Chapitre 17 - Ciara

TW : explication de l'infection par le V.I.H., évocation de sérophobie, harcèlement, suicide (sources citées en bas de page, passage d'un lecteur sensible)

Sous le choc de son aveu, je recule d'un pas. Ma bouche s'entrouvre, mais aucun son n'en sort. L'incertitude doit se lire sur mon visage, car il se décolle du mur et rejoint le canapé, sans même me frôler.

— Il est tard, on devrait aller dormir, bredouille-t-il. Hors de question que tu reprennes la route, je te laisse la chambre d'ami.

Je me sens idiote à rester plantée là, seulement mon corps refuse de bouger.

Ouvre la bouche !

— Niall, je...

— Pas la peine d'être désolée. C'est à moi de te présenter des excuses. Je n'aurais pas dû laisser quoi que ce soit se passer entre nous. Juste, s'il te plaît, pas d'insultes. Je n'ai jamais voulu te faire de mal et tu ne risquais rien en traînant avec moi.

J'ai envie de me baffer. Pourquoi ai-je reculé ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à réagir ? Mes pensées s'embrouillent. Je me suis déjà fait dépister pour vérifier que je n'avais pas chopé d'IST durant mes frasques nocturnes, sauf que je ne connais rien de cette maladie. Juste le peu qu'on en entend à ce sujet, mais ça reste flou. Je ne me suis jamais retrouvée confrontée à quelqu'un qui a...

— Écoute, poursuit-il alors que mon mutisme persiste, prends le temps qu'il te faut pour décider si tu veux encore me parler ou pas. Si tu décides de ne plus me revoir, je comprendrai. Nous discuterons demain, si tu en as encore envie.

Il s'allonge et passe son bras sur les yeux. Mes jambes retrouvent leur mobilité. Je me rapproche de lui et m'agenouille devant le canapé, de façon à ce que mon visage se trouve à hauteur du sien.

— Pas question que tu me laisses comme ça avec cette info, murmuré-je.

Ses lèvres se pincent. Il s'assied de nouveau, sans me regarder. Je prends place à ses côtés, une paume posée sur sa cuisse qui tressaute, puis saisis son menton pour le tourner vers moi.

— Je suis là. Je ne suis pas partie en courant. Ça n'a pas dû être facile et je te remercie de me l'avoir dit. Il est très tard, je sais, sauf que je ne pourrai pas dormir tant que l'homme qui me plaît n'aura pas éclairci la situation. Je te laisse me raconter ton histoire, si tu veux, et je ne t'interromprai pas avec mes questions.

Pourtant, elles se bousculent. Qu'est-ce qui s'est passé ? Sa vie est-elle en danger ? Prend-il un traitement ? Peut-il me le transmettre ? De quelle manière ? Nous nous sommes embrassés, j'ai aussi dormi dans ses bras. J'imagine qu'il ne l'aurait pas fait s'il existait un risque. Enfin, j'espère.

Son soupir caresse mon front. Ses doigts se joignent entre ses genoux et il se dégage de ma prise pour fixer le sol. J'effectue de petits ronds dans le bas de son dos pour détendre son corps contracté. Enfin, ses lèvres bougent.

— OK. Je vais commencer par le début, parce que je veux que tu connaisses toute l'histoire pour prendre ta décision. Parce que toi aussi, tu me plais. Beaucoup. Plus que ça.

Une vague de frissons dévale ma colonne. Ma main presse sa jambe.

— Je t'écoute.

— Il y a trois ans, j'ai cru que mon existence s'arrêtait. Tout ça parce que je me suis un peu trop amusé à une soirée et que je n'ai pas fait attention.

Il marque une pause et souffle fort. Son air abattu me donne envie de le prendre dans mes bras, mais je ne veux pas le brusquer. J'attends patiemment qu'il poursuive, à son rythme, sans cesser les mouvements de ma main.

— Je suis allé en after après la Fashion Week. Dans cette soirée, on avait alcool, ecstasy, coke et compagnie en libre-service. J'ai abusé. Je n'étais plus moi-même. J'ai bai...

Il prend une profonde inspiration et tourne la tête pour plonger son regard humide dans le mien. Je souris pour lui montrer que je reste à l'écoute. J'ai déjà participé à ce type de soirée, je sais comment ça peut finir. La seule fois où je me suis mise minable, c'était en suivant Fedro chez lui.

— Tu peux tout me dire, je ne te jugerai pas.

— J'ai passé un moment... intime, avec une femme et un autre homme. J'en garde qu'un vague souvenir. Ce dont je me souviens par contre, c'est qu'on était tellement raides qu'aucun de nous ne s'est protégé dans le feu de l'action. Pourtant, c'est pas mon genre. Sauf que l'acide que j'ai pris ce soir-là, c'était une première et ça m'a foutu en l'air.

Nouvelle pause, nouveau soupir. Je hoche la tête pour l'enjoindre à poursuivre. Sa tête bifurque pour contempler le faux parquet.

— Quatre mois après, je reçois un coup de fil de la part de la femme, qui m'avait retrouvé grâce à mon travail. Elle venait d'obtenir les résultats d'une prise de sang. Elle m'a annoncé qu'elle était séropositive au V.I.H. et commençait tout juste un traitement. Ça a eu l'effet d'une bombe, je me suis senti anéanti et terrorisé. Je suis pas sorti de chez moi pendant plusieurs jours. Skye a fini par débarquer, parce que je ne lui répondais plus. Elle m'a retrouvé dans un état lamentable. J'arrivais pas à lui parler, alors elle m'a poussé de force sous une douche froide pour me remettre les idées en place. Je lui ai tout raconté quand j'ai repris mes esprits. Elle m'a soutenu et m'a traîné pour faire une prise de sang, j'avais trop peur du résultat pour y aller. Le couperet est tombé, j'avais chopé ce virus.

Une telle annonce a dû être terrible à encaisser. Comment réagirais-je à sa place ? Je caresse son avant-bras. Sa pomme d'Adam monte et descend lentement.

— J'ai dû retrouver les personnes avec qui j'avais eu des rapports pour leur dire d'aller se faire dépister, parce qu'on ne savait pas qui de nous trois l'avait transmis. J'ai culpabilisé de ne pas m'être protégé ce soir-là, j'en ai voulu aux deux autres aussi. Heureusement, ceux que j'ai réussi à joindre m'ont indiqué plus tard être séronégatifs. Sauf que l'info sur mon état de santé s'est propagée. On a commencé à m'éviter, à me proposer moins de boulot dans le milieu. J'avais l'impression que ça se lisait sur mon visage, je me supportais plus. Pourtant, j'étais sous traitement. Skye m'a beaucoup épaulé. Elle m'a accompagné aux réunions d'une association de soutien aux personnes vivant avec le V.I.H. Elle pensait que ça m'aiderait, mais ça m'a encore plus perturbé.

— Que s'est-il passé ?

— Y avait une femme, Nelly, qui venait depuis quelque temps avant que j'arrive. Elle était moralement dans un sale état. Un de ses partenaires l'avait contaminée sans savoir qu'il était porteur. Elle s'était fait virer de son boulot, abandonner par sa famille et ses amis. Un jour, elle n'est plus venue. On nous a annoncé plus tard qu'elle s'était suicidée.

— C'est horrible... m'étranglé-je.

Un hoquet et une larme m'échappent. Niall sort de sa transe. Son corps pivote vers moi. Son pouce essuie ma joue, que je presse contre sa paume.

— Je veux pas te faire pleurer. Malheureusement, ce sont des choses qui arrivent, parce que les gens nous rejettent violemment. Leurs regards effrayés ou accusateurs, leurs insultes, le harcèlement, ça nous pourrit plus la vie que le V.I.H. en lui-même. Je me suis fait traiter de criminel quand j'ai touché une mannequin pour ajuster une tenue. La terreur dans ses yeux, c'était horrible. J'ai fini par faire ma valise pour retourner à Fort William, car personne n'était au courant là-bas, pas même mes anciens potes. Je n'en parle jamais pour éviter que ça soit répété amplifié déformé. Skye a protesté, elle ne voulait pas me laisser déprimer seul avec ce poids. Elle avait peur que je finisse comme Nelly, mais je n'ai jamais pensé à en arriver là. Si j'étais resté à Londres, par contre...

Il ferme les paupières. Son dos tombe contre le dossier. Ça ne doit pas être facile pour lui de me confesser tout ça, cependant une question me brûle les lèvres. Ai-je le droit de lui demander ? Comment bien la formuler ? Je triture la peau de mes ongles, anxieuse qu'il le prenne mal, mais me lance.

— Du coup, tu es malade ? Tu peux... transmettre le sida ?

Son visage se crispe une seconde avant qu'il n'ouvre les yeux en déglutissant.

— Non et non. La maladie, c'est le sida, je ne l'ai pas. On ne peut pas le transmettre, pas même par un simple contact. C'est un syndrome qui se développe si l'infection au V.I.H. n'est pas traitée, et dans ce cas, c'est le V.I.H. qui est transmissible. Le V.I.H. est le virus, pas la maladie. Je prends bien mon traitement. Grâce à lui, je peux avoir une vie normale et aussi longue que n'importe qui. Ma charge virale est indétectable dans mon organisme, donc je ne suis pas contaminant.

— C'est quoi la charge virale ?

— Pardon pour tous ces termes, j'ai du mal à faire simple. C'est la quantité de virus dans le sang. Au début, ma charge était élevée, parce que je venais juste de contracter le virus. Depuis le dépistage, j'ai un traitement anti-V.I.H. à prendre tous les jours pour que l'infection ne se développe pas et je fais une prise de sang régulièrement pour vérifier ma charge. Au bout du compte, le virus est devenu indétectable chez moi, même si je serai toujours séropositif. Tu peux être en contact avec mon sang sans que je te le transmette. Le médecin m'assure aussi que je peux avoir des relations sexuelles normales sans risque. J'ai quand même la crainte, infondée je sais, de contaminer ma partenaire, malgré ça et le préservatif. Pourtant, même s'il craque, elle ne risque rien. Tu n'imagines pas à quel point je me sens en sursis. À quel point j'ai peur d'être encore rejeté à cause de toutes les représentations que peuvent avoir les gens des personnes vivant avec le V.I.H. J'étais désemparé, j'ai préféré ne plus sortir avec personne. Jusqu'à ce que je te rencontre et que tu chamboules tout.

Il marque une pause pour reprendre sa respiration. Le flot d'informations qu'il me divulgue me fait tourner la tête.

— Si j'ai bien compris, tu as le virus, ton traitement l'endort, du coup aucun risque que tu le transmettes et que tu tombes malade.

— C'est ça. Désolé pour tout ce laïus, c'est la première fois qu'on me laisse le temps d'expliquer. L'idée de le transmettre quand même m'angoisse, même si c'est irrationnel, car il n'y a pas de danger tant que je prends bien mes cachets tous les jours. Je ne suis pas malade et je ne vais pas mourir subitement. Par contre, la peur du rejet reste bien présente. Je craignais qu'en te le disant, tu disparaisses. Peut-être que dans quelques jours ou semaines, tu redouteras de l'attraper, parce que ça ne va pas partir, je vivrai toujours avec le V.I.H., même s'il est en hibernation.

— Donc tu peux être en couple et avoir une vie normale.

— Oui. Mais...

— Tu as peur.

Je caresse son poing serré. Nous nous contemplons un instant, je ressens tout le poids qu'il porte.

— Niall, j'ai confiance en toi. Skye a confiance en toi aussi, elle ne te laisserait pas t'approcher de moi si je risquais quoi que ce soit.

— Aïdan ne l'a pas encaissé quand il l'a appris. Il avait la trouille que je refile ça à Skye en lui faisant la bise, alors que c'est impossible !

Aïdan... Mon demi-frère est vraiment un con. Encore heureux que nous n'ayons pas le même sang.

— C'est à cause de gens comme lui et de leurs a priori injustifiés, même à notre époque, que je me sens mal et que je reste sur mes gardes. Beaucoup font encore l'amalgame entre V.I.H. et sida, sans se soucier qu'on ait un traitement ou pas. Donc oui, j'ai peur de la réaction que peut avoir la personne à qui je le confie. Pour ça que je préférais m'attacher à personne. Mais notre rencontre a tout changé.

Il prend ma main entre les siennes et commence à la masser doucement. Je l'invite à continuer :

— Ah oui ?

— Ciara, je ne mens pas quand je dis que tu me plais. Je n'ai pas ressenti ça depuis longtemps. Si je ne tenais pas à toi, jamais je n'aurais osé t'embrasser. Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, je ne te cacherai rien. J'espère juste que tu as encore envie de tenter le coup avec moi.

Ses doigts frôlent ma paume. Des picotements en partent et me chatouillent le bras. Mes interrogations s'envolent. Je me colle un peu plus à lui et plonge dans l'océan tumultueux de ses yeux. Je chavire totalement. Cette fois, c'est moi qui pose ma main sur sa joue, caresse sa barbe. Nos bouches se rencontrent avec tendresse. Une vague de chaleur prend possession de mon être et je me rends compte que je pourrais rester des heures dans ses bras. Sa confidence ne remet rien en cause, mes sentiments pour lui restent les mêmes. Je romps notre échange pour murmurer :

— Je n'ai pas envie que tout s'arrête entre nous.

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Sources
Nicolas du compte Insta supersero_
sida-info-service.org (20 questions sur le V.I.H. que vous n'osiez pas poser)
catie.ca/fr
lexpress.fr (Vivre sa sexualité avec le V.I.H. la fin d'un tabou)

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