Mi-temps - Partie 1
Shiganshina, un mois plus tôt
La nuit était tombée sur la base depuis quelques heures lorsqu'Erwin quitta son bureau. Dissimulé par la pénombre, il se faufila dans les couloirs avec discrétion, descendit les escaliers de pierre et sortit dans la cour semi-intérieure, longeant les murs.
Là, il couvrit de sa capuche ses cheveux blonds et son sac, et vérifia que le petit couteau qu'il accrochait systématiquement à sa ceinture était toujours là. Il commença enfin à s'engager dans l'allée qui lui faisait face, quand quelque chose passa entre ses pieds.
Il reconnut Marcel au miaulement enragé que l'animal poussa lorsqu'il lui marcha sur la queue. Seuls ses yeux verts étaient visibles, mais il sentit sans problème le coup de griffe que le chat lui asséna au genou avant de partir en galopant. Et dire que je l'ai accepté après un match nul contre Marion... Il reprit sa route, un bref sourire aux lèvres. Match nul... On ne me l'avait jamais faite, celle-là.
Tout en se remémorant cet affrontement intense, il bifurqua dans une petite ruelle. Il avait bien décelé une grande intelligence chez la jeune femme, mais de là à manquer de peu de le battre à son jeu favori... Il le voyait désormais, au même titre que Pixis : pour son jeune âge, elle avait un sens de la stratégie hors du commun, mais ne l'exploitait que très peu.
Il arriva enfin face à une maison encore à peu près stable, et frappa cinq coups rapides à la porte. Celle-ci s'entrouvrit presque immédiatement. Puis, lorsque l'individu le reconnut, il invita discrètement l'autre à rentrer.
C'était Isaac qui lui faisait désormais face, une chandelle à la main. Ses yeux rouges le scrutèrent un instant, avant que l'adolescent ne fasse demi-tour, lui faisant signe de le suivre. Ils pénétrèrent dans une cuisine poussiéreuse et mal éclairée au plancher grinçant. Lorsque l'albinos lui désigna la table de bois qui trônait au milieu, le major y posa son vaste sac.
Il en sortit quatre bonbonnes de gaz, quelques rations de nourriture, trois gourdes d'eau et un nécessaire de toilette. « Tout est là », dit-il ensuite en reculant. Son allié fit rapidement l'inventaire, et hocha la tête. Il dégaina ensuite son ardoise et sa craie.
« Et Marion ?
— Elle est en sécurité entre Livaï et Annie jusqu'à ce que la menace soit écartée. »
Il le dévisagea un long moment, avant d'écrire de nouveau, impassible.
« Marché conclu. »
***
Ce fut dans le brouillard que Livaï émergea enfin de son sommeil forcé. Lorsqu'il sentit le sol anormalement froid contre sa peau, il se leva d'un bond, pour rechuter aussitôt. Ses jambes étaient faibles, la tête lui tournait affreusement, et ses mains étaient enserrées par des menottes glaciales.
Et merde. Les souvenirs de son enlèvement lui revinrent peu à peu en tête. Il avait eu beau se démener, l'étrange gaz qu'ils avaient répandu l'avait rendu aveugle pendant un court instant... Qui fut fatal. Au moins avait-il tué un ou deux de leurs hommes, et était-il parvenu, il le pensait, à épargner Marion.
Sa vue commença à se préciser. De là où il se trouvait, assis sur un carrelage sobrement blanc derrière des barreaux de fer, il pouvait voir deux soldats américains discuter. Il reconnut plusieurs fois le nom « Historia Reiss », mais ne comprit pas un traître mot de ce qu'ils débitaient.
Ils le remarquèrent soudain, et s'approchèrent de sa cellule, fusils pointés sur lui. « Ne bougez pas, et obéissez », dirent-ils dans un allemand hésitant. Il haussa un sourcil. « Vous vous foutez de moi ? » Les deux autres se regardèrent un court moment, légèrement désemparés, avant de le menacer de nouveau. « Ne bougez pas », répétèrent-ils, plus convaincus. Je vois que je suis tombé sur deux petits génies.
Il soupira longuement, et s'adossa au mur de béton de sa prison. Menotté comme ça et dans un état pareil, je ne peux rien faire de plus. Mais s'ils ne m'ont pas tué toute suite, ils doivent avoir une bonne raison. Il baissa le menton. La réponse était évidente. Son regard impassible se promena sur les ongles qu'il allait peut-être bientôt perdre. Qu'ils essaient de me faire parler.
De toute façon, il ne comptait pas se laisser faire. Il avait autre chose à foutre que d'attendre gentiment qu'ils le libèrent. Face à eux, il avait une chance de s'en sortir, et comptait bien la saisir.
Une fois que je les aurai défoncés, je n'aurais qu'à récupérer mon équipement et à me casser de là. S'ils ont vidé mon gaz, je me démerderai autrement, mais il est hors de question que je croupisse dans leur base merdique.
Il jeta un œil aux gardes. L'un d'eux venait de sortir un étrange appareil de sa poche pour discuter avec. C'est un téléphone ? se demanda-t-il en se remémorant les explications de Marion. Il fronça les sourcils. Le sien était beaucoup plus fin que ça...
Un laps de temps plus tard, Rhys fit son apparition. Tiens, un connard de plus. Le blond s'approcha de la cage, et se saisit des barreaux. « Bonjour, Livaï. Mon nom est Rhys, je suis le commandant des bases que vous avez pu explorer. » Sans blague, jeta-t-il intérieurement. Il se releva et se planta solidement face à son adversaire, mains toujours liées. Comme si je t'avais oublié.
« Ne vous en faites pas pour vos dents, on ne compte pas vous torturer », expliqua l'autre d'un sérieux à toute épreuve. « On a simplement besoin de vos services un moment. Si vous coopérez, on vous laissera en vie. » Son regard s'intensifia. « Et Marion Griffonds aussi. »
Le caporal-chef plissa les yeux. « Comme si tu allais tuer la personne que tu recherches le plus », laissa-t-il tomber, imperturbable. « Ne me sers pas un mensonge pareil... » L'incompréhension qu'il rencontra sur le visage jeune de l'autre le coupa net dans sa phrase. Il a rajeuni. Il fronça les sourcils. Non.
« On est en quelle année, là ?
— En 2000, répondit-il sur un ton d'évidence. Ah, mais vous revenez de loin, c'est vrai ! Nous sommes le 30 août 2000, et Marion... »
Il fit signe à quelqu'un de s'avancer. Une petite femme d'une trentaine d'années, aux cheveux courts et à l'allure incertaine, s'avança, serrant contre elle un bébé de quelques mois. « La voilà. Vous l'avez vue un peu plus âgée que ça, je me trompe ? Pour l'instant, elle ne nous sert pas à grand-chose... » L'intéressé resta bouche bée quelques secondes. Ils sont sérieux ?
Ils ne vont pas la tuer, devina-t-il aisément. Ils ne vont pas la tuer, car je l'ai vue à l'âge de vingt ans. Et pourtant, ils n'a pas l'air de plaisanter du tout. Il regarda de nouveau le nourrisson potelé que tenait la mère de la future chercheuse. Ses yeux verts le regardaient avec une grande curiosité. Ce qui veut dire que, dans tous les cas, je vais leur obéir.
Il soupira longuement. « Qu'est-ce que vous attendez de moi ? » L'autre tira une chaise à lui, et fit signe aux autres individus de partir. « On connaît votre force grâce aux quelques rapports de nos futurs alter-ego. Une nouvelle recrue prometteuse vient d'arriver, et a déjà dépassé le niveau de ses supérieurs... » Il plongea son regard dans celui du prisonnier avec détermination. « On a besoin de vos talents pour le former, Livaï. »
L'intéressé plissa les paupières.
« Vous pensez sérieusement que je vais vous rendre un service pareil ?
— C'est la vie de Marion qui est en jeu, répéta-t-il. Nous avons d'autres bébés à disposition pour en faire ce qu'elle sera dans vingt ans. Que ce soit elle ou un autre, cela revient au même pour nous. »
Il s'avança un peu plus, les coudes sur les genoux et l'œil brillant. « Vous ne voulez pas risquer de créer un paradoxe temporel, Livaï. Ce ne serait pas seulement la fin de votre camp... » Il marqua une pause.
« Mais celle du monde entier. »
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