Périple - Partie 3

Shiganshina, Mur Maria, 15 mai 851

Le soleil émergeait tout juste, colorant doucement le ciel laiteux d'un rose pâle, lorsque Marion enfourcha Bartholo. Elle se trouvait face à la réserve aux murs abîmés du Bataillon, qu'elle allait bientôt quitter pour un petit moment.

Il y avait six semaines de cela, on lui avait redonné une étude qu'elle avait faite sur une fille du nom d'Annie, enfermée dans un cristal de fluorine transparente. De ce qu'on lui avait dit, à la manière du titan mural, elle était restée parfaitement immobile tout le long et ne paraissait pas prête à se réveiller.

Mais le premier mars, ses supérieurs l'avaient informée qu'ils partiraient pour Stohess dans le but d'interroger l'ennemie. Ils ont pris une belle équipe, songea-t-elle en regardant les différents soldats issus de la 104ème Brigade d'Entraînement.

Depuis son arrivée ici, elle avait eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec eux, au point de se sentir assez bien en leur compagnie. La plus proche d'elle était certes Hansi ; et suivait Eren, puisqu'ils étaient restés dans la base américaine ensemble. Seulement, il lui était arrivé de demander de l'aide à Armin, de cuisiner avec Sasha ou de s'entraîner contre Historia.

Ceux-ci au moins semblaient ne plus être dérangés par la modification de sa mémoire. Rico, quant à elle, ne l'avait pas connue avant, et sympathiser, tout en restant dans une relation purement hiérarchique, n'avait pas été compliqué.

Seulement, quelques problèmes la tourmentaient. Des rêves flous s'immisçaient dans son sommeil, des sensations inattendues la gênaient, et il lui arrivait d'être nerveuse par moments, sans raison particulière.

Elle n'en avait parlé qu'une fois à la scientifique, en lui demandant avec embarras si elle avait déjà embrassé quelqu'un. Quelque chose bloquait avec force son accès à un potentiel souvenir, et le mentionner ne l'avait manifestement pas aidée.

Tant pis, s'était-elle dite. Bien que la situation fût en train d'empirer doucement et qu'elle se réveillait de plus en plus la nuit, sous le regard interminablement impassible de Livaï, elle était désormais sûre que d'en discuter ne menait à rien.

Celui-ci, monté sur son étalon noir, venait tout juste de prendre place à sa droite. Comme toujours, elle se raidit ; contrairement à ce que lui avait dit sa supérieure, le temps n'avait fait qu'accroître sa méfiance envers lui. Il ne fit aucune remarque, à son grand bonheur. Pour ce qui était de la tête qu'il tirait, elle ne tenait pas vraiment à le dévisager pendant trois heures pour savoir s'il était irrité ou pas.

Lorsqu'ils furent tous prêts, il vérifia une dernières fois ses lames. « On y va », ordonna-t-il. Ils partirent donc dans l'aube calme, que dérangeaient doucement le claquement des sabots contre les chemins dallés. Rico eut tôt fait de les encadrer, elle et Eren, sur la gauche, et Mikasa de fermer la marche.

Plutôt que protégée, elle se sentait envahie, mais ce sentiment horripilant était presque devenu familier. Elle passa une nouvelle fois outre. On ne lui avait pas clairement expliqué pourquoi elle devait subir cette garde rapprochée, mais avait vaguement entendu une histoire d'espoir de l'humanité.

Peu importe. Ce sont les ordres... se dit-elle sans grande conviction. Elle dirigea donc son regard sur les façades de pierre taillée encore écroulées du quartier voisin, au toit troué et presque démoli. Mais bientôt, les explorateurs arrivèrent dans les quartiers en réparation, et le paysage changea du tout au tout.

Des charrettes croulantes de briques, quand ces dernières n'étaient pas posées en tas organisés, jonchaient les bas-côtés. Des ouvriers sobrement équipés de casques métalliques et de gants de cuir en hissaient quelques-unes, et d'autres y ajoutaient une étrange mixture marron, servant très certainement d'alliage.

Quelques bâtisses plus loin, on pouvait constater le fruit de leurs efforts, qui mûrissait depuis un mois déjà. Ils s'attaquent au nord, et il y en a aussi à l'ouest. Ça avance plutôt bien, pensa la jeune femme. Lorsqu'elle remarqua l'air agréablement surpris d'Eren, et les yeux brillants d'Armin, un sourire se dessina sur son visage.

Ils lui avaient rapidement parlé de leur enfance ici ; des bagarres du premier, et des lectures interdites du second. Ils avaient certainement beaucoup de souvenirs attachés à cette cité. La voir reprendre du poil de la bête devait faire un bien fou.

La froideur soudaine qui assaillit Marion la fit frémir, et lui apprit qu'ils passaient la large porte menant à l'intérieur du Mur Maria. Après quelques secondes d'ombre, les prairies s'étalèrent sous ses yeux, verdoyantes et presque infinies.

Un chemin de terre coupait cette mer d'herbes dansantes en deux. Quelques touches de blanc et de violet parsemaient le tout, un arbre par-ci par-là élevait ses branches rassurantes, et les montagnes, à peine discernables, presque imperceptibles, tentaient d'encadrer ce paysage de printemps.

Le ciel tout juste éveillé, transcendé par les rayons chauds et rosés du soleil levant, recouvrait le tout avec une telle bienveillance que la chercheuse aurait bien voulu s'y noyer. Elle ne put empêcher ses yeux de s'émerveiller, et ses lèvres de lâcher une exclamation assez discrète pour n'avertir que ses voisins immédiats. Putain de merde, ça change des Murs... Si, comme ils l'ont dit, Rose se trouve en face de nous, il se fait bien timide.

Elle se concentra toutefois sur la route ; elle tenait peu à se faire réprimander dès le début de sa première réelle mission. L'organisation se trouva être assez différente de la formation qu'avait adoptée de Bataillon lors de leur sauvetage. Ils trottaient en groupe, et une seule charrette couverte les accompagnait. Après tout, ils n'étaient plus cent ou deux cents, mais onze.

La matinée passa assez rapidement, et elle fut presque étonnée lorsque Hansi ordonna l'arrêt de la formation pour le déjeuner. Ils se postèrent dans un village aux rues étroites, et aux jardins envahis de plantes sauvages. Un sentiment désagréable la saisit aussitôt ; elle dut se forcer à manger sa ration, et resta parfaitement muette.

« Marion, il y a un problème ? » lui demanda Historia. Elle sursauta, pour se calmer en rencontrant son petit visage et celui, plus dur, d'Ymir. « Oui. Fatiguée, je veux dire », rit-elle nerveusement.

Elle retourna immédiatement à sa contemplation des lieux. Ses paupières se plissaient d'elles-mêmes ; ce fut lorsque le regard de Livaï pesa lourdement sur elle qu'elle secoua vigoureusement la tête. Son attention se focalisa sur un papillon brun qui peinait à décoller du sol, et son cerveau tenta de se mettre à sa place, se rappelant les sensations que lui procurait la manœuvre tridimensionnelle.

Ça ne doit vraiment pas être agréable, conclut-elle. Ils se relevèrent, retournèrent à leurs montures et reprirent leur route. De toute façon, un papillon, c'est laid. Sur cette réflexion, elle tenta d'ignorer son cœur qui s'affolait sans raison, et caressa distraitement l'encolure chaude et alezane de Bartholo.

Elle ne vit pas le temps passer, plongée dans son petit monde de chiffres et d'études. Mais un choc la réveilla brusquement ; son animal venait de trébucher sur une pierre mal placée. Elle constata avec stupeur les chênes et les pins qui encadraient la route pentue sur laquelle ils évoluaient.

On va dans les hauteurs. Elle regarda le petit groupe. Jean et Marlowe manquaient à l'appel. « Ils sont partis en éclaireur », lui expliqua Eren en remarquant son air ahuri. « Là, on passe les plateaux. » Elle acquiesça ; ces quelques éléments perturbants prenaient subitement sens.

Une brise fraîche s'éleva de la forêt environnante, et remua délicatement ses cheveux châtains. Elle les remit en place silencieusement. Si elle commençait à avoir mal aux fesses à force d'être assise, le chant des oiseaux, et le cadre qui venait avec, équilibraient d'une certaine manière son humeur.

La douce descente qui s'accentuait à leur gauche se transforma bien vite en ravin escarpé ; la crainte remonta son échine en un frisson à glacer des braises. Les roches acérées se dressaient, aux sommets couverts de mousse grise ou verte, et aux creux remplis de petites brindilles et de cadavres de feuilles d'automne.

Bientôt, une lumière éblouissante filtra au travers des rares arbres les séparant du vide. Un lac à l'eau profonde, dans lequel rivières, ruisseaux et filets se jetaient, s'étalait sous eux. L'espace à leur droite, quant à lui, s'aplanit et s'agrandit, leur permettant de guider leurs montures dans l'herbe fraîche.

Les troncs se firent de plus en plus épars, et dévoilèrent la cuvette dans laquelle il gisait. Les deux bras forts et protecteurs de la nature sauvage qui vivait autour l'entouraient si bien qu'on aurait cru voir une mère enlaçant tendrement son enfant.

Elle dut toutefois s'arracher à cette vue majestueuse. Livaï et Mikasa venaient brusquement de s'arrêter, leurs yeux impassibles scrutant les bruyères. Une légère tension se propagea dans le groupe ; les chevaux s'arrêtèrent, et le silence se fit.

Subitement, de la fumée rouge s'éleva en face d'eux, et à leur droite.

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