Attaque - Partie 2

Shiganshina, Mur Sina, 18 octobre 850

Hansi sortit de sa chambre en baillant. Il était cinq heures trente, et, une nouvelle fois, sa nuit avait été écourtée par une séance de torture avec Samuel. Malheureusement, elle avait été vaine : le traître paraissait avoir tout craché à Livaï, et n'était plus qu'une coquille vide, qui ne réagissait même plus à la douleur.

Elle se souvenait parfaitement de l'expression du petit homme lorsqu'il était remonté des cachots pour entrer en salle de réunion. Plus sombre encore qu'à son entrée, les gants ensanglantés, il avait raconté d'une manière très, trop neutre, que Marion avait au final dix-huit ans, qu'il avait organisé son enlèvement, qu'il avait des supérieurs, et qu'il était en contact d'une manière ou d'une autre avec ceux-ci – ou, au moins, la section de Rhys et l'homme du Titan Bestial.

« Il est au courant pour la machine numéro sept, mais ne sait pas où elle se trouve. Marion aurait un implant pour leurs transferts. Il a suggéré que la Résistance l'aurait récupérée. Il a également, entre autres, massacré Cindi, fait partie d'une division spéciale, et vu sa famille se faire prendre en otage. »

Sur ce, il était parti sans piper mot, leur laissant ces informations entre les mains. Erwin lui-même avait froncé les sourcils, mais l'avait laissé seul un moment. Ils n'avaient rien trouvé quant à leur moyen de communication, et n'avaient pu en déduire qu'une chose : l'ennemi était bel et bien organisé, et prêt à frapper.

Depuis ce jour, l'irritation du caporal-chef n'avait fait que croître. Les soldats étaient les premiers touchés, mais elle-même le ressentait : il avait tendance à plus l'insulter qu'avant, de manière plus sèche, et son air ennuyé semblait presque sincère.

Au bout d'une semaine, elle s'était avoué qu'elle ne pouvait plus supporter cette situation, et qu'elle devait agir, d'une manière ou d'une autre. Ce n'est pas vivable, déjà pour nous, ensuite pour lui.

Elle était d'abord allée voir le major, lui demandant d'avoir une discussion avec Livaï, car il lui faisait confiance et l'écouterait peut-être ; mais le blond n'avait rencontré qu'un mur froid et impénétrable. « C'est assez impressionnant. Il ne m'a pas renvoyé balader... Il a juste hoché la tête, et est reparti à ses affaires. »

Ils avaient réfléchi un moment, mais pas très longtemps. Ils avaient un travail considérable sur les bras. « Nous verrons ça plus tard », avait-il dit. Elle avait acquiescé, était retournée dans son bureau, avait planché sur les expériences qu'elle devait mener sur Eren... Et avait dérivé, malgré elle, vers le caporal-chef.

Aujourd'hui, pensa-t-elle, déterminée, en allant vers le réfectoire. C'est mon jour de permission. Elle attrapa une pomme et croqua dedans, debout devant une fenêtre. C'est aussi celui d'Eren, d'Armin, de Conny, d'Ymir et d'Historia. Elle avala une bouchée. Mais c'est surtout le jour où Livaï part faire l'état des lieux du sud de Shiganshina, avec tous les autres.

Elle jeta son trognon dans la poubelle, s'essuya la bouche et partit d'un pas décidé vers les dortoirs. Il revient ce soir, après dix-neuf heures. Elle arriva devant la porte. Je peux remercier Erwin pour cette organisation opportune... Elle toussa quelques fois, et retroussa ses manches. Maintenant, c'est à nous de jouer !

D'un coup de pied, elle ouvrit la porte. « Debout, les jeunots ! C'est l'heure ! » s'exclama-t-elle. Debout, ils l'étaient déjà, bien que pris d'assaut par des bâillements continus. Elle hocha la tête, satisfaite, et partit réveiller les filles.

Tous les six se retrouvèrent dans la salle à manger. « Bien », dit-elle s'asseyant sur une table. « Il y a deux ailes à couvrir, chacune de deux étages sans le rez-de-chaussée. Nous sommes six, ce qui est parfait : un étage chacun. Historia, Conny, Ymir, vous prendrez l'aile droite, et les autres, l'aile gauche. Dans cinq heures, à douze heures piles, on se retrouve ici pour le reste. C'est parti ! »

Ils la saluèrent et partirent dans les directions indiquées. Hansi guida Eren et Armin jusqu'au bâtiment désigné. « Je m'occupe du bas. Répartissez-vous le reste. » Ils acquiescèrent, décidés, et elle se retrouva seule face au long couloir, aux bureaux vides et aux salles de réunion.

Bien. Elle se tourna vers les ustensiles de ménage. Maintenant... Je fais quoi ? Complètement déboussolée, elle prit un balai, puis un chiffon. Elle resta ainsi un long moment, plongée dans une réflexion profonde. Lequel je passe en premier ? Elle se prit le front dans ses mains, au bord de la panique. La dernière fois que j'ai fait le ménage, c'était il y a cinq ans !

Elle serra les dents. Je n'ai pas le choix. Inspirant un bon coup, elle monta les escaliers. « Dis, Eren... » commença-t-elle. Le jeune homme venait manifestement de finir la poussière. Il est rapide... Il a bien été formé, à ce que je vois.

« Le ménage... Il se fait dans quel ordre ?

— Eh bien... commença-t-il, surpris. Il faut enlever les toiles d'araignée, faire la poussière, nettoyer tous les meubles, et une fois tout ça fait, vous passez le balai, puis la serpillière...

— Merci ! »

Elle retourna au rez-de-chaussée, soulagée, et commença sa besogne, tentant de n'oublier aucune parcelle. Une heure trente plus tard, le couloir était fini ; elle ouvrit un premier bureau, et manqua de tomber à la renverse.

« Des papiers... Partout... » souffla-t-elle, stupéfaite. La pièce était dans un désordre monstre. « Je... je fais comment... » Elle s'approcha d'un tas, et tenta d'en faire une pile propre. Les feuilles lui échappèrent des mains et s'étalèrent au sol, soulevant un nuage de poussière.

C'est un lac... Une mer... Non, un océan de bordel... Elle s'enfuit, tremblante, et claqua la porte. Je suis incapable de gérer ça. Je... Je vais verrouiller tout ça et cacher la clé... Livaï ne le verra pas... Tout se passera bien, oui, c'est une excellente idée...

A son grand malheur, seule la salle de réunion était à son niveau. Elle s'en occupa du mieux qu'elle put et passa la serpillière, avant de retourner dans le corridor, noyée dans une immense détresse.

Elle regarda le trousseau qu'elle tenait en main. Une expression lugubre sur le visage, elle enleva la clé de l'antichambre dans laquelle elle avait, plus ou moins, réussi sa mission. Je suis navrée, mes petites. Vous allez devoir disparaître...

« Hansi », l'appela subitement le soldat aux yeux verts. Elle sursauta.

« Eren, balbutia-t-elle. Tu as déjà fini ?

— Armin aussi. Et vous ?

— J'ai... J'ai aussi terminé... »

Il observa les alentours, sourcils froncés.

« Pourquoi il n'y a qu'une porte d'ouverte ?

— Ah, ça... rit-elle, nerveuse. J'ai... On a... Je suis... »

Incapable de se retenir plus longtemps, elle éclata en sanglots.

« Hansi ! s'exclama-t-il, paniqué.

— Je suis désolée, Eren ! s'écria-t-elle dramatiquement. C'est un foutoir pas possible, c'est au-dessus de mes forces ! Il ne nous reste plus qu'à les condamner... pleurnicha-t-elle, à genoux.

— Mais non, ne dites pas ça ! »

Elle releva la tête, de la morve coulant de sa narine droite. Il lui tendit un mouchoir.

« Hansi, je peux vous aider, déclara-t-il d'un air déterminé.

— Tu es capable de faire ça ? répéta-t-elle, stupéfaite.

— Bien sûr !

— Tu n'as pas vu l'état... murmura-t-elle, les yeux écarquillés. C'est impossible...

— Rien n'est impossible ! »

Devant tant de volonté, elle manqua de tomber sur les fesses. « Si nous nous y mettons à plusieurs, nous pouvons le faire. C'est pour le Caporal ! Nous n'allons pas laisser tomber à cause de quelques microbes ! »

Des larmes d'espoir montèrent aux yeux de la femme. Elle poussa un cri et attrapa sa chemise. « Eren ! Au final, tu es génial même quand tu n'es pas un titan ! » Il soupira longuement et l'aida à se relever. Ses traits reflétèrent un sérieux sans égal. « Quelles sont nos cibles ? »

Ils rangèrent et nettoyèrent les dix pièces restantes avec l'aide d'Armin. Au bout de trois heures d'un travail long et laborieux, ils rejoignirent le réfectoire, où attendaient les deux filles et Conny. « Vous en avez mis, du temps », marmonna celui-ci en s'étirant. « Ça fait une heure qu'on a fini. On a fait à manger, du coup... »

Tous prirent place face au potage de fortune qu'avaient cuisiné les trois soldats. « Prochain objectif », annonça Hansi, son calme retrouvé, « la cour, les écuries et le bâtiment où on se trouve. Conny et Ymir, vous nettoierez la cuisine et le réfectoire ; Historia, le dernier étage ; Eren, le premier ; Armin et moi, le reste. »

Ainsi s'attelèrent-ils à leur tâche pour deux longues heures et demie, dépoussiérant, astiquant, balayant et aérant à tours de bras. Une véritable guerre, plus ou moins ordonnée, se déroulait dans le quartier général ; une guerre sans pitié entre les hommes et les saletés, où les soldats, deux fois moins nombreux qu'usuellement, durent redoubler d'efforts pour en finir avec leurs ennemis persistants.

Les rudes combattants, essoufflés et couverts de transpiration, se réunirent dans la cour. « Il reste deux secteurs à couvrir... » ahana la femme, appuyée sur un balai. « Les écuries... Et ici-même... Ensuite... Les salles d'eau sont propres, c'est bien ça... ? »

Eren hocha la tête, le regard enflammé. « Il est quinze heures trente... Dans trois heures, il faut avoir fini... Et pas un mot quand Livaï rentre. Il ne faut pas qu'il sache que c'était fait exprès... Vous voyez, ça doit juste être une ambiance générale d'hygiène, je vous ai expliqué ma théorie quant à la relation entre son humeur et le taux de propreté environnant. »

Ils acquiescèrent, et partirent d'un bon pas. Surmontant sa fatigue, elle commença à faire des tas de feuilles mortes, tombées des quelques chênes plantés là. L'automne... songea-t-elle alors qu'une légère brise secouait ses mèches folles devant ses yeux.

Elle les réunit en un grand paquet au beau milieu de l'espace. Les ombres s'étalaient sur eux, les plongeant peu à peu dans une obscurité froide. Elle soupira un long moment ; la nostalgie l'envahit.

Depuis que Marion avait disparu, tout avait retrouvé son équilibre d'avant. Hansi n'avait jamais réalisé à quel point elle était seule dans ses recherches sur les titans. Lorsqu'elle souhaitait en parler, on la fuyait comme la peste ; la jeune fille, elle, l'écoutait avec attention, et débattait même. Cela lui avait fait un bien fou, qu'elle ne remarquait qu'avec l'absence de la chercheuse.

Sans l'adolescente, son bureau lui semblait désert. Son écriture presque indéchiffrable avait disparu de ses notes. Son visage, tantôt enthousiaste, tantôt vide, ne vivait plus que dans sa mémoire. Au réfectoire, une chaise à sa table était vacante, et il restait toujours un peu de nourriture à la fin des repas, quelle que soit la personne qui avait cuisiné.

Est-ce que c'est pour ça que Livaï est étrange ? Elle regarda les nuages ensanglantés traverser le ciel, la gorge serrée. Il était dans le même état après que son escouade ait été massacrée à cause d'Annie, si ce n'est pire. Mais la dernière fois, c'était vivable, au moins.

Le vent se leva, plus fort et plus mordant. Les volets claquèrent contre les murs, et les feuilles bruirent. Elle ferma les yeux un instant, laissant l'air glisser sous sa veste et secouer la queue de cheval en bataille.

« Les feuilles ! » s'exclama soudainement Historia. Elle rouvrit brusquement les paupières et regarda avec horreur son immense tas s'envoler vers les rues. Les soldats leur coururent après, en vain. « Allez chercher d'autres balais ! On a dix minutes ! »

Conny, les pieds terreux, se rua à l'intérieur du bâtiment. « Espèce d'idiot ! » s'écria Eren, affolé. « Y en a partout ! Reviens ! » Le combattant au crâne rasé ressortit avec les objets ; l'incompréhension se peignit sur sa figure.

« Putain, t'as dégueulassé le sol ! Je m'en occupe, rattrapez les...

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'éleva une voix sèche. »

Tous se retournèrent avec horreur vers Livaï. Un bras au travers du visage afin de se protéger de la nuée de feuilles mortes qui l'attaquait, il s'avança dans la cour, son équipe derrière lui. « D'où sortent ces merdes ? » lâcha-t-il.

Hansi se raidit. A son grand malheur, il la remarqua, et s'approcha d'elle. Il est sur les nerfs. « Hansi », articula-t-il, menaçant. « Qu'est-ce que tu caches derrière ton dos ? »

Elle soupira, et lui tendit son balai. Il la gratifia d'un air stupéfait.

« Un balai ?

— Un balai, confirma-t-elle.

— Le jour de ménage, c'est demain. »

Elle regarda Eren frotter le pallier avec vigueur, Ymir et Historia courir après les feuilles, Armin en attraper plusieurs grâce à une bâche, et Conny tourner en rond, complètement perdu. Ils ont fait du beau boulot. Je ne peux pas tout laisser tomber maintenant.

« C'est vrai, mais on l'a fait aujourd'hui.

— Dans quel état est-ce que vous avez foutu le quartier général... jeta-t-il en se pinçant l'arête du nez.

— Ils ont bien travaillé, protesta-t-elle en les montrant d'un geste de la main.

— Ils étaient sous tes ordres ?

— Oui.

— C'était quand, la dernière fois que t'as touché une serpillière ?

— Cinq ans, déclara-t-elle, étonnée qu'il s'intéresse à un détail pareil. »

Il se tut un long moment. « Je vais arranger votre merde. On en discute après. » Il confia son cheval au jeune homme au crâne rasé et s'essuya soigneusement les pieds, avant de partir inspecter les bâtiments, jetant quelques ordres au passage.

Les piles de papiers qu'ils avaient dressées dans les bureaux et les salles de réunion s'étaient éparpillées à cause du vent, et les bottes boueuses des soldats avaient ruiné le ménage qu'ils avaient pratiqué depuis l'aube. Sous les indications tranchantes du petit homme, ils reprirent tout à zéro, et passèrent la nuit à nettoyer les bâtiments.

« Qui a fait le premier étage de l'aile gauche et de la baraque centrale ? » demanda subitement Livaï alors qu'ils s'occupaient du réfectoire. Eren s'avança, des gouttes de sueur froide glissant sur son front. « Ça m'aurait étonné. Ce sont les seuls acceptables », jeta-t-il en fusillant Hansi du regard.

Les rayons du soleil levant découvrirent, quelques heures plus tard, un quartier général pur, brillant et aéré. Épuisée, la chef d'escouade s'appuya contre un mur et s'essuya le visage. A cet instant précis, le caporal-chef renvoya tous les soldats pour une courte nuit de deux heures, et s'approcha d'elle.

« Qu'est-ce qui t'a pris ? dit-il sèchement. Faire le ménage, alors que t'as aucune expérience là-dedans ? Tu voulais quoi, foutre encore plus le bordel ?

— Je voulais nettoyer, corrigea-t-elle, surprise.

— Tu as juste empiré les choses, lâcha-t-il brusquement. Seul Eren a fait du bon boulot. Tu les as dirigés comme un pied, et c'est une catastrophe. Ne recommence plus jamais, salope de bigleuse, ou je...

— J'ai bien compris, le coupa-t-elle brusquement en levant une main. »

La stupeur se peignit sur le visage du petit homme ; elle le laissa là, tournant les talons en direction de son propre bureau.

Elle s'assit dans son fauteuil et soupira longuement. On dirait que ça n'a pas marché. Elle prit une feuille et commença à recopier un rapport sur les expériences menées sur Eren dans la semaine. J'aurais essayé, au moins... Il faudra tenter autre chose.

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