Vers l'inconnu et au-delà - Partie 6

Trois cadavres frais, à la chair éclatée, étaient étalés sur l'asphalte triste de la base américaine. Au milieu se dressaient un Livaï et une Annie indifférents au pourpre dans lequel baignaient leurs bottes. Les deux venaient de décimer la patrouille, et avaient enfin atteint le bout des bâtiments bétonnés.

Marion, dissimulée derrière le feuillage des arbres bordant le terrain, sortit prudemment de sa cachette. Livaï la regarda, et hocha la tête ; elle les rejoignit sans attendre, le nez froncé. Elle évitait à tout prix de regarder une nouvelle fois la mort en face.

Les massacrés lui hantaient l'esprit. Comment avait-elle pu tuer autant ? Pour le bien de l'humanité, lui souffla une voix. L'ironie de sa situation lui arracha un rictus. Elle le ravala bien vite : les yeux clairs de son supérieur la scrutaient.

« Bien. Erwin doit bientôt nous rejoindre. On retourne dans la forêt. » Les soldates hochèrent la tête, et le suivirent dans les fourrés. Un chêne épais se présenta à eux : ils s'y lancèrent sans attendre.

La blonde et l'homme, avec leur équilibre à toute épreuve, purent se percher plus haut, mais la lycéenne dut se contenter d'une branche basse. Elle s'accroupit, légèrement tremblante. Son cœur battait à tout rompre : de là où ils étaient, ils pouvaient observer ce que les bâtiments mornes tentaient de cacher aux envahisseurs.

Dans un espace rectangulaire que délimitait la base formant un U, un cabanon de béton, certainement un poste de surveillance, se dressait. Puis, un large parc accueillait, à la manière de l'ex campement sud, une dizaine de titans amorphes, aux membres à demi développés. De la vapeur s'élevait de leur corps maigrelet.

Un bourdonnement sourd s'éleva alors juste derrière l'oreille de la chercheuse. Elle sursauta, et se retourna d'un bond : un frelon énorme fonçait vers elle, dard en avant. Un cri se forma au fond de sa gorge. Mais avant qu'il n'ait pu sortir à l'air libre, un éclat lui passa juste devant le nez.

Le caporal-chef venait, d'un simple geste, de trancher la bête en deux. Il rangea sa lame. La manière dont il la regarda ensuite ne voulait dire qu'une chose : « Ferme ta gueule. » Il ne lui en fallut pas plus pour obtempérer.

Enfin, la chevelure blonde d'Erwin et le reste de son escouade se dessinèrent au loin. Leurs armes aussi étaient ensanglantées. Ils s'arrêtèrent à une vingtaine de mètres avant le découvert pour descendre de leur cheval. Là, ils les rejoignirent en manœuvre tridimensionnelle.

A la grande surprise de Marion, Angela n'était pas là.

« Où est Haussman ? demanda Livaï sans attendre.

— Partie en éclaireur dans la forêt. Elle a entendu des bruits suspects. Elle devrait nous rejoindre d'ici peu. »

Ils échangèrent ensuite leur compte-rendu de la situation : rien n'était à signaler mis à part le léger remue-ménage dont la guerrière s'occupait, et tous les ennemis croisés avaient été réduits au silence. Le major lui fait assez confiance pour la balancer dans un souci qui pourrait être de taille... Elle devrait bientôt être gradée, songea la scientifique.

Après tout, même si la brune aux discrètes tâches de rousseur avait un sale caractère, il était indéniable que son niveau était impressionnant. Si elle arrivait à gérer ses responsabilités, elle deviendrait certainement cheffe d'équipe.

« Tout se passe comme prévu », reprit Erwin. « La machine numéro sept devrait se trouver dans le bâtiment juste en face de nous... C'est bien cela, Leonhart ? » L'intéressée hocha la tête. « Nous avons les explosifs. Seulement, je ne sais pas s'ils suffiront pour abattre ces murs. De plus, ils alerteraient les deux trios postés en face de l'enclos à titans... Cela relève du miracle qu'ils ne vous aient pas repérés. »

Il ferma les yeux un instant. « Marion. » Elle sursauta.

« Oui ?

— Que penses-tu de la situation ?

— Hein ? Moi ?

— On n'a pas trois ans, coupa le petit homme. »

Elle déglutit. « Je pense qu'on devrait rester sur l'approche discrète qu'on a commencée. Moins on aura d'ennemis sur nous, plus nous pourrons agir librement. » Elle inspira longuement. « Après tout, jusque-là, nous ne nous sommes pas faits repér... »

Une puissante alarme la coupa net dans son propos. Le bruit suraigu provenait directement de la base adverse : déjà, une équipe de soldat sortait en trombe de l'aile centrale. Tous dégainèrent leurs épées, à fleur de peau.

Comment est-ce qu'ils nous ont repérés ? Elle serra les dents, tremblante. On est dans la merde. Bordel, on est dans la merde ! On n'a plus qu'à foncer ! « Nicholas, va prévenir les charrettes d'explosif. Qu'elles nous rejoignent ! » déclara justement Erwin. Il obtempéra, et partit à toute allure.

« Oh, Erwin, maugréa Livaï. Tu es sûr de ton coup ? Ils sont plus nombreux, et mieux armés que nous.

— Non, nous sommes à notre avantage.

— Comment... »

Une explosion tonitruante le coupa net. De l'autre côté des bâtiments, un éclair frappa le sol, et un titan qu'ils connaissaient bien se métamorphosa. Marion écarquilla les yeux tandis qu'il envoyait balader les individus d'un simple coup.

Elle aurait reconnu ces pupilles rouges entre mille.

***

« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! »

Ymir, en rappel sur un tronc épais, serra les dents lorsque la sirène et la détonation lui vrillèrent les tympans. « Après nous avoir repéré, ils envoient un titan sur notre gueule ! » Elle trancha le vide de sa lame, furibonde. Une main se posa alors sur son épaule.

« Ymir, calme-toi », coupa Historia. L'intéressée fronça le nez, résignée. Armin s'approcha à son tour.

« Je ne pense pas que ce titan soit des leurs.

— Tu veux dire que c'est Eren ?

— Non plus. Tu ne trouves pas ça étrange, que le plan d'Erwin n'ait pas recouvert l'aile Est ? »

Ses sourcils, d'abord froncés, se haussèrent d'un coup. Ni des nôtres, ni des leurs... Isaac ?!

« Mais c'est notre ennemi !

— Plus maintenant. Depuis la base Sud, il ne fait qu'errer.

— Il va vouloir la récupérer, alors ! jeta Jean.

— Je ne sais pas. »

Il baissa légèrement la tête ; ses cheveux blonds cachèrent partiellement ses yeux bleus. « Mais une chose est sûre : si cette base est prise, Marion sera encore moins exposée au danger. Pour l'instant, il est de notre côté. »

Tous y réfléchirent un instant, jusqu'à ce qu'un bruit de course dans les fourrés les alerte. Ce fut avec soulagement qu'ils reconnurent les cheveux bruns et les tâches de rousseur d'Angela. Celle-ci s'arrêta en face d'eux.

« Bien. Je viens tout droit de l'escouade d'Erwin. Historia, on a besoin de toi au front.

— Au front ?! s'exclama Ymir. Mais il n'y a que des soldats d'élite !

— Ce sont les ordres, cracha la soldate. »

L'intéressée, piquée au vif, sauta juste en face de sa collègue. Si elles se supportaient habituellement, leurs forces de caractère respectives entraient encore souvent en collision. « Tu m'as l'air pressée d'être gradée, hein ? » susurra-t-elle. « Comment tu as fait, déjà ? Quelques détours par le bureau du major ? »

Le visage de l'autre se tordit en une grimace de colère. Elle dégaina ses lames à une vitesse ahurissante ; la nouvelle recrue les bloqua aussitôt. Elles se regardèrent avec haine un long moment. Un peu plus, et elles se trucidaient mutuellement.

« Détendez-vous deux secondes ! s'éleva alors la voix de Jean. Les américains sont juste en face, on ne va pas se foutre sur la gueule entre nous en plus !

— Jean a raison, renchérit Armin. Ce n'est pas le moment. S'il-te-plaît, Ymir... »

Celle-ci hésita quelques instants. Son ennemie eut le temps de battre en retraite avant elle. « Armin, c'est toi, le chef d'équipe ? » Il hocha la tête. Elle rangea ses épées, manifestement prête à leur livrer quelques renseignements sur sa venue ; les autres descendirent à leur tour sur la terre ferme.

« On m'a envoyée vers vous pour une chose... » Ymir vit un petit rictus naître à la commissure de ses lèvres. Elle ne put pas réagir à temps : déjà Angela dégainait-elle un petit couteau de sa poche. Sa main agrippa la touffe de cheveux de la blonde pour mieux exposer sa gorge à sa lame.

Des hoquets de surprise s'élevèrent. Elle avait pris Historia en otage, dont la face reflétait une terreur sans nom. La stupeur tomba comme une bombe sur le petit groupe : la brune éclata de rire. « Bien, maintenant, vous serez sages et me laisserez partir sans me poursuivre, hein ? »

La nouvelle exploratrice serra les poings, bouillonnante de rage. Mais elle ne put qu'acquiescer, et ce simple fait renforça encore sa colère déjà noire. « Bien ! Aucun mal ne lui sera fait... Alors, à plus tard ! » Elles disparurent comme elle était arrivée.

Armin se laissa tomber sur les genoux. « C'est quoi, ce bordel ? » souffla-t-il. « Angela... C'est une ennemie... ? » Personne ne lui répondit. Après quelques moments de choc, Ymir saisit ses manettes de commandement. « J'y vais. »

Les autres la dévisagèrent avec des yeux ronds.

« Tu es tarée ! s'exclama le châtain. Elle a dit que si on bougeait...

— Bien entendu, on va rester tout sage pendant qu'Historia se fait enlever ! ironisa-t-elle.

— Ymir...

— Faites ce que vous voulez, coupa-t-elle sèchement. Moi, je ne suis pas une lâche. »

Sur ce, elle fit volte-face, et s'élança entre les troncs. La détermination et l'adrénaline coulaient à flots dans ses veines. Quiconque levait le petit doigt sur Historia allait le payer cher : elle se l'était jurée dès l'instant où elle avait commencé à la connaître. Si elle la perdait, elle se perdait aussi.

Les bruits de câbles derrière elle lui arrachèrent alors un bref sourire.

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