit se rendre au contrôle de la Douane avant la fermeture de l'embarquement. Je l'accompagne jusqu'à la file d'attente. Ses bras me serrent d'un coup fermement contre lui. Il marmonne dans mes cheveux, où son visage s'est enfoui, mais le bruit ambiant m'empêche de l'entendre.
Je m'écarte pour pouvoir capter son attention et l'interroge :
— Qu'est-ce que tu dis ?
— Je... commence-t-il, avant de passer un coup de langue sur ses lèvres. J'ai pas envie de partir, Ciara.
Il ne me laisse pas le temps de lui répondre et m'embrasse avec une douceur qui m'en fait oublier le monde qui nous entoure. Néanmoins, je murmure contre sa bouche :
— Alors, reste...
Il prend mes joues dans ses paumes et plante ses yeux bleus dans les miens. Je me noie dans son regard, des frissons envahissent tout mon être. S'il ne me retenait pas, je pourrais m'effondrer.
— Crois-moi, j'en ai envie. Je sais même pas ce que je fous là, alors qu'on pourrait encore être chez toi.
Il ferme les paupières et pousse un long soupir. Sa pomme d'Adam tremblote alors qu'il avale lentement sa salive. Face à sa difficulté à exprimer ses émotions, je décide de conclure la discussion :
— Je sais. Il est encore tôt pour tout plaquer.
Je ne veux pas qu'il parte, mais je sais à quel point Londres lui rappelle de mauvais souvenirs. En plus, lâcher nos boulots du jour au lendemain ne se fait pas en un claquement de doigts. Nous avons le temps d'avoir cette discussion, même si l'envie de rester près de lui est virulente. Quoi qu'il en soit, je savoure nos dernières minutes ensemble et ses lèvres qui m'embrassent tendrement.
Je sais que nous allons nous revoir, mais ma poitrine se comprime. Je balaie mon visage humide de quelques larmes avec le bout de mes doigts et m'installe au volant. Après avoir évacué la tristesse de le voir partir dans un mouchoir, je fais vrombir le moteur et prends la route en direction de chez mon frère. Il est temps que j'aille lui parler pour qu'il arrête son cinéma avec Niall.
Durant le trajet, plusieurs scénarios se matérialisent dans ma tête. Un léger stress m'envahit et me saisit l'estomac alors que je me gare à quelques pas de son immeuble. J'observe mon reflet dans le rétroviseur intérieur et essuie le dessous de mes yeux, comme si ça pouvait effacer toute trace de mélancolie.
Devant la porte, j'entends des éclats de voix. Je tends l'oreille afin d'essayer de comprendre ce qui se dit. Peut-être sont-ils en train de se disputer ? Tant pis, maintenant que je suis là, je ne vais pas me dégonfler. Je secoue les mains et inspire longuement pour me donner du courage, puis appuie sur la sonnette. Des pas lourds se rapprochent et Aïdan, en survêtement et chaussettes claquettes, m'ouvre avec un air à la fois furieux et étonné.
— Qu'est-ce que tu fous là ? crache-t-il d'un ton sec.
Son attaque directe sans même un bonjour m'opprime la gorge, néanmoins, je ne me démonte pas et prends une voix assurée.
— Salut. J'ai à te parler.
Il arque un sourcil tout en s'appuyant contre le battant de la porte, et me toise avant de répondre.
— Tu tombes plutôt mal, là. Reviens un autre jour, OK ?
Il tente de refermer la porte, mais je le devance en la retenant d'une main.
— Non. On doit parler, maintenant.
Il plisse les yeux, puis dégage le passage. Je m'y engouffre afin d'accéder à l'appartement. Je rejoins la cuisine tout en m'arrêtant pour embrasser Skye. Debout au milieu du salon, les bras croisés et l'air sombre, on dirait un animal apeuré. Mes sourcils se froncent, je saisis au regard paniqué de ma belle-sœur que quelque chose ne tourne pas rond. Je tente un sourire réconfortant et lui presse doucement l'épaule pour lui faire comprendre que tout va bien se passer.
— Alors, dis-moi, soupire Aïdan qui regagne la pièce. Qu'est-ce qu'y a ?
Nous nous installons sur les tabourets de bar. Je dissimule le tremblement de mes mains en les cachant entre mes cuisses. Je prends quelques secondes pour calmer ma respiration qui s'est accélérée brusquement, puis lance à brûle-pourpoint :
— Pourquoi tu détestes Niall ?
Autant ne pas tourner autour du pot, même si, j'avoue, sortir ça de cette façon ne faisait pas partie de mes meilleurs plans. Aïdan demeure bouche bée. Le silence qu'il laisse planer est lourd, au point que Skye ne peut s'empêcher de le briser :
— J'ai oublié, mais j'ai un truc à faire dans le bureau...
Le regard noir que mon frère jette à l'ombre de sa compagne qui s'éclipse me rend nerveuse, ça n'augure rien de bon. Je mords l'intérieur de ma joue et triture la peau autour de mes ongles pour apaiser ma tension. Il reporte son attention sur moi et ses traits s'endurcissent.
— Qu'est-ce que ça peut bien te foutre la raison pour laquelle je n'aime pas ce mec ?
Ses paumes, bien à plat sur la table, donnent l'impression de vouloir se fondre dedans. Je tente une autre approche pour tempérer le dialogue.
— Aïdan, qu'est-ce qu'il t'a fait ?
Il ferme les yeux et inspire profondément avant d'expulser l'air avec force. J'arrête d'arracher mes cuticules et saisis le bout de ses doigts, qui se crispent. Il ouvre les paupières pour me fixer.
— Pourquoi tu viens m'emmerder avec ça maintenant ? peste-t-il en me repoussant. Ça te regarde pas.
Il cogne son poing sur la table. Je sursaute, surprise par son geste de colère. Je n'ai pas le temps de rétorquer, il me pointe de l'index et poursuit :
— Mais j'ai bien vu votre petit jeu à l'enterrement de vie de célibataires, je suis pas aveugle. Tu cherches quoi ? Mon aval ? Je t'ai pourtant déjà dit de pas t'approcher de ce type. Il est dangereux.
J'essaie de garder mon calme et de ne pas m'insurger, mais mes veines entrent en ébullition. Je reste accablée à l'idée qu'il puisse être si peu empathique. J'avale ma salive plusieurs fois de suite pour tenter de dénouer la boule qui se forme dans ma gorge tandis qu'il continue.
— Ils ne me l'ont pas dit, mais je suis certain que Skye et lui...
Sa mâchoire se crispe. Il glisse une main nerveuse dans ses cheveux, puis ses phalanges s'abattent à nouveau sur la surface du bar. Je me raidis alors qu'il s'emporte.
— Rha, rien que d'y penser, ça me débecte ! S'il est passé sur ma femme, j'ai pas en plus envie qu'il passe sur ma sœur ! Encore moins si c'est pour te refiler sa merde.
Son délire m'enrage. J'ai du mal à me retenir de lui en coller une. Alors, je crie à mon tour.
— Mais bordel ! T'y connais quoi, toi, au V.I.H. ?
— Parce que toi, t'y connais quelque chose ? Enfin j'imagine, vu que tu joues à la traînée.
Je me lève brusquement, renversant le tabouret de bar. Mes poings serrés sont prêts à lui foutre une droite. L'envie est telle que je lui tourne le dos et m'éloigne pour me rendre au centre du salon. J'attends quelques secondes et respire profondément pour calmer les battements frénétiques de mon cœur. Après une ultime grande inspiration, je me retourne et reviens près de mon adversaire, la fureur au ventre. Je plante un regard assassin dans le sien et claque à mon tour ma paume sur le meuble.
— Et alors ? Je baise avec Niall si je veux.
Aïdan se lève aussi, mais je ne bouge pas d'un iota. J'aurais aimé présenter les faits dans le calme, seulement, il peut être si borné que seul l'affrontement direct pourra avoir de l'impact.
— Vous avez quoi ?! rugit-il.
Ses yeux s'ouvrent en grand. Même les veines de son cou contracté sont apparentes. Il attrape mon avant-bras avec fermeté, mais je me dégage de sa poigne. Je fais fi de la petite douleur qui me saisit à cet endroit, elle n'est pas aussi forte que celle dans mon cœur.
— Que tu le veuilles ou non, Aïdan, Niall et moi, on est ensemble. Et... je l'aime.
Je me surprends de cet aveu non prémédité. Mon frère, quant à lui, opère un mouvement de recul et commence à se marrer.
— Tu l'aimes ? Ma pauvre Ciara, tu n'as donc rien compris ? C'est encore un type que t'as voulu ajouter à ton tableau de chasse, t'es pas capable d'aimer.
Il se dirige vers le réfrigérateur et prend le temps de se servir un verre d'eau fraîche. Quant à moi, je demeure muette, étranglée par la boule qui remonte de mon estomac jusque dans ma trachée.
— Si tu meurs à cause de lui, lâche-t-il d'un ton intraitable en regagnant le bar, tu pourras t'en prendre qu'à toi.
La gifle part toute seule.
Les picotements que je ressens dans la paume ne sont rien en comparaison à la marque de doigts que je laisse sur sa joue. Les larmes qui brûlent le coin de mes yeux témoignent du mal qu'il me fait avec de simples mots. Mon frère a donc si peu d'estime pour moi ? Je pensais le connaître assez bien, pourtant, je découvre aujourd'hui une facette de lui dont je ne soupçonnais pas l'existence. Je ne parviens pas à comprendre Skye. Comment arrive-t-elle à rester avec un homme qui méprise à ce point son meilleur ami ? Si Niall me faisait une scène par rapport à Melvin, il ne faudrait pas que ça se reproduise sous peine de me voir prendre mes valises, et ce malgré tout l'amour que je peux lui porter. Aïdan se comporte-t-il ainsi avec sa future femme quand il est en colère ?
Une main contre sa peau rougie, il me lance un regard menaçant. Pour autant, je ne me démonte pas :
— Écoute-moi bien, ce que je fais de mon cul ne te regarde pas, Aïdan. De quel droit tu m'insultes ?! Ça t'amuse de me rabaisser ? Est-ce que t'as au moins déjà cherché à me comprendre ?
Je relâche un rire nerveux, contradictoire avec les larmes qui sillonnent mes pommettes. Je ne le laisse pas répondre.
— Non. Bien sûr que non, t'en as rien à foutre ! Rien à foutre de moi, rien à foutre des autres !
Mes mains qui se plaquent sur son torse le forcent à reculer de quelques pas.
— Eh ! s'insurge-t-il. Tu déboules chez moi et tu viens me les briser parce que tu crois aimer ce type ?
Il me repousse à son tour et retourne près du bar, me tournant le dos. Cependant, je ne compte pas en rester là. Je ne le lâche pas d'une semelle et vocifère contre lui en gesticulant avec mes bras :
— Ce type, il a un prénom ! T'es tellement mauvais avec lui, c'est dingue !
— Et qu'est-ce que toi, tu sais de lui, hein ? contrecarre-t-il en me jaugeant du regard. C'est à peine si tu le connais. T'es complètement irresponsable de coucher avec un mec qui a le sida.
— Tu ne sais rien de Niall, et encore moins de son état de santé. Tu racontes n'importe quoi ! Le pire, c'est que tu t'en tapes. Tu le rejettes par jalousie et tu lui pourris la vie, tu pourris la mienne, et tu pourris celle de Skye ! Je me demande bien pourquoi elle a accepté de t'épouser. T'es vraiment qu'un connard !
Il me toise, furibond, et lève un bras au-dessus de lui. Quand il est prêt à abattre sa main sur moi, un éclat de voix jaillit derrière nous.
— Aïdan, ça suffit !
Notre attention se porte vers Skye, dans l'embrasure de la porte entre le couloir et le salon. Des larmes dévalent ses joues et ses bras sont enroulés autour d'elle, comme pour se protéger.
— Te mêle pas de ça, chérie ! C'est entre ma sœur et moi.
— Je pense qu'elle a son mot à dire, m'interposé-je. C'est quand même son meilleur ami !
— Mais putain ! Qu'est-ce qui vous prend à toutes les deux ? Vous avez décidé de me casser les couilles en même temps, tout ça pour cette raclure ?
Skye tourne les talons et s'enfuit. La porte d'entrée claque derrière elle. Mon frère se rue à sa poursuite et s'égosille :
— Reviens tout de suite !
Il fulmine, mais se retient d'aller plus loin. Il pivote alors vers moi. Le regard qu'il me lance est méprisant, ses narines sont dilatées et ses lèvres tressautent. Je l'observe dans sa folie la plus transparente. Il ressemble à un chien enragé, il ne lui manque plus que la bave au coin de la bouche. Des tremblements s'emparent de mon corps et ma respiration accélère. J'ai réveillé le démon qui sommeillait en lui, un être noir dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Si je ne fuis pas à mon tour, je risque de prendre cher.
Je m'approche avec prudence et le contourne doucement, les paumes levées, tournées vers lui. La peur a remplacé la colère dans mon estomac et le tort. Aïdan avance à chaque pas que je fais en arrière, j'ai la sensation de n'être qu'une proie qu'il chasse.
— Bah alors, tu dis plus rien ? Tu défends plus l'autre bâtard ? T'as compris qu'il fout la merde partout où il passe ?
Les mots se coincent dans ma gorge. Si j'en prononce un de travers, je vais m'en manger une, et elle fera bien plus mal que celle que je lui ai infligée.
— Tu veux savoir pourquoi je le déteste ? poursuit-il en riant jaune. Très bien. J'ai toujours su qu'il pourrait briser mon couple. Je soupçonne même Skye d'avoir toujours été amoureuse de lui en secret. Elle a accouru à son secours tellement de fois que j'en vomirais. Elle me délaissait pour lui.
Il se pince l'arrête du nez et souffle fort avant de reprendre son monologue. Je continue ma lente retraite.
— J'ai demandé à Skye d'arrêter de le voir quand il a chopé cette saloperie. C'était lui ou moi. Tu sais ce qu'elle m'a répondu ? Hein, tu sais ? insiste-t-il en me hurlant dessus.
Mes épaules se voûtent. Son visage est rouge de colère. Qui est cet homme devant moi ? Je recule toujours et secoue la tête de gauche à droite, les lèvres pincées. Je jette un rapide coup d'œil derrière moi, la porte n'est plus très loin. Il faut que je m'échappe.
— Elle m'a dit d'aller me faire foutre ! Elle l'a choisi, lui ! Mais bon, je suis sympa, j'ai bien voulu qu'elle revienne avec moi. J'ai demandé pardon et je me suis montré gentil. Par contre, je l'ai obligée à faire un test pour savoir si elle avait chopé le sida. Gentil, mais pas con.
Un rire nerveux lui échappe.
— Mieux vaut vérifier avec ce genre de salopard.
Cette révélation me foudroie. J'ai l'impression de ne pas connaître mon frère. D'où tient-il cette folie ?
— T'es complètement malade... Comment t'as pu faire ça à Skye ? Tu te rends compte à quel point c'est absurde ?
— Et toi, t'es qu'une petite salope tout juste bonne à se faire troncher par le premier venu !
Il accélère le pas. Je tente le tout pour le tout en courant vers la porte d'entrée pour rejoindre l'extérieur. Je dévale les escaliers à grande vitesse sous une salve de grossièreté. Il me pourchasse. Essoufflée par ma fuite et en proie à la panique, mon cœur manque d'exploser. Je gaspille quelques secondes dans la rue à chercher les clés de ma voiture, logées dans une de mes poches. Un soulagement s'empare de moi lorsque je déverrouille enfin la portière et me glisse dans l'habitacle. Je démarre sans perdre de temps en voulant mettre le plus de distance entre la fureur de mon frère et moi.
Désespérée par ce qu'il vient de se passer, la peur au ventre, je dicte un message avec la fonction vocale de mon téléphone pour l'envoyer à Niall.
[J'ai fait une connerie]
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