Mi-temps - Partie 4

Zone 51, 15 octobre 2000

Un vent frais soufflait sur la plaine sèche. Livaï, tout juste sorti des bâtiments et suivi d'un Isaac miniature, posa des yeux haineux sur les grillages qui l'emprisonnaient. Cela faisait un mois et demi qu'il était enfermé ici, à entraîner ce qui allait devenir son pire ennemi et son pire allié.

Le garçon, malgré son jeune âge, s'était révélé être un soldat redoutable. Au bout de six semaines, il avait perfectionné sans difficulté ses aptitudes au corps à corps, et commençait à se débrouiller en manœuvre tridimensionnelle. La seule chose qu'il ne lui avait pas encore enseignée était d'abattre des titans.

Mais si l'idée d'aider les américains le dégoûtait déjà inlassablement, celle de lui apprendre la spécialité des soldats des Murs le hérissait plus que toute autre. Il comprenait désormais mieux le sentiment qu'avait pu éprouver la scientifique au début de son séjour dans la base américaine sud.

« Professeur », l'appela alors l'albinos. « Vous venez ? » L'intéressé le fusilla du regard, pour finalement avancer à sa suite. Les ennemis grouillaient ici ; il en avait bien frappé quelques-uns lorsqu'ils s'étaient montrés trop condescendants, mais il préférait tout de même éviter que Marion se fasse fusiller.

Quelle merde. Il passa devant son élève, le regard noir, et se tourna vers lui. Celui-ci le regardait avec ces grands yeux curieux et admiratifs qui lui donnaient envie de vomir. Sa langue rose, comme toujours, était tirée dès qu'il se taisait.

« Prépare tes manettes de commandements », lâcha-t-il sèchement. L'autre obéit sans attendre, et se tint prêt à recevoir tout ordre. « Dégaine tes lames, et fais comme moi. » La pédagogie peut aller se faire foutre.

Il planta son axe dans une maquette de titan taille réelle. Il en trancha la nuque aussi rapidement que d'habitude, ne prenant pas la peine de montrer avec précision ce qu'il devait faire... Ni d'utiliser ses sabres à revers. Je peux au moins me garder ça.

Il ignora l'air transporté, si ce n'est apeuré des gardes et atterrit souplement pour voir ce qu'Isaac allait en faire. Il vit avec déception que le petit ne se débrouillait que trop bien. Il a été dopé, ou quoi ? ragea-t-il une énième fois.

Il lui fit refaire l'exercice plusieurs fois, et l'observa avec détachement. Les soldats s'occupaient désormais à parler entre eux. Il n'y prêta pas attention, jusqu'à ce qu'il crut entendre le nom de Marion dans la conversation. Il tendit l'oreille, sourcils froncés.

« I heard from Reiss that Marion just got her "last injection" this morning. I kind of eavesdropped, but still...

Do you mean that she's ready ?

— I don't know, man. If it was her final one, she's nothing more than a monster now... »

Il se raidit. Il ne parlait pas anglais, mais commençait à en comprendre quelques mots, et était certain d'avoir entendu « Rhys », « dernière », « monstre », « injection » et « Marion »*. Rhys a dit que Marion a eu sa dernière injection, traduisit-il approximativement, lèvres pincées. Sa dernière injection... Qu'est-ce qu'ils ont foutu ?

Il regarda distraitement l'albinos recommencer encore et encore les mêmes mouvements. Attends. Est-ce que ça veut dire qu'ils ont fait ce qu'ils avaient à faire ? Il plissa les paupières. Un sentiment intense commença à monter dans son ventre. Il n'y a donc plus de risque qu'ils la crèvent...

Il connaissait désormais assez bien la base et avait écouté suffisamment de conversations pour savoir que la machine de transfert spatio-temporel se trouvait quelque part dans ces murs de béton grisâtres. Ils peuvent aller se faire mettre. La colère qui pointait tout juste dans son estomac se répandit dans tout son corps. L'urgence sonnait dans son crâne sans lui laisser de répit.

Il en était désormais certain : il pouvait défoncer ses geôliers sans risquer la vie du nourrisson.

Ses yeux clairs balayèrent les alentours. Quelques soldats traînaient par-ci par-là. Ils étaient trop loin pour les atteindre en manœuvre tridimensionnelle... Sauf les deux qui discutaient derrière lui.

Il ne lui en fallut pas plus pour planter son axe droit et gauche dans chacun des deux, leur déchirant respectivement le visage. Ils s'étalèrent immédiatement, inertes. Aucun râle n'était sorti de leur gorge.

Toutefois, l'une des autres sentinelles le remarqua et se mit à crier, pointant un doigt dans sa direction. Livaï se lança immédiatement vers les deux cadavres sanguinolents, ramassa un Famas chargé, et tira vers ses adversaires.

Il encaissa d'abord difficilement le recul de l'arme à feu, mais s'y habitua vite. Trois autres rejoignirent leur camarade, la chair éclatée. Lorsque les quatre restants se mirent à terre pour le menacer de leur propre copie de kalachnikov, il balança le fusil, se jeta vers un Isaac tétanisé, et exposa sa gorge à l'une de ses lames.

Ils ne prendront pas le risque de perdre leur meilleur élément. Un silence des plus tendus s'installa. « Bougez d'un centimètre, et je le déglingue », jeta le caporal-chef. Les autres se regardèrent un instant, puis se levèrent doucement, arme au loin et mains en l'air. Je vois que leurs supérieurs ont été clairs là-dessus.

Il s'apprêta à dire autre chose, lorsqu'une main lui empoigna fermement la chemise. Il se retrouva vite à terre, sous l'albinos qui le regardait avec haine, langue sortie. Il a déjà une force pareille ?!

Il se releva avant que l'autre ne le décapite, reprit ses manettes de commandement chargées et fit valser ses épées du dos des siennes. Là, il en remonta rapidement une vers sa gorge : du sang éclaboussa le sol de terre sèche.

Le petit hurla, genoux à terre et mains à la bouche. Livaï n'avait atteint que sa langue. Et merde ! Derrière les cris déchirants de son élève, il entendit les américains se ruer vers leurs armes. Il planta aussitôt l'un de ses axes dans le faux titan, prit de la hauteur, et descendit à grande vitesse vers ses adversaires.

D'un revers de son épée, il trancha le ventre de deux d'entre eux, se tourna vers les autres et en décapita un. Le dernier le regarda avec de grands yeux effrayés. Il eut tout juste le temps d'appuyer sur un bouton du talkie-walkie accroché à sa ceinture avant que le petit homme ne le tue à son tour.

« Norton ? » appela une voix de femme sortie du petit appareil. « Norton, what's happening ? » Le caporal-chef l'ignora, récupéra un poignard et un fusil sur l'un des corps qui baignaient dans une mare pourpre, et courut vers l'intérieur. Lorsqu'il arriva à l'entrée, il se plaqua contre le mur : une escouade se dirigeait vers le terrain d'entraînement. Quatre, supposa-t-il en entendant le bruit qu'ils faisaient.

Il en profita pour recharger l'un de ses sabres, et attendit l'exact moment où ils sortirent pour en décapiter deux. Les survivants eurent à peine le temps de réagir qu'ils se retrouvèrent crevés comme des rats, la trachée à l'air.

Mis à part les sanglots douloureux d'Isaac, le calme régnait désormais autour d'eux. Il jeta un dernier regard à son apprenti, qui tentait difficilement d'arrêter le flot de sang. C'est de là que vient sa langue coupée, se dit-il en se souvenant de sa première rencontre avec l'albinos. Sans attendre plus longtemps, il entra à l'intérieur et referma le battant pour cacher les corps. Là, il avança prudemment, d'un pas aussi rapide silencieux que possible.

Ici, il savait qu'il était surveillé de près, sous n'importe-quel angle et à n'importe-quel endroit. Chaque tournant pouvait cacher un ennemi : tout dépendait de leur vitesse de réaction. Mais dans les longs couloirs aux plafonds hauts de la base, il pouvait mieux utiliser son équipement qu'à l'extérieur. Où est la salle où se trouve la machine ? Il continua. La tension qui régnait en lui lui fit serrer les dents. Il dut toutefois rapidement se reprendre : il venait de voir un soldat dans le coin d'un mur.

Il se jeta vers lui, et le mit à terre. Là, il lui fit une clef-de-bras d'une main, et posa de l'autre son sabre sur sa nuque. Nikolas Wagner, reconnut-il à sa tignasse rousse. C'est ma veine, le bougre parle allemand. Il jeta un coup d'œil autour de lui. Il devait faire vite.

« Un mot, et tu es mort, articula-t-il d'une voix basse. Où est la machine ?

— Je ne sais pas, pleurnicha l'autre dans son accent américain. Laissez-moi...

— Où est-elle ?

— Je vous dis que je n'en sais rien !

— Parle moins fort, jeta Livaï. »

Il regarda autour de lui. Comment faire ? Il réfléchit un instant, un genou sur le dos de son otage. Il faut que je trouve la personne qui est en charge de la machine.

« Qui dirige les transferts ?

— Rebecca Stewart...

— Guide-moi à elle. »

Il le laissa se relever, et piqua discrètement son dos de son poignard. Il le vit se raidir, mais le petit homme n'en eut cure. « Un geste suspect et tu es mort », lui rappela-t-il sur un ton brusque. « Tu as intérêt à être discret. » Nikolas hocha frénétiquement la tête.

Ils déambulèrent ainsi dans les couloirs, et passèrent devant des sentinelles dont la plupart baillaient ouvertement. Aucune ne remarqua le spectacle qui se déroulait discrètement devant leurs yeux embués. Elles n'étaient manifestement pas encore au courant de ce qu'il se passait. Il leur fut facile de marcher jusqu'au bureau sur lequel Livaï devina qu'il était inscrit « Rebecca Stewart ». Le roux frappa trois coups ; il se vit décalé par le caporal-chef.

Dès que la porte s'entrouvrit, ce dernier donna un coup de pied dedans, et débarqua dans la salle, lames en main. Il fit signe à son allié éphémère de rentrer et de refermer la pièce sans discuter. La femme aux longs cheveux noirs le regarda avec horreur, appuyée sur son bureau, une main aux ongles vernis de rouge portée à sa bouche.

« Nikolas ! What's happening ?!

— On se fout de Nikolas, trancha le petit homme en balançant l'intéressé dans un coin. Emmenez-moi à la machine temporelle. »

Elle regarda le soldat effrayé un moment. Puis, au bout de quelques instants, le calme revint dans ses yeux noisette « Bien », souffla-t-elle dans un accent rond. « Moi et Rhys aurions dû nous douter que cela allait arriver. » Elle lissa sa blouse blanche.

« Vous voulez revenir chez vous, c'est bien ça ?

— Sans blague. De ce que ce petit génie de Nikolas m'a raconté, vous êtes en charge des transferts. J'ai entraîné votre drôle pendant un mois et demi, il a grandi et s'est bien renforcé. Je n'en ferai pas plus.

— Et Marion ? »

Il s'approcha, le regard noir ; elle recula précipitamment. Il sortit une lame de son fourreau, et la pointa vers elle. Ses prunelles marron se mirent à loucher dessus.

Lorsqu'il vit le roux tenter de s'interposer, il leva le bras. Sa lame arracha un cri à la femme et à la victime, qui se tint le poignet, le menton tremblant et l'œil écarquillé. Sa main traînait à quelques mètres. A cet instant, une sirène s'éleva dans le couloir : il recula, et se contenta de bloquer la poignée de la porte avec une chaise. Il ne comptait pas traîner ici très longtemps.

« Ne me servez pas encore ces mensonges de merde, articula-t-il. J'ai appris grâce à vos petits pions que Marion était prête à devenir je ne sais quoi. J'ai déjà décimé trois de vos escouades : si vous ne voulez pas que j'étende les dégâts à toute la base, vous feriez mieux d'obéir gentiment à mes ordres.

— Très bien, très bien, bredouilla-t-elle. Vous en avez peut-être fait assez. »

Elle tenta d'inspirer longuement, et essuya une goutte de sueur qui perlait de son front lisse. « Suivez-moi », finit-elle par murmurer.

Elle lui montra d'un doigt tremblant un battant blindé incrusté dans le mur du fond : il la poussa jusque-là. Elle tapa un code sur un clavier, déverrouilla l'issue, et l'ouvrit. Un escalier s'offrit à eux : ils le descendirent sans attendre, non sans que Livaï ne jette le soldat blessé devant lui.

Bientôt, un couloir sombre, semblable à celui de l'ex base américaine Est, se dévoila devant eux. Au bout, une autre entrée renforcée, avec un autre code. La femme réitéra son geste. Le caporal-chef remarqua sans mal que ses genoux tremblotaient.

Ils pénétrèrent ensuite une vaste salle encombrée d'ordinateurs bien plus imposants que ceux qu'il avait pu voir dans la base qu'ils avaient prise. Ils couvraient au moins la moitié de l'espace. Une étrange cage transparente trônait au fond.

La voix de Rebecca couvrit les pleurs de l'amputé :

« Entrez là-bas... Quand et où voulez-vous être transféré ? articula-t-elle difficilement.

— En juillet 851, à Shiganshina. Vous feriez mieux de m'envoyer à destination, ou je reviendrai.

— C'est bien compris, se hâta-t-elle en pianotant sur un clavier blanc. Laissez-moi quelques instants... »

Elle mit en réalité vingt bonnes minutes à calculer et à configurer les « coordonnées spatio-temporelles », comme les nommait la jeune chercheuse. Elle marcha ensuite vers lui, et passa ses doigts sur les différentes serrures. « Ça risque de faire un peu mal... » Elle ferma le battant avec soin, le vérifia trois fois, rejoignit le PC. « Rhys, please forgive me », murmura-t-elle avant d'appuyer sur une touche.

Une demi-seconde plus tard, une douleur affreuse éclatait la tête du combattant. Les yeux écarquillés, il retint de justesse un cri, mais ne put empêcher ses ongles de déchirer profondément la housse de la chaise sur laquelle il était assis.

Il n'avait jamais ressenti une souffrance pareille : il se tordit dans tous les sens, se démena pour aspirer ne serait-ce qu'une bouffée d'oxygène, lutta avec toute sa volonté contre l'envie terrible de faire cesser ce calvaire. Il n'en pouvait plus. Il n'en pouvait plus, et leva finalement son bras tremblant vers son crâne. Mais avant qu'il n'ait put arracher l'appareil, le noir se fit.

* « dernière », « monstre », « injection » : respectivement letzte, Monster et Injektion en allemand, et Rhys en anglais se prononce comme Reiss.

Lien vers l'image : https://www.zerochan.net/1522773

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