Retrouvailles - Partie 4
Ce fut avec un soulagement mitigé que Marion se glissa dans son lit de fortune. Ce n'était pas la dureté du sol froid qui la troublait ; en réalité, cela n'avait aucun rapport avec son état. Non, ce qui la bouleversait était cette impression d'être brusquement jetée au beau milieu de l'inconnu.
Ses seuls souvenirs remontaient à un mois, et se résumaient à Eren, Isaac, et beaucoup de sciences. Un peu de violence, aussi, mais, aussi surprenant que cela lui avait paru, elle n'avait pas été si remuée. Elle ne pouvait que deviner qu'elle en avait déjà vécu, et qu'elle était à demi rodée.
Lorsqu'elle avait vu le Bataillon débouler sur la base, elle s'était sentie heureuse, et avait eu l'impression de voir le bout de ce semi-cauchemar. Lorsqu'elle avait vu Livaï croiser le fer avec l'américain aux cheveux blancs, l'espoir qui s'était envolé quelques instants plus tôt était revenu en maître, et elle avait retrouvé la force de se défendre.
Enfin, lorsqu'elle les avait vus se battre, elle avait été soufflée par leur niveau respectif – ce même si, trop occupée à jeter des blocs de pierre sur les abrutis qui se lançaient vers eux, elle n'avait pas observé grand-chose. Tout ce qu'elle avait perçu avait été un duel violent, à la limite du sauvage, un tourbillon de haine abrupte entre deux as de la guerre.
Mais désormais, si elle n'était plus en danger, elle se sentait complètement perdue par le nombre de personnes qu'elle croisait. Les avait-elle connus ? Leur faisait-elle du mal à les oublier ? Il y avait cette fille, Mikasa, et ce garçon, Armin, qui paraissaient l'avoir déjà connue. Et il y avait surtout Hansi et le petit homme.
L'expression de choc qu'ils avaient arborée lui avait procuré une culpabilité sans nom. La première semblait avoir été proche d'elle ; le second, certainement moins. Mais elle avait cru discerner quelque chose d'encore différent, relevant peut-être d'une certaine confiance. Elle n'aurait su plus s'avancer, son expérience des relations humaines était très moindre, mais au moins se sentait-elle en sécurité, pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité.
Elle se tourna sur le côté, une main sous la joue. Ses yeux dérivèrent vers l'emplacement d'Eren, qui dormait enfin décemment, pour remonter sur celui du caporal-chef. Manifestement, l'individu était quelque chose entre « le soldat le plus fort des Murs » et « le combattant le plus puissant de l'humanité ».
Beaucoup de superlatifs pour une seule personne, si ce n'est trop ; un peu plus, et l'image que les autres avaient de lui ne se résumeraient plus qu'à ça. De même pour la chef d'escouade, et son amour inconditionnel des titans dont elle avait entendu parler au moins trois fois en six pauvres heures. Cette manie de mettre des étiquettes la surprenait. Ne pouvaient-ils pas voir qu'il n'y avait pas que ça en eux ?
Bordel de cul. N'essaye pas de comprendre, tu es aussi expérimentée qu'un nouveau-né. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle savait au moins une chose : le processus de modification de sa mémoire n'avait pas été achevé, puisqu'elle avait été rescapée avant la troisième injection de drogue. J'ai perdu mes souvenirs... Mais ils n'ont pas encore pu formater mon tempérament.
Et putain de merde, j'ai soif, réalisa-t-elle en s'humectant les lèvres. Elle se redressa, s'étira longuement et resta assise un instant dans ses couvertures. Ses muscles la lançaient d'avoir trop galopé, et elle n'avait aucune envie de quitter son nid plus ou moins chaud ; elle se retrouva tiraillée entre sa gorge sèche et l'envie de se lover une nouvelle fois.
« De toutes façons, je n'arrive pas à pioncer », grommela-t-elle tout bas. Elle se mit donc à quatre pattes, assaillie de bâillements intempestifs, et chercha son sac du bout des bras. « Ah, bordel... » Elle se frotta les paupières. « Où est cette merde ? »
Lorsqu'elle buta dans un genou dur, elle se retint de justesse de pousser un cri. « Imbécile », lâcha la voix de Livaï. Elle posa ses yeux verts sur lui, mais ne parvint à discerner que difficilement sa silhouette. Elle se leva donc ; l'obscurité épaisse qui l'entourait ne lui permit pas de voir plus net. « Où êtes-vous ? » finit-elle par chuchoter.
Une main forte se posa sur son épaule, la faisant sursauter. « Là. » Il lui fourra ensuite son sac dans les bras. « Je suppose que c'est ce que tu cherchais. » Elle murmura un remerciement et en sortit sa gourde ; à son grand désespoir, aucune goutte ne descendit dans sa gorge.
« C'est vide », constata-t-elle avec une déception non dissimulée. L'autre lui prit l'objet et appela un garde. « Remplis ça d'eau », ordonna-t-il. Dans l'impossibilité de le gratifier d'un regard surpris, la chercheuse fut contrainte de parler. « Pourquoi est-ce que je ne peux pas y aller moi-même ? »
Elle put deviner que le petit homme venait de se raidir, et regretta ses paroles ; mais, à son grand étonnement, elle l'entendit s'asseoir. Il en a sûrement marre de rester debout comme un piquet. Elle l'imita donc, se plaçant à sa gauche, sur la couchette.
« Eren t'a expliqué qui tu étais ? » Elle secoua la tête ; il sembla le voir, car il bougea encore légèrement. « De quoi est-ce que tu te souviens ? » Son cœur se serra, et elle baissa le menton. « De rien du tout. Avant ma première injection, c'est le noir total. Enfin... » Elle se mordit la lèvre.
« Il y a quelqu'un.
— Quelqu'un ?
— Je ne sais pas... Cette personne m'avait l'air proche de moi. Je ne sais pas à quoi elle ressemble. Est-ce que vous... »
Elle se stoppa net lorsqu'il se tendit encore plus.
« Monsieur Livaï ?
— Livaï n'est pas mon nom de famille, lâcha-t-il.
— Pardon, bafouilla-t-elle. Il y a un problème ? Est-ce que vous savez de qui il s'agit ? »
Il ne répondit pas de suite, et l'angoisse frappa la jeune femme. Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ? Peut-être qu'il va s'énerver. J'aurais dû me la fermer, mais je veux le, ou la retrouver... Qu'est-ce que j'aurais dû... Son flot de pensées s'arrêta net lorsqu'il lui ébouriffa brutalement les cheveux.
Hein ? Quoi ? Elle secoua la tête et regarda dans sa direction avec des yeux ronds, alors que sa paume chaude reposait sur ses mèches châtain. « Je la connais », confirma-t-il. Sa voix était affreusement neutre. La ? « Alors... Où est-ce qu'elle est ? » Il reprit la main qu'il avait négligemment laissée sur le crâne de l'adolescente.
« Elle s'appelait Leah », articula-t-il sur un ton qui manqua de la briser. Il s'est passé quelque chose. Son cœur s'affola ; un mal affreux lui bloqua la gorge et lui retourna l'estomac. Pourquoi est-ce que je me mets dans un état pareil ? pensa-t-elle, soufflée.
Elle l'entendit inspirer pour continuer, et se tourner vers elle. « Elle est morte. » Ses mots eurent le même effet qu'une bonne semelle dans l'abdomen : son souffle se coupa, ses muscles se crispèrent. « Comment ? » parvint-elle à murmurer.
Il lui raconta les faits sans détour. L'absence d'image qui suivit la frappa comme une balle. C'était le noir complet, et sa culpabilité était des plus étouffantes. Pourquoi... Elle contracta les mâchoires. Pourquoi est-ce que je me sens si triste, alors que mon cerveau bloque ?! Des larmes silencieuses se mirent à couler douloureusement sur ses joues alors qu'elle s'efforçait vainement de se souvenir ne serait-ce que d'un fragment.
« Marion. » Elle se mordit la lèvre, empêchant un sanglot de sortir de sa gorge. « C'est bon, je vois », rit-elle nerveusement. Il lui attrapa brusquement l'épaule. « Quoi ? »
La jeune femme sursauta, avant de souffler, une main sur son cœur battant.
« Bordel, me faites pas peur comme ça...
— Comment est-ce que tu peux t'en souvenir ? la coupa-t-il.
— Non, je ne me souviens pas, je veux dire... J'ai l'idée générale, corrigea-t-elle. »
A ces mots, il la lâcha ; malgré leur absence de contact physique, elle pouvait parfaitement sentir l'once de déception que trahissait son silence. Elle pinça les lèvres ; elle savait que rien n'était de sa faute, mais elle ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. « Mais... » commença-t-elle.
Un bruit sourd la fit taire. Elle entendit Livaï sortir quelque chose de tranchant, et se raidit. « Ne bouge pas », lui fit-il comprendre en posant fermement deux mains sur ses épaules, avant de se lever et de disparaître dans les ténèbres à pas de loup. Un frisson glacial parcourut son échine ; elle essuya rapidement les larmes qui étaient restées sur ses joues et déglutit. L'angoisse la gagnait déjà.
Qu'est-ce qu'il est en train de se passer ? Elle respira profondément, mais son cœur partit tout de même en vrille. Le silence se fit. Il était si parfait qu'il en devenait atrocement pesant. Où est-ce qu'il est? Elle eut beau plisser les yeux, il lui était impossible de repérer l'emplacement du caporal-chef.
Son inquiétude grandit d'un cran. Non. Elle serra les poings. Tu l'as vu se battre, quand même. Il saura faire son boulot. Mais cette pensée ne parvint pas à la rassurer ; tout le monde faisait des erreurs, il se pouvait qu'il se fasse prendre par surprise, et ils étaient dans le noir, c'était grandement défavorable pour qui ne savait pas où se trouvait son ennemi...
Je vais crever comme une bouse, conclut-elle en serrant ses genoux contre sa poitrine. Sa lèvre inférieure trembla. Je ne veux pas. Il en est hors de question. Réfléchis, Marion, petite merde, allez ! Elle griffa machinalement son pantalon, l'esprit en ébullition.
Je sais. Si un ennemi attaque ici, c'est pour nous récupérer, Eren et moi. Si je le réveille, il fera du bruit... Mais l'ennemi ne s'attendra certainement pas à ce que je me défende, puisque je suis à leurs yeux une pauvre loque sans aucune expérience en combat.
Ses doigts coururent sur son bras droit. Mais étrangement... Je me sens capable de me débrouiller... Elle fronça les sourcils avec concentration. Elle le sentait, quelque chose lui échappait. Mais ce qu'avait oublié son esprit, son corps l'avait mémorisé. J'ai sûrement appris l'auto-défense... songea-t-elle.
La volonté de vivre fit rage dans son estomac, et elle serra les dents. De nouveau, une présence rassurante apparut dans son esprit. Leah, je suppose. Elle s'accroupit silencieusement. Une larme perla au coin de son œil, mais elle la chassa d'un faible sourire. Dis, Leah... Qui étais-tu ?
Un bruit de course précipitée grandit brusquement derrière elle. Elle se releva d'un bond ; quelqu'un lui rentra violemment dedans, la porta dans ses bras et se précipita vers la fenêtre à une vitesse fulgurante. Sous une chaussure faiblement éclairée par la lune, la vitre se brisa, et Isaac sauta dans le vide.
Bientôt, la falaise défila derrière eux, et la plaine sous leurs semelles grandit d'une vitesse affreuse. L'air froid fit claquer ses habits, mais elle n'aurait pas pu plus s'en foutre qu'en cet instant-là. Dans peu de temps, ils allaient finir en pâtée pour animaux sauvages. Ce type est taré ! pensa-t-elle, paniquée, à la vue de son visage jeune qui restait parfaitement impassible.
Une ombre les suivit immédiatement ; Marion la fixa d'un air terrorisé. Son cœur battait à tout rompre. Qui est-ce ? Elle ne perçut de la personne qui les suivait qu'une chevelure noire, mais son niveau à la manœuvre tridimensionnelle en dit long sur son identité.
Livaï ? Elle serra les dents. Non... Quelque chose cloche. Qu'est-ce que... « Marion », l'appela la voix concentrée de Mikasa, qui venait de dégainer ses lames. Les yeux de l'intéressée s'écarquillèrent, et son cœur rata un battement. « Ne bouge pas. »
Elle obtempéra. Bordel de merde. Elle put voir les yeux rouges du jeune homme se tourner vers l'asiatique, pour finalement se plisser ; une étincelle y brilla. C'est mauvais signe, pensa la scientifique alors que l'affolement manquait de la gagner. Je ne l'ai pas vue se battre... Si elle n'est pas à la hauteur... Elle serra les dents. Elle va se faire déf...
Mais déjà s'élançait-elle en un éclair, et passait-elle avec une agilité impressionnante sous eux. Ok, je retire ce que j'ai dit, pensa-t-elle, soufflée, en la voyant remonter, lames en avant. L'adolescent resta parfaitement immobile ; la jeune femme, elle, ferma les yeux et se crispa machinalement à ses épaules, terrorisée. Soit on s'écrase, soit on se fait trancher en deux !
Un mouvement soudain lui coupa le souffle. Il venait brutalement de se décaler, et la soldate rata son coup de justesse. Il libéra l'une de ses mains pour sortir sa propre épée. Il est aussi équipé... remarqua-t-elle, la bouche entrouverte. On est dans la merde !
Mais au lieu de se lancer vers la guerrière, il balança sa lame sur elle. Elle l'esquiva de justesse ; du sang perla sur le dos de sa main. Ses traits parurent changer de la froideur à la colère. Elle accéléra encore ; mais au moment où elle allait fondre sur eux, quelqu'un prit sa place.
Dans un tourbillon métallique, Livaï fonça sur l'albinos, et celui-ci ne put éviter le sabre de se planter dans son épaule. Sous les yeux horrifiés de Marion, il poussa un cri, et son air changea du tout au tout, pour ne refléter qu'une haine sans nom pour son adversaire.
« Marion », l'appela son supérieur d'un ton ferme. « Dès que tu peux, attrape la main de... » Il s'arrêta brutalement, et ses yeux clairs s'écarquillèrent. Elle ne put qu'hurler lorsque l'américain la lâcha, et que les trois individus s'éloignèrent d'elle à une vitesse fulgurante alors qu'elle tombait, coupée de tout appui.
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