Mitige - Partie 3
Shiganshina, le soir même
« Quelle merde. » Hansi regarda Livaï avec surprise. Elle était originellement seule dans le réfectoire, mais le petit homme venait d'arriver, et de s'affaler sur une chaise d'un air fatigué.
C'était un spectacle rare. Elle remonta les lunettes sur son nez, et mit ses vieilles notes sur le Titan Mural à part.
« Tu parles de l'enlèvement express de Marion ?
— Entre autre. Hansi, tu as déjà vu un couple se former au Bataillon ? »
Elle manqua de recracher la gorgée de thé qu'elle était en train d'avaler. Qu'est-ce qu'il lui prend ?! Elle reprit toutefois son sérieux. L'heure était grave : Livaï commençait à poser des questions étranges. Il fallait qu'elle pèse ses mots.
« Je n'ai pas vu de couples, non... dit-elle donc sur un ton neutre. Quoique, il y avait ces deux soldats, mais ils sont morts. Et je crois que Mike et Nanaba avaient un faible l'un pour l'autre.
— Je vois.
— Pourquoi ça ? risqua-t-elle.
— Je me demandais s'il était possible de vivre ne serait-ce qu'une esquisse d'aventure amoureuse au Bataillon. On dirait que oui. »
Non. Il est sur le point de clore le sujet. Je dois trouver quelque chose, et vite ! Elle se racla la gorge. « Je ne te voyais pas t'intéresser à ça », rit-elle nerveusement.
Quelques secondes passèrent. J'ai dit de la merde. Il ferma les yeux un moment. Elle déglutit, sous pression.
« Moi non plus. »
Lui non plus. Elle soupira... Pour se raidir immédiatement après. Lui non plus ? Il est intéressé par ça, maintenant ?! « Ne me dis pas... » balbutia-t-elle. « Ne me dis pas que tu aimes quelqu'un ici ? »
Il plongea son regard dans le sien. « Non. » Il marqua une pause.
« J'ai simplement entendu une soldate dire que ça ne servait à rien de s'attacher à quelqu'un puisque, lorsqu'on allait le perdre, on allait souffrir. Et je me suis dit que ce raisonnement était complètement idiot.
— Je suis d'accord avec toi... Mais quel est le rapport ?
— Je me suis rendu compte que c'était complètement idiot, continua-t-il, mais que je fonctionnais aussi comme ça. »
Je ne vois toujours pas le lien...
« Hansi.
— Oui ? bredouilla-t-elle.
— Comment est-ce qu'on fait pour arrêter ça ? »
Elle se prit le menton. Comment est-ce qu'on fait... En voilà, une question. Comment est-ce qu'il pourrait... Son visage s'illumina alors.
« Il faut le formuler à voix haute !
— Hein ? Tu me vois vraiment faire ça ? jeta-t-il, l'air blasé.
— Pas vraiment, mais je ne pense pas que tu avanceras à grand-chose si tu ne fais rien. Avec ce que je t'ai dit, ça rentrera peut-être mieux dans ton crâne. »
Il soupira, et se leva. « D'accord. Je vois », dit-il en quittant la pièce. Il disparut dans le couloir du rez-de-chaussée. Voilà qui était étrange.
***
Marion marchait dans le couloir du rez-de-chaussée, la bouche sèche. Elle venait tout juste de descendre les escaliers et d'entrer dans le corridor. La base était plongée dans la pénombre de la nuit : elle ne voyait quasiment rien.
Il faut que j'aille chercher de l'eau, se répéta-t-elle. J'ai soif. J'ai vraiment envie de boire un coup. Elle prit donc tout naturellement la direction du réfectoire... Mais s'arrêta au bout de quelques mètres.
Quelqu'un courait devant elle. Elle se raidit. J'aurais dû prévenir Annie que je descendais ! Elle se tourna immédiatement vers un endroit où se cacher. Mais au bout de deux pas, elle fronça les sourcils. Elle venait de réaliser que l'inconnu n'était pas en train de foncer sur elle, mais de fuir.
Une odeur métallique monta alors à ses narines. Elle avança prudemment, le cœur battant. Quelqu'un était allongé, mais elle ne pouvait que le discerner : elle n'avait pas ses lunettes sur elle. Elle s'approcha encore. Puis, lorsqu'elle arriva à deux mètres de la scène, lorsqu'elle put l'observer nettement, elle se stoppa net, une main devant la bouche.
Livaï était étalé là, la gorge ouverte et les yeux vitreux.
« Livaï... Oh, mon Dieu... Livaï ! » cria-t-elle. Elle se redressa d'un coup, le front en sueur et les bras tremblants. Elle se trouvait dans sa chambre... Et le petit homme n'était nulle part en vue. Annie, qui veillait, assise au bureau, se tourna vers elle.
« Marion, qu'est-ce que...
— Où est Livaï ?
— Il est allé en pause il y a cinq minutes, mais... »
Elle se leva immédiatement, enfila ses bottes et courut hors de la chambre. « Marion ! » appela sa camarade en la suivant. Elle l'ignora, et descendit les escaliers. Sous l'affolement, un millier de pensées traversa son crâne Elle avait un mauvais pressentiment, un très mauvais pressentiment. Faites qu'il ne soit pas mort, faites qu'il ne soit pas mort...
Elle arriva dans le corridor. A l'endroit exact où elle l'avait trouvé, un cadavre était épandu. Oh, non... Elle tomba à genoux. Sa douleur était telle qu'elle aurait presque cru qu'on venait de lui planter une lance dans le thorax.
« Marion », dit Annie, « qu'est-ce que... » Elle laissa sa phrase en suspens. Elle aussi avait remarqué le corps. Elle écarquilla les yeux, horrifiée.
« Jean... »
Un bruit titilla l'oreille de Marion. Elle se retourna, le poing et la mâchoire serrés. Au milieu de ses larmes de rage, elle discerna une silhouette baraquée, mais la taille de son opposant l'importait peu : quiconque avait tué son ami allait le payer cher.
Elle vit alors sa camarade se raidir. « Marion. Recule. » Son ton était si tendu qu'elle obtempéra sans broncher. Tout en dirigeant sa main vers le petit couteau que, comme beaucoup de soldats, elle gardait à sa ceinture, elle jeta un œil derrière elle.
Un homme brun se tenait là. Elles étaient encerclées.
Elle se tourna lentement vers lui. Lorsqu'elle remarqua ses chaussures couvertes de sang, son regard se fit noir. C'est lui.
« Marion, répéta la blonde, ne fais rien.
— Je ne compte pas...
— Hey, Annie, articula alors une voix familière. »
... Reiner ?
« On dirait que t'as fait un bon job. Tu as reçu les ordres du capitaine ?
— Pas vraiment.
— Il est juste derrière. »
Celui qui contrôle le titan bestial, devina-t-elle aux traces rouges sur ses joues. A moins qu'ils en aient inventé un autre...
« Annie », continua-t-il, « il est temps. » L'ex-ennemie ne répondit pas. Combien est-ce qu'ils sont ? Elle l'entendit remonter la manche de son pull blanc. « Je n'aurais pas cru que tu réussirais aussi bien à leur mentir : c'est ton plus gros défaut. » Deux. La scientifique serra le manche de bois dans sa paume. Il s'approche.
« Avec un tel travail, si on ne te grade pas... N'est-ce pas, capitaine ?
— Il faut qu'on chope Marion, pour ça, intervint celui-ci.
— C'est simple : elle est juste devant toi.
— Leonhart, à trois contre un, ça sera facile. Et après ça, je ferai en sorte que tu revoies ton père...
— Mon père est mort. »
Il y eut un silence. La scientifique sentit une goutte de sueur froide couler le long de son front. La tension qui pesait sur elle était à la limite du supportable, tant et si bien que la douleur qui lui lancinait la poitrine jusque-là s'évanouit. La voix de son amie était neutre, si neutre qu'elle n'était plus sûre de son allégeance au Bataillon. Elle retint difficilement son menton de trembler. Est-ce qu'elle nous a trompés tout le long ?
Un instant passa, un instant qui lui parut durer un siècle. « Très bien. » Les paroles d'Annie venaient de tomber sur elle comme une bombe. Elle crut presque entendre son cœur se briser. Mais elle l'ignora : elle devait désormais faire face à trois adversaires, et de taille. Mais j'ai autant de chance de m'en sortir qu'un foutu mulot face à un tigre.
Lorsqu'ils l'entourèrent, elle fit de son mieux pour jeter un regard à chacun d'eux. Celui de son ancienne amie était particulièrement froid, mais elle n'était plus en capacité de ressentir quoi que ce soit d'autre qu'une peur urgente. Celle-ci se répandait dans tous ses membres, tendait chacun de ses muscles, étouffait la moindre réflexion. Elle n'avait aucune stratégie en tête, aucun plan de secours. Elle ne pensait plus.
Là, ses sens parurent exploser. Ses nerfs se contractèrent, ses pupilles se rétrécirent. Elle pouvait tout entendre : les gardes marcher sur le toit, le cœur de ses ennemis battre, son chat s'avancer d'un pas léger...
Marcel. Une once de conception dans son crâne aveugle. Marcel. L'animal venait de s'arrêter à un mètre de Reiner : elle pouvait le percevoir. Marcel. Ses oreilles vibraient au moindre mouvement, à la moindre brise. Marcel. Ses prunelles analysaient à une vitesse folle chaque poussière qui se mettait sur son chemin. Marcel. En fait, elle pouvait percevoir tellement de choses qu'elle vit sans la regarder la blonde bouger légèrement le bras.
Marcel ! En une fraction de seconde, l'ennemie se jeta sur l'animal, le prit par la peau du cou, et le balança sur le capitaine. Celui-ci hurla : le félin furieux était en train de lacérer son visage de ses griffes acérées. Le blond sortit immédiatement une arme de son pantalon, et la pointa sur la chercheuse.
Un coup de feu retentit. Un coup de feu qui explosa ses tympans affreusement dilatés. Elle eut tout juste le temps de se décaler : et là, lorsque la balle frôla son épaule, lorsqu'une légère brûlure qui lui parut pourtant aussi douloureuse qu'une amputation chatouilla son bras, une rage sans nom la frappa.
Elle fonça vers son adversaire, le regard fou. Il eut à peine le temps d'écarquiller les yeux qu'elle le poussa violemment contre le mur. Un craquement sec retentit : elle l'ignora superbement, et se jeta sur l'homme désormais à terre. Elle frappa son visage à s'en péter les phalanges, martela son ventre jusqu'à le faire vomir, déchiqueta ses globes oculaires de ses ongles nus.
Ce ne fut que lorsqu'elle discerna, sous les hurlements déchirés du garçon qui se mêlaient aux siens, quelque chose tomber derrière elle, qu'elle se retourna d'un bond. Deux personnes qu'elle ne reconnaissait plus luttaient à terre. Elle sentit le regard dangereux du brun peser sur la jeune fille dont le nez saignait abondamment. Elle sentit leur agressivité la percer en plein ventre. Et elle sentit surtout ce simple battement de cœur l'urger à bouger.
Menace.
Alors, Marion se rua sur les deux. Elle écrasa son poing contre la mâchoire du premier, le balança à terre, et abattit violemment son talon sur son crâne. Ce ne fut que lorsqu'il ne bougea plus qu'elle s'orienta vers l'autre.
Celle-ci la fixait d'un air horrifié. « Marion », murmura-t-elle. La scientifique s'avança, s'avança encore, jusqu'à se pencher sur la blonde et porter sa main à la gorge. « Marion ! » cria-t-elle en saisissant son poignet. « Marion, c'est moi ! »
La peur intense qu'elle flaira l'immobilisa. Le pouls de son opposante battait à plein régime. Ce n'est que de la peur. Elle retira ses doigts, et regarda frénétiquement autour d'elle. Personne.
Tous ses muscles se détendirent d'un coup. Une nausée affreuse se saisit d'elle. Elle plaqua sa paume sur sa bouche, et tomba sur le côté. Des pas précipités, une exclamation d'horreur, une voix familière résonnèrent dans sa tête : puis, plus rien.
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