Chapitre 13 - Ciara
Je n'en peux plus des réparations du jour. Mon programme du week-end ne quitte pas mes pensées, tout comme mes échanges avec Niall. Discuter avec lui par message attise mon envie de le revoir.
— Eh merde ! juré-je en lâchant le bouchon du réservoir d'huile dans le moteur.
Mon corps glisse sous le châssis pour dévisser le carter et récupérer l'objet qui m'a échappé.
— Eh ben, la miss, t'es distraite ?
— N'importe quoi, lancé-je en me relevant. T'as jamais un moment de relâche, Flo ? J'te rappelle ce qui s'est passé quand t'as oublié de tester les freins d'une voiture avant de l'emmener au lavage ? le taquiné-je.
— Ha, ha, très drôle. Ça peut arriver à tout le monde de se prendre un mur parce que la caisse freine pas, hein, toussote-t-il. OK, j'ai eu de la chance parce que je roulais doucement.
— Pour une fois, me marré-je
— Alors, c'est qui l'heureux élu à qui tu textotes sans arrêt ?
— Je ne textote pas tant que ça, t'hallucines.
— C'est ça, ouais. Il s'appelle comment ?
— Il s'appelle personne. C'est la course qui me distrait.
— Tu m'étonnes ! J'ai hâte de courir contre toi. Bon, au boulot, on en voit l'bout.
Je remets les mains dans le moteur, l'esprit obnubilé par la course sauvage de voitures à laquelle je vais participer avec mon collègue. J'étais réticente quand il m'a proposé cette virée, toutefois, l'engouement de Melvin m'a poussée à accepter.
« Tu vas tous les battre, ils seront verts de rage qu'une nana leur foute la honte. Ça va te changer les idées et coller une pointe d'angoisse à Niall. Comme ça, il sera peut-être moins dans ses retranchements la prochaine fois que vous vous verrez. »
L'ours maintient de la distance, malgré son baiser après notre soirée qui s'est terminée chez Aïdan et Skye. Ses lèvres sur les miennes... Je tressaille en y repensant. S'il veut prendre son temps, ça me convient. Mes sentiments pour lui grandissent. Je ne l'envisage pas seulement pour une nuit, je le désire tout entier, sur le long terme. Espérons juste que je ne me brûle pas les ailes.
Le soleil éclaire encore mon appartement quand je passe la porte. Je m'approche du meuble près de la fenêtre où Coggy m'attend sagement.
— Coucou, p'tit bubulle. Quoi d'neuf dans ton bocal ? Aujourd'hui, c'est soir de fête, t'as le droit à deux rations. On sait jamais, des fois que je me tôle demain...
Je grimace en m'affalant dans le canapé. Niall ne devrait pas tarder à m'appeler. Nos moments au téléphone deviennent réguliers. Sa voix me manque de plus en plus chaque fois. Pour patienter, je relis nos conversations sur la quinzaine qui vient de passer depuis que nous nous sommes vus. Nous parlons de tout, de nos journées, de notre travail, des séries et films visionnés – on a les mêmes goûts, je visualise déjà nos soirées télé –, de nos repas. Des échanges banals, mais ses « bonjour » le matin et « bonne nuit » avant de se coucher me font frémir. J'aime l'idée que sa première et dernière pensée du jour soit pour moi.
Son prénom s'affiche soudain sur l'écran.
— Coucou ! entonné-je en décrochant. Alors, pas trop difficile cette fin de semaine ?
— Salut, toi. J'en ai pas encore fini, j'ai le mariage dont je t'ai parlé à couvrir ce week-end.
Entendre son timbre chaleureux me galvanise. Cependant, plus il me détaille l'événement, plus je l'imagine entouré de nombreuses femmes célibataires, qui vont peut-être essayer de le séduire. Qui ne serait pas tenté face à lui ? Mon nez tressaute, ma bouche se tord.
— Tu vas p't'être y rencontrer la femme de ta vie, paraît que ça arrive dans les mariages.
— Quand on est l'invité, pas le photographe. Et p't'être que je l'ai déjà... Tu s'rais pas un peu jalouse ?
— Pas du tout, réfuté-je, peu convaincante.
— Je te signale que tu participes à une course illégale et que tu vas côtoyer plein de mecs qui partagent ta passion. Et qui roulent dans des bolides qui fonctionnent, eux...
— Ça te rend jaloux ?
— Je suis surtout pas rassuré de te savoir là-bas.
— J'y vais avec mon collègue.
— Hum. Fais attention quand même. T'es sûre que ça va le faire avec ta voiture ?
— T'inquiète, j'suis une pilote !
— J'en doute pas, mais j'aimerais pas qu'il t'arrive quelque chose.
— J'ai déjà fait des courses, même si elles étaient pas clandestines comme celle de demain...
Ses craintes me touchent. Pour tenter de le rassurer, je lui parle des événements officiels auxquels j'ai participé. Celui-là ne devrait pas être si différent, même s'il se déroule de nuit avec la possibilité que les flics soient prévenus et nous arrêtent.
Dans quoi je m'embarque...
— Ne monte pas dans la voiture d'un inconnu.
— Et toi, fais attention à celle qui attrapera le bouquet si elle est célibataire.
— Elle pourra tenter ce qu'elle veut, il n'y a qu'une femme qui hante mes pensées.
— Ah oui ? C'est qui ?
— Cherche. Bonne nuit, Ciara.
— Fais de beaux rêves, Niall.
Pour éviter de me poser mille questions et me mettre dans l'ambiance pour ma course, je lance le film Fast and Furious. Des rodéos urbains à bord de petites merveilles de la route, des bad boys, une trame pas compliquée, une histoire d'amour, c'est tout ce qu'il me faut pour me détendre. Pendant la course finale entre O'Conner et Toretto, mon portable vibre et un message de Niall apparaît.
Y a pas à dire, c'est quand même lui que je préfère.
[Tiens-moi au courant avant de te lancer dans la course. Dors bien, la pilote. Bisous, je pense à toi.]
***
La journée n'en finit plus. Je tourne en rond depuis des heures quand Florian arrive enfin chez moi.
— Comment tu t'sens ?
— Excitée, effrayée...
Mes mains s'agitent. Mes pas m'entraînent vers ma petite cuisine ouverte. J'ai besoin d'un verre d'eau.
— C'est peut-être pas une bonne idée, ça fait une paye que j'ai pas fait ça. Mais là... Pourquoi tu m'as embarquée là-dedans ?
— Parce que tu vas t'éclater !
— Espérons que ça reste au sens figuré. Tu veux boire un truc ?
— Non merci, c'est bon. Te fais pas d'bile, rigole-t-il. Pourquoi t'as accepté si t'as les chocottes ?
— Parce que je vais m'éclater, affirmé-je en avalant le liquide d'une traite.
— Ah ben tu vois !
— Et j'ai pas les chocottes.
Florian jette un coup d'œil à son portable. Un grand sourire se dessine sur son visage.
— Alors tant mieux, parce que je viens de recevoir le lieu de rendez-vous. C'est parti, la miss !
J'inspire profondément, puis attrape ma veste et mes clés. Pendant que nous descendons, j'envoie un message à Niall, qui n'a pas donné de nouvelles aujourd'hui – ce qui n'aide pas mon stress à diminuer.
[Salut Niall, juste un petit mot pour te dire que je pense à toi. Je décolle, l'organisateur vient de nous indiquer l'adresse. J'espère que ta journée s'est bien passée. Bises, Ciara.]
Après avoir roulé une quarantaine de kilomètres, nous parvenons au point de ralliement sur les docks de Gravesend, déserts à cette heure tardive. D'innombrables projecteurs éclairent des dizaines de voitures clandestines de tous les styles et de toutes les couleurs, alignées sur le quai. Le son hurle des enceintes de certains coffres et résonne jusque dans mes entrailles. Mon appréhension se volatilise au profit d'une profonde excitation. Je gare ma Nissan 350Z près de la Honda Civic améliorée de Florian et baisse ma fenêtre quand il sort.
— Prends-moi en photo, je dois immortaliser l'instant !
Il saisit mon téléphone et s'exécute. J'accroche un sourire à mes lèvres, tire la langue, montre la corne du diable avec une main et mime un clin d'œil.
— C'est pour personne ? me sonde mon collègue, les traits amusés, en me restituant mon bien.
— Voilà. T'as tout compris.
Avant d'envoyer le cliché à Niall, je relis son message, arrivé pendant que je conduisais.
[Désolé de pas avoir donné de nouvelles avant, je me suis réveillé à la bourre ce matin et j'ai pas arrêté depuis. Une vraie course pour moi aussi ^^ En tout cas, aucune femme ici ne serait capable de réparer ma voiture. Amuse-toi bien, mais sois prudente. Je t'embrasse]
Mes palpitations opèrent quelques tours de rodéo. Mes paupières se ferment pour me permettre de me recentrer, puis je sors dans l'optique de rejoindre Florian, déjà parti dans la foule.
— Babydoll ! lance une voix qui me fige. Toujours sympa la carrosserie. Mais ta caisse est pas mal non plus.
Un coup de froid me traverse brièvement, tout de suite remplacé par de l'assurance. Hors de question que je me démonte face à lui. J'ancre mon regard dans ses iris gris.
— Qu'est-ce que tu fous ici ?
— Je pourrais te retourner la question. Je pensais que ton truc, c'était les cages en boîtes de nuit.
Ma mâchoire se contracte. Je mords ma langue pour éviter de m'emporter. Ce n'est pas le moment de perdre mon sang-froid.
— Écoute...
— Fedro, ma jolie. Mon nom t'importait peu avant. Toi, ce que tu voulais, c'était...
— Fedro, le coupé-je en appuyant sur les syllabes, on a passé du bon temps ensemble, mais oublie-moi. Ça se reproduira plus.
— T'es sûre ? Tu seras quand même la bienvenue dans mon loft. C'était cool de jouer avec ton beau p'tit cul, mon pote a adoré aussi.
Mes poings se serrent, tout comme ma gorge. Je ne peux pas nier que j'ai aimé ce que j'ai vécu, que ce soit avec lui ou avec d'autres. Attirer les hommes dans mes filets pour ensuite m'en débarrasser constituait ma revanche contre Quentin et assouvissait mon besoin de contrôle de la situation. Seulement, j'en ai terminé avec ça. Je m'approche assez près de son visage pour répliquer.
— Et tu le reverras jamais, parce que tu le mérites pas. C'est pas parce que j'aime prendre du plaisir que je suis une salope. Sinon, toi, t'es quoi, connard ?
— C'est qu'elle mordrait ! Allez, j'suis bon joueur. Pour te consoler quand t'auras perdu, je suis open pour te prendre sur mon capot.
— Même si je perdais, ta queue aura plus aucune chance avec moi.
Je lui balance un doigt d'honneur avant de bifurquer. La rage de vaincre bouillonne en moi. Je repère mon collègue et me dirige vers lui pour écouter le brief. La route à emprunter est balisée. Des grilles ont été installées aux intersections, de manière à empêcher quiconque de débouler à l'improviste.
— Prête ? entonne-t-il.
— Prête.
Nous regagnons nos voitures pour nous positionner sur la ligne de départ. Mon téléphone vibre dans ma poche arrière, je jette un œil à la notification.
[T'es magnifique. Merde pour la course. Je me répète, fais attention. Tiens-moi au courant quand tu termines.]
J'aurais peut-être mieux fait de rester gentiment chez moi, ou de me réfugier chez l'ours pour le faire craquer définitivement. La grid girl en jupette commence le décompte et je range mon portable à l'abri. Mon pied stimule la pédale de l'accélérateur. Mon corps ne fait plus qu'un avec le siège. Lorsqu'elle lâche le foulard, le vacarme assourdissant des sportives qui rugissent se mêle au crissement des pneus sur le bitume. Mes oreilles sifflent. L'euphorie envahit mon être, comme la nitroglycérine pourrait s'infiltrer dans le moteur.
Flo à mes côtés, nous longeons le quai dans une belle ligne droite. Les lumières de rue défilent en un éclair. Une grue portuaire surgit sur ma gauche tandis que mon collègue tente un dépassement risqué. Mon cœur bat la chamade alors que je vois sa Honda frôler dangereusement l'immense structure métallique.
Les bras tendus sur le volant, les vibrations de la route retentissent à travers mes doigts. Devant nous, je reconnais la BM de Fedro. Je grince des dents, mes sens en alerte maximale. Une pointe de compétition acharnée mêlée à une pincée de colère s'empare de moi. Je presse l'accélérateur et sens le moteur rugir. Ma voiture se jette en avant avec une férocité palpable.
Nous approchons d'un virage à angle droit. Avec des gestes précis, mes pieds dansent entre la pédale de frein et celle de l'embrayage. Ma Nissan répond à mes commandes et glisse gracieusement, évitant de justesse une pile de palettes et des chariots abandonnés. Le bruit métallique des suspensions crie sous la pression. Le moteur gronde à plein régime. Mon champ de vision se rétrécit à mesure que les murs des entrepôts en briques rouges se succèdent à toute allure. Je réussis à dépasser une Audi dans un tournant serré. L'adrénaline monte en moi comme une vague irrésistible. Mon corps entre en ébullition.
Mettre les gaz en ligne droite, rétrograder dans les courbes, doubler par l'intérieur en enfonçant la pédale... Je ressens chaque mouvement dans mes muscles, chaque secousse dans mes os. La chorégraphie avec ma voiture est presque instinctive. Sur la route, je suis libre, je me sens puissante, invincible. Cette sensation est aussi intense qu'un orgasme. La moindre accélération m'envoie des décharges d'excitation pure à travers le corps.
Mon regard se porte vers la BM de Fedro. La distance se réduit entre nous. Mon cœur bat dans ma gorge. Le vrombissement des moteurs emplit mes oreilles à un volume étourdissant.
Nous amorçons notre entrée dans une épingle à cheveux, la tension palpable dans l'air alors que nos voitures se rapprochent. Mon capot devance le sien. Un éclair de défi dans les yeux, je tourne brièvement la tête vers lui avec un nouveau doigt d'honneur à son intention.
La sortie du virage se dessine devant moi, tout comme un carambolage. Des bolides fumants bloquent la route. Ma gorge s'assèche. Mes mains se crispent sur le volant. Mon pied écrase la pédale de frein dans un geste instinctif. Trop tard. La Nissan dérape sur l'asphalte, les pneus protestent. Le temps se suspend une fraction de seconde, puis tout devient flou.
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