Mitige - Partie 2

Shiganshina, 2ndseptembre 851

Annie lavait de sol du réfectoire avec un balai-brosse. A l'autre bout de la pièce, Marion s'occupait de récurer les tables. Un silence de mort pesait entre elles. Cela faisait un mois et demi qu'elles étaient en froid. Ou plutôt, que la scientifique s'était subitement éloignée de l'ex-ennemie.

Pour la première fois de sa vie, elle avait réussi à apprécier quelqu'un plus que la moyenne. Et, coup de bol, elle avait cru sentir un rapprochement entre elles deux. Mais il avait fallu que Livaï débarque, et dise le mot de trop.

Elle trempa une nouvelle fois sa serpillière dans le seau d'eau savonnée. Elle s'était surprise elle-même à tenter de lui parler de nouveau comme avant, mais elle avait désormais abandonné la partie. Son amie allait éternellement rester une amie – ou plutôt, une camarade, au vu du tour que ça prenait. C'était déjà exceptionnel en soi, car Annie n'avait pas l'habitude d'être proche des gens. Mais il y avait au moins un point positif dans cette situation : elle était retournée à la normale.

Plus de cœur qui palpite, de jalousie ou de frustration. Elle se sentait parfois irritée en se souvenant du baiser que lui avait donné Antoine, et faisait quelques rêves étranges, mais sans plus. Elle en était soulagée : si Marion mourrait, elle réussirait facilement à s'en remettre. Elle pouvait de nouveau se concentrer uniquement sur la fin de cette guerre.

« J'ai fini le sol », annonça-t-elle sobrement. L'autre hocha la tête. « Il me reste une table. » La blonde attendit donc en observant ses bottes. Lorsque la chercheuse la rejoignit, elles descendirent voir le caporal-chef sans un mot.

« On a fini.

— Je vais aller voir ça. Occupez-vous des sanitaires. »

Elles hochèrent la tête, et se rendirent à l'endroit indiqué. C'était une pièce longue, avec des éviers d'un côté, et des douches aux battants de bois de l'autre. Lorsque la blonde commença à frotter le carrelage blanc de ces dernières, elle entendit un bruit dans le couloir : elle se retourna immédiatement, muscles tendus.

Il n'y avait personne.

***

« T'as failli nous faire repérer », grogna Eren à Armin. Celui-ci murmura une excuse. Ils se trouvaient dans le couloir jusque à côté des douches : profitant de leur permission, ils venaient de suivre les deux soldates le plus silencieusement possible. Malheureusement, le plus petit s'était penché trop vite pour les observer.

Ils s'écartèrent prudemment. Le brun se tourna vers Mikasa.

« Tu as un plan ?

— Demande à Armin.

— Armin, tu as un plan ?

—Pas vraiment... Mais c'est peut-être un peu trop ambitieux, tu ne trouves p...

— Bien sûr que non ! »

Il serra les dents.

« Écoutez, reprit-il plus bas. On est en guerre, vous êtes d'accord.

— Oui.

— Et on pourrait mourir à tout moment.

— Oui.

— On ne peut pas les laisser gâcher cette chance unique de profiter du peu de vie qu'il leur reste ! »

L'asiatique eut alors un très léger sourire.

« Je peux mettre Annie à terre pendant que vous attrapez Marion, et...

— Non, c'est un coup à ce qu'elle te prenne pour un ennemi et se transforme.

— Et si je lui mets une lame sous la gorge ?

— Mikasa, c'est une très mauvaise idée, intervint Armin. »

Elle reprit immédiatement son air neutre, signe de déception. Lorsqu'ils entendirent quelqu'un arriver, ils se hâtèrent de sortir dans la cour, et de se cacher sur le côté de la base, côté rue. Les deux adolescents se mirent ensuite à réfléchir. Le visage d'Eren s'illumina alors.

« On peut les enfermer dans le dépôt, comme on l'avait fait pour le Caporal.

— Ce n'était pas du tout le même contexte...

— Tu as une autre solution, peut-être ? »

L'intéressé soupira. « Si on les coince dans une pièce, Annie nous défonce. Si on essaye de l'appâter avec Marion, on est encore plus foutus. Si on enlève Marion, cette fois, c'est le caporal-chef qui nous détruit. Marion est précieuse pour l'humanité, on ne peut pas faire n'importe-quoi... »

Un bruit de câbles les alerta subitement. Derrière eux, un grand homme venait d'atterrir sur les pavés. Kenny Ackerman ! Mais il est partout ! Mikasa se planta immédiatement devant eux, le regard noir.

Mais l'autre ne se rapprocha pas. Non, il fit pire : il sourit, d'un rictus sadique, presque fou. « Vous avez dit Marion ? »

***

Annie se pencha sur le sol sale d'un box. Elle et Marion se trouvaient dans les écuries, à récurer chaque recoin du lieu. Elle soupira. Elles faisaient le ménage depuis ce matin. La tâche était interminable, mais Livaï voulait que tout brille.

Elle passa vingt bonnes minutes dans cette unique stalle. Usuellement, elle ne se dévouait pas particulièrement au nettoyage, mais leur supérieur avait été très clair : s'ils ne s'y attelaient pas parfaitement, ils y repasseraient la nuit. Tout le monde était concerné – sauf Eren, Armin, Mikasa et Mike, qui étaient en permission. La blonde se fichait du sort des autres, mais elle se voyait mal louper autant de sommeil pour ça.

Elle finit enfin cette partie, et sortit de son compartiment pour s'occuper d'un autre... Mais s'arrêta en plein milieu du chemin. Le silence qui régnait sur les écuries était trop lourd.

« Marion ? » Aucune réponse. Elle fronça les sourcils, et se dirigea vers l'endroit où devait se trouver sa camarade. « Marion ? » répéta-t-elle. Elle y jeta un œil : son cœur rata un battement.

Il n'y avait personne.

Elle recula de quelques pas, et regarda attentivement autour d'elle. Je n'ai rien entendu. Elle fit machinalement tourner sa bague sur son doigt.

Peut-être est-elle partie. Elle quitta les écuries pour aller vers la base. Non. Elle interrompit sa marche. Elle m'aurait prévenue. Ce sont les règles. Elle commença à tourner sur elle-même. Une boule se forma dans son ventre. Il y avait un problème.

Alors, une infinité de scénarios défilèrent dans son crâne. Malgré tous ses efforts, elle ne parvint pas à les stopper. S'était-elle enfuie ? Quelqu'un l'avait-il enlevée ? Pire, s'était-elle fait transférer ?

C'est impossible. Elle aurait hurlé à la mort. Une seule solution s'offrit à elle : un ennemi, assez doué pour qu'elle ne le remarque pas, l'avait emmenée de force. Elle serra le poing. Il n'y avait pas de temps à perdre : il fallait qu'elle prévienne le caporal-chef.

Du moins, c'était ce qu'elle se dît jusqu'à ce qu'elle entende un cri étouffé. Elle se tourna immédiatement vers la source de celui-ci : un grand homme se déplaçait en manœuvre tridimensionnelle... Avec Marion, bâillonnée et attachée à son dos, qui la fixait d'un air horrifié.

La colère naquit dans son estomac. Je dois la récupérer. Elle courut vers la réserve où se trouvait le reste de son équipement, l'enfila en vitesse, et en profita pour tirer un fumigène noir en l'air. Puis, elle s'élança dans l'allée le plus rapidement qu'elle put.

L'inconnu tourna alors dans une ruelle. Elle dégaina ses lames, prit un virage serré, et se retrouva dans une impasse sombre... Au bout de laquelle se tenait son adversaire, un sourire mauvais aux lèvres. Lorsqu'elle vit qu'il venait de plaquer un poignard contre la gorge de la scientifique, elle serra les dents.

« Oh, quelle surprise ! Annie, c'est ça ? Enchanté ! » Elle plissa les yeux.

« Je crois que je t'ai un peu embêtée en t'enlevant ta chère et tendre, je me trompe ?

— Qui êtes-vous ? se contenta-t-elle de lui demander.

— Pas de ça aujourd'hui. Je vous ai souvent observées, de ma cachette favorite. Vous êtes en froid, hein ? C'est étonnant que tu viennes la chercher.

— Ce sont les ordres. »

La jeune femme lui jeta un regard lugubre et secoua la tête de droite à gauche. Je dois la sortir de là.

« Qu'est-ce que vous voulez en faire ?

— Allons, ce n'est pas un bout de viande, parles-en autrement ! Ne me dis pas que tu n'en as rien à foutre, hein ?

— Ce n'est pas la...

— Réponds, insista-t-il d'un ton menaçant en resserrant son emprise. »

Elle déglutit. « Je fais mon boulot. » Le silence s'installa. « Tu mens », articula l'autre. La blonde pinça les lèvres. Je ne sais pas ce qu'il veut, mais si je le retiens assez, ils devraient arriver à temps...

« Je vous dis que je ne fais que ce qu'on me demande, continua-t-elle.

— C'est faux.

— Je ne vois pas ce qu'il vous faut d'autre comme réponse.

— Et si je la tue sous tes yeux ?

— Je ne peux pas vous laisser faire ça.

— Oh, et pourquoi ça ?

— Je manquerais à mon boulot, répondit-elle sur un ton qu'elle maîtrisait de moins en moins.

— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi. Tu mens, et très mal. »

Cette fois-ci, elle perdit ses moyens : il venait de pointer à la fois son plus gros défaut et ce qu'elle n'osait pas s'avouer. Elle le regarda d'un air meurtrier. « Peu importe que je mente ou pas », articula-t-elle. « Lâchez-la, ou vous êtes foutu. »

Il partit d'un grand rire. « Moi, foutu ? Ta petite Marion est sur le point de se faire tuer, et c'est moi qui suis foutu ? Je ne compte pas la laisser partir sans m'amuser un peu... » Il ricana, et raffermit sa prise sur son arme.

Ce fut le geste de trop. Elle balança ses épées, planta son axe dans le mur, et fonça sur lui. Il n'eut pas le temps de faire un mouvement qu'elle frappa sa face de son pied. Il lâcha son otage, mais Annie n'en finit pas : elle atterrit devant lui, et enfonça puissamment son poing dans son ventre.

Lorsqu'il se plia en deux, elle écrasa son visage contre son genou. Il vacilla, du sang coula abondamment de son nez. Elle en profita pour faucher ses jambes, et se mettre à califourchon sur lui.

« Ne touche... » Elle lui mit une droite. « Plus jamais... » Elle enchaîna avec un uppercut. « Marion ! » Elle s'apprêta à lui casser le nez, mais en voyant qu'il souriait d'un air amusé, elle stoppa son dernier coup, les yeux écarquillés.

« Bien, bien, bien ! » Il l'immobilisa au sol à son tour avec une facilité déconcertante. Elle tenta de lutter du mieux qu'elle le put, mais l'autre la tenait fermement. « Marion, ne t'approche pas », dit-il alors.

L'intéressée venait d'avancer de quelques pas, un petit couteau à la main. Son regard était sombre : Annie avait rarement vu ça chez elle.

« Qu'est-ce que tu fous, Fabien ? » cracha-t-elle. « Je te connais : tu es visiblement capable de me torturer si le besoin se présente, mais là... Certainement pas. Je t'ai connu meilleur acteur. Explique-moi cette comédie ? »

Fabien ? Il reprit son sérieux. Quelques secondes passèrent.

« Comment va Antoine ? finit-il par dire.

— Bien. Il est parti.

— On m'a dit qu'il s'était volatilisé.

— Oui et non. »

La blonde plissa les paupières.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? lâcha-t-elle.

— Tu vois, se mit à expliquer le dénommé Fabien, Marion et moi nous connaissons de longue date. Seulement... Il y a eu quelques petits problèmes entre temps.

— Le rapport avec Antoine ?

— Je le connais un peu. »

Des bruits de câbles se firent alors entendre derrière. Il se leva soudainement, et se lança à pleine vitesse vers le toit le plus proche. « A plus ! » lança-t-il jovialement avant de disparaître. La soldate se releva sur-le-champ, et se tourna vers son amie. Elle déglutit, puis parvint à articuler : « Est-ce que tu es blessée ? » L'autre fit non de la tête.

« Marion ! » s'exclama Livaï. Il atterrit à l'entrée de l'impasse.

« On a vu le fumigène noir. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— C'était Fabien, répondit-elle. »

Son regard s'assombrit. « Qu'est-ce qu'il a foutu ? » lâcha-t-il. L'ex-ennemie remit une mèche de cheveux derrière son oreille. « Il a pris Marion en otage, et a commencé à me poser des questions sur ma réaction s'il la tuait. Ensuite, il a demandé comment allait Antoine, puis il est parti. »

Le caporal-chef se passa une main sur le visage.

« C'est tout ?

— Oui. »

Il hocha la tête. « On retourne à la base. Il faut terminer le ménage. » Puis, il se lança de nouveau dans l'allée. Les deux camarades se retrouvèrent seules dans la ruelle. Malgré les questions qu'elle se posait sur cette étrange rencontre, Annie commença à marcher sans un regard pour la scientifique. Elle l'avait déjà assez mise mal à l'aise en tentant de renouer les liens, et maintenant en avouant qu'elle tenait à elle, pour insister plus que ça.

Seulement, elle sentit une main chaude attraper son poignet. Son cœur s'emballa : elle se retourna vers la jeune femme, qui la regarda dans les yeux, les joues légèrement roses et un sourire doux aux lèvres.

« Annie... Merci. »

***

« Alors, vous avez réussi ? »

Mikasa jeta un regard à Jean. Eux et ses deux amis étaient assis à leur table. Bien que dix-neuf heures trente avait sonné, le soleil les éclairait encore par les fenêtres étroites du réfectoire éparse – particulièrement, et tristement plus éparse depuis la bataille de l'Est.

Il y avait une semaine de cela, Eren s'était mis en tête de « réunir ces deux idiotes que sont Marion et Annie ». Elle n'appréciait pas vraiment cette dernière, et ne saisissait pas l'engouement de son frère adoptif, mais puisque cela avait eu l'air de le rendre si heureux, elle et Armin l'avaient suivis dans son projet.

Ils avaient cherché jour et nuit, s'étaient attelés à faire des schémas pour mettre en scène des plans, et avaient finalement tenté plusieurs choses. Éloigner Sasha de la chercheuse ; poser des questions à Hansi sur les titans pour la distraire de sa collègue ; ne pas s'asseoir à côté d'elles pendant les repas. En bref, tout pour les laisser seules, à leurs risques et périls.

Mais il restait Livaï.

Même Armin n'avait pas su comment le décoller de Marion. Cela n'était pas étonnant, pensait Mikasa : elle s'était faite attaquer tellement de fois, et était manifestement si indispensable pour l'humanité, qu'il n'allait pas se laisser distraire comme ça.

Ils s'étaient donc acharnés. Ils avaient tenté de lui proposer un thé, de les aider à attraper Marcel, et même de jouer aux cartes. Mais il était évident que leurs idées étaient toutes plus rassies les unes que les autres. Ils avaient senti leur objectif s'éloigner à grande vitesse, partir toujours plus loin, jusqu'à être hors de portée. Ils avaient eu beau tendre les bras, la situation était désespérée. L'asiatique, quant à elle, avait déjà abandonné depuis longtemps.

Seulement, un soir, le blond eut un coup de génie. « Proposons au caporal de faire une journée ménage ! » Le visage d'Eren s'était illuminé : alors, Mikasa s'était de nouveau intéressée à la chose. Ils avaient subtilement implanté ce plan dans l'esprit de leur supérieur, qui l'avait programmé pile pour leur journée de permission.

Une aubaine... Ou presque. Aucun des trois n'avait su comment faire le jour même. Puis, ils avaient rencontré Kenny Ackerman :le sauveur, le cupidon, le Messie de leurs sombres instants. Il avait dit une simple chose, parole divine : « Oh, je vois. Laissez-moi gérer ça, mais en échange, fermez vos gueules. » Puis, il était parti.

Ils ne surent jamais comment il s'y était pris, mais quelques heures plus tard, ils virent de nouveau ce merveilleux sentiment qu'était l'amour flotter avec légèreté autour d'elles.

« Et c'est tout ? lâcha le châtain. Au final, tu t'es juste touché la nouille pendant que cet homme mystérieux faisait tout le boulot...

— Tu peux parler, rétorqua l'autre avec irritation. Tout le long, tu as refusé de nous aider. On peut se demander qui est le flemmard, dans l'histoire...

— Tu me traites de flemmard ? Moi, qui ai récuré des chiottes toute la journée à cause de toi ?

— C'était pour une noble cause !

— Eren... tenta d'intervenir Armin.

— Noble cause, mon cul ! T'as bien choisi ton moment pour pas te salir les doigts !

— Jean...

— Tu aurais préféré qu'elles restent en froid pendant des mois jusqu'à ce que l'une d'elles crève ?!

— Écoutez...

— Elles foutent ce qu'elles veulent de leur vie !

— Vous allez la fermer, oui ?! »

Tout le Bataillon se tut, choqué. Armin venait de taper du poing sur la table. A cette vision horrifique, les deux adolescents se rassirent calmement. « Eren », grommela tout de même Jean entre ses dents serrées, « demain, bras-de-fer. On verra bien qui a raison. »

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