Périple - Partie 5
Il est vivant... Ses mains se mirent à trembler. Isaac est vivant... Partagée entre le soulagement et la terreur, elle ne put empêcher les milles questions qui surgissaient de l'assaillir. Comment avait-il survécu ? Pourquoi ne s'était-il pas manifesté ? Allait-il tenter de l'enlever une nouvelle fois ?
Elle ne put que se crisper à cette idée. Non. Son poing se serra contre la peau chaude du mastodonte. Ce connard ne m'aura pas. Ici, même s'il y a Livaï, c'est toujours mieux qu'avec ce psychopathe.
Elle leva donc le visage vers sa supérieure, accrochée au coude d'Eren. Même en étant secouée dans tous les sens, elle trouva un moyen de se retourner vers elle et d'épouser les enjambées violentes de leur porteur. « Hansi », appela-t-elle. L'intéressée se retourna. « Isaac est ici. »
La brune scruta à son tour l'ancien champ de bataille. Il était désormais recouvert de cadavres éventrés ; seul le jeune garçon se tenait au milieu, les pieds baignant dans le sang. « C'est vrai », souffla-t-elle, stupéfaite. « Il les a tous tués... Pourtant, ils parlaient l'anglais... Pourquoi est-ce qu'il a fait ça ? »
Livaï, qui avait manifestement entendu leur conversation, descendit à la hauteur de la chef d'escouade.
« Tch... Je lui avais tranché le ventre, à ce con. Il est bien plus solide que ce que j'imaginais.
— C'est un semi-titan, après tout, et pas des moindres, dit sa collègue. Mais le plus alertant est que nous ne connaissons pas son but...
— Ça serait du suicide s'il voulait capturer Marion maintenant, lâcha-t-il. Il en a conscience. Se montrer n'est pas non plus à son avantage, et tuer ses alliés, encore moins. »
Sur ces paroles, il se plaça à côté de la chercheuse, une expression impassible plaquée sur son visage fin. Mais cette fois-ci, elle ne se raidit pas. Son inquiétude avait une toute autre source ; si le caporal-chef ne la rassurait pas, elle était au moins sûre qu'il allait s'opposer à l'albinos en cas de problème.
Mais ne crois pas que ma méfiance va baisser. Ils arrivèrent bientôt à la berge opposée. Jean s'occupa de déloger le brun de la nuque du titan ; les autres descendirent à terre. « On n'a plus de chevaux », jeta le petit homme, que suivait la jeune femme, à l'attention des autres officiers. « Avec l'autre guignol dans le coin, envoyer un groupe pour les chercher est trop risqué. Nos provisions sont aussi envolées, et... »
Une déflagration le coupa net. L'américain venait de se transformer, et la créature qu'il était devenu leur lança un regard appuyé avant de s'enfuir. Durant quelques minutes, dans un silence parfait, les soldats observèrent sa progression, bien visible grâce au remue-ménage qu'il causait à la cime des pins. Le plus étonnant était qu'il ne paraissait pas s'arrêter de sitôt. « On dirait qu'il veut s'éloigner... Pour qu'on récupère nos affaires », murmura un Armin déstabilisé.
Les supérieurs réfléchirent un long moment. Non loin de là, Mikasa aidait Eren à marcher ; le visage de celui-ci, encore strié par sa métamorphose, était crispé de colère. « Il se fout de nous », cracha-t-il. « Il essaye d'abord de nous défoncer, puis il veut faire ami-ami d'un coup ?! »
Le caporal-chef leva une main. « Il est primordial qu'on récupère nos provisions et nos montures. Hansi ? » Elle hocha la tête. « Rico, est-ce que tu peux y aller avec Mikasa ? » demanda-t-elle ; l'intéressée opina du chef et partit immédiatement, suivie de la guerrière.
« J'espère qu'elles reviendront en un morceau », grommela Marion à son camarade blond. Il eut un faible sourire. « Moi aussi. » Ils attendirent donc, sur leurs gardes ; la tension qui flottait dans l'air était presque palpable. Durant cette attente interminable, la jeune scientifique se mit à jouer du bout de sa botte avec une pauvre branche cassée, et sursauta lorsqu'une mouche se posa sur sa main.
Après vingt bonnes minutes, de la fumée verte s'éleva enfin de l'autre côté de l'étendue. « On y va. » Ils se mirent en route, se frayant un chemin parmi les ronces. Ils rattrapèrent ensuite la voie qu'ils avaient empruntée une heure plus tôt. Ce fut avec soulagement que ses semelles rencontrèrent la terre dure et régulière.
Ils remontèrent la pente d'un pas dynamique. La lycéenne ne prit pas le loisir d'éviter chaque roc émergeant du sol brun qui se présentait à elle ; rongée par l'angoisse, elle se contentait de les enjamber pour suivre mécaniquement la cadence.
Le trajet lui parut affreusement long, jusqu'en haut du précipice. Chaque petit bruissement la faisait bondir aussi sûrement qu'un danger imminent. D'où est-ce qu'il va sortir ? Ses dents cherchèrent d'elles-mêmes sa lèvre inférieure pour la mordre nerveusement, ignorant la douleur qui en résultait. Ses yeux papillonnèrent de la racine au tronc, à la recherche d'un seul mouvement, aussi minime soit-il.
« Marion », murmura Armin à sa droite. Elle lui jeta un œil. « Tu trembles. » Elle entrouvrit la bouche à ces mots. Bordel de merde, c'est vrai. Sa main attrapa son autre avant-bras dans une vaine tentative d'en calmer les secousses. Cette peur maladive lui était étrangement familière, mais une nouvelle fois, dans sa recherche pour en déterminer la source, elle buta péniblement contre le mur dur et froid dressé dans son esprit.
Tant pis. Le lieu où ils s'étaient fait attaquer était déjà à une vingtaine de mètres. Lorsqu'elle aperçut Bartholo au milieu des montures rassemblées, un soupir de soulagement lui échappa. A pied, elle se sentait bien plus vulnérable ; mais avec lui, elle pouvait presque échapper à n'importe-quelle menace.
Quelques minutes plus tard, tous remontaient prudemment en selle, et repartaient en silence vers le nord, sous le commandement de Hansi. Eren et la chercheuse se retrouvèrent de nouveau encadrés par les plus qualifiés, et Rico partit en éclaireur avec une Historia sur ses gardes.
Elle avait été la moins touchée ; Ymir devait encore se remettre d'avoir frôlé la mort, et Jean et Marlowe, d'avoir dû faire face aux guerriers ennemis seuls. Ce fut dans cette ambiance muette et rigide qu'ils passèrent la fin de la journée à trotter.
Lorsque le soleil se cacha derrière l'horizon, et que seuls ses rayons chauds d'au-revoir furent visibles, ils atteignirent un village isolé où la vie avait récemment pu reprendre son cours, pour la première fois depuis des années. Deux maisons étaient allumées ; quelques volailles se promenaient dans un enclos tout juste réparé ; un seul magasin arborait fièrement sa pancarte repeinte, et une petite écurie abritait trois canassons bais.
« Marlowe, passe chez les habitants pour leur prévenir de notre arrivée », distribua Livaï. « Armin, Historia, Sasha, montez les tentes. Marion et Eren, préparez le feu. Mikasa, monte la garde. Quant à vous, Jean et Ymir, déchargez ce qu'il faut pour le repas et la nuit. »
Ils s'attelèrent tous à leur tâche. La chercheuse bailla plusieurs fois en plaçant les branches qu'on lui avait fournies. La fatigue lui faisait tourner la tête ; elle dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de parvenir à faire un tas convenable, et à le sécuriser.
Cela n'échappa pas au jeune garçon. Il se proposa pour allumer le feu, ce qu'il s'empressa de faire avec une torche. Les flammes s'élevèrent bientôt, hautes et ardentes, et captivèrent sans difficulté les prunelles de la jeune femme.
Elle s'assit lourdement au sol. Elle se serait mieux sentie même si ses jambes avaient été faites de plomb. Elle était incapable de bouger ne serait-ce qu'un muscle ; lorsque le caporal-chef passa à côté d'elle pour jeter un œil aux rations qu'avait posées Sasha, elle ne se crispa pas d'un iota.
« Oh », jeta-t-il à l'intention de la gloutonne, qui reluquait la nourriture avec une intense passion. « Reprends-toi. Si tu continues comme ça, tu ne seras plus différente de Hansi face aux titans. » Ces douces paroles lui firent tout au plus froncer le nez ; mais aussi fort qu'elle essayât, elle ne parvint qu'à reculer d'un demi pas, et cette simple action parut lui coûter son cœur entier.
Avant que la jeune scientifique ne s'en rende compte, Rico lui tendait son dîner, enveloppé dans un emballage de papier. « Merci », articula-t-elle en s'en saisissant et en portant le biscuit sec et sans goût à ses dents. Sa supérieure s'assit à sa droite.
« C'est une bonne chose qu'on ait pu récupérer nos affaires, dit-elle, mais le comportement de cet Isaac n'est pas rassurant. Qui sait ce qu'il planifie...
— C'est vrai.
— Toi, qui as vécu avec lui quelques semaines. Tu as une idée de ce qu'il veut ?
— Bonne question... songea la plus jeune. »
Elle ôta ses larges lunettes rouges pour les poser à côté d'elle. Là, elle se pinça l'arête du nez, sourcils froncés. Le visage de l'albinos lui revint en tête ; son expression calme lorsqu'elle était tranquille, affolée lorsqu'elle s'égratignait, furieuse lorsqu'elle se trouvait en danger.
Mais celle qu'il avait arborée alors qu'elle et Eren s'apprêtaient à s'enfuir était la plus saisissante de toutes. Ses yeux rouges s'étaient écarquillés, ses lèvres fines, entrouvertes, et ses traits avaient reflété une horreur sans nom. Puis, d'une armoire en ferraille couchée à terre, il avait précipitamment sorti un équipement de manœuvre tridimensionnelle, qu'il avait enfilé à l'arrache.
Là, il s'était élancé sans attendre. Le mastodonte ne s'était pas encore libéré du toit qui l'enserrait qu'il l'avait saisie par la taille et lui avait injectée quelque chose dans le bras. Ce qu'il s'était passé ensuite, elle n'en avait entendu parler que par son ami. Pour elle, c'était le noir total.
La dernière tête dont il l'avait gratifiée avait été du regret et une colère sans nom. Elle se souvenait encore de sa voix, étonnamment douce, presque enfantine, pour quelqu'un comme lui. Il n'est pas muet, se rappela-t-elle. Ce n'est qu'à ce moment où j'ai compris qu'il n'avait pas de langue...
Elle laissa échapper un soupir ; les yeux bleus de son interlocutrice se plissèrent légèrement. Toutes ses réactions étaient tournées vers moi. Ce qu'il est en train de faire est certainement lié à moi d'une certaine façon... Mais s'il voulait me récupérer, il nous aurait pris par surprise.
Son doigt vint doucement caresser sa gorge. Tuer... Il veut peut-être tuer quelqu'un. Il a tué les américains ; de toute évidence, il n'est plus de leur camp. Mais il n'est pas du nôtre non plus... Est-ce qu'il a rejoint quelqu'un d'autre ?
Livaï passa devant elle, et s'assit un peu plus loin. Tuer... Elle fixa le feu sans le voir. Les souvenirs éclataient à la surface de son esprit, de plus en plus nombreux, de plus en plus précis. Elle put bientôt jurer qu'ils prenaient vie devant elle.
Bientôt, au beau milieu des seringues et des barreaux de fer, une ardoise apparut. « Li »... lut-elle. Ses yeux s'écarquillèrent. Elle se tourna brusquement vers le caporal-chef, les ongles plantés dans la terre. Il lui jeta un regard légèrement surpris, dont elle ne prit pas compte le moins du monde. Déjà, son attention dérivait sur les bois obscurs derrière eux ; leurs ombres s'étalaient, s'épaississaient dangereusement, tel un poison fatal et vicieux.
Tuer Livaï. Il fronça les sourcils. « Qu'est-ce que t'as ? » Il veut tuer Livaï. Une main se posa sur son épaule lorsque la chef d'escouade de la Garnison tenta, avec succès, de la ramener à la réalité. Son cœur battait à toute vitesse, et ses paumes étaient moites. L'autre ne se manqua pas de le lui faire remarquer.
« Tu as trouvé une réponse ? » Elle déglutit avec difficulté, pour finalement expliquer sa réflexion. Ce fut avec plus d'hésitation qu'elle en vint à sa conjecture, mais elle prit tout de même le soin de ne pas mentionner ce qu'elle avait pu lire, mais seulement la haine que ressentait le jeune garçon.
Le petit homme se contenta de finir sa tasse de thé. « Bien sûr qu'il veut ma peau », lâcha-t-il. « Ce type me déteste. Et je ne suis pas le seul visé ; il y a aussi Mikasa. Lorsqu'on l'a combattu, il était furieux à s'en constiper. » La guerrière en question tourna distraitement les yeux vers eux, pour retourner à son repas.
« Qu'il essaye de nous attaquer est désormais évident. Peu importe les théories que tu sors, nous devrons toujours nous tenir prêts. » Marion hocha simplement la tête. Ils sont réellement en danger. Elle pinça les lèvres ; une légère angoisse florissait en elle. Livaï est flippant et dangereux, mais pas au point que je souhaite sa mort.
Elle ne pipa plus mot du reste de la soirée, si ce n'est pour souhaiter une bonne nuit aux autres. Juste avant de rentrer dans la tente à la suite d'Eren, elle jeta un œil au ciel entièrement noir. On ne voit pas les étoiles. Une once de déception la traversa ; elle la balaya sans attendre et rejoignit son matelas dur.
En espérant qu'on ne m'égorgera pas... pensa-t-elle tandis que le sommeil la happait.
***
Ils dorment, constata Livaï en entendant la respiration de ses deux subalternes se calmer. Il se tenait à l'entrée de la toile, l'oreille tendue et l'œil plissé. Il prenait le soin d'analyser chaque bruissement qui lui parvenait ; l'ennemi était puissant, et l'obligeait à déployer toute l'attention dont il était capable.
Mais si rester alerte en permanence était particulièrement fatiguant, il pouvait tenir bien longtemps ainsi, et n'allait pas s'en priver. Voir ses hommes égorgés était la dernière de ses envies. Nul doute qu'Isaac n'hésiterait pas à en venir à cette extrémité – qui n'en était plus une, lorsqu'on parlait de lui.
Son corps se raidit subitement. Il avait perçu quelque chose. Un bruit différent des autres. Sa main se posa d'elle-même sur le manche de son couteau. Lorsque quelque chose de blanc et de fin fonça à grande vitesse vers son visage, il le repoussa immédiatement sur le côté, et l'écrasa de son pied.
Un manuscrit ? Il eut beau scruter l'obscurité, la seule silhouette qu'il vit ne faisait que s'éloigner, bien en évidence. Il n'attaque pas. Il resta un long moment immobile. Il m'a repéré... Mais il n'attaque pas. Mieux que ça ; il se barre.
Les minutes s'écoulèrent avec lenteur. Finalement, son intuition lui chuchota que tout danger était passé, et il ramassa prudemment l'avion de papier que l'albinos lui avait jeté à la face. Il le déplia avec soin, et enleva du bout des doigts la terre qui s'était déposée dessus.
« Je reste dans l'ombre. » On avait cru comprendre. Irrité par la manière du jeune garçon, il le fusilla du regard de là où il se trouvait. Sa chevelure blanche était bien visible malgré l'obscurité opaque ; il était tranquillement assis dans l'herbe, à découvert. Petite merde de cliché ambulant.
L'homme froissa le mot dans sa main. Fait chier. Si je ne peux pas le tuer même en lui plantant une foutue lame dans le bide, qu'il crève d'une diarrhée. C'est tout aussi douloureux, et sûrement plus efficace. Il se contenta donc d'attendre, maussade.
Si même Ackerman et moi réunis ne pouvons pas l'achever... Désormais, ses doigts jouaient nerveusement avec son arme. Quoique, peut-être que dans d'autres circonstances, ça serait possible. Je l'ai affronté trois fois. Une où il m'a glissé entre les doigts, deux où je suis parvenu à le mettre à mal. La troisième fois sera la bonne ; toutefois...
Il laissa retomber son bras. Toutefois, s'il n'attaque pas, nous ne pouvons pas risquer de foncer. On a perdu bien assez d'hommes... Le pari est trop risqué. Seulement, on ne peut pas non plus rester avec une menace constante...
Il savait d'avance que la question n'aurait pas de réponse, et jeta un œil dans la tente. Cette situation lui était tout, sauf confortable. On en parlera à Erwin, décida-t-il. Ses yeux s'attardèrent une seconde de trop sur la boule de couvertures que formait Marion ; il les détourna vers le ciel obscur sans attendre.
Aucun espoir de l'humanité ne vaut plus que les autres.
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