Voyage - Partie 4
Shiganshina, Mur Maria, 1er Octobre 850
Livaï descendait des escaliers, seau à la main et balai sur l'épaule. Ce jour-ci, il avait décidé de faire le grand ménage dans le nouveau quartier général, dont l'entretien avait été négligé à cause de la masse de travail suite aux révélations du père d'Eren.
La dernière semaine avait été mouvementée : les officiers n'avaient fait que naviguer entre les négociations avec Zackley, l'étude de l'endroit où se trouvait la machine numéro sept, l'abattage des derniers titans et la réhabilitation de Shiganshina. Si lui n'était pas plus fatigué que d'habitude, les autres en pâtissaient ; même Hansi commençait à avoir des cernes.
Il passa dans le rez-de-chaussée, où les soldats lavaient activement le sol. Bon sang, ces baraques sont dans un sale état... maugréa-t-il intérieurement. Du coin de l'œil, il inspecta leur travail ; une tache attira subitement son attention. Irrité, il s'approcha de Conny, en charge de cette partie du couloir.
« Springer, articula-t-il, menaçant. Tu m'expliques ce que ça fout là ?
— Caporal ! J'allais y venir...
— Vas-y plus vite, lâcha-t-il d'un ton sec. »
Il tourna les talons, piqué au vif. Heureusement, le reste était presque parfait, et il put inspecter les autres étages d'une humeur un peu moins massacrante. Tout se déroulait comme prévu, malgré le fait que seules les nouvelles recrues issues de la 104ème Brigade d'Entraînement étaient présentes.
Bientôt, il se retrouva à traverser la cour carrée pour rejoindre les écuries. Il tourna vers les boxes, s'attendant presque à entendre Marion râler ; lorsqu'il réalisa, une énième fois, qu'elle n'était pas là, il s'arrêta un moment. Bravo, tu viens une nouvelle fois d'oublier qu'elle avait pris la poudre d'escampette, se jeta-t-il.
Seul le chant des oiseaux l'accueillit quand il pénétra l'un des bâtiments. Quelques brins de paille étaient restés entre les dalles. « Historia », appela-t-il. La jeune fille sortit d'un compartiment, ses grands yeux bleus tournés vers lui.
« Caporal ! » Elle le salua, tapant vigoureusement le centre de son torse de son petit poing. « Il reste des saletés », lui signala-t-il, courroucé. « Recommence tout depuis le début. » Un air affolé se peignit sur son doux visage. Elle attrapa le balai sans attendre et s'appliqua à la tâche.
Il la laissa pour son propre bureau, et retroussa ses manches. La poussière a eu le temps de se poser, en dix jours. Une expression sinistre envahit sa figure. Il attrapa un chiffon impeccable et le secoua un moment. Mais elle ne va pas me résister très longtemps.
Le petit homme ouvrit énergiquement la fenêtre, attrapa une boîte et y plaça chaque livre et chaque pile de papiers posé sur ses meubles, les dépoussiérant soigneusement au passage. Il fit de même avec ses rares crayons, puis plaça le rangement dans sa propre chambre, accompagné du coffre de cuir qui ne quittait habituellement jamais son espace de travail. Il mit ensuite les chaises sur le bureau et se tourna vers les autres ustensiles de ménage.
Prenant bien soin de n'oublier aucune impureté, il éradiqua minutieusement chaque grain de poussière de ses meubles, les cira, fit les vitres et passa le balai. Trente minutes plus tard, il inspecta le moindre recoin de la pièce, ses yeux clairs plissés.
A sa grande satisfaction, tout était parfaitement propre... Mis à part le sol. Il pouvait les voir, ces traces de pas infimes qui tâchaient ses belles dalles. L'œil menaçant, il les fixa un long moment, et attrapa une serpillère. Crevez.
Il trempa l'outil dans le seau d'eau tiède savonnée et s'élança, frottant et grattant la pierre avec vigueur. Mes chaussures sont impeccables. S'il en reste encore, c'est plus grave que ce que je pensais. Dents serrées, il se battit avec la terre qui tâchait abominablement son espace.
Quelqu'un ouvrit subitement la porte ; encore agenouillé, il se retourna. Hansi se tenait là, et s'apprêtait à avancer dans la salle. Le regard de Livaï se fit noir. « Ne touche pas le sol, salope de bigleuse ! » lui jeta-t-il avec hargne. Elle le gratifia d'un air étonné.
En deux bonds, il l'envoya balader d'un puissant coup de pied dans le ventre. Elle s'écrasa contre le mur du couloir ; l'incompréhension se peignit sur son visage lorsqu'il lui claqua la porte au nez. Bordel ! Maintenant qu'elle a failli rentrer, je dois tout recommencer...
Une heure plus tard, il sortit de son bureau et retira le chiffon qui lui couvrait la bouche et le nez. La chef d'escouade l'attendait toujours, se frottant la tête en grimaçant.
« Qu'est-ce que tu veux ? lâcha-t-il.
— Erwin veut que tu t'occupes de Samuel, expliqua-t-elle en se relevant avec difficulté.
— Putain... »
Il s'essuya les mains contre un chiffon, et remit droit le bout de tissus blanc qui lui servait de cravate. « Tu frappes et tu attends que je te dise de rentrer. Ça va rentrer dans ton cerveau bourré de merde, à la fin ? »
Tournant les talons, il la laissa plantée là. Elle m'a mis dans l'état parfait pour un interrogatoire. Il retrouva vite son expression impassible, se fit une tasse de thé bouillante, entra les cachots et enfila des gants. Je n'ai pas eu l'occasion de le torturer depuis que Marion et moi sommes arrivés à Shiganshina...
Comme avec tous les ennemis qu'ils avaient capturés, ils ne lui avaient arraché que des informations dérisoires. Erwin lui-même n'était pas parvenu à plus de résultat. Ils espèrent que les choses changeront si la personne qu'il a déjà réussi à tromper lui massacre la tronche ?
Il posa la main sur la poignée d'une lourde porte de bois. Enfin... C'est Erwin qui l'a demandé. Il doit avoir un plan derrière la tête, comme d'habitude. Il ouvrit la pièce ; l'entrée dessina un carré de lumière jaune sur Samuel, agenouillé et enchaîné.
L'homme releva la tête vers lui, dévoilant un visage livide marqué de cernes et de contusions. Malgré son état, un rictus se dessina sur ses lèvres fendues en voyant le caporal-chef. Celui-ci plissa les paupières. Il se fout ouvertement de moi.
Il avança vers une petite table et observa les instruments à disposition. Pinces, ciseaux, couteau... Clous et marteau ? remarqua-t-il avec une légère surprise. Il observa son ancien subalterne, à qui il manquait déjà plusieurs dents et ongles. C'est un coriace. Si je ne joue pas le jeu, il ne dira rien.
Il s'approcha de lui et s'accroupit, se mettant à sa hauteur. « T'es bien amoché, hein. » Une once d'étonnement passa dans le regard vert de l'autre, qui semblait s'attendre à des coups et du sang. « Comment est-ce qu'on en est arrivé là ? » Cette fois-ci, il ne cacha pas sa stupeur.
Livaï se leva, bras croisés, et le scruta un long moment.
« Je t'ai fait une tasse de thé, lâcha-t-il.
— Caporal... souffla l'autre.
— Quoi ? demanda-t-il en faisant volte-face, attrapant le récipient.
— Je ne comprends pas. »
Le petit homme s'arrêta, et posa un regard indéchiffrable sur le prisonnier. « Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? » L'intéressé déglutit, ne sachant manifestement pas quoi penser.
« Vous me faites une tasse de thé alors que j'ai mené à la mort toute votre escouade.
— C'est vrai.
— J'ai tué Cindi de mes propres mains.
— Je l'avais deviné.
— J'ai même voulu enlever Marion !
— Tu n'es pas le seul. »
Il pinça les lèvres, légèrement frustré. Voilà ce qu'il faisait avec les autres. Il trouvait une faille pour leur faire perdre leurs moyens. Il y est même arrivé avec Mike. Avec Erwin, il a seulement dû rester muet. Mais moi... Il m'avait vu, torturer les ennemis capturés sur Shiganshina. Jamais je n'aurais gâché mon thé pour des ordures de son genre.
« C'est vrai, finit-il par clamer. Tout le monde la convoite, celle-là.
— En effet, se contenta de dire Livaï en s'asseyant sur une chaise.
— Et puis... Elle le mérite bien, de toute façon. »
Il le gratifia d'un air interrogateur.
« Elle nous revenait, au début, quand même !
— Oh.
— Ce qu'elle a subi dans les Bas-fonds n'était que ce qu'elle a gagné.
— Mmh-mmh. »
Contrarié, l'ancien soldat serra les dents. « Ils se sont bien amusés, avec elle, hein ? Enfin, ce ne sont pas les seuls. Vous aussi, il me semble », se délecta-t-il, l'œil plissé. Moi aussi ? Gardant son masque impassible, il se limita à un hochement de tête, faisant écarquiller les yeux de son interlocuteur. Il pense donc que je me tapais la mini-binoclarde, et joue dessus...
Ce dernier scruta son supérieur un long moment. Son calme apparent commençait à se fissurer. Rien que son approche était merdique. Sa tranquillité, il l'avait perdue d'avance...
« C'est dégueulasse, finit-il par lâcher. Vous avez plus de trente ans, quand même, et elle, dix-huit.
— Peut-être. »
Dix-huit ?
« Et en plus, vous en avez rien à foutre !
— Je devrais ?
— Vous vous l'envoyez, elle mérite un minimum de respect... »
Ce type est vraiment tordu. Même après avoir dit qu'un viol n'était pas problématique, il tente de garder un semblant de galanterie. Il le scruta un long moment. Sa face reflétait tantôt de l'ironie, tantôt de l'amertume. Je vois, comprit-il soudainement. Il commence à perdre la tête... Ça fait dix jours qu'il est enfermé ici.
« Vous ne vous énervez pas ? finit par demander le blond, crispé.
— Non.
— Mais j'ai massacré votre équipe !
— C'est chose faite.
— J'ai même commandité cette opération, ragea-t-il.
— Tes supérieurs doivent être fâchés qu'elle ait échoué.
— Je n'en sais rien ! »
Il se mit à trembler, les yeux exorbités. Tout son être le priait de le frapper ; Livaï n'en fit rien, se mettant d'autant plus à l'aise. Et avec ça, il ne supporte pas que je ne lève pas le petit doigt... « Est-ce que vous m'en voulez ? » Il resta parfaitement muet, et l'agitation de l'autre doubla.
Ils restèrent ainsi un long moment. La pression chez l'homme augmenta, augmenta encore, le rendant rougeaud, puis verdâtre. Les chaînes attachant sa main et ses pieds cliquetèrent au rythme de ses soubresauts toujours plus intenses. Bientôt, il se retrouva sur le point d'exploser.
Encore un tout petit peu... songea le caporal-chef en sirotant tranquillement son thé. Cette fois-ci, le détenu éclata de fureur, ou de désespoir ; il fut incapable de les dissocier l'un l'autre. « Mais bordel, tapez-moi ! » s'époumona-t-il, tirant sur ses menottes comme un forcené. « J'ai fait de la merde ! Tapez-moi ! Je le mérite, à la fin ! Tapez-moi ! »
Il le laissa hurler une bonne dizaine de minutes. « Tapez-moi... » se mit-il à gémir pitoyablement. « Je vous en supplie... » Le petit homme se dressa juste devant lui.
« Marion a disparu, articula-t-il.
— Disparu ? souffla Samuel. Comment ? Ils l'ont récupéré ? On a gagné ? J'ai...
— On suppose qu'elle s'est fait transférer.
— Transférer ? Impossible. Nous n'avons pas le code de son implant. Impossible, vous mentez. Vous mentez !
— Je ne mens pas. »
Son visage se décomposa lentement.
« Les autres... murmura-t-il rapidement. La R2.0... L'ont récupérée... Personne d'autre n'aurait pu. J'ai échoué... Mon dieu, j'ai échoué... pleurnicha-t-il, de la morve coulant de son nez. Ils vont me tuer... Ma famille... Ils ont ma famille ! s'écria-t-il.
— Pauvre de toi.
— Vous ne comprenez pas ! Ils vont tuer ma famille ! J'aurais préféré crever ici ! Ils ont tout pris, dès mon entrée dans la division spéciale... Ma famille... Ils leur ont mis un couteau sous la gorge...
— Et tu en as mis un sous celle de Marion et de mon équipe.
— Je n'avais pas le choix... Vous auriez fait quoi, à ma place, hein ?, s'insurgea-t-il.
— Je ne sais pas. »
Il le fixa longuement, interdit. Livaï attrapa sa tasse brûlante et se posta devant lui.
« Où est la machine numéro sept ?
— La machine... La machine numéro sept... ? »
Samuel s'étrangla.
« Comment est-ce que vous savez...? souffla-t-il, le visage détruit.
— Réponds à ma question.
— Comment est-ce que vous savez ? tempêta-t-il en se démenant éperdument avec ses chaines. »
Du sang se mit à couler de sa main, écorchée à vif. Il poussa un cri et s'arrêta. Le revoilà sensible. Le petit homme s'approcha tranquillement de lui et lui écarquilla brusquement deux paupières, les empêchant de se recoller malgré leurs réflexes compulsifs. « Où est la machine numéro sept ? » répéta-t-il, une expression effrayante sur le visage.
L'autre serra les dents, s'empêchant de parler. Le caporal-chef leva son autre main et versa trois gouttes de thé bouillantes sur l'œil du prisonnier. Ce dernier poussa un hurlement déchirant. Devenu fou, l'organe tourna dans tous les sens ; la pupille s'affola affreusement, se dilatant et se rapetissant de manière frénétique, et le blanc laissa la place à un rouge écarlate.
Son supérieur garda ses doigts en place. « Où est la machine numéro sept ? » articula-t-il pour la troisième fois. Le détenu déglutit.
« Je ne sais pas, déclara-t-il précipitamment en voyant la tasse pencher de nouveau.
— Oh ?
— Vraiment ! s'écria-t-il, paniqué. »
Son bourreau ne l'écouta pas, et plongea violemment son pouce, son index et son majeur autour du globe oculaire de l'autre. Un liquide vermeil se mêla aux larmes de ce dernier, qui s'époumona de plus belle, fendant les tympans du plus petit. Celui-ci, dents serrées, resserra sa prise. « Crie moins fort, petite merde. Je vais devenir sourd », lâcha-t-il en bougeant les doigts sous la peau du torturé.
L'ancien soldat devint incontrôlable ; ses mugissements suraigus sortirent du cachot, envahirent le hall d'entrée, emplirent le rez-de-chaussée, remontèrent tous les étages et explosèrent à l'air libre, faisant fuir les oiseaux posés sur le toit.
« C'est quoi, ce bordel ? » s'exclama Sasha, postée sur le sommet du bâtiment, les yeux écarquillés. Jean, l'air horrifié, dirigea son regard vers le bas. Tous les deux étaient chargés de monter la garde. « Je crois que le caporal est en train de se charger du traître », devina-t-il d'une voix légèrement tremblante.
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