ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴛʀᴏɪs

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, mes loulous

An 3040, 02 octobre - selon le calendrier d'Yggdrasill

― Jungwon ? Qu'est-ce que tu fais ici, tout seul ?

― Ils sont partis chercher un bar, à ce que j'ai compris, et ils m'ont laissé ici pour t'accueillir.

― Oh, ils ont recommencé... grogna Taehyun dans sa barbe.

Il tendit sa main au plus jeune pour l'aider à se lever et ouvrit la porte de son appartement. Les rideaux n'avaient pas été relevé et l'air dans la grande pièce était frais. Il invita Jungwon à faire comme chez lui et le brun s'assit timidement sur le petit canapé de l'exiguë coin salon. De son côté, Taehyun fouilla rapidement dans ses tiroirs pour dégoter de quoi se changer : un simple jean noir déchiré au niveau du genou et un t-shirt blanc. Il retrouva une chemise à carreaux gris, blancs et noirs au pied de son lit et prit des sous-vêtements propres dans sa machine à laver. Ceci fait, il entreprit de se déshabiller hâtivement, n'accordant pas de grande attention à l'expression choquée de son subordonné. Sa veste valsa d'un côté, sa casquette de l'autre – il s'occuperait de ranger le lendemain – et sa chemise et son pantalon finirent leur course au pied de la machine à laver. Au dernier moment, il se souvint de la présence du mécanicien et se fit violence pour ne pas retirer son dernier vêtement. Il disparut dans sa petite salle de bain, s'excusant rapidement, et Jungwon posa son regard sur la cafetière. Le Capitaine lui avait donné toutes les libertés dans son logement, alors il se permit de s'offrir un bon espresso corsé. Dans la pièce voisine, le bruit d'eau se coupa et une voix s'éleva bientôt à travers l'entrebâillement de la porte.

― Jungwon, la prochaine fois qu'ils te font ça, refuse. C'est une de – argh foutue chaussette, jura-t-il soudain, faisant rire le brun – une de leurs mauvaises blagues. Ils t'abandonnent dans un lieu à poireauter et à attendre quelqu'un, puis ils ne disent pas où ils sont rendus et tu dois les chercher dans toute la ville. Ne te fais pas avoir, ça peut être dangereux. J'en ai fait les frais à l'Académie...

Le Capitaine sortit alors de la pièce d'eau, habillé et coiffé, et enfila directement ses bottines d'officier. Il n'avait pas la volonté de chercher d'autres chaussures. Il récupéra ses accessoires et sa montre connecté posés sur son lit avant de soudainement se figer au milieu de la pièce, les yeux écarquillés et rivés sur Jungwon. Une odeur avait titillé ses narines, une odeur qu'il reconnaitrait entre mille.

― T'as fait du café ?

― Euh... ouais... répondit-il, hésitant face à l'air éberlué de son ainé.

― Tu ne m'arrêtes pas si je saute sur la cafetière ?

― Lieutenant Beomgyu m'a dit de le faire, mais je ne veux pas contrarier les volontés de mon Capitaine.

Et Jungwon regretta aussitôt ses paroles. La furie Taehyun passa sous son nez à une vitesse fulgurante. Une tasse vola, rejointe par une portion de sucre et quelques gouttes du liquide sombre. Le blond murmurait dans sa barbe « café... café... café... » tout en préparant sa boisson avec des gestes tremblants et pressés, et le jeune sut qu'il aurait dû écouter les sages conseils de son Lieutenant. Son ainé ressemblait à une bête sauvage apprêtant sa proie pour la déguster et il n'osa pas imaginer à quoi il ressemblait quand il consommait les drogues dont le médecin lui avait parlé.

Taehyun but sa tasse d'un trait avant de la poser brusquement sur le comptoir de sa cuisine. Comme ses vêtements, il la rangerait plus tard. Le temps était à la fête, aux vacances, aux plaisirs, et il se sentait plus qu'excité en pensant à la soirée qu'il allait passer en compagnie de ses amis. Il traina Jungwon hors de son logement, attendit que la porte se verrouille par sécurité et envoya un message au plus responsable de ses deux meilleurs compagnons : Soobin. Mais celui-ci ne répondit pas. Même constat après un quart d'heure d'attente. Ils s'étaient assis sur un banc de l'aire verte située au pied de l'immeuble du plus vieux et patientaient jusqu'à ce que l'un d'eux ne daigne répondre. Il était hors de question de faire le tour des bars de la ville, certains étaient malfamés et il ne voulait pas que le jeune mécanicien se retrouve dans ce genre de lieux. Ce fut Jake, prit de pitié pour son jeune ami qui commençait à paniquer sur leur conversation personnelle, qui les appela. Son accent atypique – il était originaire d'une région reculée de l'empire Fédéral – s'éleva de la silhouette bleutée affichée en relief depuis le bracelet de Jungwon.

― « On est au Devil's Nest, dans le quartier Sud. Grouillez-vous, ils viennent de boire leur sixième shot ! »

A cet instant, comme ayant entendu leurs pensées, une navette fit son apparition à l'abribus voisin. Le brun raccrocha en remerciant son collègue mécanicien puis ils se précipitèrent vers le bus flottant. En quelques minutes, ils avaient rejoint le lieu indiqué et Taehyun trouva ses camarades le nez dans leur verre d'alcool.

Soobin le salua en levant son verre, imité aussitôt par Beomgyu et, par une maladresse due à l'alcool, la moitié de leur contenu se retrouva sur le comptoir du bar. Les deux compères éclatèrent de rire, sous le regard désespéré de leur capitaine, et se reconcentrèrent sur leur jeu d'alcool. De son côté, Jake se précipita sur Jungwon, un air visiblement inquiet et horriblement coupable collé au visage.

― Jungwon ! Je suis désolé, ils m'ont expliqué la farce, j'ai voulu te prévenir mais ils m'ont empêché de t'appeler ! J'ai dû attendre qu'ils soient bourrés. J'suis désolé ! Pardonne-moi !

― Jake... c'est bon, c'est pas ta faute.

Le plus jeune posa une main rassurante sur l'épaule de l'homme à l'accent, lui signifiant qu'il était sincère, et l'affaire fut vite oubliée. Taehyun engagea une conversation sur leur prochaine mission, conversation à laquelle ils se joignirent avec plaisir en compagnie des deux officiers au taux d'alcool inquiétant. Les rires fusaient, tout comme les remarques tantôt déplacées, tantôt inintelligibles de Beomgyu, et les cinq garçons commandèrent plus que de raison. L'alcool coulait à flot dans le gosier de Taehyun. Mais il s'en fichait royalement. Le temps était à la fête, il souhaitait profiter au maximum des plaisirs dont il avait été privé ces derniers mois. Il voulait oublier, le temps d'une soirée, la pression de ses supérieurs sur ses épaules, ses responsabilités de Capitaine et, surtout, la menace constante du rebelle Yeonjun. Le blond tenait à mettre cet ennemi de côté, soulager son esprit de sa présence étouffante et des cauchemars qu'il engendrait sans même le savoir. Et, au bout du huitième shot, les yeux bleus glacier et les oreilles pointues de sa cible disparurent pour ne laisser place qu'à un sentiment de bien-être total. Taehyun se sentait pousser des ailes, il planait, se sentait léger, beaucoup plus qu'avec toutes les drogues qu'il avait ingéré en l'espace de quelques jours.

Peut-être était-ce l'ambiance tamisée du bar qui le poussa à poser la question, peut-être était-ce l'alcool, ou sa curiosité maladive. Il s'était inconsciemment rapproché de Beomgyu sur son tabouret, s'accoudant au bar. L'interrogation lui brûlait les lèvres. Mais était-ce bien prudent ? Cela relevait de la vie privée de son médecin, médecin dont il voulait, sur le moment, tout connaitre. L'alcool changeait vraiment les hommes.

― Dis, Beomgyu... De quoi il parlait le Président, ce matin ?

― De ton cul narcoleptique.

Et la remarque fusante fit rire aux éclats l'ensemble de la tablée, surtout Jungwon qui semblait s'effondrer sur Jake à cause de son ébriété plus qu'élevée. Mais Taehyun voulait réellement savoir et il sentait que Soobin aussi. Son regard en disait long. Vitreux, mais il y décela un éclat de curiosité.

― Nan j'veux dire... quand il a dit que tu savais mieux que les autres qu'il fallait des sacrifices pour être... pour être... Oh bordel c'est quoi le mot, déjà ?

― Absolument génialissime ? lui rétorqua Beomgyu avec un sourire narquois.

Le brun pouffa à sa blague et son haleine fétide d'éthanol réveilla assez Taehyun pour se souvenir du qualificatif qu'il avait bêtement oublié : le nom de son métier.

― Des sacrifices pour... être officier.

― Ah ça ! Ma fiancée était une criminelle et j'ai dû la dénoncer pour avoir mon diplôme.

― Tu parles de Kim Minjeong ? Soobin s'étonna.

Kim Minjeong avait été une de leur camarade de l'Académie, une jeune femme douée dans ses études et sympathique à souhait. Ses deux amis avaient du mal à croire à cette histoire. Les plus jeunes, quant à eux, n'avaient pas connu ce rayon de soleil, scolarisés dans une école différente. De toute façon, ils n'étaient pas là pour entendre le récit palpitant de la vie amoureuse de leur lieutenant, Jake avait accompagné un Jungwon pâle comme la mort et au bord du malaise aux toilettes. Beomgyu acquiesça en se resservant un shot débordant de vodka, une expression dégoutée sur le visage.

― Tous des connards dans c'gouvernement t'façon.

― Mais le Lieutenant-Colonel Min Yoongi nous a assuré qu'elle était repartie dans sa famille à cause de l'attaque de Yeonjun ! surenchérit le blond.

― Bah faut croire que c'est le pire des bâtards. C'est lui qui m'a forcé à la dénoncer. Il a découvert qu'elle trafiquait des machins de luxe au sein du campus dans le dos des profs et c'est moi qui ai dû l'arrêter, sinon il m'aurait empêché d'avoir le diplôme et mon père – vous le savez bien... comment il est – il m'aurait envoyé vivre sur une planète poubelle.

― Ah ouais... chaud ton histoire quand même.

Chacun d'eux prirent une gorgée de leur boisson en l'honneur de leur ancienne amie – et fiancée pour l'un d'eux – dans une ambiance d'enterrement. C'est à cet instant que le plus sobre du groupe, Jake, refit surface avec un jeune homme en pleine forme sur les bras. Son mal-être passé, Jungwon était maintenant surexcité et ne voulait que plus d'amusement. Il secouait son camarade mécanicien dans tous les sens pour espérer le faire céder. Il voulait danser sur les sons d'ambiance du bar avec son ami, alors même qu'il n'y avait pas de piste de danse aménagée dans les locaux. En arrivant – avec difficulté – jusqu'à la portion de comptoir qu'ils avaient colonisée, ils relevèrent le vent de tristesse et de regrets planant dans l'air. Sans demander son reste, Jungwon proposa en s'écriant :

― Et si on allait en boîte ?

Ils n'eurent pas le temps de répondre que le barman aux gros bras écailleux les jeta hors de son établissement. Le plus jeune avait été trop bruyant et c'était la goutte de vodka faisant déborder le shot. Les cinq étaient une véritable menace pour le calme et la réputation du bar alors il les somma de ne jamais revenir. Des postillons d'eau salée atterrirent – avec une précision qui semblait étrangement voulue – sur le plus jeune, Jungwon, qui le traita de poisson pourri en retour.

C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à courir comme des fugitifs à travers le centre-ville animé de Tyr, dépassant les nombreuses enseignes lumineuses des rues en riant aux éclats. Ils étaient de jeunes hommes profitant de la vie, oubliant toutes leurs responsabilités et les dangers du monde, oubliant la menace de Yeonjun. Ils étaient de jeunes hommes guidés par un Jungwon qui semblait savoir exactement où les mener. Une enseigne clignotante aux couleurs criardes et au nom ridicule l'arrêta soudain. Beomgyu se cogna à lui, suivit de Taehyun et Jake, puis ils furent tous jetés au sol par la taille imposante de Soobin. Un nouveau rire, puissant et incontrôlé, les secoua avant qu'ils ne se relèvent et entrent sous le regard suspicieux du garde du corps aux oreilles de loup.

La première chose qui frappa Taehyun dans ce lieu nouveau, c'était le niveau sonore de la musique qui lui vrillait les tympans. On ne pouvait pas s'entendre penser ici ! Mais peut-être était-ce le but, ne plus écouter ses pensées, s'abandonner tout entier à l'alcool et à la fièvre de la fête, se plonger dans un monde où nos problèmes n'existaient plus... Jungwon disparut aussitôt de sa vue, suivit par Jake qui voulait à tout prix le surveiller, et Soobin ne tarda pas à faire de même. Puis tout se passa très vite.

Une jeune femme féline le tira loin de Beomgyu, son seul ami restant, et on le força d'un geste sensuel à poser son derrière sur une banquette rouge tâchée de substances qu'il ne préférait pas identifier. Une coupe lui fut remise, il en but une gorgée par la paille orange fluorescente.

Mais c'était une grave erreur.

Le monde commença à tourner autour de lui, sa vision se troubla. Le blond devinait par une sensation étrange, comme s'il était distant de la scène, des mains baladeuses parcourir son corps. Mais Taehyun se sentait horriblement bien ici, entre les doigts experts de la femme-chat assise sur ses genoux, sous l'effet de la drogue sûrement illégale qui circulait dans ses veines. Une oreille poilue lui chatouilla les narines, le faisant doucement pouffer. C'est à cet instant qu'il détourna le regard des yeux hypnotisants aux pupilles verticales – étonnamment vairons – pour le poser sur l'homme à ses côtés. Des cheveux mi-longs d'un brun sombre, une veste en cuir familière, un teint pâle et une mâchoire à la ligne magnifiquement bien tracée. Et des lèvres, ô ces lèvres. De belles lèvres roses, pulpeuses et terriblement attirantes. Il repoussa d'un geste faible la masse de poils noirs qui tenta de le dissuader d'un « mon chaton » langoureux. Mais Taehyun ne voulait pas d'elle. Il voulait cet homme, assis sur cette banquette, qui le couvait d'un regard indescriptible. Cet homme qu'il avait l'impression de connaitre, cet homme qui lui procurait un drôle de sentiment.

― Je peux t'embrasser... ?

Taehyun avait peut-être l'esprit embrumé, incapable de fonctionner rationnellement – ou de fonctionner tout court – mais il n'en oubliait pas moins les règles basiques de la bienséance. Une voix grave, maintenant nichée au creux de son oreille sans qu'il ne l'ait vue venir, lui répondit par l'affirmative. Son cœur rata un battement quand les cheveux longs de l'homme effleurèrent sa joue et son cerveau sembla se déconnecter lorsque deux délicieuses lippes porteuses du même goût que sa boisson rencontrèrent les siennes.

*
*     *

An 3040, 03 octobre - selon le calendrier d'Yggdrasill

          Taehyun se redressa d'un coup dans son lit, un fulgurant mal de crâne lui vrillant la tête. Les rideaux étaient baissés, plongeant la pièce dans le noir, pièce aussi obscure que son esprit quand il tentait de se remémorer la soirée précédente. Le blond ne se souvenait de rien après son entrée dans la boîte de nuit. Il se rappelait avoir perdu de vue ses amis aussitôt, puis quelqu'un semblait l'avoir emmené quelque part. Au-delà de ça, rien. Un blanc. Il avait tout oublié sous l'emprise de l'alcool... ou d'une drogue ? C'est alors qu'un courant d'air frais traversa la grande pièce à vivre accueillant son lit en plus du reste de son habitat, le faisant frissonner. Il était torse nu et devinait au contact doux de sa peau contre la couette que son pantalon avait été enlevé également. Il ne lui restait que son caleçon, élément alarmant quand on savait que le Capitaine prenait toujours le soin, même ivre mort, de revêtir son pyjama pour dormir.

Un mouvement à côté de lui le fit sursauter. Il se précipita sur sa lampe de chevet, soudain effrayé à l'idée d'avoir ramené un illustre inconnu chez lui, dans son lit, et d'avoir fait... des choses. Mais, lorsque la lumière blanche apporta alors de la luminosité dans la pièce, un cri lui échappa.

C'était Beomgyu. Dans son lit, à côté de lui, quasiment nu. C'était Beomgyu qui avait fini au lit avec lui.

― Oh mon Alfar...

Le brun émergea enfin de son sommeil avec un juron. Il chassa ses longues mèches de son visage et se frotta les yeux en jurant toujours plus sur sa douloureuse gueule de bois. Son regard se posa sur une taille fine puis un torse pâle. Il reconnaissait ce corps, la ligne légère de ces muscles, ces petites tâches plus brunes sur les côtes, et puis cette légère cicatrice au niveau du cœur. Le médecin avait soigné cette blessure, il s'en souvenait parfaitement. Alors cette personne ne pouvait être que son capitaine... Kang Taehyun. Il se redressa d'un coup pour se jeter presque hors du lit, emportant son oreiller avec lui pour cacher son propre torse dénudé.

― Bordel, me dis pas qu'on...

― Mais tu fous quoi dans mon lit ? s'énerva alors Taehyun, complètement paniqué.

Beomgyu leva un sourcil, visiblement confus.

― Mais je suis chez toi ! C'est forcément toi qui m'as ramené ici !

― Je me souviens de rien, ça peut très bien être toi qui nous a trainés jusque-là !

― Je peux te promettre que c'est toi !

Car Beomgyu se souvenait d'une chose de plus par rapport à Taehyun. Le médecin avait tout de suite détecté la présence d'une drogue dans la boisson donnée par la femme-chat, il avait donc pu limiter sa consommation. Mais l'alcool et le peu de substance illicite qu'il avait ingérée avaient tout de même eu raison d'une grosse partie de sa mémoire. Il ne se souvenait que d'une seule chose : Taehyun avait voulu l'embrasser, et il avait accepté.

― Et pourquoi c'est moi ?

― Tu m'as embrassé.

Taehyun le regarda avec des yeux immenses, soudain figé. Il était choqué, choqué de la révélation de son camarade, qu'il savait sincère. Le Lieutenant ne mentait jamais. Sur le coup, il aurait bien voulu que ce fait ne soit pas avéré, mais la vérité était là : Beomgyu ne mentait pas et lui, il l'avait embrassé. Le blond se prit la tête entre les mains, rappelé à l'ordre par son crâne douloureux, et entreprit d'ouvrir les rideaux pour y voir plus clair. Dehors, le soleil était déjà bas dans le ciel. L'après-midi était bien avancée et, quand la voix robotique de son assistant de vie s'éleva du comptoir de sa cuisine, il fut conforté sur l'heure. Dix-sept heures venaient de sonner et eux, ils venaient de se réveiller. Beomgyu revêtit à la va-vite son t-shirt et son pantalon sur lesquels il avait remis la main à l'instant, soudain timide face à sa presque nudité, et entreprit de chercher quelques cachets d'aspirine dans la cuisine du plus jeune. Il essayait toujours, malgré sa migraine cinglante, de réordonner ses pensées et de rassembler ses quelques souvenirs de la soirée et de la nuit. Le brun trouva les anti-douleurs et se pressa à les dissoudre dans deux grands verres d'eau. Il en apporta un à son capitaine, plongé dans un rangement frénétique de son petit appartement – il devenait excessivement maniaque quand quelque chose le contrariait – et but l'autre d'un trait.

Le médicament fit tout de suite effet – il remercia les génies de la médecine pour cette invention grandement utile – et les pensées de Taehyun furent, d'un coup, plus claires. Il avait embrassé Beomgyu, l'avait visiblement ramené chez lui et, en analysant l'état lamentable de son lit au réveil, leurs vêtements jonchant le sol de part et d'autre de la pièce ainsi que leur nudité presque totale, il n'y avait qu'une seule conclusion à en tirer. Et c'est à cet instant, comme si son esprit souhaitait apporter des preuves irréfutables aux faits, qu'un souvenir de la nuit lui revint. Un souvenir peu innocent, trouble et partiel, mais suffisant pour que le blond devine la dure réalité. Il se figea, l'oreiller qu'il replaçait à l'instant tomba à ses pieds et un petit cri lui échappa, alertant Beomgyu.

― On... on a fait le... le truc...

Beomgyu ne répondit pas tout de suite. Il s'en était douté au réveil mais avait tout fait pour écarter cette idée. Certains éléments prouvaient le contraire, notamment la présence de leurs sous-vêtements sur eux, et il se refusait à croire cela. Taehyun ne l'attirait pas et ne l'avait jamais attiré, il ne se serait jamais permis tel acte. Mais, après tout, l'alcool faisait faire des folies et ils avaient tous les deux été drogués, l'inimaginable pouvait avoir eu lieu.

― N'en parlons pas, ça serait mal vu. Un Capitaine et un Lieutenant... non.

Et c'est à cet instant que la sonnette de l'appartement retentit. Le propriétaire des lieux se précipita avec un petit cri sur sa penderie pour en extraire de quoi s'habiller et disparut dans la salle de bain, tandis que Beomgyu alla ouvrir la porte aux visiteurs. Il fut surpris de découvrir son ami Soobin et le jeune Jungwon se portant à merveille. C'était à se demander s'ils étaient bien les mêmes personnes qu'ils avaient quitté dans un état d'ivresse juste avant de... Le Lieutenant fut pris d'une légère gêne et les laissa entrer. Juste après les avoir quittés, il s'était passé ce qu'il devait arriver entre deux jeunes hommes, dont l'un doté d'une certaine attirance pour les individus du même genre, sous l'emprise de l'alcool et de la drogue. Les nouveaux arrivants ne devaient pas savoir, ou sinon cette histoire les suivrait jusqu'à leurs derniers instants. Mais le médecin savait que c'était peine perdue avec son camarade armurier. Soobin était peut-être taciturne mais il devinait tout, il n'était pas dupe. Le grand noiraud ne tarderait pas à découvrir toute la vérité. Et c'est ce qu'il fit.

Le Caporal fit volte-face vers son Lieutenant aussitôt qu'il comprit. Beomgyu était là, dans l'appartement de Taehyun, le lit avait été refait parfaitement, signe que quelque chose avait contrarié le blond au plus haut point, et quelques vêtements persistaient, éparpillés un peu partout dans la pièce. Le plus notable : l'absence du plus petit qu'il devinait caché dans la salle de bain et les tiroirs d'habits encore ouverts. Non, ce n'était pas difficile à comprendre, surtout quand on connaissait les habitudes de ces deux énergumènes par cœur. Beomgyu était gêné, terriblement, et Taehyun contrarié. Alors, silencieusement, uniquement par le regard, le secret fut partagé entre Soobin et son ami. Mais c'était sans compter sur Jungwon et sa vivacité qui ne put retenir la blague qui lui brûlait les lèvres depuis qu'il avait remarqué la présence de Beomgyu ici. Son langage fut inopinément cru.

Beomgyu s'étouffa et toussa, rouge jusqu'au bout des oreilles, et Jungwon regretta aussitôt cette boutade puérile. Car c'était la réalité et qu'il ne s'y était pas préparé. Il était encore jeune et innocent, mais voilà que deux de ces amis avaient réalisé cet acte duquel il pensait rester éloigné pour encore quelques années. Un silence plana soudain sur la petite assemblée, lourd de malaise et de sens, seulement brisé par la sortie de Taehyun de la pièce d'eau. Noyé dans son hoodie bleu pastel et vêtu d'un short blanc dépassant à peine du haut trop grand, il accueillit ses amis d'une expression dubitative.

― Taehyun, je crois que ça va s'ébruiter... hésita Beomgyu.

― Attendez, tenta aussitôt de se justifier le Capitaine, on n'en est pas sûr, en fait. On s'est réveillés dans le même lit, d'accord. Mais une femme-chat nous a drogués, alors ni Beomgyu ni moi ne nous souvenons clairement de ce qu'il s'est passé.

― On a juste fait des déductions...

Toujours hésitant, le brun tourna la tête vers le blond. Il n'en avait aucun souvenir, mais les signes étaient tout de même nombreux.

― Mais avoue que toutes les preuves sont quand même là !

Soobin restait silencieux, comme à son habitude. Ses mots n'avaient pas d'utilité ici, les deux jeunes hommes étaient les seuls à savoir et pouvoir éclaircir leur situation. Contrairement à lui, Jungwon semblait passionné et concerné par cette affaire, il s'en frottait les mains. Le ragot était juteux et ferait sans aucun doute forte impression au sein de l'équipage durant leur prochaine mission, de quoi les occuper pendant cette durée indéterminée. Et quoi de mieux s'il avait la preuve formelle de ce qu'il avançait ? Le plus jeune était peut-être encore innocent mais il venait de découvrir à l'instant qu'il était déjà dans le monde des adultes et qu'il fallait s'y adapter dès maintenant. C'est donc sans gêne qu'il prit la parole pour les informer d'un détail décisif.

― Les gars, vous savez qu'il y a un système de surveillance vidéo dans les appartements des officiers ?

Toutes les têtes pivotèrent vers lui. Ils venaient de le découvrir. Tout de suite, Taehyun devina ce que le garçon voulait réellement avancer. La vidéo de la soirée dernière était la clef, elle pouvait leur prouver des choses, qu'elles soient rassurantes ou non. Devant son air intéressé, Jungwon lui pointa la console de son appartement, intégrée au comptoir de la cuisine.

― T'as juste à taper ton matricule et ton mot de passe et tu pourras y accéder.

Taehyun se précipita sur le bar, suivi de près par Beomgyu. Il tapa frénétiquement sur plusieurs commandes jusqu'à ce qu'un clavier s'affiche en lignes bleu ciel lumineuses sur le plastique blanc du meuble. Deux cases, une pour le matricule et l'autre pour le mot de passe, s'élevèrent en hologramme au-dessus du plan de travail et le blond tapota rapidement sur les touches tactiles. Il entra son identifiant : TXT-0502, puis le code, et le logiciel de vidéosurveillance s'afficha. La vidéo de la soirée fut vite trouvée – avec l'aide de son Lieutenant qui observait d'un œil curieux par-dessus son épaule – et ce dernier avança lui-même jusqu'au moment où deux personnes furent détectées. Ils étaient là, tous les deux, s'embrassant sensuellement en progressant à tâtons à travers la pièce. Beomgyu regardait, gêné et dégouté, son lui de la veille pousser félinement le plus jeune sur son lit et s'installer sur ses genoux pour entreprendre de le déshabiller, ainsi que lui-même, afin de ne leur laisser que leur dernier vêtement. Puis ils étaient tombés tous les deux contre le matelas, immobiles. Ils s'étaient endormis.

Il ne s'était rien passé la veille, Beomgyu et Taehyun s'étaient inquiétés en vain. Dans un soupir de soulagement, le blond se redressa pour informer ses amis. Il se sentait plus léger, rassuré, tout comme son Lieutenant. Ils n'avaient rien fait, il y avait juste eu des baisers langoureux, conséquences de l'emprise des drogues de la veille. Mais Jungwon, lui, se montra excessivement déçu. Il s'attendait à avoir une rumeur à répandre, une rumeur qui aurait amusé nombre de ses camarades. Il en avait jubilé intérieurement, s'imaginant l'annoncer tout d'abord à son ami Jake puis, le premier jour de la mission, une fois partis, à ses camarades mécaniciennes qui se seraient empressées de la raconter autour d'elles. L'équipage était bienveillant, il savait qu'un tel ragot ne serait utilisé uniquement pour titiller le capitaine et le médecin, sans risque pour leur réputation. Malheureusement, ses plans tombaient à l'eau. Soobin lui asséna une tape à l'arrière du crâne. Il savait ce que le petit brun pensait à l'instant. Alors Jungwon se fit plus petit qu'il ne l'était à ses côtés et accepta poliment l'invitation à petit-déjeuner que le Capitaine proposa, malgré l'heure tardive.

Autour de leur jus de fruit et de leurs tartines, ils discutèrent de la soirée. Jungwon révéla que Jake avait accroché une jeune femme avec qui il espérait que les choses dureraient et qu'il avait été impressionné par la capacité de son ainé Caporal à tenir l'alcool. C'était pourquoi Soobin ne ressentait que peu les effets de la gueule de bois et qu'il se trouvait en pleine forme dès les premiers rayons du soleil de ce matin. Quelques autres anecdotes furent racontées jusqu'à ce qu'une remarque sur ce que les deux autres avaient failli faire ne vienne jeter un froid sur la discussion. Taehyun regardait ailleurs, Beomgyu était soudain concentré sur son jus d'orange, Soobin s'intéressait à la vitre intelligente du frigo du blond qui affichait une liste de course incomplète et Jungwon s'excusa à demi-mot.

Soudain, une alarme retentit dans tout l'appartement, les faisant tous sursauter. Le comptoir auquel ils étaient attablés laissa une silhouette holographique s'élever. C'était le Général en charge de la sécurité intérieure de la nano-planète et il apportait d'inquiétantes nouvelles.

― « Code 10, code 10. Ordre d'évacuation vers les abris fortifiés ou de confinement si vous posséder une habitation de type 3 ou plus. Le rebelle Yeonjun a pénétré l'espace aérien de Yggdrasill. Code 10, code 10... », le message se répéta en boucle encore quelques fois.

Par automatisme, l'appartement de Taehyun enclencha le protocole de protection. Une grille en métal renforcé calfeutra les fenêtres, masquant la lumière du soleil couchant, la porte se verrouilla et la climatisation passa en recyclage d'air et sur réserves de dioxygène. Le réseau électrique de l'immeuble tout entier bascula en mode économique, ne laissant que les systèmes d'urgence activés et une lumière rouge tamisée éclairer la pièce à vivre. Les garçons devinèrent qu'un voile anti-radiations se déployait le long des murs de la barre de logements au son de papier froissé s'élevant de l'extérieur. Jungwon paniqua légèrement, jusqu'à ce que Beomgyu le rassure.

― C'est le protocole d'urgence quand on subit une attaque extérieure. Il n'y a pas à s'inquiéter, nous sommes en sécurité comme ça. Et puis si c'est cette ordure qui attaque, il va se concentrer sur le QG de la Fed.

Beomgyu se tut quand Jungwon hocha la tête, signe qu'il comprenait, et les quatre attendirent dans l'immobilité et le silence. Le Capitaine, le Lieutenant et le Caporal avaient déjà vécu cette situation par deux fois dans le passé, dont la première où ils s'étaient rendus, paniqués, dans un des abris mentionnés dans le message d'alerte. C'était la toute première attaque que Yggdrasill subissait de la part de Yeonjun, ils venaient d'entrer à l'Académie et de prendre leurs marques dans les quartiers d'habitation des étudiants, des appartements de type 2. Les logements du type 1 comptaient les habitations du centre-ville, où les civils vivaient, ainsi que les dortoirs des ouvriers. Les types 2 était réservé aux étudiants de l'Académie ainsi qu'aux sous-officiers, les types 3 aux officiers comme Taehyun et les types 4 – les appartements les plus prestigieux – se voyaient attribués aux Généraux et autres officiers méritants ou ayant les moyens.

Hors des murs de l'appartement, il n'y avait plus un bruit. Tyr avait arrêté de tourner l'espace de quelques dizaines de minutes et seuls de braves escadrons de lynkrigers assurant la sécurité faisaient résonner leurs pas dans les rues désertes. Sur la planète voisine, la géante Yggdrasill, les boucliers avaient été déployés pour empêcher l'ennemi de pénétrer l'atmosphère et de s'en prendre à la tour du QG. Car c'était elle que le rebelle visait depuis longtemps pour des motivations obscures. La tour regroupait l'ensemble de ce qui faisait fonctionner la Fédération et, sans elle, tout l'empire fédéral s'effondrerait dans un chaos total. Il n'en était pas à son premier coup d'essai mais les armes de Yggdrasill venaient toujours à bout de l'ennemi. Pour avoir déjà vécu l'un de ses assauts depuis le bureau présidentiel, Taehyun savait que les canons auraient raison du vaisseau de l'assaillant.

Et ses certitudes furent confirmées lorsqu'on leva l'alerte. Son appartement retrouva rapidement son état normal. Dans les rues, chacun retournait à ses occupations et Tyr reprit vite son naturel animé. Inconsciemment, Soobin se détendit. Il savait pertinemment que rien ne pouvait leur arriver mais l'idée d'une mort atroce lui effleurait l'esprit à chacune des tentatives d'attaque de ce rebelle dangereux. Que se passerait-il si, un jour, c'était contre leur vaisseau que les assauts se dirigeaient ? Ils ne pouvaient rien contre Yeonjun. Leurs boucliers les protégeraient quelques minutes, leurs canons pouvaient endommager légèrement le Jötunn553 volé, mais après ? Ils mourraient tous. L'Alfar304 exploserait. Et personne ne repêcherait leurs corps gelés et mutilés dans l'immensité du vide intersidéral. De nombreux officiers et soldats avaient péris de cette manière, quand ils n'avaient pas été enlevés et torturés avant d'être jetés mourant dans une fosse, sur une planète toxique ou dans l'espace. Et le noiraud savait que Taehyun pensait à la même chose depuis quelques jours, depuis que le Président Kim avait exprimé sa volonté de les envoyer, eux, capturer Yeonjun.

Une nouvelle fois, ils sursautèrent tous quand l'hologramme du comptoir se réactiva, sur la chaine télévisée d'informations de la nano-planète Tyr. Une journaliste aux antennes de fourmi se tenait aux côtés du Général de la sécurité, un micro en main. Elle regardait la caméra d'un air grave, tout comme l'homme aux cheveux grisonnants, et ne tarda pas à prendre la parole. La situation fut vite éclaircie, avec l'intervention du Général, sur l'attaque du rebelle. Il n'y avait pas de dégâts, l'ennemi était reparti bredouille comme toujours, et la population fut sommée de ne plus s'inquiéter. Puis l'image bascula sur le studio de la chaine où un présentateur en costume accueillit les téléspectateurs pour le journal télévisé quotidien.

― « Bonsoir à vous. Comme vous le savez, le tristement connu rebelle Yeonjun a attaqué une nouvelle fois, il y a quelques instants, notre système solaire. Aucune perte, matérielle ou vivante, n'est à déplorer. Cependant, nous ne connaissons toujours pas les motivations de cet individu. Pour vous rappeler les quelques informations que nous avons, c'est un humain mâle au teint blanc et possédant des oreilles pointues. Il aurait les cheveux bruns et les yeux bleus mais cela reste à confirmer. »

Un portrait-robot peu glorifiant fut alors affiché aux côtés du présentateur qui en profita pour jeter un œil à ses notes. L'image quitta bientôt l'écran et l'homme poursuivit :

― « Ce matin même, nous avons appris que Yeonjun a orchestré un nouvel enlèvement. Cette fois-ci, la victime est la Générale Mackenzie, connue pour exercer le métier de professeure à l'Académie de la Fédération. »

Et Taehyun se figea sur son tabouret quand il reconnut le nom de sa professeure. Il l'avait croisée la veille, dans le bus entre Yggdrasill et Tyr. La dernière fois qu'il l'avait vue, elle ne semblait pas en danger pourtant... C'est là qu'il percuta.

Les oreilles pointues. Les yeux bleus. Les cheveux blonds.

Il avait bousculé un jeune homme en sortant, jeune homme qui était entré précipitamment dans la navette vide sans même lui accorder une excuse. Il avait laissé la vieille femme seule avec cet individu suspect. Et elle avait été enlevée par Yeonjun.

Il avait croisé la route de son pire ennemi, ce soir-là, et il n'y avait même pas prêté attention...

**

Le passage taegyu n'était pas du tout voulu au départ mais c'est ce qu'on appelle se faire marcher sur les pieds par ses personnages :'D

Passons. J'espère que ce chapitre vous a plu ! Et je vous dis à mardi prochain pour la suite des aventures de Taehyun au pays de la culpabilité ~

Premier chapitre que je publie sur la période scolaire, j'ai failli zapper... merci le rappel hebdomadaire que j'ai mis :)

(Republié parce qu'ils y avait des petits problèmes)

04/01/2022

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