Dancing Queen - Partie 2

Livaï et Marion venaient de sortir des cuisines, et arrivaient à la dernière marche de l'escalier menant au rez-de-chaussée. Dès qu'ils y firent un pas, l'expression relativement calme de sa subalterne changea du tout au tout. Elle avait été grandement impactée par la mort de Jean – au même titre que tout le monde, certes, mais ceux qui avaient découvert son cadavre le supportaient encore moins.

L'ambiance était au deuil depuis une semaine. Ils savaient ce que c'était, de perdre un proche, mais cet assassinat-là avait été des plus inattendus. Il pouvait aisément comprendre leur réaction. Lui-même avait pris un plaisir particulièrement malin à affamer et dépecer Reiner et son capitaine.

Voyant que la chercheuse ne se déridait pas, il ouvrit la bouche. « Je me demande ce que Hansi a à nous dire. » Elle coula un regard vers lui. « Je ne sais pas. Peut-être par rapport à mes entraînements, puisqu'il faut les organiser... »

Le silence s'installa de nouveau entre eux. Annie ne les avais pas accompagnés : il restait encore des pommes de terre à éplucher. De plus, l'entretien à venir avait certainement un caractère confidentiel.

Ils arrivèrent bientôt devant la porte en question. Le caporal-chef frappa. « Oui ! » s'exclama une voix enjouée. Il plissa les paupières. Elle qui avait perdu de son entrain depuis quelques mois était redevenue, en une matinée, presque aussi énergique qu'avant. Il était très mitigé sur la question.

Ils entrèrent donc. Comme d'habitude, son bureau était dans un bordel monstre. « Bien, asseyez-vous. » Ils obtempérèrent. Ses mains croisées devant sa bouche parvenaient difficilement à cacher son sourire. Si sa peau avait été plus élastique, il aurait pu au moins s'étendre jusqu'à ses oreilles.

« Vous le savez, les groupes pour l'est et le nord partent dans un mois. Erwin et moi avons discuté du moral qui règne sur les troupes de la Garnison et du Bataillon. » Elle marqua une pause.

« Livaï.

— Oui ?

— Tu sais à quel point la santé mentale des soldats est importante afin de préserver la productivité dont ils...

— Qu'est-ce que vous avez planifié ? la coupa-t-il. »

Autant aller droit au but. Lorsqu'elle laissa échapper un vague gloussement, la chercheuse lui jeta un coup d'œil inquiet. « Vous savez, je suis persuadée que la meilleure thérapie contre la déprime – mise à part l'étude des titans, naturellement... » Il vit Marion retenir son souffle.

« ... est la danse. »

Silence sur le bureau.

« Marion, je pense qu'on devrait partir », dit-il en se levant. Seulement, Hansi l'ignora si fort qu'il s'arrêta net. Ses traits avaient retrouvé leur sérieux en une demi-seconde. Elle ferma les yeux quelques instants.

« J'essaye », laissa-t-elle finalement tomber. Son ton bien plus sombre le glaça presque. « La mort de Jean a eu beaucoup plus d'impact que ce qu'on pensait. Alors, j'essaye. Livaï, tu as peut-être une autre solution ? »

Il ne sut pas quoi répondre. « Une soirée entre les effectifs de la Garnison, du Bataillon et des Brigades qui sont postés à Shiganshina. Pas tous, bien entendu – on ne pourrait pas se le permettre. »

Il se rassit lentement, tout ouïe. « Cela ne permettrait pas seulement de rafraîchir un peu l'atmosphère », continua-t-elle, « mais de rapprocher les trois corps d'armée avec autre chose que du sang et des morts, et peut-être même de gagner des recrues. » Elle laissa couler quelques secondes.

« Il faut que l'opinion publique ait l'image d'une armée unie et en forme. Il faut qu'elle oublie l'attentat de Reiner et Wilson. Cela devient crucial, ou on risque de déchanter bien vite. De plus, c'est encore plus important pour les équipes qui partiront seules à l'extérieur. » Puis, elle se tut.

Il baissa le menton. Elle avait terriblement raison, ils avaient besoin de ça. Ce n'était pas l'une des idées farfelues qu'elle avait l'habitude d'avoir avant : il y avait un réel objectif derrière. Il le regretta presque.

« Très bien. Ça se passerait quand ?

— Dans trois semaines. Pour ce qui est de la salle, des musiciens et des costumes...

— Des costumes ? »

Elle hocha la tête.

« On a le budget pour ça ? demanda Marion avec inquiétude.

— On ne va pas passer la soirée en tenue militaire.

— Ils peuvent prendre leurs habits simples, ce n'est pas un bal, lâcha-t-il rapidement.

— Oui, il a raison, on peut simplement faire acte de présence ! se précipita-t-elle.

— Oh, non, détrompez-vous... »

La chef d'escouade sourit de nouveau, et il se raidit.

« On va tous mettre les mains à la pâte.

— Je ne sais pas danser, dirent-ils en même temps. »

Une lueur dangereuse s'alluma dans son regard.

« Oh ?

— Je veux dire... s'étrangla la scientifique.

— Ne vous inquiétez pas, ça peut s'arranger... gloussa-t-elle.

— Non, laissa tomber le caporal-chef. Ça ne peut pas s'arranger, il est trop tard pour moi, j'ai dépassé la limite du réversible.

— Allons, Livaï ! Tu ne veux pas raviver les petits minois de tes combattants adorés ?

— Ils peuvent se les raviver tous seuls.

— Le soldat le plus fort de l'humanité qui ne danse pas... Ça serait un scandale, n'est-ce pas ?

— Quel dommage.

— Marion, tu en penses quoi ? »

L'intéressée fut incapable d'articuler un seul mot. L'affolement gagnait de plus en plus de terrain sur son visage. « En fait, vous me donnez une merveilleuse idée. » L'espoir revint chez elle... « Vous allez y aller ensemble. » ... pour disparaître aussitôt.

« A moins que tu ne veuilles un ou une autre partenaire. » Toujours pas de réponse. Elle jeta un regard désespéré à son supérieur. Un appel aux secours. « Elle peut danser avec Annie », tenta-t-il. Mais dès qu'il prononça ces paroles, son état s'empira encore. Il respira profondément, se mit face à elle, et posa brutalement ses mains sur ses épaules.

« Qu'est-ce que tu veux, à la fin ?!

— Le soldat le plus puissant avec l'espoir de l'humanité... jubilait Hansi.

— Je... balbutiait Marion.

— Marion, réponds avant qu'il ne soit trop tard !

— C'est une idée brillante, très brillante...

— Je crois que... Il vaut mieux que...

Il vaut mieux que ?

— Et les journaux... Mon Dieu, les journaux...

— Erwin Smith !

— ... Tu veux danser avec Erwin ? »

Le silence se fit. « Non. Non, je veux dire qu'il n'y a qu'Erwin qui pourra nous tirer de là. Si on va le voir, il va nous donner la permission de rester à côté. » Il la lâcha, et recula. Elle a raison. « Je viens avec vous », intervint sa collègue. Mais il n'en fut pas inquiet le moins du monde.

Il avait confiance en cet homme.

Ils quittèrent le bureau pour aller à celui du major, et frappèrent à sa porte. Si la pression était insoutenable chez sa subalterne, lui avait réussi à retrouver son calme habituel. C'est un cirque, de nous forcer à danser. Je comprends qu'on ait besoin de donner une bonne image, mais à ce point...

On les appela à entrer. Hansi ne se fit pas prier : elle déboula littéralement dans la pièce. Livaï entra plus tranquillement, et Marion ne parvint qu'à rester sur le palier. La chef d'escouade plaqua ses mains contre le bureau. Son supérieur ne leva même pas les yeux.

« Erwin ! Marion, Livaï, danse, bal ? » Il finit d'écrire quelque chose. Le temps leur parut affreusement long. Puis, il commença soigneusement une autre ligne. Les secondes silencieuses s'allongèrent. Il attendit, attendit encore, jusqu'à ce qu'il les sentit sur le point de frapper du poing contre la table : et là, il ouvrit la bouche.

« Oui. »

***

« Il nous a trahis. »

Ils se trouvaient dans le bureau de Livaï. Lui contemplait sombrement la cour extérieure ; assise sur une chaise derrière lui, elle se tenait la tête dans les mains. L'ambiance était au désespoir. Hansi avait gagné. Il fallait qu'ils dansent, ils y étaient obligés.

« Livaï.

— Oui.

— Comment est-ce qu'on va faire ?

— « Un, deux, trois ».

— Une valse ?

— Peut-être que ça sera plutôt « un, deux, trois, quatre ».

— Ou « un, deux ».

— Ou « un »...

— Non, un, ça n'existe pas. »

Ils s'enfermèrent de nouveau dans ce silence ténébreux.

« Je savais danser ?

— Je ne vous ai jamais vu faire. Hansi, elle sait danser ?

— Je ne sais pas. »

Quelques secondes.

« Peut-être qu'avec son pied de bois...

— Si elle ne participe pas, elle est finie. »

Une minute. Il entendit la chercheuse se lever : il se tourna vers elle. Ils se regardèrent longuement, leurs yeux hantés par la Mort elle-même. Puis, elle remonta ses nouvelles lunettes sur son nez.

« Livaï... Nous n'avons pas le choix. » Il hocha la tête. « Je compte sur vous. »

Lien vers l'image : https://www.deviantart.com/alempe/art/Drunk-426314540

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