Chapitre 14 - Niall

Sur le parking en bas de l'immeuble de Skye et Aïdan, la vingtaine de convives fait du raffut malgré l'heure matinale. Tout le monde s'embrasse et se réjouit à l'avance de la surprise que notre couple vedette va avoir pour cet enterrement de vie de célibataires à une date à laquelle ils ne s'attendent pas.

— Salut, Niall !

Je fais volte-face et me retrouve nez à nez avec le petit bout de femme qui m'empêche d'être réfléchi. Ses yeux noisette, lumineux, rehaussés par ses longs cils, me transpercent. Ses lèvres brillantes et étirées me font l'effet d'un électrochoc. Un mois s'est écoulé depuis notre soirée londonienne, ponctué d'envoi de messages et d'appels de plus en plus fréquents. Ce qu'elle m'a manqué, même si j'ai prétexté devoir dormir chez Lucas la veille pour quelques vérifications de programme. Hors de question de me retrouver seul avec elle dans son appartement pour l'instant. Mon premier réflexe est de vouloir la serrer contre moi. Seulement, trop de témoins s'amassent autour de nous.

— Salut, toi.

Ma main frôle son flanc. Je dépose un baiser près de sa bouche que je rêve de dévorer. Elle tressaille et recule en se tenant les côtes.

— Tout va bien ? m'enquiers-je.

— Oui, t'inquiète.

Son sourire balaie mes inquiétudes.

— Je suis content de te voir.

Mon cœur tambourine fort dans ma poitrine. Elle se mord la lèvre et je suis à deux doigts de l'embrasser. Cependant, Penny, la témoin et collègue de Skye, nous indique que l'heure est arrivée d'aller réveiller les deux tourtereaux.

Nous entrons facilement dans l'appartement avec le double des clés en possession de Ciara. Un vacarme de tous les diables retentit quand certains frappent des casseroles avec des cuillères. J'immortalise la tête ahurie d'Aïdan avec mon appareil lorsque celui-ci débarque en furie dans le salon en caleçon.

— Surprise !

Skye arrive en nuisette, les cheveux ébouriffés, et se frotte les yeux.

— Je me doutais que vous feriez un truc comme ça.

Je ris et m'empresse d'aller l'étreindre.

— Bonjour, ma rouquine adorée. Prête pour une journée de folie ?

— Vous connaissant, je ne sais pas trop !

Lorsqu'ils sont prêts, nous les rendons aveugle avec un foulard pour qu'ils ne voient pas le trajet et les conduisons vers notre premier lieu d'activité : un paintball à l'extérieur de la ville. J'aurais aimé monter dans la même voiture que Ciara, seulement nous avons été séparés.

— Vous êtes sérieux, là ? râle Aïdan tandis que nous revêtons nos tenues de combat. Hors de question que je porte ce machin !

Hilares, nous lui confirmons qu'il va devoir, comme Skye, enfiler un pyjama de lapin par-dessus les habits de sécurité. Après avoir pris plusieurs clichés, je dépose mon appareil dans le local et nous partons à l'attaque. Tout s'enchaîne si vite, aucun temps mort ne me permet de me rapprocher de Ciara.

Hommes contre femmes, le but ultime consiste à dégommer le léporidé adverse, sans trop de pertes dans chaque camp. Tels de vrais soldats, nous avançons en nous cachant derrière les bosquets et autres structures mises en place. Je fais partie de la troupe d'assaut, d'autres demeurent en retrait pour protéger notre animal aux longues oreilles, qui boude un peu. J'observe les alentours et fais signe à mes coéquipiers que la voie est libre. Soudain, des coups retentissent et des membres de mon gang se font avoir. L'œil dans le viseur, je pointe différentes proies et tire à mon tour. Ma position découverte, je cours me planquer derrière des arbres plus éloignés du lieu de carnage.

Alors que la guerre fait rage entre les deux groupes, je me retrouve face à Ciara. Nous nous fixons à travers nos visières et je n'ai qu'une envie, me rapprocher d'elle pour la prendre dans mes bras. Malgré la tenue de camouflage, elle reste sexy et son regard me transperce. Ne rien pouvoir tenter augmente ma frustration. Fusils baissés, nous nous jaugeons, et je retire ma protection.

— Vas-tu m'attaquer alors que je me désarme devant toi ?

Elle enlève la sienne à son tour et je romps la distance qui nous sépare. Nous ne nous lâchons pas des yeux. La tension grimpe en flèche, mon cœur s'emballe et je me penche vers ses lèvres. J'ai besoin de les unir aux miennes pour les goûter de nouveau. Nos bouches sont prêtes à entrer en contact, quand j'entends des cris non loin de notre emplacement.

— Je crois que ce ne sera pas pour cette fois, monsieur l'ours.

Elle recule, sourire en coin malgré un déplacement qui semble lui coûter, et replace son casque. Sans prévenir, elle redresse son arme et me tire une balle de peinture dans la clavicule, avant de s'enfuir en claudiquant. Je suffoque sous le choc. Me voilà hors course, tout ça parce que je ne réponds plus de rien en sa présence, et intrigué par sa démarche mal assurée. Les bras levés, je quitte la zone et retrouve mes camarades déjà battus. Assis autour d'une table, nous buvons une bière, tandis que les guerriers reviennent les uns après les autres. Je scrute chaque arrivée, souhaitant la voir, mais Ciara tient bon dans la bataille.

Au bout du compte, nous entendons le hurlement de victoire des filles. Elles ont tué notre lapin. Les gars débarquent penauds, avec un Aïdan énervé par cet échec, qui se démène pour enlever sa tenue. Les demoiselles suivent, surexcitées, et j'aperçois enfin ma belle. Casque dans une main, arme dans l'autre, elle a défait le haut de sa combinaison, qui pend contre ses jambes, et se retrouve les bras dénudés. Lorsqu'elle approche de moi, elle s'esclaffe.

— J'espère que je ne t'ai pas fait mal !

— C'est ça, rigole. Tu pourrais me faire un massage pour soulager la douleur, je souffre comme jamais. Et m'expliquer pourquoi tu te tiens les côtes comme ça, alors que personne ne t'a touchée ?

Elle pose les paumes sur mes épaules et murmure à mon oreille.

— Je m'occuperais bien de toi, seulement, je ne pense pas que ce soit le bon moment, Aïdan nous observe. Pour mes côtes, je t'ai rien dit parce que c'est pas grand-chose. Juste une petite fêlure qui se répare gentiment.

Pardon ?

Elle s'éloigne sans me laisser le temps d'investiguer.

— Ça va ? me demande Skye en s'installant à côté de moi.

— J'ai été lamentablement éliminé, j'espérais durer plus longtemps.

— Tu t'es surtout fait avoir par une petite nénette aux cheveux bleus, je me trompe ?

— Elle m'a percuté d'un peu trop près. J'ai mal.

— Touché en plein cœur, on dirait.

Je la scrute en grimaçant. Alors que je cherche une répartie pour la contredire, quand bien même elle a raison, Penny prend la parole.

— Allez, les enfants, nous avons bien mérité une balade pour nous détendre ! Passons à la suite ! Mais avant, nouvelle tenue pour les futurs mariés.

Les pauvres écarquillent les yeux face à l'accoutrement de prisonniers qu'ils vont devoir porter. Lorsqu'ils terminent d'enfiler leur costume, nous les lions avec des menottes et accrochons un boulet en plastique à leur cheville.

— Ça ne va pas être pratique pour marcher, grommèle Aïdan.

— C'est pour mieux te préparer à cette vie à venir, enchaîné à ta merveilleuse femme, le taquiné-je.

— Ouais, ben ne perdez pas la clé, quand même.

Nous achevons le tableau avec une pancarte autour de leur cou : « Condamnés à perpétuité, à moins de récolter cent bisous ». Si j'avais pu l'attacher à un arbre et l'abandonner là, je l'aurais fait volontiers.

Nous quittons le terrain pour rejoindre les voitures, afin de nous rendre dans le centre de Londres, et j'entends le futur marié beugler.

— Ciara, viens avec nous !

Il ne laisse pas de place à la négociation et embarque sa sœur avec lui. Il fait tout pour que nous ne nous retrouvions pas ensemble. Elle effectue un signe discret avec ses doigts dans ma direction, appuyé d'un clin d'œil, et j'affiche un sourire béat.

— Hé, mec ! Tu viens ?

Lucas me tire de ma contemplation et nous partons pour une autre aventure. La sensation de privation de ce moment tant attendu n'est, à mon avis, pas prête de s'atténuer.

Une fois sur place, nous flânons sur le bord de la Tamise, sandwich à la main. Le festival Canalway Cavalcade pare l'eau d'une multitude de péniches bigarrées et habillées de fanions multicolores. Les badauds s'amusent à notre passage et jouent le jeu du bisou, pendant que Lucas les compte. Si Skye est décontractée et accepte volontiers de se laisser embrasser la joue par des inconnus, Aïdan met plus de temps à se déraidir.

Le tableau qui s'étale devant nous est idyllique. Je me hâte de demander l'autorisation de monter sur un des bateaux, coloré de rouge et de vert fluo, pour que nous prenions une photo. Notre attroupement génère presque autant de raffut que la foule sur le quai. Nous chahutons en embarquant, chacun se place comme il peut et nous nous serrons les uns aux autres. Les grands derrière, les plus petits devant, je termine ainsi dans le dos de Ciara. La tentation de poser mes mains sur ses hanches et de poser mon menton dans ses cheveux est immense, néanmoins, je me retiens.

— Décidément, murmuré-je près de son oreille, je me retrouve sans cesse près de toi, sans pouvoir te toucher. C'est... frustrant.

Elle tourne son visage vers moi. Je n'aurais qu'à me pencher un peu pour attraper ses lèvres et apaiser mon cœur, qui menace d'imploser. Ses dents viennent pincer sa bouche et ma résistance fond comme neige au soleil. J'ai besoin de l'enlacer, cependant, un de nos compagnons me pousse par inadvertance et j'atterris dans la réalité.

La balade se poursuit jusqu'à Regent's Park. Nous demandons aux promeneurs de nous prendre en photo à divers endroits de ce parc royal, quand ce n'est pas moi qui immortalise chaque instant : devant les magnifiques parterres de fleurs, près de la Fontaine de Triton dans les Jardins de la Reine Marie, pour terminer dans le kiosque à musique. Quelqu'un lance un morceau et nous enjoignons les futurs condamnés à danser, tandis que chaque convive trouve un partenaire.

— M'accorderiez-vous cette danse, monsieur ?

Je me retourne et attrape Ciara en position de valse. Une main sur sa taille, l'autre se nouant à la sienne, nous nous rapprochons. Son corps contre le mien amplifie le feu qu'elle attise en moi. Elle agrippe mon épaule à travers mon t-shirt et ne me lâche pas.

— Et donc, cette fêlure des côtes ? la relancé-je.

— Disons que j'ai mal anticipé un virage pendant ma petite course.

— Mais encore ?

— Plus tard, on doit y aller.

Elle s'évapore, la suite du programme nous attend. Nous terminons la promenade chez le marchand de crèmes glacées du parc. Ciara lèche sa boule au chocolat et la soirée d'annonce des fiançailles me revient en mémoire, lorsqu'elle dégustait son éclair de façon très explicite. Elle croise mon regard et cesse de suite son manège. Je m'approche d'elle, tout sourire.

— Eh bien, tu rougis ?

— N'importe quoi.

Je passe un doigt sur ma glace et lui en mets sur le nez.

— Si, tu rougis. J'aime ça, tu es belle à croquer.

Je pose ma main sur sa joue, puis replace une de ses mèches derrière son oreille. Mon pouls résonne dans mes tympans, seulement, cet instant hors du temps s'interrompt quand les autres reprennent le chemin vers le point de ralliement du début de soirée.

Nous terminons cette journée dans un bar au bord d'un lac. Du Pimm' aux fraises nous y attend, ce fameux cocktail que Skye prise tant. Chacun se pose à différentes tables en bois, d'autres partent longer l'étendue d'eau ou commencer une course de pédalos.

Je me promène parmi les convives pour prendre des photos. Mon téléphone vibre et j'avise un SMS de Ciara.

[Retrouve-moi sur le pont derrière le bar]

Je m'éclipse discrètement et me dirige vers le point de rendez-vous. Je la repère vite, accoudée à la balustrade.

— On n'a pas eu beaucoup de temps pour discuter, déclare-t-elle quand je la rejoins.

— En effet. Je t'ai manqué ?

Elle mêle ses doigts aux miens et m'entraîne plus loin, pour nous cacher entre plusieurs saules pleureurs. Nous restons un moment à nous regarder, quand elle brise le silence.

— Être près de toi et, en même temps, ne pas pouvoir te toucher, je trouve ça très difficile.

Je caresse sa joue du pouce. Mon corps se rapproche du sien et mon autre main passe dans son dos. Les yeux dans les yeux, ma soif de redécouvrir le goût de ses lèvres devient presque ingérable. Malgré tout, Aïdan n'est pas loin, ainsi qu'une myriade de témoins potentiels.

— Ciara, crois-moi, je meurs d'envie de t'embrasser. Seulement, je préfère éviter un conflit avec ton frère aujourd'hui.

— Ce n'est pas juste.

J'appuie mon front contre le sien en fermant les paupières. Je la respire et m'enivre de ce contact. Toute la journée, j'ai attendu cet instant où nous serions isolés. Un baiser, cela n'aura aucune incidence. Je me penche vers ses lèvres et nos souffles se mélangent. Les secondes s'écoulent, aucun de nous n'ose franchir le pas et nous restons figés dans cette étreinte, à nous imprégner l'un de l'autre. Alors que nos bouches se frôlent enfin et que tout mon être tremble de désir, le sort s'acharne contre nous. J'entends hurler après moi et ce moment magique s'évapore.

— Niall ! T'es où ? Skye te cherche partout !

Je retiens un juron, serre les dents pour me contenir et soupire. Je maudis l'univers qui nous empêche de rester ensemble plus de quelques minutes.

— Encore raté, on dirait, me lamenté-je.

Je commence à m'éclipser, mais elle m'attrape par le poignet pour me tirer vers elle. Elle dépose alors ses lèvres au coin des miennes et un frisson parcourt mon corps.

— Ce n'est que partie remise.

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