Retrouvailles - Partie 6
Une heure plus tard, Livaï galopait en tête de son escouade, suivi de Jean, Mikasa, Eren et Marion. La formation venait de dépasser les plateaux, et avançait dans les vallées verdoyantes. Le ciel au-dessus de sa tête était parfaitement blanc ; lorsqu'ils s'engagèrent sur la pente verte d'une colline, un vent glacial remua ses cheveux noirs.
« Ouah », entendit-il la chercheuse s'exclamer à la vue qui s'offrait à elle. « C'est quoi ? » Il ne prit pas la peine de se retourner ; ce fut le semi-titan qui répondit sur un ton surpris.
« C'est la première fois que je vois des collines ! C'est joli, non ?
— Oui, c'est vrai, confirma-t-il, un peu déstabilisé.
— Hein ?! Ne te fous pas de nous, tu viens de l'ext...
— Jean, siffla l'autre. Elle a perdu la mémoire, je te rappelle.
— Ah... C'est vrai. »
Seul le rire de la jeune femme brisa le silence qui suivit. « Jean aussi, on dirait », susurra-t-elle. Il s'apprêta à répliquer, mais le caporal-chef leva une main. « Causez moins fort, on est censés revenir entier. On a perdu assez de soldats », jeta-t-il.
Sérieusement. Ils se turent alors, et retrouvèrent leur concentration. C'est la première fois que j'entends quelqu'un se marrer en Expédition, Hansi mise à part. Lorsqu'il sentit les yeux de la jeune scientifique lui trouer la nuque, il serra imperceptiblement les dents.
S'il n'aurait pu y lire que de la peur, il ne s'en serait pas plus préoccupé que ça ; non, cette fois-ci, de la méfiance et du ressentiment s'y mêlaient. Cette idiote a littéralement bu les paroles de l'autre enfoiré aux cheveux de vieux schnock.
Ils l'avaient entendue, Hansi et lui, dire à Armin qu'il avait été le mentor d'Isaac ; ils avaient toutefois décidé de faire comme si de rien n'était. Tenter de la convaincre du contraire n'arrangerait pas les choses, loin de là. Ils peuvent en parler à Erwin autant qu'ils le veulent, ce n'est qu'un mensonge merdique parmi tant d'autres, et il s'en rendra bien compte.
Au moins la chef d'escouade le croyait-elle. Qu'on l'accuse à tort ne le dérangeait pas le moins du monde ; mais peut-être le contexte était-il assez particulier, car l'irritation le piquait à chaque fois que l'adolescente lui jetait un de ces regards glacials dont elle avait le secret. Seulement, il savait qu'il ne pouvait pas lui en vouloir, puisqu'il était un parfait inconnu pour elle.
Que ces américains de mes deux aillent se faire mettre. Il vit subitement de la fumée rouge s'élever à leur droite. « Mikasa, relaie le signal. » Le cliquetis caractéristique de la grenade s'éleva derrière lui, suivi d'une petite explosion.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? chuchota Marion.
— C'est un système de signaux pour communiquer entre équipes, répondit Livaï, bien que la question ne lui fût pas adressée. Le rouge veut dire qu'il y a un titan non loin, et le vert que tu viens de voir montre la direction que doit prendre la formation. Eren, relaie.
— Je vois... C'est pratique, fut tout ce qu'elle prononça avant de retourner dans le mutisme dont elle le gratifiait depuis des heures. »
Il se concentra sur sa course, et promena ses yeux clairs sur les alentours ; après quelques instants, il vira à gauche pour éviter la confrontation avec le géant. « C'est vraiment ingénieux », murmurait toujours la chercheuse, si bas qu'il eut du mal à déchiffrer ses paroles.
Au bout de dix minutes silencieuses, une forêt rouge s'éleva à l'horizon. « Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! » s'étrangla Jean. Une horde de titans. Les américains les ont certainement envoyés.
Son regard glissa vers la position de Hansi, tout à l'avant. Elle n'est pas aussi pointue qu'Erwin. Si les choses tournent mal... Désormais, il pouvait percevoir avec clarté ses manettes de commandement se balancer au rythme du galop de sa monture, et ses lames claquer dans ses fourreaux.
« Marion, appela-t-il.
— Oui ?
— Un signal. »
Elle obtempéra en silence. Il pouvait parfaitement imaginer son expression : un peu de panique dans ses yeux verts ; ses mâchoires, contractées ; ses traits crispés, et ses mains serrant ses rênes à en blanchir ses articulations.
Bientôt, l'avant ordonna un virage à droite, mais il n'en fallut pas plus pour que les géants assaillent également l'autre aile. La tension monta radicalement sur le petit groupe, le silence se fit pesant. Livaï tira ses épées ; les soldats firent de même, à l'exception d'une seule personne.
Une seulement. « Eren », apostropha-t-il sèchement. « Range-moi ça. » Aucun bruit ne lui parvint. Il attendit quelques secondes pour se retourner ; le soldat tenait toujours ses armes, le regard enflammé. Il a oublié qu'il pouvait se transformer, ou quoi ?
« Eren, intervint Mikasa. Tu ne d...
— Fous-moi la paix, gronda-t-il. Je vais les dépecer.
— Tu n'es pas en posit...
— Je t'ai dit de me foutre la paix !
— Parle-lui autrement ! s'insurgea Jean.
— Je t'ai pas sonné non plus ! Je combats si je veux !
— Eren, l'appela-t-elle plus fort, remets-les en place. Je m'occuperai d'eux.
— T'es bouchée, ou quoi ?! »
Ils continuèrent à se disputer ainsi un moment. La seule personne qui restait parfaitement muette était Marion, dont l'expression était cachée par ses mèches châtaines. Le caporal-chef put toutefois remarquer la manière dont son genou tressautait nerveusement à mesure que les trois jeunes haussaient le ton.
« Allez-y, expliquez-moi ! » fulminait le brun. Sa face reflétait une fureur démesurée ; ses prunelles émeraude lançaient des éclairs, et foudroyaient tout ce qui se trouvait sur leur passage. « Expliquez-moi pourquoi je ne devrais pas prendre part au combat ! Sans parler de tous les camarades qu'ils ont tués, ils m'ont séquestré, torturé, ils se sont servis de moi ! J'ai ma vengeance à prendre ! » s'écria-t-il finalement.
Le silence se fit ; le petit homme en profita pour ouvrir la bouche, mais un bruit cinglant l'arrêta net. La chercheuse venait de sortir sa propre lame, et d'envoyer valser celle du semi-titan, qui la regardait avec des yeux ronds.
« Dis-moi », lâcha-elle d'une voix sourde. Le supérieur détecta immédiatement, sous son air sombre, une irritation à toute épreuve. « Tu te sentirais comment, si on crevait tous gobés ? » La dimension rhétorique de sa question plomba un peu plus l'atmosphère ; son interlocuteur se contenta de déglutir. Voir la jeune femme sous ce jour était une nouveauté complète.
« Je pensais bien. » Elle rangea son arme. « Dans ce cas » articula-t-elle, « je te conseille fortement de faire comme le gentil monsieur en face de nous nous dicte. » Elle lui jeta un coup d'œil à geler un feu de bois.
« A moins que tu tiennes à nous envoyer en enfer ? » Son ton montait de lui-même, tranchant et incontrôlable. « Ta fermeture d'esprit de mes couilles commence à me taper sur le système. » Manifestement, elle était à deux doigts de le prendre par le col et de le balancer par terre.
« Ces gens sont venus pour nous ramener, si tu n'avais pas remarqué. » Le petit homme remarqua rapidement l'air effrayant de Mikasa, et plissa les paupières. « En allant combattre là-bas, tu ne sers que ton propre égoïsme », cracha-t-elle. « Tu es un soldat, putain de merde. Tu suis les ordres, tu ne sers qu'à ça dans un moment pareil. C'est bon, ça a fait le lien entre les deux pois qui te servent de cerveau ? »
L'intéressé ouvrit la bouche, mais elle leva une main, ne lui laissant pas le temps de sortir une seule parole. « Alors, à moins que notre supérieur ici présent ait une objection à faire », jeta-t-elle, à deux doigts d'imploser, « ferme ta grande gueule, et reste bien sagement assis ici sans bouger d'un putain de iota ! »
Elle a pété une durite. Tout le monde la regardait d'un air choqué ; la guerrière, qui la fusillait du regard, était la seule exception. Eren lui-même ne sut quoi répondre, et resta bouche bée. Seulement, elle n'a pas tort... Ce, même si son petit discours n'était guidé que par le fait qu'elle est en train de se faire dessus.
« On continue », se contenta-t-il de lâcher. Tous obtempérèrent, moins sereins que jamais. Mais avant qu'ils n'aient eu le temps d'envisager ne serait-ce qu'un mouvement de défense, du vert se fit remarquer à gauche. Le supérieur fronça les sourcils.
Ils ont réussi à les dégager en si peu de temps ? Des soupirs de soulagement se firent entendre derrière lui. Ça nous libère le chemin droit vers Shiganshina... Il entrouvrit très légèrement les lèvres. Mais quelque chose ne tourne pas rond.
Il talonna un peu plus sa monture. « Restez sur vos gardes. » Il ne manquerait plus qu'ils se ramollissent dans un moment aussi critique. Il avait la désagréable impression qu'on allait leur tomber dessus comme une pierre, et ne put que rester à l'affût.
Les secondes, les minutes, puis les heures s'écoulèrent interminablement sans qu'aucun changement n'advienne. Bientôt, ils passèrent les vallées, pénétrèrent les plaines, contournèrent une forêt et s'arrêtèrent à la lisière de celle-ci. Livaï partit sans attendre vers Hansi, prenant soin de prendre Marion avec lui. La laisser seule à l'extérieur était encore plus risqué que dans les Murs.
« Hansi. » Celle-ci, coincée entre une charrette et son escouade, assise contre un arbre au tronc fin, leva une tête éreintée vers lui. « Tiens, Livaï », souffla-t-elle. Elle but deux longues gorgées d'eau, puis s'essuya la bouche du revers de la manche.
« Des morts, comme d'habitude. Mais les titans de l'aile gauche se sont retirés d'eux-mêmes. » Il manqua de s'étouffer avec sa ration ; la jeune femme, quant à elle, plissa le nez, mais resta parfaitement muette.
« Marion, tu sais quelque chose ? » l'interpella la brune, à qui l'étrange air de la rescapée n'avait pas échappé. Elle avala rapidement sa bouchée. « Ils ne se comportent jamais comme ça sans intervention extérieure », bafouilla-t-elle. Tiens, elle a retrouvé son état normal.
« Donc il y a des ennemis non loin ?
— Je ne sais pas, avoua-t-elle en se balançant d'un pied sur l'autre. Isaac peut manifestement contrôler les titans – enfin, pas dans son état actuel, puisqu'il est mort. Mais du reste... Il se peut qu'une autre source les ait distraits...
— Une autre source ?
— Ils sont attirés par les humains. Si un groupe ne se trouvait pas loin de nous, et plus près d'eux, ils y seraient allés automatiquement. »
Les yeux de la plus âgée brillèrent immédiatement. « Intéressant... » murmura-t-elle. « Enfin, il faut se montrer prudents. S'ils rôdent dans le coin... » Elle jeta un regard au caporal-chef. « Tu sauras quoi faire. » Il hocha légèrement la tête.
Ça ferait ma troisième confrontation avec eux, songea-t-il en croquant dans sa portion de nourriture. Il se souvenait parfaitement des mouvements agiles de l'albinos ; et ses techniques de combat étaient encore plus redoutables quand il était énervé.
Mais le bruit sanguinolent de sa lame qui tranchait son torse, et son sang chaud sur ses mains étaient tout aussi bien gravés dans son esprit. On n'a plus rien à craindre de celui-là. Il jeta un œil à la jeune scientifique, qui mangeait à petites bouchées, les yeux fixés sur une vieille feuille morte à terre.
« Nous sommes à quatre heures des Murs », l'informa-t-il. « Reste concentrée, même si tu crèves de fatigue sur ton cheval. » Elle le gratifia d'un air légèrement surpris, qui se referma presque immédiatement ; finalement, elle se contenta de hocher la tête pour retourner dans sa contemplation. Elle n'avait visiblement aucune envie de lui adresser ne serait-ce qu'une syllabe. Quelle gosse.
Lorsqu'Armin s'approcha, ce fut une autre histoire ; grand sourire, pupilles lumineuses, puis expression inquiète en voyant la préoccupation sur son visage encore un peu enfantin. Il coula un regard désolé au plus petit. De toute évidence, le changement de comportement de la jeune femme ne lui avait pas échappé.
« Tu vas bien ? » lança-t-il toutefois. Elle hocha la tête.
« Tu es dans l'escouade de Hansi, c'est ça ? demanda-t-elle en désignant les individus en question. Tout à l'avant... Est-ce que ça se passe bien ?
— Nous avons celle du chef d'escouade Mike pas loin. Je ne suis là que pour conseiller...
— « que » ? releva-t-elle, sourcils froncés.
— Dans le sens où je ne me bats pas.
— Pourquoi ? »
La question perplexe de la chercheuse parut frapper le blond en pleine face. Même lui oublie qu'elle ne se souvient pas. Il se reprit toutefois vite, et retrouva une expression quasi-normale. « J'ai eu deux en combat lors de ma formation », expliqua-t-il dans un petit sourire peiné.
Elle baissa la tête ; un rire nerveux s'échappa de sa gorge. « Je vois. » Ses yeux verts dérivèrent sur ses bottes, qu'on lui avait fournies au repère. « Ce n'est pas très pratique, dans un monde comme ça. » D'un doigt, elle se gratta derrière l'oreille. « Mais ton cerveau semble compenser. »
Ça fait pitié à voir. Le regard du caporal-chef balaya les deux cents soldats qui s'agitaient, nourrissant les chevaux et pansant les blessés dans leurs nombreux allers-retours entre les charrettes et leur équipe. Elle est en train de faire connaissance avec nous... Alors qu'elle nous a rencontrés il y a plus de huit mois.
Ils se remirent en route peu de temps après, et son escouade et lui reprirent leur position à l'arrière. Son esprit, s'il était concentré sur le chemin, se vit se scinder en deux, dédiant une petite partie à mille et une pensées.
Quelle amnésie de merde. Il se remémorait parfaitement la première fois qu'il avait rencontré Marion, agenouillée et menottée dans le hall de leur vieux quartier général. Plus jamais il ne l'avait revue aussi énervée qu'à ce moment-là.
Quoique... songea-t-il en se rappelant l'instant où il l'avait jetée dans un puits. Il y avait aussi eu son saut de la fenêtre pour récupérer son cher compte-rendu, l'instant où elle avait tiré sur Kenny, son discours sur les petits, son coup de gueule contre Jean et contre la décision de Livaï d'abandonner Leah, la manière dont elle avait parlé à Erwin après s'être fait réveiller...
Et, plus récemment, le moment où elle avait crié sur Eren et Isaac. Mais c'est presque rien, sur une durée si longue. Un signal rouge s'éleva ; il ordonna à Mikasa de le relayer. Elle ne s'est jamais beaucoup plus énervée ouvertement quand elle a commencé à mûrir que quand elle a débarqué ici... Et qu'elle n'était pas grand-chose de plus qu'une trouillarde finie.
Il soupira imperceptiblement. Elle et nous avons partagé toutes ces merdes, et elle est incapable de se le remémorer. Quelle ironie. De la fumée verte se fit voir. « Mikasa. » Dire que quand elle est arrivée, c'était le contraire...
Avant qu'il ne s'en rende compte, le Mur apparut à l'horizon. On est rentrés sains et saufs, songea-t-il en talonnant un peu plus son cheval alors que la formation accélérait. Eren et Marion sont de retour.
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