Hansi et Marion étaient assis face à face. Autour d'eux, les soldats buvaient et discutaient bruyamment. Livaï se tenait non loin ; Mikasa écoutait Sasha parler de tout et de rien ; Conny rigolait avec Armin et Eren.

« A ton avis, pourquoi ? » demanda la chercheuse. Son collègue remonta ses lunettes sur son nez. Ils écoutèrent les conversations un moment. Puis, il soupira. « Sûrement car c'était le dernier moment où il en avait l'occasion. »

Il regarda son assistante replonger dans le silence, et les autres soldats vaquer à leurs occupations. Un petit sourire, bien que mitigé par une pointe de fatigue, se dessina sur ses lèvres. Ils ont meilleure mine. C'est déjà ça...

On lui tapota alors l'épaule. Mike venait d'arriver. « Moblit a récupéré les choses. » Il hocha la tête avec sérieux, et se leva. « Marion, je reviens. » Celle-ci, les yeux fixés sur la table en face d'elle, ne répondit pas.

Ils s'éloignèrent en direction du couloir. Lorsque Livaï les vit, il s'avança vers Erwin. Le scientifique les scruta un moment. Le premier fit un geste de la main, accompagnant certainement ses paroles ; là, Mike se posta juste de l'autre côté du mur.

La pression monta chez Hansi. Avance un peu. Le caporal-chef se décala sur la droite. Encore un peu. Il fit un pas de plus. Un centimètre... Le major leur tourna le dos. L'ami de Marion planta son regard dans celui de Mikasa, qui les guettait depuis quelques minutes.

L'asiatique se leva de sa table, se dirigea vers Annie, lui prit sa bière, et la vida cul sec. Le visage de la blonde passa de l'incompréhension à une colère froide. La noiraude jeta la chope au loin, et fit face à l'autre. Un silence lourd tomba sur le réfectoire. Tous les yeux étaient fixés sur elles, tout le monde s'était immobilisé, on aurait dit un groupe de statues éberluées.

« Pourquoi est-ce que tu as pris ma bière ? énonça l'ex-ennemie d'un ton glacial.

— La mienne était finie.

— Oh. Tu comprendras que je veuille la reprendre, alors. »

La tension monta d'un cran.

« Tu peux aller t'en servir une autre.

— Ce ne sera pas nécessaire, articula-t-elle sur un ton redoutable. Je compte la récupérer directement dans ton estomac. »

Une fraction de seconde plus tard, elle balançait sa jambe vers la tête de son adversaire à une vitesse folle. Celle-ci bloqua le coup avec son bras, et lança sa main vers l'épaule de la plus petite.

Annie se baissa immédiatement. Son poing se dressa : il partit pour se planter dans le menton de l'autre, qui se décala. Mais la blonde n'avait pas dit son dernier mot. Elle profita de son esquive pour attraper le col de la chemise de son opposante, et la balancer par-dessus bord. Le dos de Mikasa rencontra le sol dur, mais alors que l'autre allait lui foutre un pied dans l'abdomen, la noiraude lui fit une balayette sur sa jambe d'appui. La première se retrouva à califourchon sur la voleuse de binouze.

Tous les soldats laissèrent échapper une exclamation de surprise. Puis, ils se mirent à scander « Baston ! Baston ! » avec entrain. Annie immobilisa les poignets de l'asiatique, et approcha dangereusement son visage de celui de l'autre. « Ça ne te dérange pas, si je te la fais vomir ? »

La sœur adoptive d'Eren plissa les yeux. Dans un brusque élan, elle tendit ses bras, roula sur le côté, renversa la garde de Marion, et se releva. Toutes deux se firent de nouveau face, le regard chargé de haine.

Moblit débarqua alors.

« Chef, dit-il à Hansi, voilà les choses !

— Superbe ! s'exclama-t-il. »

Il attrapa la bouteille de rouge et le gâteau un peu trop cuit que lui avait apportés son subalterne, et déboula sur Erwin et Livaï, qui observaient tranquillement la scène. « Erwin », hurla-t-il, « joyeux anniversaire ! »

Tout le monde se tut.

« Oh. » Il prit les offrandes que lui tendait le scientifique, et les observa un moment. Un petit sourire se dessina sur son visage. « Merci. » Un ange passa. Il prit son temps. On aurait presque dit qu'il allait rester là une éternité.

Finalement, tous les combattants – mis à part les officiers et les deux soldates – crièrent à leur tour en tapant dans leurs mains.

Hansi les regarda avec soulagement. Enfin, ils reprenaient du poil de la bête. Cela faisait des mois qu'une ambiance pareille n'avait pas régné. Il partit vers la table où il avait discuté avec Marion, et s'affala sur une chaise.

Le caporal-chef le rejoignit. « Pour une fois, ton plan n'était pas foireux. » Ils jetèrent un œil à Mikasa. Elle avait attrapé une nouvelle chope, et la tendait à Annie. Cette dernière se contenta d'acquiescer. Puis, elles partirent chacune de leur côté.

Quelques soldats des Brigades rejoignirent Eren et Armin. Rico parlait avec Mike. Marlowe, un pendentif à la pierre jaune pendant de son cou, sirotait un verre avec les combattantes de la Garnison qui avaient fixé le petit homme et Marion. Oh, c'est vrai, le thé !

« A propos du thé, commença justement son collègue. Qui l'a gagné ?

— Ah, ça... Dès que je l'ai mentionné, vous avez fait de gros efforts ! Bon, c'était loin d'être parfait, mais déjà mieux que votre manque de volonté du début.

— Le thé, Hansi, articula-t-il.

— Oui, oui... »

Comment est-ce que je vais faire ? Les deux ont assez bien dansé... Au début, il avait cru que Livaï allait gagner la partie, mais la chercheuse l'avait vite rattrapé. Lequel était le plus méritant ? Celui qui avait de bonnes bases – et Dieu sait qu'il avait fait preuve d'une mauvaise foi à toute épreuve – ou celle qui s'était améliorée en l'espace de quelques instants ?

Il croisa les bras, et se plongea dans une réflexion des plus compliquées. Puis, une solution lui vint en tête, comme une illumination. Que disait Marion, déjà ? Urêba ? Eurigda ?

« Eurêka ! » L'autre la dévisagea d'un air blasé. « Vous allez vous le partager ! » Il le vit fermer les yeux, inspirer profondément, puis le frapper violemment sur le sommet du crâne. « Je ne pense pas », prononça-t-il dangereusement. Le chercheur se frotta la tête. « Je suppose que vous allez avoir une boîte chacun, alors. » Il attendit une réaction qui ne vint pas.

« Il y a une boutique qui a ouvert dans un quartier pas très loin d'ici. Vous n'aurez qu'à y aller. Je vous filerai les sous.

— D'accord, finit-il par laisser tomber. »

Il promena ses yeux sur le réfectoire. Son interlocuteur fit de même.

« Est-ce que tu t'es amusé, au moins ?

— Ça va.

— Et Marion ?

— Je ne sais pas. »

Il ne sait pas. Il posa ses prunelles brunes sur la chaise qu'avait occupée son assistante. « D'ailleurs, où est-ce qu'elle est passée ? » se demanda-t-il presque à lui-même. L'autre plissa les paupières. « Où est-ce qu'elle est passée... »

Ils observèrent la salle. Lorsqu'ils constatèrent qu'elle n'était nulle part en vue, ils se raidirent. Le chef d'escouade put voir Livaï froncer les sourcils. Il se dirigea vers Annie à grands pas, suivi de Hansi. « Marion », énonça celui-ci. « Tu sais où elle est ? »

Elle les regarda. Une légère inquiétude eut tôt fait de se dessiner son visage.

« Non.

— Elle est venue vous voir, à un moment ?

— Non plus.

— Quand est-ce que tu l'as vue pour la dernière fois ?

— Elle discutait avec vous. »

Ses deux supérieurs échangèrent un regard. « Viens avec nous. On va fouiller le bâtiment. » Elle acquiesça, et ils marchèrent rapidement vers la porte. Le plus grand croisa Moblit, et lui tapota l'épaule :

« On ne sait pas où est Marion. Si elle revient, viens nous chercher. Dit à Mike et son escouade de faire de même. On vous préviendra si on l'a retrouvée ou si on change de bâtiment.

— Compris ! »

Il rejoignit ensuite les autres dans le couloir. « Je vais partir au premier étage. Annie, occupe-toi du rez-de-chaussée, et Livaï... » L'expression de celui-ci le coupa net dans sa phrase.

Ses yeux étaient écarquillés ; sa bouche, entrouverte ; ses traits, marqués par l'horreur. « Il n'y a pas besoin de fouiller », murmura-t-il. Son ton tremblant de fureur le fit frissonner. Il suivit son regard. Un sentiment indescriptible le frappa de plein fouet.

A quelques mètres d'eux, le corps sans vie de Marion baignait dans une mare de sang.

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