Shiganshina - Partie 4

16 décembre 850

Lorsque Marion rouvrit les yeux, un mal affreux lui assaillit les tempes. Elle serra les mâchoires, et tenta de se relever ; une paume douce se posa sur son épaule. Elle secoua la tête, cligna plusieurs fois des paupières et se tourna vers l'inconnu.

Un jeune garçon aux cheveux incroyablement clairs et aux prunelles rouges lui sourit. Elle sursauta, perturbée. Un albinos. Je n'en ai jamais vu de ma vie. Elle soupira longuement et regarda autour d'elle.

Elle se trouvait dans un lit plutôt confortable, posté dans un lieu impeccable aux murs immaculés et aux dalles blanches. Aucune tâche n'était à signaler. Un autre matelas était installé derrière des barreaux, dont la porte en fer était fermée.

Des barreaux ? Elle bondit hors de sa couchette, et manqua de s'étaler à terre. L'autre la retint et la reposa délicatement. Je suis où, bordel ? Pas dans les Murs, en tout cas. En voyant son air affolé, il posa une main fine sur sa tête. Elle se calma à ce contact, et se dégagea. « Qui êtes-vous ? » tenta-t-elle en anglais d'une voix légèrement tremblante.

Il sortit une ardoise et écrivit dessus. Il est muet ? Il la lui tendit ensuite. « Isaac. Vingt-cinq ans », lut-elle. « Et... On est où ? » Il la fixa un moment. « Base américaine du monde extérieur #2. » Cette fois-ci, elle sauta sur ses pieds et se précipita vers les barreaux, qu'elle secoua un long moment, les mains crispées. « Aidez-moi à sortir », jeta-t-elle, affolée, en constatant que le compartiment était verrouillé.

Il se leva ; il était à peine plus grand qu'elle. Il s'approcha d'elle, et elle recula, intimidée. Il secoua la tête d'un air rassurant. C'est qui, ce type ? Un autre prisonnier ? Il la prit par le poignet et la ramena sur son lit, l'empêchant doucement mais fermement de se débattre.

Ok, ok. Je ne bouge pas, décida-t-elle. Il lui tendit de nouveau une phrase. « Je te protège. » Un frisson lui remonta la colonne vertébrale alors que le regard rouge de son interlocuteur brillait. Il va peut-être m'aider à sortir...

Subitement assaillie de vertiges, elle dut se recoucher dans la seconde. Putain... Même avec lui, dans cet état... Impossible de tenter quoi que ce soit... Elle jeta un œil à l'adolescent, qui la scrutait d'un air exagérément émerveillé. Sérieusement, cheveux blancs et yeux rouges... On peut pas faire plus cliché...

Il lui tendit alors un verre d'eau, dans lequel se dissolvait ce qui ressemblait à s'y méprendre à un doliprane effervescent. « Merci », murmura-t-elle. Elle le vit rougir, et fronça les sourcils. Peu importe, pensa-t-elle après quelques instants de réflexion.

« Marion », souffla une voix rauque. Elle se releva d'un bond. Eren était attaché dans une autre cellule, bien moins entretenue. De profonds cernes marquaient ses yeux, et du sang gouttait de son front.

« Eren !

— On est où...? articula-t-il difficilement.

— Dans une base ennemie. Est-ce que tu peux... »

Isaac se leva d'un bond, coupant court à sa phrase, et lança un regard meurtrier au jeune homme. Celui-ci fronça les sourcils. « C'est quoi, son problème ? » L'autre écrivit frénétiquement sur son ardoise et la montra à la chercheuse, une expression effrayante sur le visage.

« Qui est-ce ? » La surprise lui fit hausser les sourcils. « Eren Jäger. » Il serra les dents. « C'est un ami à toi ? » C'est quoi, cette question ? Il a vraiment l'air furax... Elle pinça les lèvres, mal à l'aise. « Oui, plutôt. »

« Est-ce que tu l'aimes ? » Elle manqua de s'étouffer. « Non ! » « Et lui ? » Ce type est taré. « J'en sais rien. Je m'en f... » Immédiatement, il sortit un couteau et se dirigea à grand pas vers la sortie de la cellule, ses prunelles rouges enflammées.

C'est un psychopathe ! Elle le retint par la manche ; il s'arrêta et lui lança d'abord un regard noir. Toutefois, en voyant l'expression désespérée de la jeune femme, il fit demi-tour et rangea son arme, s'adoucissant brusquement. « Est-ce que c'est un danger ? » questionna-t-il. Un danger ? « Non. »

Un soulagement infini envahit le visage jeune, presque enfantin, de son interlocuteur, qui lui sourit de nouveau. Il fait flipper. Elle frissonna. Il était sur le point de sortir... Il fait certainement partie des ennemis...

« Qu'est-ce que vous allez faire de nous ? » articula-t-elle difficilement, la gorge nouée par la peur. Soucieux, il la regarda un long moment dans les yeux. « Ne t'en fais pas. » Il effaça pour écrire autre chose. « Je suis chargé de rester avec toi. » Il mania encore son stylo. « Rien ne t'arrivera tant que je serai là. » Il agrémenta sa phrase d'un très léger rictus.

« Ça ne répond pas à ma question », dit-elle d'une voix plus hésitante que ce qu'elle aurait voulu. Il pinça les lèvres. « Je ne peux pas te le dire », lui apprit-il. Il paraissait sincèrement désolé, et le trouble se lisait sur ses traits. Elle se mordit la joue. « Vous êtes donc un ennemi ? »

Il recula, déstabilisé ; on aurait dit qu'elle venait de lui mettre une claque. « Je suis là pour ton bien. » « De quel côté êtes-vous ? » corrigea-t-elle. Nouveau sourire, plus apaisé. « Des américains. » Il effaça. Quant à l'adolescente, elle recula d'un bond, dégoûtée, et manqua de se cogner la tête contre le mur.

Les paupières de son ravisseur s'écarquillèrent ; il vérifia immédiatement si elle était blessée. Lorsqu'il vit qu'elle n'avait rien, il relâcha ses épaules étroites, et recommença à gribouiller. « Ces démons t'ont endoctrinée. Je comprends que, pour le moment, tu me détestes. » Ces démons ? Il se fout de ma gueule ?

« Marion », recommença un Eren déboussolé. « Tu peux me traduire ? » Elle ouvrit la bouche, mais l'albinos planta violemment son poignard dans le mur. Comment est-ce que c'est possible ? se demanda-t-elle, stupéfaite.

« Ne lui parle pas. » Elle déglutit, et hocha la tête, terrifiée. La face du muet se détendit. Il est définitivement taré. Un long silence suivit, durant lequel le soldat et la jeune scientifique se jetèrent des regards discrets. Au moins... Elle soupira très légèrement. Même si on ne peut pas parler... On est ensemble.

« Ah, Isaac ! Bien ! » s'exclama une voix. Une femme se tenait là, grande et mince, aux longs cheveux noirs et aux yeux marron, dont les longs cils étaient barbouillés de mascara. Elle était habillée d'une longue veste de chimiste, au-dessous de laquelle elle portait un pantalon gris et une chemise blanche.

« Marion », l'appelèrent ses lèvres peintes en rouge. Le jeune homme à la chevelure immaculée se plaça devant la prisonnière. « Ne t'en fais pas, Isaac, je ne lui ferai pas de mal. C'est dans le contrat. » Il resta immobile un moment, pour finalement se décaler. L'aura de méfiance qui l'enveloppait ne disparut toutefois pas.

L'étrangère s'approcha des barreaux ; son odeur de parfum à la mûre étouffa les narines de la plus petite jusqu'à la faire tousser. Immédiatement, son garde du corps lui tendit un verre d'eau. Elle but une gorgée et se retourna vers son interlocutrice.

« Cela faisait longtemps que je t'attendais. » D'une main aux ongles vernis d'un vif vermeil, l'inconnue déverrouilla la porte et pénétra la cellule. « Je m'appelle Rebecca Stewart. » A l'évocation de son prénom, Marion retint de justesse un rire. C'est la maison des stéréotypes, ici.

« On dirait que tu es malade. Nous t'avons administré un traitement. Ensuite, comme prévu initialement, tu rejoindras mon équipe. » Son équipe...? Ils veulent que je bosse pour eux, comme Rhys ? La jeune femme baissa la tête ; l'angoisse lui lacérait la poitrine. Je ne veux pas que ça recommence.

Elle effleura son bandage au bras droit, sous lequel les cicatrices de Kenny barraient sa peau. Seulement... Je ne pourrais pas connaître pire que là-bas. Et même si c'est le cas... Un sentiment lugubre s'infiltra dans chaque parcelle de son corps, engourdit ses muscles, et nécrosa son cœur au passage. Je n'en ai plus rien à foutre.

« Pourquoi ? parvint-elle toutefois à demander au prix d'un effort colossal.

— Pourquoi quoi ? demanda son aînée, affable.

— Pourquoi est-ce que je devrais vous obéir ?

— Ah, ça... Isaac. »

Il hocha la tête, sortit de la cellule, entra dans celle d'Eren et planta sauvagement un couteau dans son épaule. Le hurlement déchirant qui suivit brisa Marion ; brusquement au bord des larmes, elle serra les dents. La face de son ami était tordue par une souffrance incommensurable.

« Isaac n'accepterait jamais que nous te blessions. Nous avons donc eu l'idée d'utiliser Eren à la place. Il va falloir un moment avant que nous récupérions la solution pour modifier sa mémoire... Autant en profiter », affirma-t-elle, satisfaite.

Qu'est-ce que je suis censée faire...? Le jeune homme ahanant retenait difficilement ses sanglots. Je ne peux pas le faire souffrir à ma place. Mais si je travaille pour eux... L'humanité... Putain, quelle bande de tarés... « Alors, quelle est ta décision ? »

Elle regarda ses genoux, livide. Sa cage thoracique la torturait affreusement. « Marion », articula alors Eren, le souffle saccadé. « Quoi qu'ils te demandent... » Il s'étrangla lorsque l'albinos tourna la lame dans sa chair. « Ne cède pas... »

Il poussa un autre cri ; la chercheuse lutta pour ne pas vomir. « Marion », susurra Rebecca. « Je voudrais une réponse. » Espèce de salope. Elle leva un œil glacial vers son interlocutrice, qui recula d'un air étrange.

« Je vous suis », jeta-t-elle. « Mais vous le traiterez bien. » Petit sourire, qui l'enfonça un peu plus dans la marée noire qui l'engloutissait ; elle en sortit la tête avec peine. Je ne peux pas me laisser abattre ici. « Bien entendu. Marché conclu. Il y a seulement une condition à laquelle il faudra que tu répondes : Isaac devra rester avec toi tout le long. »

La jeune scientifique coula un regard morne vers lui. Il avait déjà gagné son animosité, mais cette idée ne lui faisait ni chaud ni froid. Il veut me protéger, après tout.

« Pourquoi ? sortit-elle toutefois.

— En l'emmenant ici, nous lui avons promis ta main.

— Ma main ?

— Il était chargé de récolter les informations sur toi. Il sait tout de ta vie, et ferait tout pour te protéger. C'était ça, ou nous le perdions. »

Elle l'observa un moment, et retint un haut-le-cœur. Le dégoût crispa sa figure. Ce type veut prendre la place de Leah, hein ? Vieux con. Le visage de la femme flotta dans son esprit. Elle serra les poings. Jamais de la vie.

Peut-être pensa-t-elle trop fort, ou parvint-il à lire dans ses prunelles ; toujours est-il qu'il la gratifia d'un air profondément blessé. Ses yeux rouges s'embrumèrent, et sa lèvre inférieure se mit à trembler.

« Tu ne peux pas faire les choses comme ça », sourit alors Stewart. « Il deviendrait fou. » Comme si j'en avais quelque chose à carrer. Mais déjà, son expression commençait à changer ; le regard dans le vide, les traits tordus, il ouvrit grand les paupières et releva une nouvelle fois son arme, fixant le soldat comme si tout était de sa faute.

« Mais ça va pas ! » s'exclama la lycéenne, affolée. Il se retourna vivement. Un très grand malaise s'empara d'elle. Elle déglutit. Putain, c'est une blague. Si je refuse, il va s'en prendre à Eren... Sa mâchoire se contracta, et elle retint difficilement ses larmes. Leah... Je n'ai pas le choix...

« J'ai pas dit non », déclara-t-elle dans un souffle. Bande de connards... Sa figure s'éclaira, et le rose lui monta aux joues. Espèce d'enfoiré. Le regard brillant, il lâcha Eren et se précipita vers elle.

Il lui prit le poignet d'un geste tendre. Dégoûtée, elle se dégagea, et l'hésitation brilla dans les prunelles de son tout nouveau fiancé. Gros con. Tu l'as cherché. Va bien te faire foutre, maintenant. Un peu moins enthousiaste, il se redressa et se posta vers les barreaux. Là, il ne la quitta pas du regard.

« Bon. » Rebecca s'approcha, et posa une main froide sur son front. « Tu as encore un peu de fièvre. Mais je suppose que ça le fera. » Elle l'aida doucement à se lever. « Je vais t'emmener dans le labo. Isaac... » Il ne se fit pas prier, et leur emboîta le pas.

Marion jeta un œil à Eren, qui se pendait à ses poignets, essoufflé et ensanglanté. Tiens bon. Il hocha très légèrement la tête. Sa détermination ne le lâchait pas, même dans un moment aussi critique. Il faut qu'on sorte de là. Je ne la décevrai pas, et je tiendrai ma promesse, pensa-t-elle avec hargne en quittant les cachots.

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