ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴠɪɴɢᴛ-ᴅᴇᴜx
An 3040, 12 novembre – selon le calendrier d'Yggdrasill
Le surlendemain matin, Beomgyu cogna doucement à la porte de la chambre de Taehyun. Soobin, aux fourneaux – comme il en avait pris l'habitude – lui avait intimé de réveiller le Capitaine afin qu'il ait toute la journée devant lui pour finaliser ses recherches. La veille, le blond avait fait l'ouverture de la bibliothèque et était resté jusqu'à la fermeture, encore une fois. Il s'investissait beaucoup dans ses recherches et revenait chaque fois avec une tête un peu plus désespérée, au point où Beomgyu commençait à se montrer curieux. Ce qu'il apprenait dans les archives ne devait pas être joyeux. Mais Soobin refusait de le mettre dans la confidence, alors il observait en silence les deux compères se réunir le soir pour discuter longuement. Beomgyu attendait. Il avait assez confiance en ses deux amis pour savoir que, tôt ou tard, il saurait. Et il comprenait tout à fait leur peur qu'une rumeur se répande par sa faute. Il avait du mal à garder les secrets, ces derniers temps.
De l'autre côté de la porte, un silence de mort régnait. Son réveil avait déjà sonné deux fois, il l'avait entendu, et pourtant Taehyun ne bronchait pas. Même pas un froissement de drap ou un soupir. Alors Beomgyu entra sans attendre de permission. De toute façon, ils étaient amis et avaient partagé une intimité plus profonde encore, dans ce lit, ce lendemain de soirée chaotique. Il n'avait toujours pas oublié, ce souvenir le mettait mal à l'aise.
Ce qui le frappa premièrement, c'étaient les volets grands ouverts qui laissaient passer une luminosité ne semblant pas déranger le blond le moins du monde. Deuxièmement, ce fut le visage crispé du jeune homme et les énormes gouttes de sueur dégoulinant de son front. Les symptômes d'une vilaine fièvre. Beomgyu s'empressa de ramener son appareil médical de sa chambre et entreprit de faire passer un examen complet au malade qui dormait encore. Soobin, intrigué par son remue-ménage, passa sa tête dans l'encadrement de la porte, sa casserole à la main.
― Qui a-t-il ?
― Il est malade.
C'est à cet instant que le jeune homme aux cheveux blonds trop longs collés à son visage s'extirpa d'un sommeil tout sauf réparateur. Il avait l'impression d'avoir une masse à la place du crâne et un désert en guise de bouche. Les cernes immenses sous ses yeux faisaient peur, tout comme le regard assassin qu'il envoya à l'appareil de mesures bipant de partout. Que ce truc pouvait être insupportable... Il tira sur sa couette pour se libérer du lit qui lui donnait horriblement chaud. Mais avant que son pied n'eût touché le sol, il se retrouva plaqué au matelas par une force qu'il ne pouvait vaincre. Personne ne pouvait rien face à la volonté du médecin Choi Beomgyu.
― Pas de bibliothèque pour toi aujourd'hui, mon grand.
― Mais... essaya-t-il malgré sa langue pâteuse, mes recherches...
― Une autre fois.
Alors Taehyun se retrouva alité pour la journée, exclusivement nourri de sirop et de médicaments en tous genres. Beomgyu avait pris un malin plaisir à l'empêcher de quitter l'appartement aujourd'hui, tandis que Soobin l'avait lâchement abandonné à son sort sous prétexte administratif. Et pourtant, le blond avait aimé. Son Lieutenant prenait soin de lui comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Pendant ce long mois loin de son équipage, Taehyun sentait que les choses avaient changé entre eux et retrouver cette proximité le soulageait. Il s'apprêtait à commettre un acte irréversible, c'était rassurant de savoir ses plus proches amis à ses côtés.
Ce soir-là, alors que Beomgyu lui apportait une bonne soupe bien chaude préparée par le Caporal, Taehyun l'informa de son plan. Il avait quasiment bouclé ses recherches, il ne lui manquaient plus que certains détails pour lier les ultimes événements entre eux et la vérité pourrait être dévoilée. Alors Beomgyu pouvait bien savoir ce qu'il tramait. Et puis il se sentait mal de l'exclure ainsi. Le médecin aussi était son confident, un confident juste un peu plus bavard que son camarade.
*
* *
An 3040, 13 novembre – selon le calendrier d'Yggdrasill
Un nouveau jour se levait sur Ingenanelse et Taehyun ne se sentait toujours pas bien. La fièvre l'écrasait, sa tête le laminait et les médicaments n'y changeaient rien. Il avait dû attraper une vilaine bactérie pour que les progrès de la médecine ne puissent pas l'aider dans l'immédiat. Beomgyu lui ramenait toujours plus de remèdes et priait son système immunitaire de montrer un peu plus d'efficacité. Sa fièvre avait baissé légèrement au cours de la nuit alors, quand le Lieutenant vint le réveiller, il l'autorisa à se lever pour se dégourdir les jambes. Le monde tournait, tanguait et se brouillait devant lui mais Taehyun était déterminé. Déterminé à se laisser choir sur le canapé. Il en avait marre d'être cloitré ici. Ses recherches n'avançaient pas. Il s'enroula dans la couverture qui trainait là, soudain transit de froid, et laissa Beomgyu faire son examen médical.
A midi, Soobin fut de retour avec un sac de courses pour les repas des prochains jours au bout d'un bras et une pile de documents sous l'autre bras. Il posa le tout sur le plan de travail, salua ses amis et lava ses mains pour se mettre aux fourneaux. Taehyun, lui, ne put s'empêcher de se relever, sous le regard désapprobateur du médecin qu'il ignora royalement, et de s'approcher discrètement de la cuisine. Il craignait que ces documents ne soient en rapport avec ses recherches. Soobin n'avait pas à s'infliger cette peine, c'était son choix à lui et à lui seul. Il avait promis à Yeonjun, il avait promis qu'il réglerait lui-même la situation. Le Capitaine souhaitait que lui, et seulement lui, soit responsable de tout ce que cela impliquait. Si la justice de la Fédération lui tombait dessus, il devait être le seul à écoper d'une condamnation. Les autres – son équipage, ses amis – n'avaient rien à voir dans cette histoire. Les avoir mis au courant était déjà irréfléchi. Et Taehyun sût qu'il était trop tard quand il lut la mention de Freyr sur l'un des post-it débordant du tas de feuilles.
― Soobin...
― J'ai fini tes recherches. Comme ça tu n'as plus à t'en faire.
Le regard que Taehyun lui lança à travers ses yeux humides de fatigue et de maladie lui rappela ce qu'il avait dit précédemment, lors d'une de leurs conversations sur ce projet. Il lui avait promis qu'il resterait loin de ses investigations. Soobin n'avait pas à y mettre ses traces, sinon il serait désigné complice, voir coupable, et les sanctions seraient dures. Encore une fois, Taehyun voulait le sauver, subir toutes les conséquences seul afin que personne autour de lui n'aie à souffrir. Cependant, les choses ne se déroulaient pas ainsi en réalité. Le noiraud posa sa cuillère en bois et éteignit le feu sous son wok pour prendre le blond dans ses bras.
― Je sais ce que j'ai dit. Mais tu n'as pas à faire ça seul, Capitaine. Beomgyu et moi, on est là pour t'aider. L'équipage entier est derrière toi. Et puis... il y a Yeonjun.
Il avait compris, au fil du temps, par ses réflexions et les détails que Taehyun semait à ses dépens. Yeonjun avait gagné une place particulière dans son cœur, une place que lui n'avait à offrir à personne. Il l'aimait sincèrement. Et Soobin sentait que le rebelle n'avait jamais cherché à lui faire du mal durant sa détention. Au contraire. Le Capitaine Kang s'était épris de son ennemi et préparait un acte aussi noble que celui de sauver l'Univers de la malfaisance de sa propre nation, tout cela par amour. C'était magnifique. Dangereux mais magnifique.
Car Yeonjun restait l'ennemi numéro un de la Fédération. Et Beomgyu ne manqua pas de le remarquer.
― Attendez... tout ça... c'est parce que tu l'aimes ?
Son ton n'avait pas vraiment été sec mais, quand Taehyun rencontra ses yeux, il y lut un profond désarroi. C'était peut-être même pire. Beomgyu n'était pas en colère, il ne comprenait simplement pas comment une telle chose pouvait arriver. Comment lui, l'officier rationnel qu'il était, s'était laissé porter par son cœur dans un projet aussi bancal. Comment il avait pu accorder sa confiance à la pire ordure de l'univers.
― Il pourrait très bien t'avoir manipulé pour que tu fasses ça !
― J'ai fait le pari de croire que non...
― Qu'est-ce que t'en sais ? Tu remets en question l'entièreté de la Fédération pour un gars et son récit fumeux ?
Soobin s'interposa. Le ton montait, il n'aimait pas ça. Taehyun avait fait son choix et, pour lui, l'histoire du rebelle se tenait du début à la fin. Ils avaient trouvé des preuves de la destruction de Freyr, des rapports à demi effacés, des lettres étranges, et un tas de recherches scientifiques cachées – mais pas assez bien pour eux – sur une supposée nouvelle branche de l'espèce humaine : homo sapiens skarpis. Tout ne pouvait qu'être vrai.
― Ecoute, Beomgyu. On a des preuves, toute cette histoire est vraiment arrivée. La Fédération a commis un génocide et notre devoir est de le dévoiler à l'univers. On ne va pas rester sans rien faire alors qu'on sait tout ça, si ?
Le brun s'avoua vaincu. Il ne pouvait rien nier, rien contredire de ce que Soobin lui disait là. S'ils se muraient dans le silence, ils seraient complices d'un crime de masse et peut-être même d'autres. Qui sait ce dont la Fédération serait capable de faire à l'avenir. Pour le bien de l'univers, ils n'avaient qu'une seule solution devant eux : suivre le plan de Taehyun. Même s'il impliquait Yeonjun, l'ennemi d'Etat numéro un que leur équipage devait initialement capturer.
― Par la même occasion, on mettra fin à la colonisation, ajouta Taehyun de sa voix enrouée. On rendra leur liberté aux peuples sous domination fédérale.
― Mais on risque la cour martiale ?
― C'est le prix à payer pour la vérité.
― C'est très encourageant ça, Caporal.
Le médecin se laissa retomber sur son fauteuil. Il avait besoin de réfléchir. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire n'avait rien de drôle, il ne devait pas le prendre avec sa légèreté habituelle. C'était très sérieux. Ils détruiraient leur régime, sèmeraient le désordre dans l'ensemble de l'univers, finiraient en prison à vie – s'ils n'écopaient pas de la peine de mort –, ils coopéreraient avec leur pire ennemi. Mais de nombreuses civilisations retrouveraient leur liberté. L'empire colonial de la Fédération prendrait fin après quelques centaines d'années – ou plus, il n'avait jamais vraiment écouté en cours d'Histoire – et une nouvelle ère commencera. Leur projet pouvait bien finir comme complètement capoter. Et Beomgyu avait soudain peur.
Il n'eut pas le temps de reprendre la parole qu'on sonna à la porte. Taehyun s'empressa de disparaitre dans sa chambre – il n'était pas présentable – tandis que Soobin laissa sa cuisine pour aller ouvrir. De l'autre côté du battant, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir le Général Westergaard, les sourcils froncés en une expression contrariée. Plus que contrariée même, il bouillonnait de colère.
― Où est Kang ?
― Il est... malade.
― Vous trois, dans mon bureau dans cinq minutes. Vous allez passer un sale quart d'heure.
Il tourna aussitôt les talons et disparut dans la seconde à l'angle du couloir. Soobin resta figé un instant. Il avait compris, Hans Westergaard avait découvert leur petit manège. Ils n'avaient pas du tout été discrets pendant leurs recherches, le noiraud s'en rendait compte maintenant. Ils étaient dans de beaux draps. Un instant plus tard, il s'était déjà jeté sur sa valise.
― Les gars, on doit partir. Ils savent !
Un chaos sans nom résonna dans les minutes à suivre. Taehyun s'habilla en quatrième vitesse de son uniforme de bord, Soobin l'aida à boucler ses bagages. Beomgyu, lui, se précipita sur sa montre IPAV pour informer tout l'équipage de leur départ imminent. Tant pis pour Minho et Felix partis en vacances, ils devraient trouver un autre moyen de rentrer. Et eux allaient se passer de cuisiniers. De toute façon, le voyage n'était pas long jusqu'à Tyr. Les cinq minutes à peine écoulées, ils étaient déjà dans le hangar logeant l'Alfar304. Taehyun monta au cockpit, laissant Soobin et Beomgyu contrôler rapidement le vaisseau. Tout le monde n'était pas arrivé alors, en attendant, le capitaine prépara tout pour le décollage, des moteurs et paramètres de l'itinéraire jusqu'à l'ouverture du hangar. Ils n'avaient aucune autorisation mais, visiblement, la technicienne en poste à cette heure-ci était une grande fan de ses exploits. Elle leur ouvrir les grandes portes de l'entrepôt avec plaisir. Soobin lui transmit le signal que tout était prêt en même temps que Hyunjin et Changbin entraient sur la passerelle.
La navette décolla à l'instant où Hans pénétrait dans le garage, les cherchant. Il assista à leur fuite, impuissant. Un colérique « attrapez-les, bordel ! » résonna dans l'habitacle par les haut-parleurs juste avant que le Caporal Choi ne coupe les communications. Il pouvait lancer toute sa flotte à leur poursuite, son acte n'était pas justifié tant qu'ils n'étaient pas désignés comme fugitifs. Et puis l'Alfar était trop rapide pour ses petits chasseurs...
Fugitifs.
C'était ce qu'ils allaient devenir. Des fugitifs. Taehyun enfouit sa tête douloureuse dans ses mains. Ils venaient de quitter le système solaire, Hyunjin activa le mode supraluminique et le pilote automatique en direction de Bilverksted. Ils rentraient à la maison. Mais Yggdrasill serait-elle toujours leur maison après tout ça ?
― Taehyun, murmura Soobin à ses côtés. J'ai caché toute preuve de nos recherches. Hans n'a rien sur quoi se baser. On est libres.
― Du moins jusqu'à ce qu'on dévoile tout.
Taehyun lui offrit un regard dépité, larmoyant. Qu'avait-il fait ? Tout l'équipage serait accusé de complicité dès l'instant où il publierait leurs recherches. Ils s'étaient accordés un peu de répit mais la justice fédérale les rattraperait bien assez tôt. Ils venaient de prendre la fuite, c'était un crime en plus à ajouter à leur liste d'accusations lorsqu'ils passeraient en cours martiale. Le blond regrettait son choix, ses actes.
S'il ne s'était pas laissé capturer lamentablement sur le MOA, jamais cette idée saugrenue ne serait née dans son esprit. Il n'aurait pas rencontré Yeonjun, il n'aurait jamais su pour Freyr et les skarpos. Il aurait vécu heureux. Dans l'ignorance et la complicité d'un crime de masse, mais heureux.
Beomgyu lui apporta une aspirine après quelques instants de voyage afin qu'il reste concentré et opérationnel. Piloter un vaisseau et diriger un équipage en étant malade, ce n'était jamais chose facile. Ils organisèrent une petite réunion le midi, durant laquelle Soobin prépara un repas sommaire pour la vingtaine de membres d'équipage, afin d'informer tout le monde de leurs découvertes. Taehyun s'était d'abord montré réticent mais son second avait su comment le convaincre. Ils avaient le droit de savoir ce qu'ils risquaient et surtout pourquoi ils le risquaient. Ensuite, chacun proposa une solution. Ce fut Seonghwa, responsable du ravitaillement, qui suggéra la meilleure pour tous : ils rentraient sur Tyr, s'accordaient quelques jours de repos avec l'excuse de l'enlèvement de Taehyun par l'ennemi et d'un équipage épuisé – ils devaient se remettre de leurs émotions, après tout – et préparaient une défense d'acier pour passer devant la justice fédérale. Ensuite, et seulement quand tout serait prêt, le Capitaine Kang publiera sous son nom toutes ses recherches. Grâce à sa notoriété, les médias s'empareraient des informations rapidement et un soulèvement anticolonial se créerait inévitablement. Cette révolte jouera en leur faveur. La Fédération sera forcée d'écouter le peuple et leur peine se réduira voire s'annulera même.
Personne ne pouvait nier que ce plan était génial, surtout sur l'idée de prendre des vacances. Cependant, leur salut s'appuyait sur la réactivité des populations colonisées. Ils auraient d'emblée le soutien des partisans de Yeonjun mais ceux-là n'étaient pas assez nombreux et ce serait mal vu d'avoir l'approbation de l'ennemi. Et puis les réactions du peuple étaient imprévisibles. Tantôt il pouvait être ouvert d'esprit et réfléchir à chaque information qu'on lui donnait, tantôt il se montrait patriote ou conditionné par la Fédération et ne remettait jamais en question les ordres du régime.
Chacun laissa le réfectoire après ce repas pour retourner à son poste. Le système d'Yggdrasill n'était pas loin mais deux jours les séparaient tout de même de leurs congés. Soobin et Taehyun retrouvèrent le Lieutenant Hwang et le Sergent Seo à leurs sièges, sur la passerelle. Le capitaine leur expliqua brièvement la situation puis se réinstalla sur son siège, concentré sur les paramètres de son vaisseau pour éviter de laisser son esprit divaguer.
**
Au soir, sa fièvre était enfin retombée, au bonheur de Beomgyu. Celui-ci l'invita à faire un tour à l'infirmerie pour un petit contrôle médical, juste pour être sûr. Taehyun quitta le poste de commandement à l'horaire habituelle, vingt-et-une heure, et ne traina pas dans les couloirs. Il était pressé d'aller dormir, surtout après cette grosse journée. Dans l'ascenseur, il croisa Jimin et Hoseok qui partaient prendre leur repos nocturne et leur souhaita bonne nuit. Il fut étonné d'observer que ni l'un, ni l'autre ne se montrait hostile envers lui. Ils auraient dû, il allait les mener tout droit à la prison. Pourtant, chaque personne qu'il croisa lui adressa des salutations bienveillantes ou chaleureuses. Ils n'avaient pas le moins du monde l'air de s'inquiéter des événements à venir, ils semblaient même heureux de participer à ce grand dessein ensemble et avec leur capitaine.
De quoi redonner du baume au cœur de Taehyun. Le Capitaine Kang passa la porte de l'infirmerie la tête haute et Beomgyu ne manqua pas de le relever.
― T'as meilleure mine, Capitaine !
― C'est grâce à toi.
Le blond retira son haut pour rester en débardeur et prit place sur la table d'auscultation. Comme rarement, il fut docile et n'eut aucune remarque désobligeante envers l'appareil de mesure du brun qui n'arrêtait pas de biper. Beomgyu le laissa partir après une dernière cuillère de sirop. Il lui souhaita une bonne nuit tandis que le médecin rangeait ses affaires pour retourner à sa chambre et ne prit pas la peine de proposer de l'attendre. Il avait sommeil, terriblement. Son lit l'appelait, il devait le rejoindre au plus vite.
Le couloir des chambres était silencieux, calme. Paisible. Taehyun ne s'était jamais senti aussi bien. Il avait l'impression d'être de retour chez lui après une longue période. Avec toutes ces péripéties, il n'avait pas mesuré à quel point l'Alfar comptait pour lui. Il avait déjà réalisé, dès son retour, que le vaisseau et son équipage lui avait manqué mais jamais il n'avait éprouvé un tel sentiment de sécurité et de sérénité en arpentant les corridors de sa navette. Et Taehyun en avait besoin, de ce sentiment, en ce moment. Avec tout ce qui allait lui tomber sur les épaules bientôt, il avait cru ne pas pouvoir fermer l'œil de la nuit. Pourtant, l'Alfar était là pour le protéger ce soir, et les autres soirs. Il pouvait dormir sur ses deux oreilles avec un équipage de confiance et des boucliers solides. Il pouvait se détendre.
Et c'est ce que le blond s'empressa de faire après une bonne douche, au chaud sous sa couette. Plus de Général Westergaard, de recherches macabres, de risque d'être arrêté. Plus de chasse au rebelle, de vaisseau terrifiant, plus de cauchemars où ses membres d'équipage gisaient dans une mare de sang à ses pieds. Rien ne pouvait lui arriver sous sa couette.
Cependant, quand Taehyun ferma enfin les yeux, bercé par sa respiration calme et prêt à s'envelopper dans les bras de Morphée, un intrus s'afficha soudain sur sa rétine. Un intrus qui n'avait pourtant aucun moyen de l'atteindre.
Kai.
Il revoyait les images de ce soir-là, le dernier qu'il avait passé dans le logement miteux dans lequel Yeonjun l'avait enfermé, poussé par Kai. Le skarpo l'avait pris par surprise, il l'avait brusquement tiré de son sommeil. Il sentait encore sa main autour de sa gorge et l'acier froid de la dague contre sa joue. Inévitablement, ce souvenir le ramena à d'autres précédents. Sur la passerelle, lorsque Yeonjun avait eu le malheur de le quitter des yeux un instant. Les cadavres amoncelés dans l'immense hangar, victimes de meurtres dont le rebelle était à l'origine. Ou quelques jours seulement après son enlèvement. Cette fois-ci, ce furent ses muscles qui se tendirent sous la douleur résiduelle qui traversait ses nerfs. Sous sa couette, il n'était même plus en sécurité. Comment échapper aux assauts psychologiques, aux blessures de son esprit ? Il n'y avait aucun moyen. Alors Taehyun se roula en boule, ramenant ses genoux contre son torse et enfouissant son visage larmoyant dans le doudou lion que Beomgyu lui avait rendu. Il se laissa secouer par les sanglots. Après tout, il ne pouvait rien y faire. Et puis un énième souvenir remonta dans sa gorge, manquant de lui arracher un cri.
La pièce obscure, circulaire, à la fois immense et étroite. Sans repères. Sans lumière. Sans bruit. Il y avait perdu l'esprit. Il le perdait de nouveau. Kai l'avait enfermé là, il l'avait lui-même précisé. Et Kai, il pouvait être partout à l'heure actuelle. Il les suivait peut-être. Il pouvait parfaitement s'être débarrassé de Yeonjun pour assouvir son désir de le faire souffrir. Il était sûrement déjà en chemin pour Yggdrasill, afin de détruire la Fédération une bonne fois pour toutes et de le capturer sur Tyr. Pourquoi n'attendrait-il pas directement dans son appartement son retour ? A bien y réfléchir, le complexe le logeant n'était pas si bien sécurisé. La sureté du quartier n'avait jamais relevé la présence d'un individu suspect rodant près de chez lui.
Il le voyait déjà bondir d'un recoin ombragé de sa chambre, sauter sur son lit, sur lui. Il sentait sa main serrer sa gorge jusqu'à ce que l'air ne parvienne plus à ses poumons. Il devinait ce regard consumé par la haine savourer chaque larme qui coulerait de ses joues, chaque plainte qui s'échapperait de sa gorge.
Taehyun étouffait. Il repoussa sa couette d'un coup de pied et se redressa d'un bloc dans son lit, les yeux grands ouverts. Sa chambre était plongée dans le noir, comme il l'avait laissée avant de se glisser sous sa couverture. Kai pouvait très bien être là, juste en face de lui, debout dans l'obscurité. Ou à sa droite, dans la portion de couloir longeant sa salle de bain. Il attendait seulement le bon moment pour l'assaillir. Taehyun tendit sa main vers la table de chevet, tâtonnant pour se saisir de l'interrupteur de sa lampe. Il l'activa, mais le noir était toujours aussi oppressant. La lumière ne fonctionnait plus. Il n'avait aucun moyen d'assurer les lieux. Le blond sanglota un peu plus fort, il ne chercha même plus à contrôler les tremblements de son corps.
Un froissement s'éleva dans le silence, à sa gauche, et Taehyun sut immédiatement que Kai était là. Il martela un peu plus l'interrupteur de sa lampe dans l'espoir que celle-ci se décide enfin à refonctionner. Mais rien ne se passa. Maintenant, il entendait très clairement une respiration haletante. Le blond s'empressa de saisir sa couette. S'il se cachait, peut-être cette vision d'horreur disparaitrait.
Mais il n'y avait plus de couette. Il n'y avait même plus de lit sous son dos.
Le sol était dur, rugueux, et ses bras empêtrés dans un vêtement orné de sangles.
Au-dessus de lui, une lueur rougeoyante flambait au centre de deux prunelles. Des iris d'un bleu glacier le fixaient. Il ne pouvait voir que ça dans la noirceur de la pièce. Taehyun aurait aimé ne rien voir. Il y était de retour, ici, dans son pire cauchemar, dans la cellule de ses plus grandes angoisses.
Kai était tout proche.
Une main se saisit de son col pour le soulever de terre. Puis une étincelle d'un bleu électrique jaillit tout près de lui. L'instant suivant, une douleur lancinante traversait tout son être.
Et Taehyun cria.
*
* *
An 3040, 14 novembre – selon le calendrier d'Yggdrasill
Soobin se jeta hors de son lit, alerté. Un cri avait traversé le mur, provenant de la chambre adjacente. Un atroce hurlement de douleur. Il saisit le blaster sur son bureau et se précipita dans le couloir. Beomgyu était déjà là, devant sa porte. Lui aussi l'avait entendu. Ils se lancèrent un regard entendu puis tous deux s'empressèrent d'entrer dans la chambre de leur capitaine, leurs armes pointées vers l'intérieur illuminé.
Il n'y avait personne. Personne d'autre que Taehyun.
Sa lampe de chevet était brisée au sol, l'ampoule vacillante libérée de sa bulle de verre maintenant éparpillée en mille morceaux sur le parquet. La peluche lion avait fini sa course à l'autre bout de la chambre, dans le tas informe de coussins et de couvertures au pied du hublot. Le lit n'était pas en reste, la couette tombée au sol et le drap déchiré. Taehyun, lui, s'était réfugié dans l'espace entre son bureau et la bibliothèque. Il avait les pieds en sang à cause du verre, le regard affolé et le corps tout tremblant. Soobin se précipita vers lui sans attendre.
― Que s'est-il passé ?
― Kai...
Il n'eut pas besoin de plus pour comprendre. Taehyun avait encore fait un cauchemar, comme il en faisait depuis son retour. Mais celui-là avait été particulièrement violent, sans doute parce qu'il était encore affaibli par la fièvre. Il le prit dans ses bras, caressant son dos dans un geste rassurant. Taehyun tremblait contre lui. Et la haine que Soobin éprouvait pour ce skarpo s'amplifia d'un cran. S'il le croisait, il passerait un sale quart d'heure. Le noiraud se le promit.
― Tout va bien, Yeonjun ne le laissera pas te faire du mal. Nous non plus.
Le blond hocha imperceptiblement la tête contre son épaule. Ils restèrent un instant ainsi, sous le regard inquiet de Beomgyu. Seulement lorsque Soobin fut sûr que son cadet avait totalement repris ses esprits, il se redressa et le hissa sur son dos. Le Lieutenant les mena jusqu'à l'infirmerie dans un silence pesant. Dans les couloirs, tous ceux qui occupaient leurs chambres étaient sortis afin de savoir ce qu'il se passait. Le brun les informa que ce n'était qu'un mauvais rêve un peu violent et chacun s'en contenta. Ce ne fut que quand ils se retrouvèrent dans l'intimité du bloc médical que Beomgyu prononça la question qui lui brûlait les lèvres.
― Il se passe quoi, là ?
Soobin déposa Taehyun sur la table d'auscultation, la même qu'il avait occupée un peu plus tôt, et s'assura que le plus petit était toujours avec eux. Il lui fit une petite caresse dans les cheveux pour lui montrer qu'il n'avait plus rien à craindre puis se tourna vers Beomgyu.
― Rien, juste un rêve. Occupe-toi de le soigner.
Le brun se renfrogna.
― Pas tant que tu n'm'auras pas dit pourquoi il fait des cauchemars aussi violents. Et je refuse de croire que c'est la fièvre, j'te vois venir.
Le noiraud le jaugea du regard un instant, instant durant lequel Beomgyu ne bougea pas d'un pouce. Taehyun pouvait bien souffrir et risquer l'infection avec ses pieds en sang, il était déterminé. Il n'esquissa pas un mouvement dans la minute suivante, ni pendant celles à venir. Les bras croisés sur son torse, les yeux rivés dans ceux de son camarade et le menton relevé, il attendait. Beomgyu attendait que Soobin craque, que son inquiétude pour le blond ou son impatience aient raison de lui, qu'il lui dise tout. Sans cela, les pansements resteraient bien au chaud dans leur étui stérile et l'armurier n'aurait qu'à réveiller Jimin ou Hobi, en prenant le risque de devoir expliquer l'état du Capitaine. Dans tous les cas, Beomgyu serait mis au courant, mais une méthode restait plus confidentielle que l'autre.
Le Caporal craqua enfin au bout de cinq minutes, pressé par les gesticulations de Taehyun, sur le lit d'hôpital, qui s'empêchait du mieux qu'il pouvait de gratter ses blessures. Il n'avait pas tenu à en informer Beomgyu, pour ne pas l'inquiéter plutôt que par respect pour son supérieur qui lui avait sommé de garder ce petit secret pour lui.
― D'accord, d'accord. Tu te souviens de Kai ?
― Celui que tu n'arrêtais pas d'appeler pendant ta convalescence ? Bien sûr.
Alors Soobin lui expliqua tout ce qu'il savait sur le jeune skarpo, jusqu'à ce qu'il avait fait subir à leur capitaine. Beomgyu pansa soigneusement les pieds du blond après avoir retiré les quelques éclats de verre logés dans son épiderme, écoutant d'une oreille attentive le récit de son compère. Taehyun, lui, n'en capta pas un mot. Il s'était complètement déconnecté de la réalité pour ne pas avoir à entendre ça, pour ne pas avoir à affronter Kai encore une fois. Il en avait assez, assez de ce regard cruel, de ces oreilles effilées, de ses griffes acérées sur sa gorge. Il n'en pouvait plus d'avoir à subir continuellement les assauts de son tortionnaire, alors même que celui-ci était maintenant loin. Le MOA était parti à l'autre bout de cette région de l'univers, à des centaines d'années-lumière de l'Alfar. Alors pourquoi avait-il toujours cette impression de n'être en sécurité nulle part, d'être perpétuellement suivi par ce prédateur assoiffé de sang ? Il était à bout de voir cette ordure à chaque fois qu'il fermait les yeux.
A chaque fois qu'il pensait à Yeonjun.
Son esprit avait associé l'image de son amant – ils n'avaient encore rien précisé entre eux mais Taehyun se plaisait à croire que leur histoire n'était pas encore finie – à ce monstre. Dès qu'il repensait à ses doux cheveux rouges, à son odeur marine, à ses bras musclés et protecteur, l'ombre de Kai s'étendait derrière lui. Il ne pouvait pas y échapper.
Beomgyu claqua des doigts sous son nez pour l'inciter à reprendre ses esprits. Taehyun revint à lui sans laisser aucun indice trahir ses pensées de l'instant. Il remercia son médecin puis retourna à sa chambre. Son service reprenait dans quelques instants, il allait en profiter pour être à l'heure à son poste.
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Lol le chapitre était déjà édité c'est nice ça en plus j'ai plus de forfait internet alors je pouvais pas le corriger au lycée bref
Trêve de blabla. J'ai une date pour la fin de Freyr. Le 5 juillet (2022 je précise au cas où). Donc on a encore du chemin à faire d'ici là mais commencez à vous préparer mentalement hein.
J'espère que ce chapitre vous a plu, je vous dis à mardi prochain pour les péripéties de notre pauvre Taehyun traumatisé par le tout petit mignon angélique Kai hehe
24/05/2022
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