ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ǫᴜɪɴᴢᴇ
An 3040, 18 octobre – selon le calendrier d'Yggdrasill
La première chose qui le frappa à son réveil, hormis son estomac qui se tordait dans son ventre et son corps entier qui le lançait, ce fut qu'il n'était plus dans l'immense – ou petite ? – pièce obscure. Taehyun laissa ses yeux fatigués s'habituer à la faible luminosité du nouvel endroit tandis que ses souvenirs lui revenaient. Il était sur le vaisseau de Yeonjun, sur le vaisseau de son ennemi. Du criminel le plus recherché de la Fédération. Il était resté pour sauver Soobin. Est-ce qu'il allait bien ? Le blond baissa le regard. Et se rendit compte qu'il était attaché à un étrange siège par les poignets et les chevilles. Des liens de métal le gardaient prisonnier de ce fauteuil inconfortable. Il était donc passé d'une cellule de détention infernale à ça ? A cette pensée, ses doigts tremblèrent au bout des manches blanches de sa tenue à sangles. Il avait enduré quelques jours – ou seulement quelques heures ? – d'une torture inimaginable, dans un lieu totalement noir, sans eau ni nourriture. Ni repères. Il y avait perdu l'esprit. Ses doigts portaient encore le sang séché qui avait dû couler de son nez.
Il laissa son regard vaguement détailler la pièce, sans vraiment remarquer les détails des murs, uniquement les couleurs. Il voyait légèrement trouble, ses paupières étaient lourdes, son esprit peinait à se reconnecter à la réalité. Et sa gorge le piquait. Il avait soif. Et faim aussi. Et il sentait l'air tiède s'infiltrer dans le col de son vêtement. Il sentait les liens de métal contre ses chevilles, contre ses avant-bras. Soudain, il ouvrit grand les yeux. Toutes les sensations qu'il avait perdues alors qu'il était enfermé dans la cellule de détention, il les avait retrouvées. La soif, la faim, le picotement de ses genoux et la douleur de son nez cassé. Il sentait ses doigts trembler au bout de ses manches, il sentait le tissu de la combinaison blanche contre la peau nue de son torse. Il ressentait. De nouveau. Il était vivant.
― Je suis désolé que tu aies vécu ça...
Taehyun sursauta violement. Il se pensait seul dans cette pièce noire, blanche et rouge. Mais, derrière lui, dans l'ombre, il y avait quelqu'un. Quelqu'un dont il avait reconnu la voix. Le blond tourna la tête pour espérer l'apercevoir. Peut-être se trompait-il, peut-être était-ce une autre personne que... lui. Cependant, ce fut bien Yeonjun qu'il identifia du coin de l'œil. L'atmosphère se tendit d'un coup.
― Vous êtes un monstre.
Sa voix était rauque, sa gorge asséchée, et c'est tout ce qu'il trouva à répliquer. Yeonjun était un criminel, il avait tué ses collègues avant d'amasser leurs cadavres dans un recoin de son bâtiment comme s'ils n'étaient que de simples ordures ménagères. Il l'avait jeté dans une horrible prison. Et, de surcroit, il devait sûrement encore détenir Soobin malgré leur petit marché – un marché qu'il ne se souvenait pas avoir clairement complété, par ailleurs.
― Ce sont les gens qui ont décimé mon peuple, les monstres.
Un silence s'installa. Un silence pesant qui dura jusqu'à ce que à ce que Yeonjun quitte son coin d'ombre pour se planter debout devant Taehyun. Le blond le fixa un instant dans les yeux. Et il s'y perdit. Dans ces deux diamants à l'éclat envoutant, il lisait une peine immense, une peine qu'il n'aurait jamais pu imaginer dans les yeux du rebelle. Yeonjun était rongé par un tourment considérable, par les regrets, la culpabilité, la haine. Mais aussi par le sentiment d'avoir tout perdu. C'est ce que le jeune homme comprit dans ce regard : Yeonjun avait tout perdu.
Et il voulait se venger.
― Où est Soobin ?
Il n'avait pas le temps d'écouter les lamentations de son ennemi. Le blond s'arracha à sa contemplation, avec difficulté. Il y avait plus important à l'heure actuelle.
― On l'a renvoyé à tes camarades. Il va bien.
Yeonjun s'était senti obligé de le préciser. Et, sans savoir vraiment ce qui l'y poussa, Taehyun choisit de le croire. Yeonjun était sincère, il le sentait dans le timbre de sa voix. Mais ce n'était qu'un problème de réglé, il était toujours enfermé et attaché ici, le criminel l'avait séquestré dans une cellule dont il ne voulait même pas entendre parler. Et puis il y avait le charnier du grand hangar, témoin de tous les meurtres que le rebelle avait perpétré et perpétuait sans doute encore à l'instant. Yeonjun était sincère, il restait un monstre.
Yeonjun, un air nonchalant avec sa main plongée dans la poche de son pantalon en plastique – le même constituant l'uniforme de bord des soldats de la Fédération –, ramena un tabouret à roulettes à lui de son autre main et y posa son séant. Puis il se reconcentra sur son prisonnier et son regard noir. Le blond semblait le détester alors qu'il l'avait épargné, qu'il avait laissé sa liberté à son ami et qu'il l'avait sorti de cette prison. Le rebelle rit à ce détail. C'était lui qui détestait la Fédération et ses hommes, non l'inverse.
― Pourquoi cette haine envers moi ?
― Vous êtes immonde, trouva l'audace de rétorquer Taehyun.
― Je ne fais que venger mon peuple et ma planète que vous avez détruite.
Et, face à l'expression interloquée de son prisonnier, Yeonjun sut qu'il avait des choses à expliquer. Il était conscient que la population universelle n'avait jamais eu vent du génocide de Freyr mais pensait que, au sein des hautes strates de la Fédération, c'était une autre histoire. Il n'avait pas visé juste.
En effet, le blond ne savait pas du tout de quoi le rebelle parlait. La Fédération n'avait jamais détruit aucune planète ni porté préjudice à un peuple. Il y avait bien une rumeur dans les rangs, colportant la possibilité de l'existence d'une arme redoutable capable d'anéantir des étoiles. Mais personne n'avait jamais réussi à prouver que cette arme existait bel et bien. Jusqu'à cette extrémité, ils n'avaient pas les moyens de rayer une planète de la carte, même les plus petites. Et puis Taehyun n'avait jamais entendu parler d'un peuple décimé, pas même de la bouche des vieux Généraux bureaucrates qui auraient pu connaitre cette époque.
Yeonjun passa une main dans ses cheveux rouges, visiblement mal à l'aise. Il ne souhaitait pas vraiment aborder le sujet, surtout pas avec un missionnaire originalement envoyé pour le tuer – ou simplement l'arrêter, peut-être – mais il s'en voyait obligé s'il voulait gagner la confiance du blond. Car le rebelle avait une petite idée derrière la tête. Il remarquait parfaitement l'étincelle dans le regard de Taehyun, une étincelle qui traduisait son attirance pour lui qu'il tentait de réprimer. Et le rouge avait bien envie de se servir de ce détail, en plus de la pitié qu'il devrait éprouver aussi après lui avoir conté son histoire, pour l'envoyer défendre sa cause devant son gouvernement. Yeonjun désirait que la Fédération assume ses actions, qu'ils s'excusent et qu'ils soient humiliés. La situation se retourneraient contre eux-mêmes, tout l'univers saurait que leur Grande Protectrice n'était en réalité que mensonges et illusions. Et qu'ils étaient capables du pire.
Néanmoins, pour cela, il devait parler de ce douloureux sujet. Yeonjun prit une grande inspiration, le regard vissé sur ses genoux pour se concentrer, et vérifia d'un rapide coup d'œil que son prisonnier était attentif. Taehyun l'était, pleinement. Il n'attendait que ça, que Yeonjun lui raconte son histoire dramatique. Après, il pourrait lui cracher qu'il ne le croyait pas une seconde, que le rebelle essayait juste de le faire tomber dans un piège et il l'incendierait de toutes les insultes qui lui passeraient par la tête.
― J'avais huit ans quand c'est arrivé. Mon peuple vivait déjà dans de drôles de conditions puisque Freyr – notre planète – était surveillée par la Fédération. Mais le jour du Regntidslutt, vous-
― Le quoi ? l'interrompit le blond.
― Une fête où on célébrait la fin de la saison de la moisson avec un grand défilé. Tout le monde y assistait et se concentrait dans l'avenue principale de Freyr, c'était très animé... une fête magnifique. C'était la première fois que j'y participais. Et ce fut la dernière.
Yeonjun fit une légère pause, tentant de refouler les larmes qui menaçaient au bord de ses yeux à la vague de souvenirs horribles qui le submergeait. Il devait poursuivre, dévoiler toute la vérité au blond, et surtout rester fort pour l'honneur de ses semblables.
― Le jour du Regntidslutt, vous êtes passés à l'action. En l'espace de quelques minutes, le feu s'est déchainé sur l'avenue principale, là où on défilait, et tout le monde est mort. J'ai réussi à y échapper et j'ai trouvé Kai. Puis un énorme vaisseau est arrivé, a tiré sur Freyr et notre planétoïde a commencé à se... à se disloquer. On a réussi à monter dans un transport de troupes au dernier moment. Avant que Freyr ne soit... totalement détruite.
Il releva les yeux pour les planter dans le regard boisé de Taehyun, pour qu'il y lise la véracité de ses propos et toute la haine, tout le désespoir, tout le désir de vengeance qu'il avait ressenti et qu'il ressentait encore à l'instant.
― J'ai tout perdu ce jour-là. Mon peuple, ma famille... ma maison... Et je suis le dernier représentant des skarpos, avec Kai.
Taehyun en resta bouche-bée. Il aurait voulu ne pas croire son ennemi, il aurait voulu n'éprouver ni compassion, ni tristesse, ni culpabilité. Ces sentiments n'avaient rien à faire ici, il était prisonnier du criminel numéro un de l'empire Fédéral, criminel qu'il devait capturer pour qu'il soit traduit en justice. Mais les yeux larmoyants de Yeonjun, ses lèvres tremblantes, sa mâchoire crispée, tout cela lui serrait le cœur. Il renifla, les larmes gagnaient petit à petit ses yeux à lui aussi. Yeonjun était sincère, il avait envie de croire son récit.
Mais que lui arrivait-il, bon sang ?
Le rouge se leva et disparut un moment derrière le fauteuil. L'instant d'après, il était de retour avec différents objets, dont l'un qui le fit loucher. Dans ses mains, il tenait une bouteille d'eau. Sa gorge se mit à le picoter un peu plus, il pouvait déjà imaginer la sensation du liquide frais réhydrater ses muqueuses. Son estomac se tordit à cette pensée, impatient d'avoir de nouveau quelque chose à digérer après un long moment, et Taehyun fut frappé par la faim. Il avait presque oublié les contractions de ses entrailles pendant le discours du rebelle, mais tout lui revenait maintenant.
― J'imagine que tu as soif...
Taehyun hocha vigoureusement la tête, et le regretta aussitôt quand le monde se mit à tanguer devant ses yeux. Il était faible, il devrait plutôt éviter tout geste brusque. Mais le besoin d'eau passait avant. Yeonjun versa l'eau dans un petit gobelet et s'approcha. Il glissa le liquide sacré sous le nez du blond pour qu'il le voie bien, mais ne fit pas un mouvement de plus. Taehyun eut envie de lever le bras pour se saisir du verre. Toutefois, les entraves l'en empêchaient. Il releva ses yeux boisés des petites vaguelettes translucides et scintillantes pour les plonger dans le regard du rouge. Et Yeonjun jubilait de le voir ainsi. Il était de retour sur le pont, quelques jours plus tôt, avec un Capitaine Kang à ses pieds, le suppliant d'épargner la vie de son ami. Désormais, il le priait de lui donner de l'eau. Cependant, le rebelle n'avait pas oublié la raison première qui l'avait poussé à garder le petit blond.
― Tu pourras boire, mais seulement si tu réponds à quelques questions.
― Quel genre de questions ?
― Qu'est-ce que la Fédération prépare contre moi ?
― Je répondrai pas.
Il éloigna immédiatement le gobelet d'eau du visage de Taehyun. Il avait besoin de ces réponses, des informations qu'aucune de ses précédentes victimes n'avait voulu lui communiquer. Tous ces militaires avaient été formés à se taire, même si leur vie en dépendait, et il s'étonnait de constater que chacun respectait cette règle. Pourtant, Yeonjun avait bon espoir que son prisonnier soit différent. Il avait remarqué un éclat dans ses yeux, la première fois qu'il l'avait vu en face de lui. Un éclat qui lui avait apporté une certitude : Taehyun n'était pas comme le reste des soldats de la Fédération. Et il espérait avoir raison.
― Tu préfères mourir ?
― S'il le faut.
Yeonjun soupira. Il abandonnait. Si son prisonnier mourait, il perdait sa possible seule chance de connaitre les plans de la Fédération. Aussi, en dehors de cette raison, quelque chose d'autre l'y poussait. Il ne savait trop quoi, ni trop pourquoi ce sentiment lui fendait le cœur, mais la simple idée de retrouver le petit blond sans vie sur ce fauteuil le lendemain matin le révulsait. Il approcha soigneusement le gobelet des lèvres du jeune homme et veilla à ce qu'il boive sans renverser d'eau. Taehyun ferma les yeux. La sensation était exquise, tellement qu'il oublia que c'était son pire ennemi qui le maternait de la sorte. Il s'en fichait bien, l'eau glissant dans son œsophage était sa seule préoccupation à l'instant. Il sentit les cellules du fond de sa gorge reprendre vie, sa langue pâteuse retrouver de sa vigueur et ses lèvres gercées s'assouplir au contact du liquide. Son corps était réhydraté et, quand le gobelet fut vide, il en redemanda. Yeonjun lui offrit sans broncher. Quitte à le garder en vie, autant le faire jusqu'au bout. Après un troisième verre, le rouge s'affaira à réhydrater un sachet de soupe lyophilisée dans une gamelle pour que son invité ait quelque chose de consistant dans l'estomac pour la nuit. Taehyun accepta le plat avec plaisir.
Yeonjun le laissa après ce repas, prétextant qu'il avait besoin de sommeil. Il lui souhaita une bonne nuit, veilla à laisser un des spots du plafond allumé pour ne pas plonger dans le noir complet son prisonnier. Et Taehyun se fit la réflexion que le rebelle était beaucoup trop gentil avec lui.
Dans ce nouveau silence, il détailla un peu plus la pièce, jusqu'à poser son regard sur une console. Une console qui annonçait la date et l'heure, selon le calendrier d'Yggdrasill.
Il avait passé trois jours dans sa prison infernale.
**
La soirée était plutôt avancée selon la console lui donnant l'heure, le besoin de se reposer se faisait sentir dans tout son corps endolori, et pourtant Taehyun ne trouvait pas le sommeil. Chaque fois que ses paupières se closent, il était de retour dans l'étroite cellule circulaire. Et les regrets l'assaillaient. Que faisait-il ici, à accepter volontiers que son pire ennemi le nourrisse ? Il se le demandait bien. Et pourquoi avait-il le sentiment que l'étrange gentillesse de Yeonjun était sincère ? Pourquoi appréciait-il cela ? Comment pouvait-il aimer être nourrir par le rebelle qui avait torturé et tué nombre de ses collègues ?
Il posa sa nuque contre le dossier inconfortable du fauteuil, les yeux fixés sur le plafond et les paupières résolument ouvertes. Il avait envie de dormir. Mais il ne pouvait pas. Il devait s'échapper, retrouver ses affaires – si elles n'avaient pas été détruites – et capturer Yeonjun. Il devait trouver un moyen d'honorer sa mission. Néanmoins, quelque chose l'en empêchait. Pas ses entraves, non, Taehyun n'avait besoin que d'un peu d'imagination pour s'en libérer. C'était quelque chose d'autre, un sentiment dans sa poitrine qui compressait son cœur quand il imaginait Yeonjun sur la place publique d'Yggdrasill, prêt pour son exécution. Il n'avait jamais vraiment éprouvé ce genre de sentiment, seulement vaguement le soir où il avait embrassé Beomgyu sous l'emprise de la drogue. Il l'avait pris pour quelqu'un d'autre et une boule de chaleur s'était formée dans sa cage thoracique. Ici, c'était différent. Il la sentait plus douce, plus agréable, mais aussi plus forte. Et Taehyun détestait ça.
Il était attiré par Yeonjun ? Et puis quoi encore... C'était stupide, ridicule.
Un bruit le fit se redresser sur son fauteuil. La porte se déverrouillait. Taehyun redouta aussitôt de faire face à un autre que Yeonjun. Car il s'était convaincu d'une chose pendant ses quelques heures de solitude : ce n'était pas lui qui l'avait gardé pendant des jours enfermé et en proie à ses démons. Alors n'importe qui d'autre pouvait en être responsable, il ne pouvait faire confiance à personne. A personne sauf à Yeonjun. Le constat le fit grimacer, voilà qu'il y repensait.
Derrière lui, le battant métallique se referma. Pendant un instant, un silence plana, et Taehyun crut que le visiteur s'en était allé. Toutefois, un pas se voulant discret lui annonça le contraire. Le nouveau venu semblait penser qu'il était endormi et ne souhaitait sans doute pas le réveiller. Mais pourquoi quelqu'un s'embêterait-il à ne pas perturber le sommeil d'un prisonnier ? Un autre pas, Taehyun se tendit imperceptiblement sous ses liens métalliques. Et si l'intrus venait avec de mauvaises intentions ? Il ne pouvait pas se défendre. Son cerveau tournait à plein régime. Face à des doutes tels, il devait réfléchir à un moyen de se séparer des entraves bloquant ses gestes. Mais il ne voyait pas comment faire. Le système était différent de tout ce qu'il avait pu connaitre et étudier à l'Académie. Il n'y comprenait rien. Pourquoi n'y avait-il pas de bouton à proximité, ni de trou de serrure ? Et pourquoi ne voyait-il pas la séparation des deux parties du lien ? La surface était parfaitement lisse et rien à sa base ne montrait que le morceau de métal se glissait dans la structure du siège. Même en cassant son poignet le plus possible vers son avant-bras, il n'atteignait pas le lien.
Un troisième pas. Une respiration plus forte.
Taehyun se tendit encore plus. Il retint son souffle. Que venait faire l'intrus ici ? Il tordit son cou pour tenter de voir derrière le dossier du siège, en vain. Soudain, une main s'abattit violement sur sa bouche. Taehyun cria, mais la main étouffait sa voix. Personne ne pouvait l'entendre d'ici, ainsi. Et c'était ce que son assaillant désirait, semblait-il. La grande main ne bougea pas de son visage, la poigne se raffermit même sur ses joues quand l'intrus fit le tour du siège. Les doigts s'enfoncèrent dans sa peau et deux pupilles noires, aussi obscures que la noirceur de la cellule de détention d'où il sortait, se plantèrent dans les siennes. Le garçon se mit à trembler. Une flamme de haine rugissait dans ces yeux. Et le nouveau venu lui adressait un sourire tout sauf accueillant.
Un sourire sadique.
tw : torture :) (pas de sang)
Ses cheveux blonds ondulés, ses oreilles pointues, son teint pâle et ses yeux bleu glacier à l'éclat plus terne que ceux de Yeonjun, il le reconnaissait parfaitement. Le gamin de l'ascenseur, Kai, celui qui avait kidnappé la Générale Mackenzie sans qu'il n'y fasse rien. Il avait envie de lui faire manger ses lunettes de protection directement sorties d'un laboratoire.
― Arrête de me regarder comme ça, je t'y ai pas autorisé.
La main pressée sur son visage le repoussa brutalement de côté contre le rabat métallique du siège. Taehyun s'y cogna douloureusement et un gémissement lui échappa. Sans qu'il n'ait besoin de le voir, il sut que Kai jubilait. C'était lui le monstre, et pas Yeonjun.
― Pourquoi j'écouterais un gamin ? répliqua le capitaine avec un élan d'audace qu'il accueillit volontiers.
― Oh, s'il te plait... on a le même âge. Alors ça marche pas avec moi, Capitaine.
Kai jouissait de nommer son invité par son grade d'officier, il s'en léchait les babines. La hiérarchie voulait qu'il s'adresse à Taehyun avec respect, le blond étant son supérieur puisque le skarpo n'était qu'un simple civil. Mais ici, c'était lui qui dominait le Capitaine. Les rôles étaient inversés et l'usage ironique de son grade l'amusait fortement. Il lui adressa un sourire en coin qui fit frissonner le prisonnier des pieds à la tête et disparut un instant derrière le siège. Dans la seconde qui suivit, le fauteuil se mouva pour se relever en position verticale. Le blond à la combinaison blanche était maintenant debout, les pieds posés sur une espèce de plateforme et le dos pressé contre un dossier à la forme radicalement différente et au confort moindre. Ses jambes tremblaient, il était encore trop faible pour qu'elles le portent correctement, et il serra les dents quand l'autre blond réapparut devant lui.
― C'est mieux comme ça, tu ne trouves pas ?
― Va te faire foutre.
― Pas très sympathique, l'invité. J'vois pas pourquoi 'Jun t'a sorti de là où je t'avais mis...
― C'était toi ?
― C'était drôle de te voir comme ça. A refaire.
Mais Taehyun ne voulait pas. Pour rien au monde il n'y retournerait. Pourtant, il sentait que ses volontés, aussi fortes soient-elles, ne pourraient rien contre la détermination et l'envie de le faire souffrir que Kai montrait. Il le voyait bien, ses lèvres tremblaient d'excitation rien qu'à cette idée. Aussi, l'objet pendant à sa ceinture qu'il triturait de sa main gantée ne présageait rien de bon pour lui. Taehyun avait déjà vu cette sorte d'arme, il l'avait étudiée à l'Académie. Et il souffrait d'avance. C'était une arme à la technologie avancée, développée par les équipes du rebelle Yeonjun, qui n'avait rien à voir avec leurs petits blasters inoffensifs. Elle utilisait une certaine fréquence de courant électrique alternatif qui faisait beaucoup de dégâts, notamment sur le système nerveux. Elle lésait les nerfs, les reconstituait puis les détruisait de nouveau avant de les raccommoder des dizaines de fois par seconde, en boucle durant son activation, et tout cela à distance et sans séquelles irrémédiables connues. Mais, sur l'instant, cette arme faisait vivre pire chose que l'enfer à ses victimes. Et Kai avait visiblement très envie de la tester sur sa pauvre personne.
― Si je te disais que je veux te faire souffrir pour avoir des informations, ce serait te mentir. Mais je vais le faire pour la forme.
― Pourquoi tu fais ça ?
― Parce que Yeonjun ne comprend pas que vous êtes tous des vermines dégoutantes. Tous autant que vous êtes. Et tu vas regretter d'être né, crois-moi. Maintenant, ne t'avise même pas d'appeler à l'aide. Ton cher Yeonjun dort à l'autre bout du MOA et cette salle est insonorisée.
Il n'eut pas le temps de voir le blond dégainer son taser qu'une affreuse décharge assaillit son corps tout entier. Il sentit ses cellules vibrer, ses nerfs se dissocier et se rassembler différemment de leur état initial. Il sentit ses membres se tordre, se crisper, ses muscles se déchirer sous la pression de la douleur, il sentit ses yeux se révulser. Et il peinait à garder le contrôle de son esprit. Sa boite crânienne le lançait, son corps se tordait sous les vagues de souffrance physique. Sa vision se troublait, sa conscience décrochait petit à petit. Il tira sur ses poignets pour se libérer des entraves. Mais la torture continuait, il ne pouvait rien y faire. Taehyun ferma les yeux, sa mâchoire se contracta. Ses bras se mirent à trembler de façon incontrôlable, au gré de la destruction et de la reconstruction de ses nerfs. Et Taehyun n'arrivait plus à supporter la douleur fulgurante qui traversait son organisme. Il sentait son cœur s'affoler dans sa poitrine, ses poumons aspirer de l'air en vain. Et ses cellules nerveuses qui continuaient leur pénible manège.
Il retenait le cri qui s'était formé au bord de ses lèvres. S'il criait, Kai aurait ce qu'il désirait. Et Taehyun ne voulait pas ça. Mais la douleur était intolérable. Il ne comptait plus les secondes, mais peu de temps s'était écoulé. Très peu de temps. Un instant. Deux secondes. Pourtant, il avait l'impression d'avoir vécu des années sous cette torture. Et puis, d'un coup, tout s'arrêta.
Ses cellules se replacèrent une dernière fois. Il les sentit parfaitement au plus profond de son être. Ensuite, ses membres le lâchèrent complètement. Seules ses entraves le maintenaient désormais debout. Il rouvrit les yeux, retrouvant petit à petit les sensations au bout de ses doigts. L'air frais sur la pulpe de ceux-ci, l'humidité sur ses joues. Et le regard, ce regard, qui sondait son esprit. La flamme dans le fond de la pupille de Kai était devenue plus vivace encore. Il avait pleuré, crié aussi, sans doute, et l'autre blond en avait jubilé. Il était proche, très proche. Taehyun déglutit avec difficulté. D'ici, il pouvait parfaitement lire la haine incommensurable que le garçon éprouvait pour lui. Pour lui et le reste de son espèce.
― On recommence.
Cette fois-ci, il ne retint pas le cri déchirant qui écorcha ses cordes vocales. Taehyun cogna sa tête contre le dossier du siège, il se tordit le cou pour espérer échapper à la torture. Mais la sensation physique de ses nerfs se déstructurant le long de ses bras et de ses jambes, au sein de sa cage thoracique et de ses entrailles se tordant sous la douleur était bel et bien là. Il n'y pouvait rien. Il n'y échapperait pas ainsi. Un autre cri lui râpa la gorge, il n'arrivait plus à contrôler ses réactions. Il entendait vaguement le rire malsain de Kai derrière ses gémissements. Un flot plus douloureux lui lacéra le torse, il devinait confusément que l'arme était entrée en contact direct avec son abdomen. Un nouveau hurlement lui déchira les poumons. Sa conscience vacilla. Il rouvrit les yeux, seulement pour les plonger dans les deux orbes obscurs penchés sur lui.
Et il sombra pour de bon.
fin du tw
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* *
An 3040, 19 octobre – selon le calendrier d'Yggdrasill
Yeonjun s'était levé de bonne heure en cette nouvelle matinée. Ce n'était pas dans ses habitudes mais le MOA avait besoin de son capitaine. Dans sa grande suite, il se concocta un léger petit-déjeuner et s'engagea, une fois prêt, dans les longs et sinueux couloirs de son vaisseau. La navette amirale était immense, afin d'accueillir ses activités, et il le regrettait souvent quand il avait à traverser les quelques dizaines d'étages qui le séparaient de la passerelle de commandement. Un système de petites navettes faisant le trajet avait été mis en place mais il n'était pas encore tout à fait opérationnel. Alors, ce matin encore, il se munissait d'un peu de motivation et de beaucoup de soupirs pour rejoindre le poste de commande.
Sur le pont, chacun des techniciens installés derrière leurs ordinateurs se leva pour le saluer respectueusement, et Yeonjun leur intima d'effectuer un travail de qualité pendant qu'ils étaient encore en vitesse supraluminique. L'un d'eux l'informa qu'ils n'étaient plus suivis par l'équipage du Capitaine Kang et le rebelle s'en vit rassuré. Non pas qu'il les craignait, mais ces gens voulaient à tout prix récupérer leur chef alors qu'il n'en avait pas fini avec lui. Face à l'espace aux étoiles striées par leur vitesse élevée, les mains croisées dans son dos, Yeonjun songeait. Il songeait à son plan vis-à-vis de Taehyun. L'objectif était de gagner sa confiance afin que le blond lui confie les informations les plus sensibles de lui-même, mais aussi dans le but qu'il révèle toute la vérité sur le génocide de Freyr à l'ensemble de la Fédération. Le Capitaine Kang était un officier respecté, côtoyant directement le Président et vraiment pris au sérieux, lui avait rapporté son camarade skarpo. Il avait une influence irréfutable dans les hautes sphères du gouvernement. Si Taehyun revenait sur Yggdrasill et faisait éclater au grand jour toute la vérité, il n'y avait aucun doute que l'empire tout entier en serait informé. Et une révolte s'ensuivrait. Yeonjun travaillait beaucoup avec les peuples colonisés par la Fédération, des peuples qui, le plus souvent, n'acceptaient pas cette domination coloniale. Il ne suffisait que d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres.
Et cette étincelle serait le Capitaine Kang.
A l'instant où il se faisait la réflexion que l'heure était maintenant venue de retourner voir le petit blond, la porte de l'ascenseur s'ouvrit sur son bras droit, Kai. Celui-ci avait un visage rayonnant et Yeonjun se demanda bien quelle victime avait-il eu le loisir d'interroger cette nuit. L'évidence ne le traversa pas sur instant, il ne se doutait pas une seconde que le pauvre ayant subi la rage vengeresse du blond aux oreilles en pointes pouvait être Taehyun. Et Kai feint d'avoir uniquement eu un sommeil réparateur.
Yeonjun lui ébouriffa les cheveux et Kai partit vaquer à ses occupations. Puis le skarpo laissa son équipage sur la passerelle pour rejoindre le département des cellules de détention, à l'étage le plus inférieur. La matinée n'était pas encore bien avancée mais son vaisseau grouillait déjà de vie. Chacun de ses camarades s'affairait à contrôler le bon fonctionnement du bâtiment et des armes, d'autres s'occupaient de préparer les quelques missions prévues dans la journée. Il croisa un groupe de jeunes recrues en pleine patrouille et les salua d'un grand sourire. Yeonjun était heureux de voir de nouveaux partisans rejoindre sa cause. Cela prouvait qu'il ne s'était pas acharné à construire cet empire rebelle pour rien. De nombreux peuples comptaient sur lui.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur un couloir complètement plongé dans le noir. Un couloir froid et silencieux, à peine perturbé par le vrombissement du système d'aération. Il laissa la cage blanche illuminée, réajusta son uniforme de bord vert pomme et s'engagea dans ce sinistre corridor, jusqu'à une porte métallique qu'il déverrouilla d'un simple contact de sa main. Le déclic du système du battant se fit entendre. La paroi métallique se décala. Et un étrange sentiment s'empara de son être.
Un mauvais pressentiment.
Yeonjun se précipita dans la pièce aussitôt eut-il assez d'espace pour se glisser dans l'entrée. L'obscurité le frappa en premier lieu, il était pourtant persuadé d'avoir laissé une veilleuse pour garantir un minimum de confort à son prisonnier. Puis il remarqua aucun son ne s'élevait du fauteuil qui lui tournait le dos. Même pas une respiration indiquant qu'il dormait simplement. Le rouge s'avança d'un pas. Et si Taehyun était mort ? Mais comment se pourrait-il ? Il s'était assuré de nourrir le blond pour lui redonner des forces après... ce fâcheux incident, et le Capitaine avait semblé en bonne santé quand il l'avait quitté. Une soudaine panique l'envahit, il ne savait trop pourquoi. Après tout, si l'officier mourait, il n'avait qu'à en capturer un autre pour mettre son plan à exécution... Mais ce sentiment était pourtant là, contre sa volonté, et lui retournait les entrailles à l'idée de découvrir le petit blond sans vie.
Il n'attendit pas avant de faire le tour du siège. La première chose qui le frappa, ce furent ses poignets et sa lèvre inférieure ensanglantés. Ainsi que cette expression crispée sur son visage... Taehyun avait souffert, c'était certain. Mais pourquoi ? Comment ? Que c'était-il passé ici ? Et la vérité le frappa quand le skarpo remarqua la position du siège. Il avait été redressé, en position verticale. Une habitude propre à Kai quand il s'abonnait à des interrogatoires brutaux.
L'arme posée sur le tabouret, non loin du fauteuil, ne fit que confirmer son hypothèse. Sur l'instant, Yeonjun avait juste envie de retourner voir son cadet pour lui cracher son venin. Mais il ne pouvait pas laisser Taehyun dans cet état, et décida alors de le ramener dans une des chambres libres de ses quartiers privatisés – le privilège d'être le chef de bord de cet immense vaisseau – en attendant son réveil.
Ensuite, et seulement après s'être assuré de la bonne santé de son prisonnier, il irait toucher deux mots à son camarade.
**
Une agréable sensation de chaleur se promenait doucement, depuis quelques instants déjà, sur sa joue. Taehyun n'eut pas le cœur à ouvrir ses paupières, il voulait profiter de ce moment de sérénité. Son corps entier le faisait souffrir, mais ces draps soyeux à l'odeur fraiche lui donnaient l'impression d'être enveloppé dans un pétale de fleur. Et la sensation était exquise. Il ne se souvenait de rien avant cet instant. Mais sans doute était-il sur Tyr, dans son lit, dans son appartement, et ce toucher caressant sa peau était un rayon de soleil. Mais quelque chose ne collait pas...
Le soleil ne jouait pas ainsi avec les mèches de ses cheveux.
Néanmoins, ce toucher était si agréable qu'il n'osa pas ouvrir les yeux. Il était désormais à peu près réveillé mais, lorsque la main glissa dans sa chevelure jusqu'à sa nuque, le frisson parcourant son échine manqua de le faire replonger dans le sommeil de plomb dont il émergeait tout juste. Taehyun se souvenait d'une étrange sensation de froid et de désespoir, et d'une douleur déchirant son corps. Certaines brides de souvenir lui revenaient, notamment quelques images floues d'une pièce singulière, totalement circulaire, et d'une chevelure rouge. Mais il n'avait pas vraiment envie d'y songer s'avantage sur l'instant. Un agréable sentiment de bien-être fourmillait jusqu'à la pointe de ses orteils, il en oublia ses membres endoloris. Et, dans un soupir d'aise, le blond laissa le sommeil le cueillir une nouvelle fois.
*
― Oui, d'accord, c'est moi qui l'ai un peu secoué hier soir.
― « Un peu secoué » ?! Il s'est évanoui de douleur !
Taehyun ouvrit difficilement les yeux, dérangé par le bruit provenant du couloir. Qui pouvait bien se disputer à une heure si matinale devant la porte de son appartement ? Sans doute Soobin et Beomgyu qui venaient lui rendre visite... Mais Soobin ne criait jamais, et ces mots n'avaient aucun sens venant de la bouche de l'un ou l'autre. Le blond se redressa, une main pressée contre son abdomen douloureux, et tenta de trouver une explication rationnelle à tout cela. Ces deux-là pouvaient être de ses voisins...
Ou alors il n'était pas chez lui.
Malgré la pénombre de la pièce, il remarqua en plissant les yeux que l'agencement était bien différent de son appartement. La tête de lit jouxtait un mur, il n'y avait pas de coin salon, ni de cuisine. Et la porte coulissante entrouverte, en face du lit, ne lui disait rien. Les voix venaient de l'autre côté. Le blond repoussa le drap léger qui couvrait ses jambes et se hissa hors du lit. Il glissa un pied sur le sol frais et manqua de crier quand son orteil frôla une chose non identifiée. Il retira aussi vite sa jambe, remontant sur le matelas. Il n'avait aucune idée d'où il se trouvait, son corps lui faisait souffrir le martyre, et voilà que des choses étranges se faufilaient entre ses pieds. Taehyun tenta de nouveau de reposer pied à terre. Et la chose n'avait pas bougé. Il la tata, sans qu'aucun mouvement ne se fasse sentir sous sa plante, et se fit la réflexion que la chose n'était sûrement qu'un vêtement.
Derrière la porte, le ton monta, et le jeune homme se demanda s'il ne devait pas plutôt rester ici et feindre de dormir encore.
― Faut que t'arrête de torturer tout ce qui bouge, Kai !
Taehyun, qui s'était reglissé sous son drap silencieusement, la tête presque plongée dans l'oreiller pour cacher le possible tressaillement de ses paupières si quelqu'un venait vérifier qu'il dorme, fit volte-face. Ce nom, il le connaissait, il retentissait en lui. Et ses doigts en tremblaient. Ce nom était associé à la douleur dans son esprit.
Et il se souvint bien vite pourquoi.
Il était sur le vaisseau de son ennemi. Les deux se disputant n'étaient autres que le rebelle qu'il pourchassait et son camarade qui lui avait fait vivre l'enfer la veille – était-on au moins le lendemain ? – et il n'était plus dans sa cellule.
― Bordel Yeonjun, ouvre les yeux ! C'est un officier de la Fédération !
― J'vais voir s'il est réveillé. Et toi, on se reparle au diner.
Le ton du commandant avait été sec, tellement que Taehyun se crispa sous la couette. Il venait, il entendait ses bottines claquer contre le parquet de la pièce voisine. Et le blond fit tout pour ne pas paniquer quand le trait de lumière sur le sol s'élargit. Yeonjun était gentil, il ne lui ferait pas de mal. Mais le cœur de Taehyun ne put s'empêcher de s'emballer.
― Taehyun, je sais que tu es réveillé.
**
*sort précautionneusement de son bunker* bonjour :)
Oui vous pouvez me traiter de monstre, de psychopathe, de sadique et autres, je l'assume complètement :) Hâte de lire vos petits commentaires :D
Bref on se revoit mardi prochain pour le prochain épisode de Taehyun le prisonnier mais pas trop youpiiiii GROS BISOUS
(me tuez pas svp)
29/03/2022
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