De retour - Partie 3
Il écarquilla les yeux. C'est moi ? Qu'est-ce que cette imbécile raconte ? Voyant qu'elle n'ajoutait rien, il se pencha légèrement en avant.
« Développe.
— Antoine, c'est vous. »
Elle doit avoir plus de quarante de fièvre. Elle délire.
« Tu es en train de dire qu'on m'a balancé dans les Murs et que ma mémoire a été modifiée ?
— Oui, dit-elle simplement, la voix étouffée.
— Ce n'est pas possible.
— Je ne mens pas.
— Je me souviens parfaitement de...
— Caporal-chef, le coupa-t-elle d'un ton mort, je suis vraiment désolée pour vous. Ça ne me fait pas du tout plaisir non plus. Mais ce que je vous dis est vrai. »
Il resta immobile un long moment. « Prouve-le », finit-il par lâcher. Elle se tourna vers lui, les joues mouillées de larmes et l'œil rougi. Elle le dévisagea un moment.
« Vous avez la même tête.
— J'en sais foutre rien, jeta-t-il. »
Elle réfléchit un moment. Le rouge lui monta subitement aux joues. Il fronça les sourcils. « Tu as trouvé quelque chose ? » Elle parut serrer les dents.
« Oui, hésita-t-elle.
— Dis-le.
— Eh bien... balbutia-t-elle. Vous avez une tâche de naissance qui se voit à peine... »
Il se crispa.
« Où ça ? insista-t-il.
— Où ça... bafouilla-t-elle. Je dirais... Eh bien... Juste en... s'étrangla-t-elle.
— Juste en ? répéta-t-il, l'air menaçant.
— Juste en bas du dos », débita-t-elle rapidement.
Il entrouvrit les lèvres. Bordel. Ce qu'elle dit est vrai.
« Il y a d'autres trucs que tu sais sur moi ? articula-t-il.
— Je ne sais pas si vous voudriez en entendre parler...
— Comment est-ce que tu sais un truc pareil ?
— Vous étiez mon ami d'enfance, bredouilla-t-elle, tremblante. Donc... Il se peut qu'on ait pris un bain ensemble quand on avait, quoi... Sept ans... Enfin, vous en aviez cinq... »
Il se prit le visage dans les mains. Elle se fout de ma gueule.
« J'avais deux ans de moins que toi lorsqu'on se connaissait ?
— Oui, soupira-t-elle, soulagée qu'il change de sujet.
— D'accord. »
Il respira profondément. Sérieusement. Je ne peux même pas ne pas la croire avec ce qu'elle m'a sorti...
« Donc ce que j'ai vécu n'est jamais arrivé... Jusqu'à mes seize ans ?
— Quinze ans, corrigea-t-elle faiblement.
— Raconte-moi tout, ordonna-t-il. »
Elle inspira profondément, et commença son récit. Il apprit que son père avait quitté sa mère alors qu'elle était enceinte de lui, qu'elle était morte chez lui d'une crise cardiaque, et que c'est son oncle, alarmé par son absence, qui était venu et l'avait retrouvé, à quatre ans, face au cadavre d'Aline. On lui avait confié sa garde, et le dénommé Fabien Chaillot l'avait élevé.
« Fabien était... Assez particulier. C'était un dealer. La police n'était pas au courant, mais je crois qu'il avait déjà descendu plusieurs personnes... Je sais en tout cas qu'il vous avait appris à vous défendre et que vous étiez doué pour ça. C'était quelqu'un de solitaire... Vous étiez souvent seuls chez vous. Mais du reste, il gérait toute la paperasse correctement. »
Cet Antoine a presque la même histoire que moi... Ou plutôt, se corrigea-t-il, il n'y a pas beaucoup de différences entre ce qu'on m'a foutu dans la tête et ce que j'étais réellement. « Du peu que j'en ai vu quand je venais chez vous, il était vraiment gentil. Il aimait faire des crêpes ; elles brûlaient, très souvent, mais je les mangeais quand même. C'était aussi un as à Mario Kart Double Dash... Un jeu », précisa-t-elle en voyant son regard confus.
Livaï hocha la tête. « Nous, on s'est rencontrés au CP – à l'école, lorsque j'avais six ans. Votre oncle s'était débrouillé pour vous faire sauter des classes, car vous faisiez preuve d'une intelligence hors norme. Vous étiez très réservé, vous ne souriiez et ne parliez jamais. Les autres enfants se moquaient de vous, vous traitaient d'handicapé mental. Vous étiez toujours seul. »
La jeune femme se mit à sourire. « Un jour, ça m'a vraiment dégoûtée, et j'ai mordu le bras de l'un d'eux... Ils ont commencé à me tabasser, mais vous les avez envoyés par terre en moins de deux. » Elle secoua la tête.
« Après, je vous ai demandé si vous vouliez devenir mon ami, et voilà comment ça a commencé. On a toujours été dans la même classe – grâce à Fabien. Vous étiez très peu bavard, mais à mesure que je me faisais d'autres copains, je vous les présentais. Ce n'était pas très facile », rit-elle. « Vous envoyiez la plupart balader quand ils ne vous plaisaient pas. »
Elle tourna son regard vert vers ses doigts, qui tripotaient machinalement une manche du manteau du petit homme. « Un jour, j'en ai eu marre de perdre tous mes amis à cause de vous, et je vous ai engueulé. J'ai vraiment cru que vous alliez me mettre une torgnole. Sauf que vous avez simplement fait la gueule quelques semaines, puis vous êtes venus vous excuser. Vous avez fait des efforts pour vous intégrer. Vous aviez dix ans, et moi, douze. On était en sixième. »
Suivit une série d'anecdotes, sur les différents moments où il avait tabassé des gens qui la harcelaient, et où il avait cassé la gueule à ceux qui se fichaient de son vingt de moyenne et de son mètre quarante. « Vous étiez vraiment un génie », précisa-t-elle en acquiesça plusieurs fois, plongée dans ses pensées. « Vous n'exploitiez pas tout votre potentiel... Mais ça restait très impressionnant. »
Moi, un génie ? songea-t-il en observant les flocons voleter. Elle lui apprit ensuite qu'elle l'avait souvent forcé à ranger sa chambre – il manqua de s'étouffer – et qu'il lui avait fait découvrir beaucoup de thés différents. Elle lui raconta comment il avait apeuré son petit copain en s'introduisant chez elle et en le surveillant d'un regard noir. « Il m'a quitté juste après. Vous ne l'aimiez pas du tout. Enfin, c'était justifié... C'était vraiment un connard. »
Elle parla ainsi un très long moment, redoublant de souvenirs qui lui étaient complètement inconnus. Une fois arrivée à leur dernière rencontre dans la base de la Résistance, elle s'arrêta. « Donc, le débile qui t'a ramené, c'était moi », lâcha-t-il. Elle acquiesça.
Il se tint la tempe un moment. Même pour lui, c'était presque trop à accepter. Les quinze premières années de ma vie ont été un mensonge. Il scruta le visage de Marion. Et en plus de ça, je connais la mini-binoclarde depuis que j'ai cinq piges.
Il secoua la tête. Je suis qui, alors ? J'ai toujours cru que mes expériences passées m'avaient forgé comme je suis aujourd'hui. Mais, au final... Est-ce que ce que je suis devenu est artificiel ? Il tenta de s'imaginer, souriant et bastonneur, meilleur ami avec l'imbécile qui était assise à côté de lui. Ça sonne faux, et pourtant...
Il se leva brusquement pour s'adosser contre un mur. « Dors », jeta-t-il froidement. Elle hocha la tête, et se retourna de nouveau. Un long silence suivit, un silence pesant, qui ne fit que renforcer ses doutes.
« Caporal-chef », finit par dire la jeune femme. « J'ai de la fièvre. » Il plissa les yeux. Merci, je le sais. « Donc je vais en profiter pour vous dire ce que je pense, car je serais incapable de le faire dans mon état normal. » Cette fois-ci, il fronça les sourcils.
« Je serais à votre place, je considérerais vos faux souvenirs comme tout aussi vrais, car même s'ils ne le sont pas, ils ont fait de vous ce que vous êtes maintenant. Vos expériences passées comptent tout autant. A mes yeux, vous n'êtes plus Antoine. Il a disparu, et je ne le reverrai jamais. Vous êtes le caporal-chef Livaï, qui a vécu dans les Bas-fonds toute sa vie. »
Il y eut un silence. Elle a en partie raison, seulement... Il marcha vers elle et la retourna. « Petite merde. Antoine se tient devant toi. Il a juste radicalement changé, s'appelle Livaï – et je ne vais pas m'en plaindre, car Antoine, c'est merdique – et est amnésique. »
Elle écarquilla les yeux. « Tu les as vécus avec moi, ces foutus moments. Nier en boucle ne t'amènera à rien. » Elle le dévisagea un moment, un peu perdue, puis hocha la tête. « Ça vous désacralise vachement... » Je ne suis pas une putain de sainte-nitouche. « Mais d'accord. »
Elle fronça le nez. « Ça fait juste bizarre. » Il acquiesça. De toutes manières, tu es dans le même état que si tu étais complètement torchée. Ta réaction ne sera pas comparable quand tu te réveilleras demain, songea-t-il alors qu'elle se rendormait.
Il s'assit et attendit quelques heures, tournant et retournant dans sa tête ce qu'il venait d'apprendre. Je suis son supérieur. Il écouta distraitement les ronflements de la jeune scientifique. Ça a toujours fonctionné comme ça. Mais est-ce que ça viendrait à changer avec ce qu'elle a appris, et vient de m'apprendre ?
Il passa une main sur son front, et fixa le plafond. En fait, j'en ai pas grand-chose à foutre, réalisa-t-il. Ses yeux se tournèrent de nouveau vers elle. Elle bougea en poussant un grognement peu élégant, puis mordit le bout de son pouce. C'est une situation délicate. Mais du reste... songea-t-il.
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