Dancing Queen - Partie 1
Shiganshina, 10 septembre 851
Rico Bretzenska frappa trois coups contre le battant de bois. Ce fut Livaï qui lui ouvrit. Dans la petite salle, Hansi, Erwin, Mike et Marion étaient assis autour d'une table ronde. Elle les salua, le poing contre le cœur, et s'assit à la gauche de la scientifique, qui regardait ses genoux d'un air préoccupé.
« Bien. Pixis n'a pas pu venir, mais il nous a laissé des indications », commença le major. « On est tombé d'accord pour envoyer quelques escouades en repérage à l'ouest et au nord. Les américains ont réussi à percer notre défense, et les morts de la nuit du deux au trois septembre – comme vous le savez, dix chez la Garnison et trois chez le Bataillon – nous pressent d'autant plus à agir. »
Elle entendit le caporal-chef s'adosser au mur, comme à son habitude.
« Nous avons l'approbation définitive de Daris Zackley. Il ne manque plus qu'à former les équipes.
— Quid des Brigades Spéciales ? demanda-t-elle. Il n'y a aucun représentant ici.
—Ils sont plus compétents pour garder les villes dans le cas d'une infiltration de la part de l'ennemi que pour survivre à l'extérieur. Il est déjà établi qu'ils participeront à l'opération en intra-muros. »
Personne n'eut d'objection. « Nous avons perdu l'un de nos meilleurs candidats pour cette mission – Jean Kirschtein. Nous avons donc procédé à une réévaluation du niveau de combat de nos meilleurs explorateurs. » Il fouilla dans ses papiers, et en sortit une feuille sur laquelle était inscrit un tableau. Il la fit passer à la chef d'escouade.
« Livaï : 11, Mike Zacharias : 10, Annie Leonhart : 10, Mikasa Ackerman : 10, Erwin Smith : 9, Luise Weierstrass : 9, Eren Jäger : 9, Historia Reiss : 8, Albert Hopft : 8, Hansi Zoe : 7, Sasha Braus : 7, Viktor Krum : 7. » Le top dix, à l'image des Brigades d'Entraînement.
« C'est tout ce que vous avez trouvé ? Ce n'est pas suffisant. Il faut que vous gardiez quelques-uns de vos meilleurs éléments ici : vous avez des espoirs de l'humanité à protéger, lâcha-t-elle en coulant un regard vers une Marion interminablement silencieuse.
— Bien sûr. Annie, Livaï, Mikasa, Historia et Eren resteront là. Nous avons pensé à envoyer Mike, Weierstrass, Hopft, Arlert, et Krum. Nous comptons sur vous pour la seconde équipe. »
Elle réfléchit un moment. Quelle escouade est-ce que la Garnison pourrait choisir ? Il en fallait une qui avait déjà de l'expérience avec les titans et les américains. La sienne avait participé à la Première Bataille de Shiganshina, et à la prise des bases Sud et Est. En réalité, elle y avait déjà pensé plusieurs fois, mais avait voulu baser son choix sur ce qu'ils allaient proposer. Désormais, elle était fixée.
« La mienne. » Les chefs d'équipe se regardèrent, puis acquiescèrent. « Je me doutais que tu allais donner cette réponse », dit le responsable du Bataillon. Il récupéra la feuille.
« Il est trivial de préciser qu'il n'y aura pas que le niveau de combat qui comptera. Mike a une bonne capacité à gérer ses soldats. Ton pragmatisme fera aussi largement l'affaire.
— Combien a Arlert en combat ? intervint-elle tout de même. »
Il ferma les yeux un instant.
« Trois. Mais son sens de la stratégie contrebalance largement.
— Ce n'est pas risqué de l'envoyer ?
— Il a survécu aux quatre batailles. Quatre, c'est-à-dire en comptant la Seconde de Shiganshina. »
C'est vrai. Elle acquiesça. « C'est décidé. Il y a d'autres points que nous voudrions évoquer... Hansi, je te laisse la parole. » L'intéressée toussota.
« Déjà, il faut aborder le cas de Marion. Il semblerait qu'elle ait reçu des injections chez les américains lorsqu'elle était bébé. Livaï a entendu une bribe de conversation entre deux soldats, qui mentionnaient le fait que ses « dernières injections la transformeront en monstre ». Tu as déjà entendu parler de son combat contre le déviant, lors de la prise de la base Est. Elle s'est défendue de la même manière contre Reiner et le capitaine il y a une semaine, lorsqu'ils ont essayé de la tuer. »
Elle marqua une pause.
« Annie est témoin : elle a arraché les yeux de Reiner, lui a lacéré le visage, et l'a frappé jusqu'à le faire vomir. Elle a également battu leur supérieur hiérarchique. Mais elle ne garde aucun souvenir de l'affrontement. Ce qui est le plus curieux, c'est qu'elle a usuellement un niveau très bas en combat, mais sa force semble doubler lorsqu'elle est en danger de mort.
— En d'autres termes, résuma Rico en se tournant vers l'intéressée, tu es retranchée dans les recoins des recoins de ton instinct de survie quand tu es menacée, et ça te fait perdre la tête. »
Elle se contenta de hocher la tête d'un air sombre. « Mais j'ai une idée », reprit l'exploratrice. La soldate de la Garnison devina à l'air étonné des autres qu'ils n'étaient pas au courant de cela. « Puisqu'elle est en capacité de combattre au même niveau que les élites, je propose d'exploiter ceci, de l'entraîner à se maîtriser le moment venu, et d'en user à notre avantage. »
Livaï s'avança alors.
« Reiner a dit lors des séances de torture qu'on serait incapable de la gérer, et que seuls les américains savaient comment faire, objecta-t-il. Si elle perd le contrôle, ce qui est très probable, les dégâts pourraient être sérieux. Tu es sûre de ton coup ?
— Tu t'es déjà occupé d'Eren, qui était dans le même cas.
— Je n'ai pas eu besoin d'intervenir. De plus, il est certainement moins dangereux qu'elle.
— Tu as réussi à la stopper lorsqu'elle a voulu t'attaquer après avoir massacré le déviant, tu peux bien recommencer !
— Et si je la blesse gravement – pire, si je la tue ? On a besoin d'elle pour la machine numéro sept.
— Est-ce que vous pourriez arrêter de parler de Marion comme si elle n'était pas là ? »
C'était la femme aux cheveux clairs qui avait lâché cette phrase. Les deux la regardèrent avec surprise. « C'est vrai », murmura Hansi. « Marion, désolée. Qu'est-ce que tu en penses ? » La jeune femme déglutit.
« Je ne sais pas. » Elle observa ses mains bandées.
« Peut-être que si l'armée américaine planifiait de m'apprendre à gérer ces... Ces capacités, vous pourrez le faire aussi. On ne peut pas savoir sans essayer.
— Tu es donc d'accord pour que Livaï se charge de toi ? demanda le major.
— Oui.
— Tu es sûre ? répéta le petit homme, les yeux plissés.
— Oui. »
Il croisa les bras.
« Très bien. Je le ferai. Seulement, il vaut mieux que l'information ne fuite pas. Les journaux viennent de plus en plus nous rendre visite, et on s'est engagé à ne rien leur cacher, mais il va falloir que ce cas soit une exception.
— En effet, appuya Erwin. »
De nouveau, un silence approbateur.
« Une dernière chose, ajouta la brune. Contrairement à ce qu'on pensait, le capitaine Wilson – le supérieur de Reiner – n'est pas le titan bestial.
— Il est quoi, alors ? dit Rico en fronçant les sourcils.
—Le dernier titan à leur disposition, et aussi un prototype : le Cracheur. »
Une demi-heure plus tard, elle quitta la base du Bataillon avec une feuille de notes. Elle la relut en long et en large pendant le chemin du retour. L'échange avait été à peine fructueux, mais c'était mieux que rien.
Sept jours de torture, songea-t-elle tout de même, et ils n'ont su tirer aucune information du Cracheur...
***
Shiganshina, 16 septembre 851
Sasha entra dans les vastes cuisines qui se trouvaient au sous-sol. Il était midi, mais elle n'avait pas faim. Depuis la mort de Jean, l'atmosphère s'était faite plus sombre, la base, plus silencieuse ; et pour la première fois de sa vie, son appétit était coupé.
Elle posa tristement son regard sur les seaux de pommes de terre. Mike l'avait mise de corvée de cuisine. Ses épaules se baissèrent. Elle soupira, et attrapa un couteau dans un tiroir. Ses prunelles brunes s'attardèrent sur sa lame luisante.
« Salut, Sasha. » Elle sursauta. C'était Conny qui venait d'arriver. Elle n'avait même pas entendu son fauteuil roulant. « Fascinée par les armes, maintenant ? » Elle bredouilla quelques excuses, puis se tourna vers le plan de travail.
L'adolescent était le seul à tenter de les remettre d'aplomb. Même Hansi ne forçait rien. Il souriait, servait les assiettes avec énergie, allait assister aux entraînements pour la traiter d'idiote. Mais il avait bien vu qu'elle était incapable de répondre comme avant à ses piques.
Bientôt, Annie et Marion arrivèrent. Ces deux-là étaient de nouveau en froid depuis l'attaque de Reiner et Wilson. Elles n'échangèrent pas un seul coup d'œil – en fait, la blonde remonta simplement ses manches, et l'autre se contenta d'attendre à côté à cause de ses mains blessées. Quelques minutes plus tard, les cuisines se remplirent petit à petit. Luise, Armin, Livaï firent leur apparition.
Ce dernier les observa un moment avec une face blasée. Puis, il s'approcha d'un placard. La brune lui jeta un œil : mais alors qu'elle pensait le voir prendre une tasse pour se faire un thé, il ouvrit le compartiment des couverts, et en sortit un éplucheur.
Livaï, le caporal-chef en charge des tortures de leurs ennemis, le soldat le plus fort que l'humanité n'ait jamais connu, le seul et unique dont la note en combat dépassait le dix, allait les aider à préparer des patates.
C'était une première dans l'histoire des Murs. Le silence était tel qu'ils pouvaient entendre le bruit de la peau de son solanum tuberosum tomber sur la planche à découper. Personne ne pouvait détacher ses pupilles du petit homme.
Il tenta d'abord d'ignorer la réaction de ses subalternes. Mais plus les secondes défilèrent, plus l'irritation marqua ses traits. Il finit par faire claquer son ustensile contre le bois, et les fusiller du regard. « Quoi, vous avez jamais vu quelqu'un faire la cuisine ? » jeta-t-il sèchement.
Tout le monde se remit au travail.
Est-ce qu'il a de la fièvre ? Elle mit son troisième tubercule dans la bassine d'eau qu'elle partageait avec son ami au crâne rasé. Ou alors, il est tombé sur la tête ? Elle évita de justesse de s'entailler le doigt, et jeta quelques pelures dans la poubelle en-dessous d'elle. Pire, il a loupé son thé du matin ?!
« Sasha. » Elle poussa un cri aigu. Conny venait de parler à deux centimètres de son oreille. Il avait un talent pour se dresser à la hauteur des autres à l'aide de ses deux bras. « Tu es en train de découper ta patate en cubes. » Elle contempla un long moment son travail. « Oh... C'est vrai. Caporal, qu'est-ce que j'en fais ? »
Celui-ci eut un air grave. « C'est évident. » Il posa son regard sombre sur le seau à côté de lui. « Il n'y a qu'une solution... » Il marqua une pause, durant laquelle une tension étouffante pesa sur eux, toujours plus lourde, toujours plus électrique. Puis, il planta ses yeux clairs dans les siens.
« Transformer ces pommes de terre en purée. »
Seul un long silence lui répondit. Tous – Marion mise à part – le fixaient sans savoir quoi lui répondre. Sûrement grâce à sa force mentale à toute épreuve, il maintint son air parfaitement impassible jusqu'à ce que Hansi fasse irruption.
« Salut ! » lança-t-elle avec un grand sourire. Mais le mur insonore sur lequel elle se cogna l'arrêta net.
« Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai raté quelque chose ?
— Non, lâcha immédiatement son collègue. »
Il retourna à son occupation sans un mot de plus. « Oh, d'accord. Est-ce que toi et Marion pourrez venir à mon bureau après que... » Sa voix s'éteignit, et elle écarquilla les yeux.
« Livaï, est-ce que tu es en train de cuisiner ?!
— Oui.
— Mais... Mais tu... »
Elle s'appuya contre le mur. « Mon Dieu... » Sa jeune collègue, dont les épaules tremblotaient depuis une bonne minute, parut sur le point d'éclater de rire, mais parvint à retrouver son sérieux. « Enfin », souffla l'adulte. « A tout à l'heure. »
Elle partit ainsi, laissant derrière elle son ami désormais plus seul que jamais.
Lien vers l'image : https://www.deviantart.com/lllannah/art/Rico-Doodle-517733978
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