ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴄɪɴǫ
An 3040, 07 octobre – selon le calendrier d'Yggdrasill
Taehyun tentait avec grand peine de faire disparaitre le pli dans le dos de sa veste d'uniforme officiel depuis quelques longues minutes déjà. Il s'énervait sur la fonction « repassage » de sa machine à laver sans que celle-ci ne daigne faire son travail correctement. Il s'énervait, et l'heure de la réunion approchait vite, dangereusement vite. Dans un quart d'heure, il devait être parti sous peine de se présenter avec du retard devant le Président, ses supérieurs et l'entièreté de son équipage. Et ce pli persistait... Il relança une énième fois le programme, priant tous les génies de la science pour que, cette fois-ci, sa veste soit présentable, et laça ses chaussures pendant ce laps de temps. Le matin même, le blond s'était réveillé avec un début de rhume et une petite fièvre accompagnant une migraine, et même l'idée d'avoir bu son premier café depuis quelques jours n'avait pas pu atténuer son irritation. Il était de mauvaise humeur et, pour couronner le tout, le monde se montait contre lui.
La sonnette de l'appartement retentit. Sans lui laisser le temps de relever la tête, la porte s'était déjà ouverte sur un Beomgyu fulminant.
― Bordel Taehyun, tu fous quoi ? La réunion a été avancée, t'as pas vu ?
Sa montre avait décidé de rendre l'âme pendant la nuit – un autre motif de sa mauvaise humeur – et, s'il n'avait pas la chance d'être propriétaire d'un très utile assistant virtuel de vie, il serait encore au pays des rêves à cet instant. Le Capitaine adressa un regard noir à son Lieutenant en guise de salutation puis sortit sa veste du système de défroissage. Le pli avait miraculeusement disparu, après tant d'essais ! Il s'en couvrit, réajusta sa cravate – qu'il n'avait pas oubliée cette fois-ci – et fixa ses quelques médailles puis son insigne de Capitaine qu'il gardait précieusement rangé dans son écrin au flocage de la Fédération. Beomgyu le pressa une nouvelle fois. Ils devaient absolument prendre la navette au plus tôt, la réunion commençait dans à peine quelques minutes. Le brun lui jeta sa casquette, le poussa hors de son appartement et ne lui laissa pas le loisir de s'assurer du verrouillage de celle-ci.
C'est à l'instant où ils s'installèrent sur les sièges de la navette quasiment déserte que Taehyun remarqua un changement singulier dans l'apparence de Beomgyu. Il avait coupé ses cheveux, qui tombaient maintenant courts et ondulés sur son front. Sa nuque se dévoilait à nouveau à sa vue après quelques années et le blond se surprit à trouver cet inédit style capillaire magnifique sur son ami. Il se secoua mentalement. Les choses avaient été mises au clair dans son esprit, ce n'était pas le moment de se questionner sur des sentiments qu'il n'éprouvait pas pour son camarade. Il se contenta de le relever simplement, avec un « ça te va bien » sans ambiguïté, et Beomgyu le remercia tout aussi simplement. Dans vingt minutes, ils devraient courir dans les couloirs de la tour du QG de la Fédération pour arriver au plus vite à la salle de conférence. Kim Sunoo n'acceptait pas les retards, encore moins venant de ses favoris, et la presse les attendait avec impatience.
La navette fit escale devant l'immense gratte-ciel et les deux compères n'attendirent pas son arrêt total pour s'en éjecter. Ils passèrent en fusée devant les lynkrigers gardant les portes et s'engouffrèrent tout aussi rapidement dans l'un des ascenseurs adjacents. L'ascenseur central était souvent bondé à cette heure et s'arrêtait presque à chaque étage, ils n'avaient pas le temps pour ça. Quinze heures quinze sonnèrent sur la montre du Lieutenant quand le robot-groom leur souhaita une bonne journée. La réunion était prévue pour quinze heures, au lieu de seize heures, et ils avaient déjà beaucoup de retard. Beomgyu poussa la porte du large amphithéâtre dans lequel ils étaient attendus, Taehyun sur les talons, et s'inclinait déjà pour excuser leur imponctualité. Mais la salle était vide. Il n'y avait pas un chat.
― Ils sont où ? paniqua soudain le médecin.
― T'es sûr que c'est pas à seize heures, finalement ?
― Non, Soobin m'a envoyé un message comme quoi ils l'avaient avancée pour que je puisse faire les visites médicales après et qu'il y était déjà.
― Il a peut-être fait une blague, essaya Taehyun en haussant les épaules.
Mais Soobin n'était pas de ce genre, jamais il ne faisait de farces aussi sérieuses. Beomgyu passa une main nerveuse dans ses cheveux fraichement raccourcis, grattant sa nuque rasée. Il se demandait vraiment ce qu'il se passait. Taehyun lui proposa d'aller demander les horaires des conférences aux secrétaires robotiques de l'accueil et ils redescendirent la centaine d'étages qu'ils avaient parcourue avec le même ascenseur. Mais avant qu'ils ne parviennent en bas, une notification plutôt... particulière apparut sur la montre du médecin. Elle consistait en une photo floue de Soobin, un air plus que remonté sur le visage, et de Jungwon qui semblait tout guilleret dans un coin de l'image, affichant un grand sourire mesquin. Le message la complétant fut le suivant :
« VOUS Y AVEZ CRU HEIN ? HAHAHAHAHAHAHAHA C'ETAIT UNE BLAGUE HEHEHEHEHEHEHE J'VOUS AI BIEN EU ! »
Taehyun et Beomgyu se jetèrent un regard autant désespéré qu'irrité. Jungwon allait assurément souffrir la prochaine fois qu'ils se verraient. Ils sortirent de l'ascenseur arrivé à bon port et s'installèrent dans un café voisin de la tour en attendant l'heure véritable de la réunion. Beomgyu restait pointilleux sur la consommation de caféine de son Capitaine alors ils ne commandèrent que des jus de fruits.
Plus tard, Soobin les contacta pour les informer qu'il avait récupéré son téléphone et qu'il était désolé qu'une telle chose soit arrivée. Mais il n'avait pas à s'en faire, il était déjà pardonné. Ils se rejoignirent devant la porte de la salle de conférence quelques minutes avant le début de la réunion et Jungwon n'échappa pas à une fournée de chatouilles. Après cela, ils s'installèrent sur les sièges de la première rangée, à leurs places assignées. Devant eux se tenait une petite équipe de journalistes, coincés entre les gradins et la scène plongée dans le noir. Chaque départ en mission était médiatisé, les exploits de la Fédération se devaient d'être relayés dans l'ensemble de la nation jusqu'aux territoires les plus reculés, mais celui-ci sortait du lot. L'équipage le plus prometteur de la flotte s'apprêtait à mettre les voiles vers l'ennemi le plus redouté de l'univers et chacun savait qu'ils allaient revenir victorieux, encore une fois. A peine eût-il posé son séant sur le siège au velours rouge qu'une jeune journaliste d'approcha de Taehyun, un magnétophone dans une main et un calepin dans l'autre. Une petite caméra était attachée au niveau de sa tempe par un casque qui accueillait également des oreillettes et une petite visière monoculaire holographique permettant de contrôler l'image qu'elle filmait. Elle lui posa tout un tas de questions, certaines plus invasives que les autres, sur ses attentes, ses peurs, le fonctionnement de son vaisseau, sa vie en dehors des missions... et se permit de faire un commentaire désobligeant avec un petit clin d'œil plein de sous-entendus.
― Ne tombez pas amoureux du méchant...
Le blond comprit tout de suite le commentaire implicite, elle faisait référence au film qu'il avait vu quelques jours plus tôt avec ses amis. Dans l'opus final, il était dit que le héros et le vilain vivaient une histoire d'amour inattendue, le réalisateur l'avait lui-même sous-entendu. Soobin cria au spoil et au mensonge – il devenait étonnamment bavard quand on parlait de ses œuvres cinématographiques préférées – et la journaliste disparut avec un petit rire. Taehyun se fit la réflexion qu'il était impossible pour lui d'aimer cette ordure qu'était Yeonjun. Il était le meurtrier de nombre de ses supérieurs et connaissances, il troublait l'ordre que le Capitaine s'évertuait à maintenir avec ses collègues dans l'ensemble du territoire fédéral et des systèmes alliés, il menaçait tout ce que lui et ses amis avaient toujours connu et, surtout, c'était son travail de le ramener à la justice. Quoi qu'il en coûte.
La réunion débuta, il fut appelé aux côtés du Président Kim et des officiers présents. Beomgyu lui asséna une petite tape sur les fesses pour l'encourager, qui n'échappa ni aux journalistes ni à ses joues qui prirent une légère teinte rose, et il replaça sa casquette en grimpant sur la scène. Un micro lui fut confié, des schémas se projetèrent sur l'écran holographique à côté de lui. Pendant le reste de la réunion, il échangea quelques détails avec ses coéquipiers, répondit aux questions de certains, calma les inquiétudes d'autres. Il n'était pas le seul à être terrifié par la perspective de faire la chasse au pire ennemi national mais savait que son équipage en était capable. Ils s'en sortiraient victorieux et sans aucun dégât, du moins... dans ses rêves les plus fous. L'entretien avec son équipage et ses supérieurs laissa ensuite place aux interviews de la presse. Ils avaient beaucoup de questions et de remarques, une grande part réclamaient la mise à mort directe, en bonne et due forme, du criminel. Mais les lois exigeaient qu'un procès soit accordé à Yeonjun, quand bien même ils savaient tous qu'il déboucherait sur la peine de mort. Et soudain, chaque journaliste de la salle se mit à relayer la référence de la jeune reporter l'ayant interrogé précédemment, sans se gêner pour faire allusion à une possible romance entre le Capitaine Kang et le Lieutenant Choi par la même occasion.
L'Amiral Kim Namjoon lui vint rapidement en aide devant la détresse du jeune blond. De sa grosse voix, il fit taire la presse avant d'annoncer fermement que la conférence prenait fin à l'instant. Les journalistes quittèrent la salle dans un grand brouhaha de « scandaleux », « pour qui il se prend lui ? » et autres « ça c'est du scoop ! ». Taehyun remercia son sauveur d'un sourire, que l'Amiral lui rendit, et sauta de l'estrade pour rejoindre ses amis. Soobin s'assura qu'il allait bien malgré le harcèlement qu'il avait subi de la part des journalistes tandis que Beomgyu lui lançait un drôle de regard. Taehyun s'attendait à ce qu'il s'excuse pour son geste déplacé mais le brun n'en fit rien. Il leur faussa compagnie dans la seconde qui suivit, prétextant qu'il devait aller se préparer pour les visites médicales.
Et Taehyun devait le rejoindre deux heures plus tard pour l'une d'elles. Aujourd'hui, Beomgyu n'avait plus qu'à faire passer les officiers du vaisseau et ce n'était pas un travail conséquent. L'équipage du vaisseau requérait beaucoup d'ouvriers alors il n'y avait que peu de gradés, d'autant plus que leur équipage n'était pas bien grand en lui-même. La visite de Soobin se ferait juste après la sienne alors ils restèrent dans les environs de la tour. L'Amiral Kim Namjoon n'avait rien de prévu non plus alors il les invita à se rendre au cours que son compagnon Seokjin donnait dans les locaux de l'Académie. Les officiers empruntèrent une navette pour parcourir les quelques kilomètres qui les séparaient du campus de l'école d'officiers en à peine une minute.
La sensation était étrange, retourner sur les lieux de leurs études – une période pourtant peu éloignée – les rendait nerveux. Namjoon, lui, venait souvent ici pour accompagner son époux et pour donner lui-même quelques conférences quand l'école le lui demandait. Il était friand de partager son expérience du terrain et son amour pour le métier qu'il exerçait, il ne loupait jamais une occasion de rencontrer les élèves de l'Académie dont il était sorti diplômé il y avait de cela des années. Les parcs verdoyants du campus étaient peuplés de nombreux étudiants qui s'amusaient, discutaient entre eux, s'offraient une sieste bien méritée ou revoyaient leurs cours. Un petit groupe, à l'écart sous un arbre, s'entrainait aux sports de combat. Taehyun détourna rapidement le regard de ces élèves, presque coupable de ne pas avoir fait comme eux plus tôt. Et les mots de la Générale Mackenzie, la remarque sur sa maitrise insuffisante du combat au corps à corps, lui revinrent. En même temps que l'annonce de son enlèvement et des instants précédant cet événement.
Soobin ne remarqua pas son soudain mal-être, trop absorbé par les propos de son supérieur qui lui contait ses plus grands exploits militaires. Ils en étaient venus à parler de Yeonjun et des quelques missions le concernant que l'Amiral Namjoon avait à son actif. La plupart n'étaient que des opérations d'espionnage ou de pêche à l'information auprès de certains des collaborateurs du criminel. Il n'avait été envoyé qu'une seule fois au front, face à Yeonjun. L'Amiral en était ressorti avec de nombreuses pertes vivantes et des dégâts matériels au-delà de l'imaginable, mais il avait tout de même réussi à porter un coup à l'ennemi. Le rebelle n'avait attaqué aucune des infrastructures de la Fédération dans l'année qui avait suivie. Et, depuis, il avait refusé en bloc tous les ordres d'assaut contre Yeonjun du Président. Il était hors de question que son équipage et son bâtiment soient de nouveau jetés en pâture à ce malfrat, d'autant plus que la flotte et le vaisseau amiral du rebelle avaient repris du poil de la bête depuis.
Taehyun n'était pas à l'aise avec cette discussion. Son mal-être tournait autour de ses pires craintes – dont Namjoon parlait sans filtre – mais également autour du kidnapping de sa professeure, auquel il n'avait rien fait alors même qu'il avait croisé l'être suspect à l'origine de ce rapt. Il aurait pu directement l'arrêter, l'empêcher de nuire à la Générale, prévenir les forces de sécurité de la compagnie de bus-navettes d'Yggdrasill... mais non, il n'avait pas réagi, il s'était même excusé d'avoir bousculé le bandit. Le blond distança ses collègues de quelques mètres pour s'isoler et passa une main sur son visage. Il frissonnait malgré les nombreuses couches de son costume officiel, secoué par une soudaine angoisse de partir en opération. Son instinct le mettait en garde, il sentait que son équipage ne s'en sortirait pas intact, qu'il allait lamentablement échouer car Yeonjun le paralysait de peur. Un courant d'air s'engouffra dans le col de sa chemise, le faisant frissonner encore plus, et quelques gouttes commencèrent à tomber sur sa casquette. Taehyun se demanda de nouveau, à cet instant, si le monde n'était pas réellement contre lui en cette veille de départ en mission.
Le cours du Général Kim Seokjin était animé. Son humour combiné à un amphithéâtre bondé d'élèves énervés par la fin de journée qui s'annonçait rendait l'ambiance bruyante et chaleureuse. Insupportable pour Taehyun. Il ne souhaitait qu'une seule chose, en finir au plus vite avec ce jour pour pouvoir rentrer chez lui et se cacher sous sa couette pour toujours. Il ne voulait plus partir, or toute la flotte fédérale comptait sur ses exploits pour qu'il débarrasse la nation de cette verrue aux oreilles pointues. Et puis Seokjin allait forcément l'interroger sur ses ressentis par rapport à l'opération qui se profilait, le blond ne voulait pas le décevoir ni l'importuner avec ses craintes et sa culpabilité. Aussitôt le cours terminé, Namjoon se précipita sur son conjoint pour le saluer. Ils n'avaient pas eu l'occasion de se croiser aujourd'hui, chacun d'eux étant très occupé avec leurs tâches respectives, et se rattrapaient donc maintenant, sous les yeux embarrassés des deux plus jeunes officiers.
Ils discutèrent passionnément jusqu'à ce qu'une notification ne vienne rappeler Soobin à l'ordre. Il avait enregistré l'horaire de la visite médicale de Taehyun, celui-ci n'ayant pas pu remplacer sa montre défectueuse dans la journée, et le rendez-vous était prévu pour dans une dizaine de minutes. Le blond soupira discrètement, il pouvait arrêter de se forcer à paraître heureux de partir à la poursuite de Yeonjun. Ils laissèrent leurs supérieurs pour sauter au plus vite dans une navette. Les longs bâtiments bas de verre et de marbre laissèrent bientôt place aux infrastructures plus hautes de l'administration de la Fédération, des gratte-ciels à la mesure de la tour du QG qui surplombaient souvent des commerces et de véritables petits villages souterrains. En effet, sous chacun des buildings, dans les fondations, on avait aménagé des dortoirs et des galeries regroupant petits commerces, lieux de restauration et de loisirs. La plupart d'entre eux possédaient des patinoires en leur sein et des galeries connectaient les villages-taupes entre eux. Taehyun n'eut pas plus le temps d'admirer le paysage pendant la minute de trajet, ils étaient déjà arrivés.
Les locaux médicaux se situait à l'un des étages inférieurs de la tour, au niveau -5. Taehyun et Soobin eurent vite fait de se présenter devant le petit cabinet que le Lieutenant occupait ce jour-ci, à l'instant où le Sergent Seo en sortait. Ils se saluèrent avec respect, chacun d'eux étant dans l'exercice de ses fonctions, puis le maitre des canons les quitta. Beomgyu se présenta et invita son capitaine à entrer sans plus de cérémonies, laissant Soobin seul sur le palier de la porte. Le médecin entreprit de remettre de l'ordre dans ses papiers – il ne comprenait pas pourquoi tant de paperasse était exigée alors même que leur technologie était assez évoluée pour avoir des ascenseurs à poussée électromagnétique et des androïdes à tous les étages – tandis que Taehyun disparaissait derrière une paroi opaque pour retirer ses vêtements afin de ne garder que son caleçon et son débardeur noir. Il reparut devant le brun, prêt pour l'auscultation, et l'interpella pour le sortir de ses feuilles. Beomgyu redressa la tête et son air pressé laissa place à une expression contrariée.
― Ton débardeur.
― Quoi, « mon débardeur » ?
― Tu l'enlèves.
― Pourquoi ?
― Oh, Capitaine, c'est pas la première fois que je te vois à poil !
Taehyun se déroba de nouveau derrière la paroi, rouge de gêne, pour retirer son haut. Il le lança sans joie sur le tas de ses vêtements et se présenta devant le médecin en essayant de se faire le plus petit possible. L'ambiguïté de ces derniers jours entre lui et Beomgyu n'arrangeait rien, il était devenu timide à l'idée de s'exposer dans son intimité au garçon qui occupait son esprit depuis quelques temps. D'autant plus qu'il n'avait toujours pas réussi à interpréter la fuite précipitée de son ami après la réunion du début d'après-midi. Le blond se promettait de lui demander des explications, s'il arrivait à mettre sa gêne de côté. Le brun l'invita à s'allonger sur la table d'auscultation au cuir blanc et froid après l'avoir désinfectée avec un produit à l'odeur forte et il commença son contrôle de routine. D'abord le stéthoscope glacial qui lui révéla le niveau encore élevé du rythme cardiaque du plus jeune, puis le brassard compressant pour mesurer le pouls, dévoilant là aussi un résultat plutôt inquiétant. Ce fut le tour d'autres instruments tous plus étranges et désagréables les uns que les autres, manipulés dans un silence de mort. Aucun des deux jeunes hommes ne souhaitait meubler la conversation, un malaise planait entre eux. Taehyun se contentait de laisser le médecin effectuer son travail en essayant de contrôler ses sursauts et frissons lorsque les doigts froids du Lieutenant se posaient sur son corps et, de son côté, Beomgyu tentait de se concentrer.
Et puis, lorsque le brun faisait un état des lieux de ses ondes cérébrales, la question lui échappa.
― Pourquoi tu nous as faussé compagnie tout à l'heure ?
Beomgyu suspendit son appareil de mesure dans les airs l'espace d'un instant, prit au dépourvu par cette interrogation fortuite qui venait de briser le silence religieux du cabinet. Il reprit aussitôt son activité, sans même jeter un regard au patient, et répondit sèchement.
― Pour faire mon travail.
― Beomgyu... réponds-moi honnêtement s'il te plait, fit Taehyun en saisissant son bras, et son attention par la même occasion. Il ne savait pas quel genre de confiance venait de l'envahir si soudainement mais le blond en profita sur l'instant.
Cependant, le brun ne semblait pas enclin à exposer ses raisons. Il se dégagea presque brusquement et le fit se rallonger sans aucune douceur, sa main plaquée sur le torse pâle du plus jeune. Puis il reprit son examen comme si de rien n'était et Taehyun rendit sa place au silence horripilant.
Quelques minutes plus tard, alors que Taehyun se faisait le plus grand et léger possible dans la capsule de mesures, la question revint. Et Beomgyu ne put plus y échapper. Il essaya d'abord de l'esquiver en prétextant un disfonctionnement dans la machine mais, quand le blond en sorti enfin, il s'arrangea pour coincer le médecin entre son bureau et son corps à lui. Le Capitaine posa sans douceur ses mains contre le métal du meuble, de chaque côté de la taille de son collègue, et approcha son visage du sien pour garder son attention.
― Taehyun...
― Tu vas me le dire un jour ?
― Si tu veux mais... tu pourrais t'éloigner ?
― Non.
Car il ne voulait pas que le brun ne prenne de nouveau la fuite. Son assurance soudaine, alors qu'il était dénudé et proche, très proche du corps de son camarade, l'effrayait quelque peu. Il ne souhaitait pas que cet instant ne devienne gênant, ni même que le Lieutenant se sente agressé, mais il voulait des réponses. A tout prix. Son esprit recommençait à s'imaginer des choses, à revenir sur son attirance hypothétique et sûrement inexistante pour son subordonné, et il ne désirait pour rien au monde se replonger dans ces tourments qui n'avaient pas lieu d'être la veille de leur départ. Il ne ressentait rien que de l'amitié et de l'admiration pour Beomgyu, et devait avant tout se concentrer sur le fait de calmer ses craintes sur la prochaine mission avant le lendemain.
― Alors ?
Beomgyu paniqua face à ses grands yeux de biche et son insistance. Taehyun se rapprochait inconsciemment, il sentait son torse nu frôler sa blouse blanche, et le brun ne savait plus où se mettre.
― D'acc... d'accord... Mais avant toute chose... Est-ce que tu m'aimes ?
― Quoi ?!
Taehyun se recula, étonné par cette question inopinée. Pourquoi demandait-il cela ? Et, surtout, quelle réponse attendait Beomgyu ? Il pouvait être déçu par un non, comme soulagé, ou encore remettre en question l'honnêteté de sa négation... Et puis Taehyun se conforta dans un fait, celui qui assurait que Beomgyu n'était pas attiré par les hommes. Il choisit donc la carte de la vérité, d'une vérité qu'il avait eu du mal à trouver.
― Non je... je ne t'aime pas. Enfin... en amitié si mais, ça ne va pas plus loin.
Instantanément, il sentit Beomgyu se détendre en face de lui. Taehyun se gratta la nuque, soudain gêné par la situation, et son autre main vint se lover sur sa taille. Il se rendait compte soudain de l'air frais de la pièce sur son abdomen et recherchait la chaleur de son bras. Mais Beomgyu pouvait encore avoir besoin d'examiner son organisme alors il resta planté devant son bureau et devant lui.
Et c'est là qu'il comprit.
― C'était donc ça...
― T'es pas très discret quand tu cogites, j'ai remarqué tout de suite l'attention soudaine que tu me portais.
― Et tu croyais que j'étais amoureux de toi ?
― Peut-être... ouais.
Un rire nerveux les secoua alors, avant de se calmer pour laisser place à un silence légèrement gêné. Ils se fixèrent dans le blanc des yeux pendant un instant, avant que Beomgyu ne se souvienne soudain qu'il avait des résultats à enregistrer à la main. Taehyun se précipita pour se rhabiller, enfin, et reparut dans son costume face au médecin pour le verdict final. Une nouvelle fois, le brun l'avertit sur son rythme cardiaque élevé et lui recommanda de limiter sa consommation de café puis il le fit sortir.
Soobin attendait là, adossé contre le mur du couloir, en face de la porte. Il somnolait. Taehyun s'approcha doucement de lui afin de lui éviter une frayeur et retira la casquette penchée sur son visage pour que la lumière jaunâtre du couloir le réveille. Le Caporal cligna des yeux en discernant la nouvelle luminosité à travers ses paupières. Ses pupilles brunes se posèrent sur le blond, puis sur le médecin debout dans l'encadrement de la porte du cabinet, et il se souvint soudain de ce qu'il faisait ici. Il salua rapidement le plus jeune d'un simple geste puis disparut dans la pièce blanche, suivant un Beomgyu qui plaisantait sur sa drôle de sieste.
La visite médicale durait une bonne demi-heure alors Taehyun avait le temps de remonter jusqu'au département des équipements. Il avait passé la journée sans sa montre, accessoire qui contenait le plus gros de ses informations personnelles et qui était, plus généralement, très utile dans la vie quotidienne. Le blond avait intérêt à la faire remplacer avant le lendemain, il en avait besoin pour accéder au cockpit de son vaisseau. Il quitta le couloir étroit et mal éclairé des locaux médicaux et emprunta l'ascenseur central. Le groom androïde le salua et lui demanda son étage avant de le laisser s'adosser au fond de la cage de verre. L'ascenseur était vide à cette heure, chacun était retourné à son bureau ou son atelier après la pause déjeuner et la fin de journée de travail sonnait dans une petite heure. Alors le jeune homme se plongea dans ses pensées.
Il avait été fixé sur le comportement étrange de Beomgyu à la fin de la conférence, mais également sur toutes les questions qu'il se posait. S'il avait vraiment ressenti quelque chose pour son Lieutenant, autre que de la gêne en sa présence justement causée par toutes les pensées qu'il avait à son égard ces derniers jours, il n'aurait pas eu ce genre d'assurance soudaine et surprenante. Beomgyu ne l'attirait pas. Beomgyu n'était rien d'autre que son ami et collègue. Et Taehyun pouvait désormais partir en mission avec lui le cœur léger. Ou du moins, avec une crainte en moins. Car il restait tout le reste : la menace de Yeonjun, sa culpabilité face à l'enlèvement de la Générale Mackenzie – il s'étonnait d'ailleurs de ne toujours pas avoir eu la visite des services de recherches, il était tout de même le dernier à l'avoir vue – mais aussi la peur d'y laisser son équipage, tous des gens chers à son cœur, et son vaisseau, ou d'être prit de panique à peine parti et de faire demi-tour pour abandonner l'opération. Tout l'univers comptait sur lui, littéralement. Il ne pouvait pas se le permettre. Mais l'envie de fuir à peine la mission débutée, de se cacher sur une planète déserte et inconnue jusqu'à ce que la Fédération oublie son existence, ou carrément de ne pas partir du tout, était puissante.
Il ne pouvait pas.
Il ne devait pas.
Car les sentences prévues pour les déserteurs étaient effroyables. Certains pouvaient avoir un peu de chance et ne subir que quelques années d'humiliation publique mais, quand on n'était pas une bête de foire forcée à assouvir tous les désirs des citoyens les plus sadiques et les plus vicieux, l'enfer nous attendait. Taehyun avait longtemps étudié le cas des criminels et déserteurs les plus nuisibles que la Fédération avait connue dans le cadre de ses études à l'Académie. Ils avaient tous été envoyés dans les pires prisons existantes, sur des planétoïdes au climat invivable, dans des locaux délabrés et des cellules insalubres, à effectuer des tâches répugnantes, des travaux épuisants. Et ce, pour l'éternité. Car on s'arrangeait pour que ceux-là vivent le plus longtemps possible dans ces conditions horribles.
Le ding annonçant l'arrêt à un étage le sortit de sa torpeur. Il n'était pas encore arrivé à sa destination, cela signifiait donc qu'un autre allait partager le grand ascenseur avec lui. Il releva le regard sur les portes de verre s'ouvrant et quelle ne fut pas sa surprise quand deux hommes qu'il connaissait bien entrèrent. Le premier, le Lieutenant-Colonel Min Yoongi, avec ses cheveux mentholés et son air de chat ronchon, ne lui adressa pas même un regard. Mais le second, un jeune Amiral du nom de Lee Taemin, fraichement promu après une mission pleine de succès, le salua chaleureusement dès qu'il le reconnu. L'Amiral avait été un ainé d'un précieux soutien à l'école d'officier. Ils s'étaient rencontrés un jour, dans la bibliothèque, alors que Taehyun n'était encore qu'en première année. Taemin, lui, entamait sa troisième et avait tout de suite détecté la détresse du jeune blond face à la pile de révisions et de travail qu'il avait à rendre. Il l'avait aidé, il l'avait soutenu, et c'était grâce à lui que le capitaine était là aujourd'hui.
― Capitaine Kang ! T'as encore grandi depuis la dernière fois !
Taehyun lui adressa un faible sourire en guise de réponse. Il savait bien que ce commentaire visait à dénigrer sa petite taille. Il ne dépassait pas l'Amiral, loin de là, ni le Lieutenant-Colonel d'ailleurs. Beomgyu avait déjà rétorqué qu'il avait été grand dans une autre vie et que c'était pour cela que la nature lui avait donné un petit mètre soixante-douze cette fois-ci.
― T'es sûr que ça va ? Je te trouve palot...
― J'étais un peu fiévreux ce matin, ça doit être ça...
Il ne voulait pas avouer que ses angoisses dues à son prochain départ en opération, le lendemain, le rendaient malade. Que penserait Taemin ? Et puis le Lieutenant-Colonel Min allait le dénoncer sur-le-champ, ou forcer Beomgyu à le faire, comme il l'avait fait pour Minjeong... Non, il ne pouvait pas. On l'enverrait dans ces bagnes de l'enfer.
Taemin lui asséna une petite tape amicale dans le dos, lui rappelant joyeusement qu'il retrouverait son cosmos adoré dans quelques heures, que cette perspective allait chasser sa petite grippe et que lui-même serait sur le départ pour l'encourager. Son cœur se réchauffa, très légèrement. Il n'était pas vraiment convaincu. Son cosmos adoré, il le craignait maintenant. Ce n'est pas au Lieutenant Kang rentrant de sa deuxième mission, la veille de sa promotion en tant que Capitaine, qu'il aurait fait croire ça. A cet instant, il n'avait souhaité qu'une seule chose : repartir au plus vite dans l'infini de l'espace. Et son souhait avait été exaucé, il avait pu de nouveau explorer cette infinité noire et constellée. Puis ils étaient rentrés, le Président avait annoncé cette opération coup-de-poing contre Yeonjun, et Taehyun avait perdu son amour pour le cosmos. Dans ses cauchemars, il y mourrait, ses collègues également, de la plus atroce des façons.
Un nouveau ding, c'était son étage. L'Amiral Lee secoua sa main frénétiquement pour le saluer tandis qu'il franchissait les portes de l'ascenseur. Le Lieutenant-Colonel Min, lui, ne lui adressa toujours pas de salutation, juste un regard indéchiffrable qui le fit frissonner des pieds à la tête. C'est comme s'il sentait, s'il savait ce que Taehyun pensait à l'instant. C'est comme s'il avait détecté que le jeune Capitaine ne souhaitait que fuir ses fonctions. Les portes vitrées se refermèrent aussitôt, Taehyun s'arracha à ces yeux terrifiants. Il tourna les talons, plus blême qu'il ne l'était auparavant, et s'avança d'un pas mal assuré dans l'immense espace ouvert en direction du bureau central. Il était constitué d'un grand comptoir circulaire, situé juste en face des portes de l'ascenseur principal et au bout d'une large allée. Aux alentours, plein de petites cases séparées par de basses parois en plastique blanc se dressaient. Les employés ici étaient parqués comme des bêtes, enfermés dans leur petit coin de quelques mètres carrés, à brasser de la paperasse et des données informatiques à longueur de journée pour l'administration des équipements nécessaires au quotidien des officiers. Il ne s'attarda pas plus sur les touffes de cheveux, de poils ou d'écailles et les cranes dégarnis des employés dépassant des parois et se planta devant le comptoir. Il y avait, derrière, une vieille femme aux cheveux plus blancs que leur soleil, tirés en un chignon mal équilibré et aux lunettes à la forme douteuse et à la couleur criarde. Il toussota, la vieille dame ne détacha pas son regard de son écran d'ordinateur. Il insista un peu plus jusqu'à remarquer une petite sonnette sur le côté, avec un panonceau indiquant de l'utiliser pour avoir de l'attention. Il appuya dessus et, tout de suite, la dame releva la tête.
A cet instant, Taehyun se fit la remarque que sa voix collait parfaitement au personnage. Elle avait une tonalité tout aussi criarde, une voix nasale et aigue qui l'insupportait déjà.
― Que puis-je pour vous ?
― Capitaine Kang, matricule TXT-0502, j'aimerais faire remplacer ma montre IPAV.
― Veuillez patienter.
Taehyun hocha la tête et l'observa appuyer sur un bouton de la console de son bureau. Puis elle replongea les yeux sur son écran pour retourner à son travail. Le blond attendit. Une minute, puis deux, puis dix. Et sa patience se brisa.
― Excusez-moi mais... que dois-je attendre ?
― Quelqu'un va venir vous chercher.
― Ça va prendre encore longtemps ?
La vieille dame n'eut pas le temps de lui répondre qu'un employé à la chemise froissée et à la fourrure rase et brune l'invita à le suivre. Ils slalomèrent entre les compartiments pendant de longues secondes jusqu'à arriver à une minuscule capsule de confidentialité. Dans l'étroit espace de métal et de verre se serraient un petit bureau avec son fauteuil et deux chaises destinées aux clients. Taehyun prit place sur l'une d'elle, en face d'une paroi de verre censée protéger l'employé d'il ne savait quel danger, et celui-ci lui redemanda son nom avant de le faire patienter de nouveau quelques longues minutes. Le blond se fit la réflexion qu'ils avaient le chic pour faire poireauter les gens par-ci. Les formalités administratives lui prirent plus de temps qu'il ne l'avait pensé et c'est à vingt heures, soit une heure après la fin du rendez-vous médical de Soobin que l'homme aux oreilles de chien le laissa partir avec sa nouvelle montre. Il comprenait parfaitement que le calibrage d'un tel objet demandait de se renseigner sur beaucoup d'informations mais la manœuvre en elle-même avait été rapide pour l'employé. Ce qui avait pris le plus de temps, c'était faire fonctionner ses divers outils et appareils et s'absenter à plusieurs reprises pour se resservir du café.
La migraine qu'il avait en début de journée s'était aggravée considérablement, autant que ses étranges nausées causées par l'angoisse. Taehyun rentra chez lui sans prendre la peine de prévenir ses amis.
Ils partaient demain.
Et Taehyun voulait juste disparaitre.
**
Les rêves et espoirs des taegyuist brisés à jamais...
Bonswar comment allez vous ? J'ai mes bacs blancs de spés la semaine prochaine :'D je stresse voilà voilà
J'espère que ce chapitre vous a plu ! On se revoit mardi prochain (épreuve de maths ouch) pour les aventures du pastaegyu dans l'espace :D
18/01/2022
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