Shiganshina - Partie 1
Shiganshina, Mur Maria, 13 décembre 850
De nouveau, cette même forêt qui s'étendait à l'infini. Aucun brouillard ne venait troubler le paysage lugubre qui se dévoila sous ses yeux ; mais bouger lui était toujours proscrit. Encore une fois, Leah l'appela.
« Ça fait depuis avant-hier », soufflait-elle. Une voix grave vint doubler la première, toute en douceur, de son amie. « J'espère qu'elle s'en sortira. Son état est faible... Tiens, voilà l'autre mioche. » Toutes deux rebondirent sur les troncs décharnés. « Ne la réveille pas, petit con... »
Elle reprit subitement le contrôle de son corps, et roula sur le côté. Elle ouvrit les paupières. Deux silhouettes floues étaient penchées sur elle. « Marion », l'attaquèrent des cheveux noirs, lui procurant une migraine affreuse.
« Chut... » murmura-t-elle en se passant une main sur la figure. Elle était couverte de sueur. « Putain... » parvint-elle à articuler. « Quoi... Je comprends pas... » Elle tâta autour d'elle, et rencontra un bras.
« Qui...? marmonna-t-elle.
— C'est Armin, balbutia une touffe blonde.
— Armin... Il y a quelqu'un d'autre... Est-ce que tu peux me dire qui c'est... ?
— Livaï, répondit l'intéressé à la place du soldat.
— Livaï... »
Elle serra les dents lorsqu'un éclair de douleur lui explosa le crâne. « J'ai fait quoi... » Il lui raconta qu'elle s'était évanouie il y avait de cela deux jours, dans les bras de Hansi. Celle-ci signala sa présence en toussant légèrement. « Tu as de la fièvre. Une très méchante grippe. Il va falloir rester alitée », lui apprit son supérieur.
La chercheuse acquiesça très faiblement et se frotta les paupières. Elle put enfin distinguer le visage de ses interlocuteurs, et la pièce, meublée d'un lit et d'un bureau, dans laquelle elle se trouvait. Tous les trois portaient un foulard qui leur recouvrait le nez et la bouche.
La lumière qui les éclairait était incroyablement blanche ; elle se retourna difficilement, assaillie par de nombreuses courbatures. Lorsqu'elle vit la neige qui s'étalait dehors, recouvrant absolument tout et les figeant dans un paysage immaculé, ses yeux s'illuminèrent.
« Est-ce que je peux aller jouer dehors ? » demandèrent ses lèvres, hors de contrôle. Le plus petit la foudroya du regard. « Tu te fous de moi ? » lâcha-t-il. « Je viens de te dire que tu devais rester au lit. Je prends déjà le risque d'attraper ta merde en veillant ici, tu ne vas pas ruiner mes efforts en trois secondes. »
Elle fronça les sourcils.
« En veillant ?
— La grippe t'a bousillé le cerveau. Ordres d'Erwin.
— Ah, oui, c'est vrai... »
Il ordonna quelque chose au blond, qui s'exécuta rapidement. « Tu parles dans ton sommeil », fit alors remarquer la femme d'un ton étonnamment hésitant. Elle se prit un coup de coude de Livaï, et grimaça. L'adolescente se redressa légèrement.
« Comment ça, je parle dans mon sommeil ? » Il ferma les yeux un moment, bras croisés. Elle accentua son regard, et il laissa échapper un léger « tch ». Ça faisait longtemps... Antoine ne faisait pas ça. Ça lui est venu d'où ? se demanda-t-elle distraitement.
« On ne comprend pas, jeta-t-il. Tu parles en français.
— En fait, il y a bien quelque chose... compléta l'autre.
— Hansi, articula le caporal-chef, menaçant.
— Vas-y, l'encouragea la plus jeune.
— Tu répètes le prénom de Leah. »
Son cœur se tordit brutalement, et elle se crispa. « Bordel, Hansi », dit-il sèchement en lui broyant l'épaule. « Tu as vraiment un problème dans ta petite tête de merde. » Il commença à l'insulter ; la jeune femme les ignora et se contenta de leur tourner le dos, brusquement vidée.
Le visage de la guerrière flottait devant elle, effaçant les murs de la chambre et la présence des deux individus. Les larmes lui montèrent aux yeux ; elle ne prit pas la peine de les chasser. Le souvenir du seul baiser qu'elles avaient échangé la brusqua, la brûla, la broya sans ménagement, la réduisant à l'état de miettes.
Je vais les tuer. Une rage sourde combla le vide qui l'habitait. Je vais les réduire en charpie. Elle serra les poings. Je lui ai juré. Et une fois ça de fait, je me ferai sauter la cervelle. Satisfaite de son idée, elle ferma les yeux.
« J'ai soif », déclara-t-elle subitement sur un ton jovial. Ses deux supérieurs se turent et la dévisagèrent. « Il y a de l'eau, sur ta table de chevet », lui apprit la brune, étonnée. La jeune scientifique attrapa la bouteille avec un grand sourire, se servit un verre et le finit en une gorgée.
Armin revint bientôt, portant un plateau avec une plâtrée d'avoine, une miche de pain et une pomme. Elle le remercia, ravie, et attrapa une fourchette. Son repas fini, les autres la laissèrent seule avec le caporal-chef, qui s'assit au bureau en étudiant des papiers.
« Vous devez vraiment rester là tout le temps ? » questionna-t-elle alors que le sang battait à ses tempes. J'ai vraiment beaucoup de fièvre. L'intéressé hocha la tête. Seulement... L'envie de se brosser les dents, de changer d'habits et de se savonner était des plus fortes.
« Si tu veux te laver, il y a des douches. Porte en bois, en face de ton lit. Ne verrouille pas, il se peut que tu tombes de nouveau dans les pommes. Il y a des affaires propres sur une étagère. » Je pense que je ferai à peu près tout pour ne pas m'évanouir, oui, pensa-t-elle en se levant. Elle chancela légèrement ; une fois son équilibre retrouvé, elle posa sa main sur la poignée.
Une salle de bain pour moi. C'est trop top cool... Elle eut un petit rictus. Alors, quel genre de pièce ça va être? Grande, petite, sale? Non, en fait, sale, ça m'étonnerait. Bon sang, j'ai vraiment envie d'ouvrir cette foutue porte...
Elle joignit le geste à la parole, découvrant une salle étroite équipée d'une douche, d'un évier, d'un petit rangement et d'un siège. Toutes ses affaires étaient là. Ils m'ont vraiment mise en quarantaine. Elle actionna l'eau, et commença à se déshabiller en baillant.
***
Livaï entendit l'eau couler ; quelques secondes plus tard, un bruit sourd retentit. Je m'en doutais. Il se leva, fit un tas parfait avec ses papiers et entra la pièce annexe. L'embrasure de la porte découvrit une Marion étalée au sol. A son grand bonheur, elle avait seulement eu le temps de défaire le premier bouton de sa chemise.
Il la prit en sac à patate, la remit dans son lit et retourna à ses affaires. Il l'entendit faiblement tousser, et se tourna vers elle ; elle commençait déjà à se redresser. « Tu as fait un malaise », lui apprit-il d'un ton plat. « Tu ne peux manifestement pas te laver sans aide. »
Son visage était livide ; non pas d'horreur, mais à cause de la fièvre. Ses pupilles étaient dilatées, et profondément cernées. Elle est dans un sale état. « Comment ça, de l'aide ? » balbutia-t-elle alors, les yeux ronds.
Il nota, légèrement surpris, l'affolement de la jeune femme, qu'il mit sur le compte de la maladie. Cette grippe est pire que ce que je pensais. J'ai bien fait d'isoler tout l'étage.
« Si tu y retournes, tu vas encore t'évanouir, expliqua-t-il. Il te faut donc de l'aide.
— Je veux dire... bafouilla-t-elle, le feu aux joues. Non. Non. Je vais y arriver seule.
— Ne fais pas ta mioche, lâcha-t-il, irrité.
— Mais... Enfin... Vous n'allez pas...
— Quoi ? »
Oh, d'accord. Il se frotta le front, sérieusement agacé. « Je vais appeler une fille, espèce de débile profonde. » L'autre soupira de soulagement. Mikasa vint donc à la rescousse ; tandis qu'elle aidait la chercheuse, il se leva et s'approcha de la fenêtre.
Les explorateurs s'entraînaient dehors, ignorant la neige qui leur gelait les pieds. Cela faisait un mois qu'ils se renforçaient, perfectionnant leurs techniques de combat et de manœuvre tridimensionnelle. Si l'ennemi attaque, on doit être en capacité de leur offrir une contre-offensive aux petits oignons.
Il jeta un œil à la paperasse qui l'attendait sur le bureau. Si Mike était chargé des contacts avec les entreprises de reconstruction pour Shiganshina, Hansi devait, elle, continuer ses expériences sur Eren et Ymir, bientôt rejointe par Marion si tout se passait bien.
Erwin étant occupé à établir, avec Dot Pixis, le meilleur plan de défense que leur cerveau monumental pouvait pondre, Livaï s'était vu confié la supervision de l'entraînement des soldats, et, plus généralement, la gestion de la réserve en elle-même. Il n'avait pas eu d'autre choix que de travailler en même temps que de surveiller l'adolescente, et de léguer quelques responsabilités aux soldats, notamment Eren, Mikasa et Armin.
Heureusement, cela se passait relativement bien. Les bâtiments étaient propres, les combattants, obéissants ; tous paraissaient requinqués par les évènements du dix décembre dans la nuit, et prêts à en découdre sur un simple ordre.
Un nouveau fracas retentit. La douche se coupa, mais personne ne sortit de la salle de bain. Il fronça légèrement les sourcils. Elle a dû glisser. Son regard clair retourna donc à sa contemplation, glissant cette fois-ci sur les Murs.
Que faisaient les ennemis, là-dehors ? Personne ne le savait. Ils devaient simplement attendre qu'ils se montrent, et se préparer du mieux qu'ils le pouvaient. Cette stratégie de facilité, sélectionnée par le gouvernement, l'irritait au plus haut point.
Attendre. Ils n'arriveraient à rien avec ça. Une nouvelle fois, les bourges avaient démontré leur lâcheté, maladroitement dissimulée sous un masque d'intellect fait avec de la merde. Ils étaient en train de se chier dessus, voilà tout. Et surtout, ils n'auraient pas supporté de léguer un sou de plus au Bataillon. Leurs propres biens étaient beaucoup trop précieux pour être gâchés à sauver des vies.
On actionna de nouveau l'eau. Quelques minutes plus tard, Mikasa sortit de la salle, portant une Marion propre et inerte sur son dos. Elle la posa sur le matelas et se dirigea vers la sortie. Elle l'a lavée, je suppose. C'est déjà ça.
« Mikasa », l'appela-t-il. Elle se retourna.
« A quoi est occupée Hansi ?
— Faire des expériences sur Eren.
— Lorsqu'elle aura fini, qu'elle vienne ici.
— Compris. »
Il se retrouva seul avec la chercheuse, qui commençait déjà à ronfler. Vingt minutes plus tard, la femme fit irruption.
« Livaï ! s'exclama-t-elle, surexcitée. Tu ne devineras jamais...
— En effet, car je m'en fous. Est-ce que tu peux rester là un moment ? Je dois m'entraîner.
— Tu ne peux pas le faire ici ? demanda-t-elle avec surprise.
— Ça empeste la maladie, lâcha-t-il. Il en est hors de question.
— Ah, bon... »
Il s'apprêta à la laisser, enfilant sa veste. « Eh, Livaï », commença-t-elle subitement. Il lui jeta un œil.
« T'as réussi ? souffla-t-elle, un grand sourire sur les lèvres et le regard brillant.
— Réussi quoi ?
— Elle t'appelle Livaï ?
— C'était la pire idée du siècle. »
Elle pinça les lèvres. Après qu'il lui ait raconté ce que la jeune scientifique lui avait dit sur sa vraie identité, la chef d'escouade lui avait conseillé de lui demander de l'appeler par son prénom. « Vous êtes amis d'enfance ! Enfin, tu ne t'en souviens pas... Mais bon... Tu ne vas pas l'obliger à te donner du « caporal-chef » dans des circonstances pareilles, imagine sa souffrance... Et puis, elle me dit bien Hansi ! »
Son discours lui avait paru, d'une manière ou d'une autre, il ne savait plus trop comment, logique. Il lui avait donc accordé sa confiance, et avait suivi ses indications. Seulement, la jeune femme ne paraissait pas à l'aise du tout ; il était même prêt à dire que c'était pire encore.
« Mais non, protesta-t-elle.
— Encore un de tes coups bas, continua-t-il en l'ignorant.
— Livaï, bougonna-t-elle. Je sais très bien que ça t'horripile.
— De quoi ? jeta-t-il, paupières plissées.
— Qu'on t'appelle caporal-chef. »
Il s'immobilisa.
« Tu vois ! s'écria-t-elle.
— C'est pour ça que tu m'as conseillé un truc pareil ?
— Non. »
Il la fixa. « Pas seulement », mitigea-t-elle. Il fronça les sourcils.
« Bon, d'accord, céda-t-elle. Enfin, quoi, ça se sent que...
— Tous les soldats m'appellent comme ça, coupa-t-il.
— Ce n'est pas un soldat, rétorqua-t-elle. Et ça ne te ferait pas de mal qu'une personne de plus t'appelle Livaï.
— Ce n'est pas la question. Elle n'en a pas besoin.
— Je te parle de toi. Tu te renfermes sur toi-même. »
Son expression se fit menaçante ; Hansi ne recula toutefois pas.
« Mêle-toi de ton cul, jeta-t-il brusquement.
— C'était l'occasion rêvée... Et puis, comment tu peux savoir si c'est pire sans lui avoir demandé ?
— Elle a peur de moi.
— Justement, ça va te désacraliser ! »
Il ferma les yeux. Bordel, ce sont vraiment des copies conformes. « Tu lui as demandé comment, aussi ? » Il s'adossa au mur, et lui rapporta rapidement la discussion.
« Bah alors ? Elle a accepté !
— C'est vrai.
— Tu ne l'as pas trop martyrisée ? »
Il réfléchit un moment.
« Non. J'ai été normal.
— Pourquoi est-ce qu'elle aurait peur, alors ?
— Ça se voit.
— Allons, allons ! s'exclama-t-elle. Elle a besoin de s'habituer ! »
Il acquiesça légèrement dans le but d'écourter la discussion, mais elle reprit :
« Et puis, c'est notre collègue, maintenant, c'est normal qu'elle t'appelle Livaï !
— Notre collègue ?
— Erwin ne t'a pas dit ? s'étonna-t-elle. Ça sera ma collaboratrice. Elle va gravir un échelon. Et si c'est ma collaboratrice, c'est aussi la tienne, et celle de Mike... Ce n'est pas un traitement de faveur, en somme, qu'elle te serve du « Livaï » et non du « caporal-chef ». »
Le petit homme la gratifia d'un air interloqué.
« C'est quoi, son statut, alors ? Chef d'escouade ?
— Ah, non ! rit-elle. Scientifique. Comme ce n'était pas un soldat, sa place n'était pas très claire... Elle est toujours sous nos ordres, mais est plus proche de nous qu'avant dans la hiérarchie.
— Je vois. »
Il a vraiment suivi mon idée... Qu'est-ce qui lui est passé par la tête ?
« Mais elle doit toujours suivre un entraînement...
— Pour se défendre. Ordres d'Erwin... soupira-t-elle. Je partage ton avis : ça ne sert pas à grand-chose. Ou, du moins, je n'en comprends pas le but...
— Elle a quand même quelques capacités. »
Elle le dévisagea, surprise.
« Comment ça ?
— Elle a tranché le talon d'un titan alors que son équipement était cassé.
— A pied ? souffla-t-elle.
— A pied, confirma-t-il. »
C'était la mort assurée pour elle après ça, mais quand même. Tous deux regardèrent Marion un moment, silencieux. « Bon. J'y vais. » Il se dirigea vers la porte, tourna la poignée, et sortit. Il fit un pas dans le couloir ; quelque chose lui rentra alors dedans, et il grimaça.
« Bordel, qu'est-ce que... » Il s'arrêta net en voyant le regard affolé de Sasha, qui se tenait là, toute équipée. Elle était en train de surveiller le sud de la ville... « Caporal ! » s'écria-t-elle, à bout de souffle, avant de le saluer rapidement. « Le Titan Bestial... Et le Cuirassé... Ils foncent sur Maria ! »
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