ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴠɪɴɢᴛ-ʜᴜɪᴛ

An 3040, 05 décembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

   ― Taehyun... je crois que je t'aime.

Le blond manqua de recracher sa bouchée de riz. Yeonjun s'empressa de remplir son verre d'eau pour qu'il ne s'étouffe pas, en s'excusant à maintes reprises.

Le diner avait débuté dans une ambiance calme. Il n'avait rien d'un diner aux chandelles, le rouge avait tout simplement préparé quelques plats qu'il avait disposés sur une table quelconque et l'attention s'arrêtait aux serviettes pliées en triangle sous les baguettes leur servant de couverts. Il avait ouvert une bouteille de soda que les deux cuisiniers, Minho et Felix, avaient sûrement gardée seulement pour eux. C'était tout. Mais depuis quelques minutes, alors que la discussion sur Kai s'était stoppée sèchement par un « il m'a quand même torturé » de Taehyun, une tension planait entre eux.

Yeonjun venait tout juste de la faire voler en éclats.

Le blond retrouva bientôt sa contenance, remerciant son vis-à-vis pour le verre d'eau, et planta ses yeux dans les deux pierres précieuses qui lui faisaient face. Ce soir, en dépit du repas tout ce qu'il y avait de plus classique, Yeonjun était magnifique. Il avait dégoté un t-shirt noir et une veste de la même couleur dans les affaires de Soobin qu'il lui avait prêtées, et il fallait avouer que l'ensemble mettait les proportions parfaites de son corps en valeur. La tenue était plus décontractée que celle que lui-même abordait – et ça l'avait mis légèrement mal à l'aise en arrivant, il en avait bel et bien trop fait – mais Yeonjun n'en restait pas moins beau. Avec ses cheveux coiffés en arrière, ne laissant seulement que deux mèches rebelles tomber de chaque côté de son visage, le skarpo avait retrouvé tout le charisme qu'il abordait sur le MOA. Le cœur de Taehyun ratait un battement dès qu'il relevait le regard de son bol de riz. Cette fois-ci en faisait partie, couplée à cette déclaration. C'était tout ce qu'il avait espéré, mais il ne s'y était pas vraiment attendu.

― C'est vrai ?

― J'y réfléchis depuis quelques temps – depuis ce matin, en fait – et je pense que tous les signes sont là. Je n'y connais pas grand-chose mais je pense que c'est ça.

Yeonjun soutenait son regard et Taehyun se sentit bien vite intimidé. Il abaissa le sien, ses joues prenant quelques couleurs malgré lui. Alors il avait pensé à lui toute la journée, sur ce sujet qui plus est. Tous ces petits regards, ses infimes gestes de recul à chaque fois qu'il l'approchait un peu trop, ces courts moments d'absence, Yeonjun n'avait fait que penser, que réfléchir à ce qu'il éprouvait pour lui... Le blond en devint tout timide. A l'intérieur, il était ravi. Mais à l'extérieur, c'étaient tous ses rêves des dernières semaines qui prenaient vie.

― Tu te souviens de ce moment, juste avant que tu ne partes ?

Comment l'oublier ? Ils s'étaient embrassés, ils s'étaient dit « je t'aime » et Taehyun y avait repensé de nombreuses fois. Il hocha la tête, sans un mot. Sous ses yeux, la main du rouge s'était saisie de la sienne. Il se surprit à trouver la sienne ridiculement petite dans celle du skarpo.

― J'y ai longuement repensé depuis qu'on en a reparlé. A cet instant, je crois que je le savais déjà, inconsciemment. Et c'est sorti tout seul. Peut-importe, le fait est là : je t'aime.

― Si tu le savais déjà... pourquoi me le confirmer que maintenant ? Taehyun releva enfin les yeux pour ajouter : Et pourquoi t'être enfermé tout ce temps si tu savais que je pouvais te réconforter ?

― J'avais besoin de temps... Ecoute, je suis désolé de t'avoir fait attendre. Mais c'est fini.

Une délicate caresse sur sa main l'apaisa instantanément. Taehyun reposa les yeux sur leurs doigts liés, sur le pouce qui caressait doucement le dos de sa main. Yeonjun avait tout perdu, c'était normal qu'il eût besoin de temps. Pourquoi s'offusquait-il ? Il n'était même pas sûr qu'il aurait pu le consoler, en fin de compte. Tout ce qui comptait, c'était que les choses avaient enfin été dites. Et, même si Yeonjun n'en était pas complètement sûr, ils pouvaient laisser de côté la gêne qui planait entre eux. Ils prendraient leur temps.

*
*     *

An 3040, 06 décembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

          Le Verdenskant n'était plus qu'à quelques minutes. Devant eux, ils ne voyaient rien. Ils s'apprêtaient à traverser un nuage de matière noire. Taehyun comprenait maintenant pourquoi aucun vaisseau de la Fédération n'était arrivé aussi loin. Ils ne connaissaient rien sur cette matière étrange et ce manque de données freinait les expéditions d'exploration. Il serrait les dents, espérant que la chose n'aurait pas d'effets indésirables sur son vaisseau en piteux état. Et s'il n'y avait rien de l'autre côté ? Si c'était tout simplement le vide, le néant le plus total, un rien qui n'avait rien de semblable au vide cosmique ? S'il n'y avait tout simplement plus d'existence après cette barrière ? Inconsciemment, il ralentit l'Alfar jusqu'à l'arrêter à quelques centaines de mètres du nuage.

Devant lui, Yeonjun se leva de son siège pour s'approcher. Ils n'avaient pas dormi ensemble cette nuit – il était sûrement trop tôt pour eux, même s'ils l'avaient déjà fait auparavant – mais le rouge s'était empressé de lui souhaiter bonjour avec un baiser sur sa joue ce matin. Il posa une main sur son épaule et le regard plein d'assurance qu'il lui accorda l'apaisa instantanément. Il n'avait même pas remarqué les effets d'une crise de panique qui montaient en lui. Pas jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'un simple contact de son amant.

― Rien ne peut nous arriver tant qu'on est ensemble.

Taehyun lui rendit son sourire. Et il amorça la poussée. L'Alfar304 s'enfonça dans la matière comme s'il n'y avait tout bonnement rien. Les systèmes s'affolèrent un instant parce qu'ils avaient perdus leurs repères mais le capitaine eu juste à passer en mode manuel pour les faire taire. Et, quelques minutes plus tard, ils en ressortirent tout aussi simplement.

Au-delà de la baie vitrée de la passerelle, un tout nouveau monde s'ouvrit à eux. Il n'avait rien de bien différent de ce que Yeonjun et Taehyun avaient connu de l'autre côté de la barrière de matière noire. Il y avait, comme là d'où ils venaient, des étoiles, des galaxies, des nébuleuses, des trous noirs, des planètes, des astéroïdes et des vaisseaux qui circulaient. La seule chose qui changeait, c'étaient les constellations qui n'avaient rien à voir avec celles de l'univers connu. Ce nouveau monde, il était bien loin des idées que Taehyun s'en était fait. Les lois de la physique semblaient être les mêmes en tout point.

Passé le moment d'émerveillement, Yeonjun s'assit sur le siège de Soobin pour récolter des données sur les planètes avoisinantes. Il leur fallait déterminer laquelle pouvait être habitable dans des conditions optimales pour eux, surtout s'ils y restaient pour le restant de leurs jours. Taehyun espérait seulement qu'il n'y avait pas, par ici, un Etat souverain qui les prendrait en chasse. Après tout, ils étaient des intrus dans cette région. Et puis un autre problème les suivait. S'ils avaient réussi à traverser la matière noire, la Fédération le pouvait également.

― Tu ne crois pas que ce serait mieux d'aller plus loin ? Si la Fédération a l'idée de nous suivre jusqu'ici, il faudrait mieux qu'on ne soit pas sur la première planète habitable sur leur chemin.

― C'est ce que je me disais aussi. Il y a un système solaire à quelques heures d'ici, dans un coin plutôt reculé. Il ressemble un peu à celui qui accueillait Freyr...

― Allons voir.

Taehyun mit aussitôt le cap sur la direction que lui indiquait Yeonjun. Et, cinq heures plus tard, ils y parvinrent enfin sans avoir à faire face à aucun signe d'hostilité de la part des vaisseaux aux formes étranges qui circulaient çà et là. Les habitants de cette portion d'espace inconnu les ignoraient royalement, ils ne pouvaient pas en être plus heureux. Restait à espérer que les deux seuls planétoïdes du système solaire habitables pour eux ne soient pas peuplés d'une espèce qui les rejetterait. Ils n'avaient plus beaucoup de carburant, la matière noire avait peut-être finalement eu une influence sur l'Alfar, et les moteurs recommençaient à tousser. Leur voyage touchait à sa fin.

Le blond fit atterrir la navette sur la première nano-planète venue.

Ils redécollèrent aussitôt.

A peine eurent-ils touché le sol avec les piliers stabilisateurs de l'Alfar qu'un énorme ver phosphorescent était sorti de terre, déterminé à les engloutir. Yeonjun ne retint pas une exclamation de dégout quand un crachat jaune fluo et gluant à souhait s'écrasa sur la baie vitrée du cockpit. Taehyun, lui, espérait que cette substance n'était pas un acide ou un corrosif, sinon ils ne pouvaient pas espérer faire un mètre dans l'espace. Et vivre sur ce bout de planète avec une créature comme celle-ci, il préférait s'en passer.

La bave du ver n'attaqua pas la coque ni la vitre du vaisseau quand ils retrouvèrent le vide cosmique. Mais elle ne s'en allait pas pour autant. Elle était bien collée et occultait la moitié de la fenêtre. Taehyun devait s'en remettre à sa visière holographique pour piloter, une mince affaire à cause du manque de données sur l'environnement qui les entourait. Ils atterrirent pourtant sur le deuxième planétoïde candidat pour leur survie sans aucun problème. C'était une nano-planète à peine plus grosse que Tyr, désertique au niveau de l'équateur mais accueillant une forêt au nord et une zone humide au sud. La température moyenne était de treize degrés Celsius, plutôt froid mais supportable. Aucun signe de civilisation. Yeonjun et Taehyun attendirent quelques minutes avant de sortir du vaisseau afin de vérifier que rien ne les attaquait, dans un silence concentré. Ils étaient attentifs, ils restaient alertes. Mais rien ne vint. Alors le blond se leva, suivit par son compagnon, et ils passèrent la porte de la cale, ensemble.

Ici, l'air était respirable, sans doute même plus que tout ce que Taehyun avait connu dans sa carrière d'explorateur spatial. Même quand Beomgyu l'avait fait inspirer dans une bouteille d'oxygène pur un jour où il n'allait pas bien, lors de leur première mission, il n'avait pas aussi bien respiré.

Alors qu'il admirait le bois à la lisière duquel il avait posé le vaisseau, le blond sentit un doigt timide s'enrouler autour de son auriculaire. Il tourna son regard vers Yeonjun. Yeonjun et ses beaux cheveux rouges, Yeonjun et ses oreilles particulières, Yeonjun et ses joues adorables. Yeonjun et ses lèvres qui le faisaient toujours rêver. Yeonjun et ses magnifiques yeux bleus qui pétillaient, qui étaient empli de plus d'étoiles qu'il n'y en avait dans l'univers tout entier.

― On dirait Freyr...

Il avait l'impression d'être de retour chez lui, le chez lui qu'il avait perdu dix-sept ans plus tôt. Le chez lui qu'il avait quitté avec Kai.

― Avec les champs en moins.

Il avait plaisanté. Mais Taehyun ne voyait pas son rire, il n'était concentré que sur cette larme qui roulait sur sa peau pâle. Le blond leva sa main pour l'atteindre et la chassa d'un geste du pouce. C'est là que le regard de Yeonjun accrocha le sien. Il s'y plongea tout entier, comme il n'avait pas pu le faire avant à cause des non-dits entre eux. Il plongea dans le bleu glacier de ses yeux pour y lire que Yeonjun le remerciait. Un simple merci silencieux, partagé par un contact visuel, mais qui exprimait tout.

« Merci de m'avoir sauvé, merci de ne pas m'avoir laissé, merci d'être à mes côtés, merci de m'avoir ramené chez moi, merci de m'aimer malgré tout... » c'était ce qu'il lisait à travers les étoiles et le voile de tristesse. Alors Taehyun fit glisser sa main de sa joue à sa nuque et se hissa sur la pointe des pieds. Yeonjun se pencha, ses cheveux qu'il n'avait pas coiffés au gel ce matin chatouillèrent les pommettes du blond. Leurs nez s'effleurèrent. Taehyun apprécia l'agréable frisson qui remontait son échine. Yeonjun laissa un sourire étirer ses lèvres. Ils s'embrassaient de nouveau, après tout ce temps, et il ne pouvait pas nier que ce contact lui avait manqué.

Ils se rapprochèrent, encore un peu, lentement, pour ne laisser qu'un infime espace entre leurs deux visages. Leurs regards scellés, plongés l'un dans l'autre, dans un mélange de bois et de glace, ils s'exprimèrent leur amour naissant dans un silence seulement perturbé par la douce mélodie des oiseaux de la forêt. A l'horizon, le soleil s'était figé dans un crépuscule de couleurs flamboyantes. Il observait leur échange.

Et puis la main de Yeonjun glissa dans son dos pour se loger sur ses omoplates. Il clôt les paupières. Taehyun l'accompagna bientôt, après une imperceptible seconde à observer ce visage paisible qui s'offrait à lui. Leurs lippes se rapprochèrent timidement. Elles se redécouvraient une nouvelle fois, elles prenaient leur temps. Elles s'effleurèrent une fois, deux fois, avant de pleinement se rencontrer.

Les papillons s'envolèrent dans l'estomac de Yeonjun. Cette sensation étrange était de retour. Mais elle n'avait rien de désagréable, elle n'avait rien d'une maladie, comme il l'avait pensé. Sur l'instant, il en était convaincu. C'était l'Amour. Un amour invraisemblable qui avait touché de ses flèches les deux êtres les plus opposés. Le Capitaine Kang et le rebelle Yeonjun, deux ennemis voués à se détester, l'un chargé de capturer l'autre. Voici où ils étaient maintenant : sur un planétoïde semblable à ce qui les avait amenés dans une situation telle, dans un univers où leur nouvel ennemi commun de pouvait pas les retrouver, leurs corps s'embrassant avec douceur. D'ennemis, ils étaient passés à amoureux.

Quand le soleil s'endormit sous l'horizon, seulement à l'instant où le bleu du soir prenait la place de l'explosion de rouge, de rose et d'orange, ils se séparèrent. Taehyun et Yeonjun, dans la faible lumière de l'heure bleue, un humain et un skarpo, laissèrent leurs fronts posés l'un contre l'autre. Leur différence de taille ne troublait pas cet instant. Peu importe leur morphologie, ils trouveraient toujours, le plus naturellement possible, un moyen de se regarder ainsi dans les yeux. Ils étaient différents en tout point, ils n'étaient même pas de la même espèce, mais ils se complétaient parfaitement. Le skarpo retrouva le sourire qui étirait ses lèvres l'instant précédent, un sourire doux et amoureux. Et Taehyun, dans un murmure, prononça ces paroles :

― Maintenant, c'est toi et moi contre le reste de l'univers...

Ils s'embrassèrent une seconde fois, sans une seule pensée pour la nuit qui les enveloppait un peu plus à chaque instant. Bientôt, ils ne verraient plus rien. Mais Yeonjun et Taehyun s'en fichaient bien.

Ils s'embrassaient un peu plus passionnément à mesure que leurs pas les ramenaient au vaisseau. Peut-être que le dioxygène trop pur leur montait à la tête, peut-être que c'était simplement toute la pression de ces derniers temps qui retombait, peut-être que le deuil de Yeonjun, que la culpabilité de Taehyun ou que les sentiments négatifs des deux ne demandaient qu'à être oubliés. Une seule chose était sûre, leur échange s'échauffait un peu plus à chaque seconde.

D'un geste maladroit, Taehyun verrouilla la porte de la cale. D'un autre, Yeonjun ouvrit le battant de la chambre qu'il occupait, l'ancienne chambre du capitaine. Et d'encore un autre, ils plongèrent sur le lit. Cette nuit, ils partagèrent leur amour un peu plus intensément.

*
*     *

An 3040, 07 décembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

          Yeonjun s'étira de tout son long dans l'étroit lit une place. L'espace d'un instant, il avait oublié la présence de Taehyun à ses côtés. Il s'en souvint cependant très clairement quand un grand bruit retentit alors qu'il poussait, dans l'obscurité, ce qu'il croyait être la couette. Un gémissement de douleur s'éleva du sol et Yeonjun s'empressa d'allumer la lumière pour aider le capitaine.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il découvrit le blond à poil avec seulement un caleçon pour se couvrir. Son caleçon, qui plus est. Taehyun se hissa sur le lit, les yeux encore plissés, et retourna se blottir instantanément contre le corps tout aussi dévêtu de son amant. Alors Yeonjun se rendormit, un bras enroulé autour de sa taille pour éviter qu'il ne tombe de nouveau.

     Taehyun émergea de son sommeil, pour de bon cette fois-ci, et se plut à observer chaque détail du visage paisible s'offrant à lui dans la lumière du matin, en attendant que son propriétaire ne se réveille à son tour. Au dehors, à travers le hublot, il pouvait apercevoir un voile de brouillard. Les oiseaux piaillaient une mélodie pas si différente que celle des matinées de Tyr et le soleil perçait difficilement la brume. Les branches des arbres de la forêt se dessinaient en des ombres artistiques derrière l'humidité. Entre deux chants d'oiseaux, le silence était calme, paisible. Le matin ici était beau, doux. Taehyun sourit à cette pensée. Ils étaient tombés sur une nano-planète magnifique.

Yeonjun ouvrit les yeux d'un coup, le faisant sursauter, et Taehyun lui souhaita bonjour en embrassant chaque parcelle de son visage. Ses baisers dévièrent vers ses clavicules mais le skarpo l'arrêta d'un geste las et de sa voix nasale et pâteuse.

― J'suis pas prêt à recommencer maintenant...

C'est vrai, ce n'était peut-être pas approprié pour le moment. Alors Taehyun se contenta d'embrasser délicatement ses lèvres le temps qu'il se réveille correctement. Yeonjun passa une main dans ses cheveux, comme il le faisait souvent sur le MOA, et c'est par ce geste qu'il prit conscience que leur relation, maintenant, n'avait plus rien de ce qu'ils avaient partagé sur son vaisseau. Là où Yeonjun n'avait vu qu'un Capitaine perdu, facile à manipuler et qu'il devait protéger de Kai, il y avait maintenant Taehyun, sans doute l'amour de sa vie. Il était encore trop tôt pour en être certain, mais le rouge sentait que le blond le complétait. C'était un sentiment fort, peut-être plus fort même que ce qu'il avait éprouvé ces derniers jours. Leur déclaration mutuelle y jouait sûrement.

De son côté, Taehyun luttait contre les images de la soirée passée qui revenaient au galop dans son esprit. S'il avait apprécié – un peu plus que cela, même – sur le moment, désormais il se sentait gêné au plus haut point. C'était trop tôt dans leur relation. Ils s'étaient précipités. Et les effets de la précipitation qui avait eu raison d'eux la veille se firent ressentir toute la journée. Yeonjun avait peur d'effleurer Taehyun, et Taehyun craignait que ses paroles soient mal interprétées. Ils prirent leur petit-déjeuner en prenant soin de s'éviter du regard. Un seul geste et les images revenaient les hanter tous les deux. Ils n'avaient jamais eu ce genre de proximité avant. Ils s'étaient embrassés deux fois. Ils venaient tout juste de mettre leurs sentiments réciproques à jour. Ç'avait été une façon de fêter leur joie, de faire le deuil de la vie qu'ils avaient laissée derrière la barrière de matière noire, d'exprimer toute la rage qu'ils ressentaient envers la Fédération, envers le destin, envers les forces qui avaient fait de leur vie ce qu'elle était. De se prouver qu'ils n'étaient plus des ennemis. L'avaient-ils été, au moins ?

Ils s'étaient laissés emporter. C'est ce que Taehyun se répéta jusqu'au soir, après avoir passé la journée à réfléchir à ce qu'ils allaient faire de cette nano-planète pour le reste de leur vie. Il fallait explorer les environs, rationner la nourriture, entretenir le vaisseau pour pouvoir continuer à vivre dedans. Ça, c'était ce que sa raison lui conseillait de faire. Son cœur, en revanche, préconisait de construire une belle petite maison au milieu du bois au nord du planétoïde, une agréable ferme rustique dans laquelle il passerait les jours pluvieux au coin du feu, sous un plaid, dans les bras de Yeonjun, et les jours ensoleillés à cultiver la terre et s'occuper des bêtes endémiques qu'ils élèveraient. Peut-être un jour. Pour l'instant, il devait rester plus terre à terre. Le blond prépara, pour le lendemain, tout le matériel dont il aurait besoin pour bricoler un récupérateur d'eau. C'était la ressource qui viendrait à manquer le plus rapidement, bien que l'Alfar soit équipé d'un recycleur. Il comptait sur l'humidité du matin pour leur rapporter de quoi s'approvisionner.

Au soir, après un diner dans une ambiance tout aussi étrange, Taehyun préféra prévenir Yeonjun qu'il dormirait dans sa chambre cette nuit. Le rouge hocha la tête. Il ne revint pas sur la nuit précédente. Pour lui aussi, ça avait été trop tôt. Ils devaient prendre leur temps. Surtout s'ils étaient coincés tous les deux sur cette petite planète pour le restant de leurs jours. Quitte à vivre une histoire d'amour durable, autant ne pas la gâcher tout de suite par hâte.

*
*     *

An 3040, 05 décembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

          Beomgyu avait amené un gâteau avec lui. Mais Soobin ne prit pas la peine de détacher le regard du plafond de son petit appartement. Allongé en étoile de mer dans son lit, dans l'exacte même position qu'il avait adoptée la veille et dans laquelle il avait passé la nuit les yeux grands ouverts, incapable de trouver le sommeil, il n'eut pas un geste pour son camarade. Il avait senti le matelas s'affaisser sous son poids à l'endroit où le brun s'était assis. Mais il n'en avait rien à faire.

Taehyun les avait laissés.

Pour Yeonjun.

Il avait compris que ceux-là étaient voués à une histoire d'amour que personne ne permettrait dans cet univers, qu'ils étaient contraints de s'enfuir loin, dans un endroit inconnu, à l'autre bout de l'univers. Ça encore, il pouvait l'accepter – même s'il le faisait déjà avec difficulté. Mais que Taehyun soit parti sans même leur adresser un dernier mot, sans les prévenir, sans lui laisser l'opportunité de l'enlacer une dernière fois, il l'avait en travers de la gorge. Il n'avait rien dit. Il était parti comme un voleur. Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, à trois avec Beomgyu, à vingt avec son équipage. Il les avait tous laissés. Taehyun avait brisé la règle numéro une de la capitainerie : il avait abandonné son équipage. Un équipage sans capitaine, ce n'était plus un équipage.

Au-delà de ça, Soobin se sentait comme si on l'avait amputé d'une partie de lui. Il avait toujours Beomgyu, mais leur petite troupe était constituée de trois, pas de deux. Et puis même lui se faisait plus distant. Sans le petit blond qu'ils s'étaient jurés de protéger et de materner, la dynamique de leur amitié s'en trouvait changée. Voilà deux semaines que le Capitaine Kang – enfin, l'ex-Capitaine – s'était volatilisé dans le cosmos. En deux semaines, Beomgyu n'était venu ici que quatre fois. Les trois premiers jours, puis ce jour-ci. Mais peut-être que c'était plutôt sa faute à lui, lui qui l'avait rejeté, lui qui lui avait crié qu'il ne voulait plus rien avoir à faire avec la Fédération ou il ne savait quoi. Il lui avait hurlé qu'il voulait rester seul, pour toujours, et qu'il ne voulait pas de sa pitié. Il avait oublié que Beomgyu aussi avait perdu son meilleur ami dans cette histoire. Ce jour-là, il avait même perdu ses deux meilleurs amis. Mais Beomgyu, ce n'était pas comme Soobin. Le noiraud avait du mal à sociabiliser. Il accordait beaucoup trop d'importance aux amitiés, de telle sorte qu'il en avait payé le prix fort. Il n'accordait plus sa confiance à n'importe qui. Il l'avait accordée à Beomgyu, et à lui. Lui l'avait trahi, il avait blessé l'autre.

― Eh, tu veux pas au moins me montrer un signe de vie ? J'suis à ça de contrôler ton pouls, là.

Au moins, le Lieutenant n'avait rien perdu de son humour, même s'il sentait de la réticence dans sa voix. Il n'aimait pas être là, quelqu'un l'y avait forcé.

― A quoi bon...

― Ça va, il est pas mort.

Soobin se redressa enfin, d'un bond, et planta un regard noir dans les orbes de son visiteur.

― Parce que tu crois qu'avoir franchi le Verdenskant revient pas au même ? Il est parti, il ne reviendra pas. C'est comme s'il était mort.

― Soobin, ça fait deux semaines que t'es pas sorti de ton appart'. T'as aéré, au moins ?

Un nouveau regard noir, puis le noiraud s'écrasa de nouveau dans son lit. Beomgyu se leva, il ne pouvait pas laisser son ami dans cet état. Jungwon l'avait raisonné puis forcé à venir jusqu'ici, il mettrait ses bons conseils à profit. Le médecin ouvrit en grands les rideaux et les fenêtres, sans un coup d'œil pour la masse grognante qu'était devenu le Caporal, et tira sur les draps pour les arracher au poids de Soobin. Tout cela avait bien besoin d'un tour à la machine à laver. Il lui épargna de le jeter sous la douche, Soobin s'y traina lui-même, et entreprit de nettoyer tous les détritus des plats pré-faits et peu sains qui avaient sans aucun doute nourri son camarade ces derniers temps. Quand Soobin sortit de la douche, il ne s'attarda pas sur sa pâleur cadavérique ni sur son corps devenu encore plus fin, à peine caché par le t-shirt blanc large – et propre – qu'il avait enfilé. Il avait des cernes noirs sous les yeux, les joues creusées et les lèvres gercées. Ces yeux, encore rouges et gonflés, étaient témoins de ses longues nuits passées à pleurer.

Comme un idiot, Beomgyu s'était braqué quand Soobin l'avait mis à la porte de chez lui. Lui aussi, il avait perdu Taehyun. Il n'en faisait pas tout un plat pour autant, il savait le blond quelque part dans l'univers. Il avait suivi avec attention tous les rapports médiatisés de la course-poursuite spatiale. Aucun ne rapportait que l'Alfar avait été appréhendé, ni détruit. Taehyun allait bien. Il était avec Yeonjun mais Beomgyu ne doutait plus de la bonté du skarpo. Après tout ce que le Capitaine avait fait pour lui, il avait décidé de lui faire confiance et d'accepter la possibilité d'une histoire entre eux. Taehyun était peut-être à l'autre bout de l'univers, il n'était pas loin. Il reviendrait. En attendant des jours meilleurs, il était préférable qu'ils se cachent.

Beomgyu n'était pas affecté par le départ de son ami. Pourtant il avait refusé de voir à quel point Soobin, lui, n'allait pas bien. Le premier jour, il lui avait fait part du chagrin qu'il ressentait quant au départ précipité du blond. Le deuxième, il était passé aux reproches. Le troisième, les reproches s'étaient retournés contre lui, contre Snø qui avait aidé Taehyun à fuir, contre le Président Kim, contre Yeonjun, contre la Fédération. Contre l'univers entier. Il s'était brisé devant lui, comme il ne l'avait jamais fait avant. Soobin paraissait toujours être un pilier, résistant aux assauts de la vie, aux tempêtes les plus violentes. Il l'avait rarement vu pleurer, lors des moments les plus durs, mais toujours en silence et jamais pour longtemps. Face à tout ce qui pouvait l'affecter, il savait rester impassible, sans pour autant refouler complètement ses émotions. Et là, il s'était tout bonnement brisé en mille morceaux sous son nez. Et Beomgyu n'avait pas réagi.

Il lui en avait même voulu. De ne pas avoir la même vision des choses que lui, de s'être laissé emporter par le chagrin, de regretter le départ précipité de Taehyun. Il lui en avait voulu de l'avoir accusé de ce qu'il n'avait pas fait, sans prendre conscience que tout cela n'était pas dirigé vers lui, mais contre l'univers entier. On lui avait arraché la personne la plus précieuse à ses yeux, et l'autre personne tout aussi précieuse pour lui l'avait laissé dans son tourment. On l'avait abandonné, par deux fois, des façons les plus violentes possibles. Et puis Soobin devait se noyer dans un océan de culpabilité à l'instant pour ce qu'il avait fait à Beomgyu, sans le vouloir.

C'est pour ça que le médecin glissa une part du gâteau bleu et rose qu'il lui avait acheté pour son anniversaire sous le nez de l'armurier.

― Pardon pour l'autre jour. Et joyeux anniversaire...

Des yeux larmoyants se levèrent vers lui, et Beomgyu ne sut plus où se mettre. Soobin le regardait avec cet air-là, cet air qui disait « c'est ma faute, j'ai tout fichu en l'air », et le brun ne savait pas quoi faire face à ce regard. C'était la première fois qu'il affrontait un Soobin englouti par le chagrin. Il se contenta de se servir lui aussi une part du gâteau et de la manger, en silence, de l'autre côté du petit bar. Soobin ne toucha pas à la sienne, du moins pas avant que Beomgyu ne lui jette un coup d'œil insistant. Il devait manger. Il devait reprendre des forces. Après son erreur monumentale, Beomgyu comptait bien ne pas laisser Soobin mourir dans ses tourments. Il lui redonnerait la joie de vivre, jusqu'à ce que Taehyun revienne.

Car les choses commençaient déjà à changer pour le mieux.

Soobin et lui, à deux, créeraient un monde où leur ami pourrait réapparaitre sans rien craindre.

**

Il reste deux chapitres. Est-ce que je pleure ? Noooooooooooioon.
(Spoiler : si)

J'espère que ce chapitre vous a plu, avec tout ce qu'il se passe dedans (LE BISOU ARKH) et moi je vous dit à samedi prochain pour le chapitre 29 :'D

Bisous <3

28/06/2022

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