Chapitre 23 - Ciara
Le médecin a du retard. Niall gigote sur sa chaise, incapable de se tenir tranquille. Son pied droit tapote le sol, ses doigts prennent ses genoux pour des percussions. Ma paume se glisse dans l'une des siennes et je capte son attention.
— Niall, ça va ?
Je connais la réponse, mais cette question fuse dans un murmure. Je m'en veux d'avoir demandé ça.
— Ouais...
Il baisse la tête et je le perds de nouveau. Les martèlements continuent.
Vite, trouve autre chose de plus adapté...
— Ça te stresse ?
Pas certaine que c'est mieux...
— On va dire que ça fait pas partie de mes rendez-vous préférés.
J'ai bien compris que le sujet de son traitement reste anxiogène pour lui, même s'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Je ne peux pas me mettre à sa place, mais je peux au moins tenter de le réconforter. Je lui offre un sourire chaleureux, dépose un baiser sur sa joue, puis chuchote près de son oreille :
— Est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ?
Il me jette un coup d'œil et serre mes phalanges. Ses lèvres s'étirent un peu. Le voir dans cet état me peine et je ne sais pas toujours si je pose les bonnes questions.
— Tu es là, c'est déjà énorme.
Il attrape mon menton entre ses doigts et m'embrasse. Des étincelles éclatent dans mon cerveau et leurs crépitements me traversent de la tête aux pieds. Le baiser ne dure pas, mais nous demeurons front contre front, les yeux fermés. Je profite de cet instant de répit dans l'angoisse du rendez-vous et ralentis ma respiration, dans l'espoir qu'il cale la sienne sur mon rythme.
— Oui, je suis là et, quoi qu'il arrive, je reste avec toi.
Son souffle s'échoue sur mes lèvres et sa chaleur m'enveloppe.
— Merci. Tu n'imagines pas à quel point ça me touche.
Les battements de mon cœur accélèrent. Peut-il les entendre ? Se rend-il compte des frissons qui me parcourent quand il murmure ainsi contre ma bouche ? Près de lui, dans ce cocon d'intimité, c'est comme s'il n'y avait plus personne dans la salle d'attente. On ne se cache plus, et ça fait un bien fou.
— Monsieur Douglas ?
L'appel éclate notre bulle et un vertige fugace me traverse. L'instant m'échappe et une sensation de froid m'envahit quand Niall se lève. Je l'imite et il attrape ma main dans la sienne, réanimant mes pulsations. Nous passons ensemble devant le médecin en le saluant et entrons dans son bureau en le précédant. Je tente de me faire discrète et scrute l'environnement, enfoncée dans un des deux énormes fauteuils en cuir qui tournent, les doigts crispés sur chaque côté de l'assise. Une grande table en bois brut me sépare du siège ergonomique du doc, où s'éparpillent papiers, post-it, sous-main et outils informatiques. Des photos de paysages variés décorent les murs et une bibliothèque propose la lecture d'ouvrages de médecine. Prise dans ma contemplation, Niall capte tout de même mon attention quand, alors que le praticien l'ausculte derrière moi, il me présente en tant que sa petite amie. Ma respiration se coupe une microseconde. Nous n'avions pas encore mis de mots sur notre relation, me sentir déjà exclusive à ses yeux m'apporte un certain réconfort.
Après l'examen physique, les deux hommes viennent s'asseoir. Ils commentent les résultats d'analyse de sang, qui semblent bons de ce que je comprends, puis le généraliste demande des détails.
— Est-ce que vous avez des effets indésirables avec le traitement ?
J'observe Niall qui me jette un coup d'œil, visiblement embarrassé. Ses lèvres sont torturées par ses dents et son pied frappe de nouveau le sol, comme un batteur sur sa pédale. Je pose une main sur son genou et incline la tête pour lui signifier qu'il peut parler sans crainte.
— Eh bien... je le supporte plutôt bien. Pas de fatigue, pas de mal de crâne ou de problèmes de digestion, comme les premiers temps, mais... j'ai toujours quelques trous de mémoire.
Son regard me fuit. Il ne m'avait pas encore évoqué ce phénomène. Je reste muette et spectatrice de leur conversation, très curieuse d'en apprendre plus.
— Oui, ça arrive avec ces médicaments. Vous oubliez des choses importantes ?
Niall se racle bruyamment la gorge. J'ai conscience que partager ces informations est une preuve de confiance, j'en suis très touchée. Dire que je pensais qu'il me fuirait indéfiniment, en fin de compte, il doit tenir à moi autant que je tiens à lui.
— Je peux oublier ce que j'ai fait la veille, genre, impossible de me rappeler où j'ai été. Ça m'arrive aussi d'oublier que j'ai reçu un message. Du coup, je n'y réponds pas tant que je ne retourne pas dans mon historique pour vérifier, au cas où...
Il se tait et fixe le meuble. Est-ce pour ça qu'il met parfois du temps à me répondre ? J'attrape sa paume et la presse avec mes doigts. Il ose enfin planter ses yeux dans les miens. J'aimerais le prendre dans mes bras pour lui montrer que ce n'est pas grave. Le médecin continue son interrogatoire.
— Rien d'autre ?
— Je ne sais pas si c'est dû au traitement, mais des fois je fais des rêves super intenses, très colorés.
Il a beau être sérieux, je ne peux m'empêcher cette fois d'intervenir par l'humour, le besoin d'évacuer l'anxiété d'une manière ou d'une autre s'impose.
— Et je suis présente dans ces rêves intenses ?
Il pouffe et arrête de taper du pied. Au moins, il le prend bien, ça me rassure. Le docteur, quant à lui, tente de ne pas réagir.
— Ce genre de rêves, monsieur Douglas, peut effectivement survenir avec les comprimés que vous prenez. Tant qu'il n'y a que ça, vous pouvez poursuivre le traitement.
— Merci, docteur. Ciara, est-ce que tu as des questions ? N'hésite pas.
J'en ai bien une, mais je ne sais pas si je peux. Son regard doux m'invite pourtant à le faire, alors je me lance en reportant mon attention sur le médecin.
— Est-ce qu'il peut vivre pleinement une relation, comme n'importe qui dans un couple ?
Je vois Niall, en périphérie de ma vision, ouvrir un peu la bouche. Je me mords la lèvre, gênée. Je n'attends pas réellement la réponse pour moi, je veux seulement qu'il l'entende de vive voix par le professionnel et arrête d'avoir peur de me faire du tort.
— M. Douglas peut vivre normalement. Il n'a aucune contre-indication pour quoi que ce soit, juste les comprimés quotidiens à prendre.
— Il peut faire l'amour sans protection ?
Je malmène mes lèvres tandis que le visage de Niall se décompose face au généraliste. Ce dernier rit de bon cœur.
— Le préservatif vous protège de toutes les autres maladies sexuellement transmissibles, donc il est toujours recommandé lors d'un rapport. Mais vous pouvez bien entendu vous en passer. Et si vous désirez un enfant ensemble, c'est possible. Je vous l'ai dit, M. Douglas peut vivre comme tout le monde.
Le docteur met fin à l'entrevue en donnant à Niall le renouvellement de sa prescription. Nous sortons du cabinet et je tente une boutade pour détendre l'atmosphère. Mon compagnon semble un peu crispé et j'ai peur d'avoir fait une boulette avec ma question.
— Au moins, il n'y a aucun effet secondaire sur ta libido, c'est déjà ça !
Un rictus éclaire son visage. C'est un bon début.
— Mais dis-moi, tu penses vraiment qu'à ça, hein ?
Son rire discret et son clin d'œil me permettent de respirer correctement. Ma cage thoracique était comme comprimée depuis notre entrée dans la maison de santé.
— Ma foi, c'est vrai que j'aime bien faire des galipettes avec toi. C'est pas mal.
— Juste pas mal ? Pourtant, t'as crié mon nom plusieurs fois depuis que je suis là, enfin, il me semble...
Il lève les yeux au ciel et prend son menton entre son pouce et son index. Je rentre dans son jeu.
— Ah, il te semble ? Tu ne te souviens plus ? Si tu veux, je peux t'aider à retrouver la mémoire, assuré-je en me pendant à son bras.
— Ah oui, je veux bien, parce que maintenant, tu le sais, j'ai des trous de mémoire, alors j'ai besoin de réitérer souvent l'expérience pour me souvenir.
Il me sourit, passe une main sur ma nuque et dépose un rapide baiser sur mon front. Je tressaille à son contact.
— Dépêchons-nous de rentrer chez moi, alors...
Son bras autour de mes épaules et mes doigts dans sa poche arrière, nous prenons le chemin de mon appartement. Soudain, il brise le silence qui s'est installé en se penchant vers mon oreille pour murmurer :
— Du coup, tu veux déjà qu'on arrête de mettre des capotes ?
Je pouffe et balaie la question en brassant l'air avec ma paume.
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Sources
Nicolas du compte Insta supersero_
sidaction.org (Bithérapie)
france3-regions.francetvinfo.fr (VIH : vers une bithérapie ? Un nouveau traitement mis au point à Orléans)
sante.lefigaro.fr (VIH : 20 ans après les premières trithérapies, où en est-on ?)
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