Retrouvailles - Partie 3

Après six longues heures plutôt calmes, la nuit était tombée sur eux, les prenant de court. « Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda Livaï à la femme, poussant sa monture jusqu'à elle. Elle pinça les lèvres, et promena ses yeux sur la formation. Seuls des visages épuisés s'offrirent à elle.

« On va s'arrêter aux ruines d'hier. Elles sont juste là », dit-elle en levant le menton vers l'abri de fortune qu'ils s'étaient confectionnés. Ils stoppèrent donc leur course, rangèrent la moitié des chevaux, postèrent des gardes et pénétrèrent le hall.

A sa demande, un Eren éreinté et une Marion complètement perdue se présentèrent devant elle et le petit homme. « Est-ce que vous allez bien ? » questionna-t-elle. Elle n'obtint comme seule réponse qu'un hochement de tête, et put voir le caporal-chef plisser les yeux.

Elle fronça les sourcils ; il dévisageait l'un, puis l'autre des deux sauvés. « Quoi, vous vous êtes pissés dessus ? » Lorsque le jeune homme se contenta de regarder le sol, un air étrange peint sur le visage, il se raidit. Il n'est pas comme d'habitude, put-elle constater. Et Livaï l'a aussi senti...

« Oh », lâcha celui-ci en se tournant vers l'adolescente. La crainte qu'il lut dans les yeux verts de celle-ci parut le troubler un court instant. « Marion », articula-t-il. Elle se crispa un peu plus, si cela était au moins possible, et recula presque lorsqu'il esquissa un mouvement vers l'avant.

Elle se méfie quasiment de nous, constata sa supérieure avec ébahissement. Est-ce qu'elle nous en voudrait de l'avoir laissée si longtemps là-bas ? Elle coula un regard vers son collègue, qui semblait penser la même chose. Est-ce qu'on vient de perdre sa confiance ?

« Je vais pas te bouffer », jeta-t-il finalement. « Tu le sais, à moins que ta cervelle de pigeon ait déjà oublié les ordres d'Erwin. » Le semi-titan écarquilla les yeux et leva une main, tentant vainement de l'interrompre.

« Pas besoin de tirer une tête de constipé, dit-il sèchement. On aurait bien aimé venir vous chercher plus tôt, mais il y a eu quelques merdes. Vous...

— Caporal, le coupa son subalterne. S'il-vous-plaît... »

Les sourcils de l'intéressé se dressèrent d'abord, pour se froncer en voyant la jeune femme aborder un air presque navré. Qu'est-ce qu'il se passe ? La lycéenne se gratta nerveusement la nuque. « Excusez-moi... » hésita-t-elle finalement. « Qui êtes-vous? »

Les yeux du caporal-chef s'écarquillèrent, et ses lèvres s'entrouvrirent. Il y eut un long silence, durant lequel il la scruta, sidéré. « Eren », finit-il par articuler. « Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? »

Le soldat déglutit. « Ils lui ont modifié la mémoire », souffla-t-il. « Marion... C'est Hansi, et Livaï. Tu te souviens ? Je t'en avais parlé. » Elle les observa un moment, avant de secouer la tête. « Je suis désolée. »

Elle nous a oubliés, se répéta la chef d'escouade. Elle eut beau revenir interminablement sur le visage de sa protégée, la dévisager encore et encore, tout ce qu'elle y reconnut fut le regard incertain et mal à l'aise que l'on jette à des inconnus qui auraient interpellé la mauvaise personne.

Cette vision eut le même effet que si on lui avait logé un coup dans l'estomac. Elle se tourna vers le petit homme, qui se contentait de fixer la jeune femme, l'air sombre. « Je vois », finit-il par énoncer. Son masque impassible retomba sur son visage.

« Je suis Livaï », lâcha-t-il. « Voici Hansi. » Marion acquiesça silencieusement, et le soulagement prit visiblement place à la tension qui la crispait quelques instants plus tôt. « Je ne sais pas quand est-ce qu'on t'a bidouillé la cervelle, mais ça serait pas mal que tu nous éclaires sur ce qu'il s'est tramé là-bas pendant tout ce temps. »

Nouvel hochement de tête ; les yeux verts de la chercheuse se posèrent sur son interlocuteur sans flancher. C'était bien la première fois que la chef d'escouade la voyait le soutenir du regard, et il laissa paraître un frugal étonnement.

« Eh bien... » Elle se tut pour poser un doigt sur son menton, plongée dans sa réflexion. « Par où commencer... » Elle coula un regard à Eren, qui lui fit un bref sourire. « Eren est resté attaché tout le long », commença-t-elle par expliquer. Manifestement troublée, elle se mordilla la joue. « Mais... » Elle s'étrangla, pour se reprendre. « Je veux dire, il avait ses pouvoirs de régénération. Donc au final... »

Hansi se tendit. « Que veux-tu dire par là ? » Le regard de l'intéressé s'enflamma.

« Ces lâches se sont servis de moi comme d'une excuse, fulmina-t-il. Si Marion n'obéissait pas à leurs ordres, j'en prenais pour mon grade. Je ne pouvais rien faire de là où j'étais...

— Donc, tu suivais leurs indications ? demanda Livaï en se tournant de nouveau vers la jeune scientifique, qui acquiesça.

— Je suppose que je n'aurais pas dû, murmura-t-elle. Je ne me souviens pas très bien de cet instant-là. Lorsque j'étais pleinement consciente... Non, aussi loin que mes souvenirs remontent, se corrigea-t-elle, le fait que je travaille pour eux était un fait. Cette... « menace » n'était que sous-entendue. Mais au début, ils ont certainement dû me faire clairement comprendre que je n'avais pas le choix... »

Il y eut un court silence, durant lequel les deux supérieurs réfléchirent.

« Qu'est-ce que tu faisais ? reprit la femme.

— Ils m'ont fait faire des travaux poussés sur les titans, expliqua l'autre. Pour les améliorer. Il va y avoir une seconde génération de géants... Je suis parvenue à glisser de discrètes faiblesses, mais avec des scientifiques aguerris autour de moi... Je suis vraiment désolée, termina-t-elle en baissant la tête. »

Le visage de Livaï se fit grave. « Développe », ordonna-t-il. Elle leur exposa donc qu'ils étaient désormais capables de vivre de nuit si leur activité de jour n'avait pas été trop intense, et stockaient leur énergie à la manière d'« accumulateurs ». Aucun des trois explorateurs ne comprit ce terme ; elle tenta bien de le leur définir, mais les mots « électricité » et « batterie » ne passaient définitivement pas.

« Quant aux imperfections... J'ai dû y aller avec des pincettes. Je ne pouvais pas laisser ceux qui allaient souffrir de ces armes face à des êtres invincibles... En étudiant de plus près le fonctionnement du codage génétique, j'ai pu discrètement supprimer les liens entre le cerveau de l'humain coincé dans le titan et ses chevilles, l'empêchant de sentir et de régénérer une portion de ses talons. Si vous leur sectionnez le tendon, il tombera à terre et y restera. Du moins, si ça a fonctionné... » souffla-t-elle, soucieuse.

Les épaules de la femme se détendirent à cette nouvelle, et la curiosité la fit tressaillir. « Quand est-ce qu'ils seront de sortie ? » La plus petite se frotta le front, décalant au passage ses mèches qui avaient retrouvé leur couleur châtain naturelle. « Dans un moment. Je n'ai pas été autorisée à approcher les humains en transformation. Je ne connais pas le processus exact, mais... »

Elle fut coupée par le caporal-chef, qui leva une main pour la faire taire. « Tu es en train de dire que les titans sont réellement des humains ? » articula-t-il. Elle le gratifia d'un air surpris. « Oui », répéta-t-elle sur un ton d'évidence. Le choc se dessina sur ses traits. C'est vrai, se souvint la major par intérim, soucieuse. Lui qui valorise autant les vies humaines... « Donc, j'ai passé mon temps à tuer des hommes pour protéger d'autres hommes ? » cracha-t-il, acerbe.

A ces mots, la chercheuse fronça les sourcils. « Oui », confirma-t-elle, le faisant plisser les yeux. « Mais je crois que vous confondez quelques petites choses. » L'intérêt piqua la femme, et elle tira une caisse à elle pour s'asseoir, en partie à cause de son pied douloureux.

« Humains ou pas, ça n'a pas vraiment d'importance. » Elle dut faire face à des expressions choquées, et toussota, embarrassée. « La... La priorité dans l'histoire, c'est qu'ils mangent d'autres hommes. Ils ont déjà perdu leur humanité : ils ne sont conscients de rien, et... Il y a fort à parier que jamais ils ne redeviendront comme avant. Ils sont tellement fusionnés avec leur titan que même leur squelette a disparu... C'est une conjecture, puisque je n'ai pas été amenée à les étudier directement, mais seule une partie de leur cerveau, la partie motrice, devrait encore être intacte. »

Il lourd silence accueillit ses paroles. Quand elle s'y met vraiment, elle nous cloue un peu le bec... songea Hansi avec un très léger sourire. La jeune femme regorgeait manifestement de nouvelles informations sur les monstres ; si l'idée de tout savoir l'enthousiasmait au plus haut point, elle se freina tant bien que mal. Elle a besoin de repos. Je ne peux pas lui sauter dessus dès qu'elle revient...

« Si tu le dis », dit l'homme en s'adossant au mur, bras croisés. Tous les regards se tournèrent vers lui ; il avait, une seconde fois, retrouvé son air neutre.

« C'est simplement immonde.

— Je vous l'accorde, souffla la plus petite en regardant ses genoux. »

On lui demanda ensuite de raconter ce qu'il s'était passé avec Eren. C'était elle qui avait filé entre les doigts d'Isaac, qui était censé la surveiller à chaque instant, pour ouvrir la cellule du jeune homme – ou plutôt, la défoncer à coups de marteau – et le libérer de ses chaînes. Là, il s'était transformé, avait massacré les gardes américains qui arrivaient et avait projeté de partir avec Marion. Seulement, ils avaient été rapidement stoppés par l'albinos.

« L'équipement qu'il portait... Comment est-ce que vous appelez ça ?

— L'équipement de manœuvre tridimensionnel, répondit le semi-titan.

— D'où est-ce qu'il venait, je ne sais pas vraiment, ni comment il en est arrivé à le maîtriser – de ce que j'ai compris, tous les militaires des Murs apprennent cette technique. »

Le cœur de Hansi se pinça. Peut-être que la mémoire lui reviendra, tenta-t-elle de se convaincre. « Il se peut qu'il se soit débrouillé seul », proposa alors le caporal-chef. L'autre acquiesça plusieurs fois, songeuse.

« Enfin », dit-il en se redressant. « Allez dormir. On part tôt. » Les deux subalternes acquiescèrent, et le suivirent jusqu'à une porte, derrière laquelle ils disparurent. Hansi leur fit un petit signe de la main avant de passer ses doigts dans ses mèches, le regard rivé au plafond. Peut-être. Je l'espère...

Lien vers l'image : https://www.deviantart.com/redcoaster/art/Hange-Zoe-703843202

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