Moscou, Russie, 12 mai 2019
Marion et Emilie se hâtèrent dans le hall bondé de monde de l'aéroport Moscou-Domodevodo, traînant derrière elles leurs légères valises à roulette. « Merde... » marmonna la plus jeune en regardant leurs billets. « Où est cette foutue porte... Putain, j'y comprends rien... »
Elle tourna ses yeux verts vers son amie, qui regardait autour d'elle, émerveillée. Elle était dans cet état face à chaque endroit où elles allaient, depuis qu'elles avaient quitté la base de la Résistance d'Iekaterinbourg. Tu m'étonnes... Elle ne sait pas à quoi ressemble le monde du vingt-et-unième siècle...
La chercheuse s'arrêta, sourcils froncés, et l'autre l'imita. Elle chercha du regard le terminal E, le cœur battant. Notre vol est dans une heure trente. Il faut vraiment que... « Avez-vous besoin d'aide ? »
La voix qui s'était élevée, la tirant brusquement de ses pensées, venait d'un homme grand et massif, aux cheveux bruns parfaitement coiffés. Un agent de l'aéroport, reconnut-elle à son uniforme. Un grand sourire s'étala sur le visage de l'adolescente.
« Nous ne trouvons pas le terminal E, nous avons un vol pour Bruxelles à treize heures trente », expliqua-t-elle dans un russe plus ou moins bon. Il hocha la tête. « Vous êtes Diana Zvereva et Esfir Lipova ? » souffla-t-il. « Suivez-moi. »
Elles obtempérèrent. La jeune scientifique sentit la femme se rapprocher légèrement d'elle, manifestement sur ses gardes. Issei nous avait prévenues. Quelqu'un nous escorterait... Après tout, la Russie leur a donné asile. Ils ont bien été ordonnés de chercher une Diana et une Esfir, donc...
Après un contrôle d'identité, elles déposèrent leurs bagages. Naturellement, tout se passa comme sur des roulettes : elles n'avaient pas été fouillées, grâce à leurs valises diplomatiques gentiment accordées par le gouvernement russe.
Elles passèrent dans un escalator, où Emilie manqua de se casser la figure, visiblement perturbée qu'un escalier bouge tout seul, et atteignirent le terminal. Là, elles passèrent devant des dizaines de boutiques.
Elle serra son sac à main noir contre elle, légèrement crispée. Il y avait beaucoup de monde, trop de monde. Elle ne se sentait pas à l'aise du tout, avec sa nouvelle coiffure et son accoutrement.
Hajime s'était chargé de leur choisir des vêtements, afin qu'elles passent pour de parfaites touristes. C'est ainsi qu'elle s'était retrouvée avec du maquillage sur la figure, une robe à pois bleu marine lui arrivant à mi-cuisses, et de ballerines noires « particulièrement délicates » qui lui massacraient le gros orteil.
Emilie s'en était mieux sortie qu'elle : elle avait eu droit à un jean, des petites baskets et un chemisier rouge. Simple, pratique, et surtout, confortable. Pourquoi est-ce que je dois porter les trucs les plus chiants ? L'ancienne lycéenne baissa encore un peu son habit, le feu aux joues. Heureusement que j'ai mis un short... Bon sang...
« Regarde ! » s'exclama la guerrière, le visage illuminé. Son doigt était pointé vers une boutique de vêtements. « Ce chapeau ! Il est pile comme ta robe ! Combien il coûte ? » Oh, non... Elle la suivit, se mordant la joue.
« Huit mille quatre cents roubles russes... » songea la combattante. Elle plongea la main dans son porte-monnaie, se saisit du large accessoire orné d'un ruban du même bleu que son vêtement, et se dirigea vers la caisse, décidée.
« Em... Esfir », appela Marion, tremblante. L'intéressée l'ignora, paya, demanda à couper l'étiquette et se tourna vers la plus petite. « Voyons voir... » marmonna-t-elle en lui plaçant doucement le couvre-chef sur le crâne. Elle la scruta un long moment, concentrée, avant d'applaudir. « Ça te va à merveille ! Regarde-toi ! »
Elle obtempéra, désespérée. C'est vrai, il est mignon, mais...
« Alors ? s'exclama-t-elle, fébrile.
— Esfir, il faut l'essayer avant de l'acheter, articula la fausse Diana.
— Mais tu es contente ?
— Esfir...
— Oui, ou non ?
— Oui, soupira-t-elle. »
L'autre poussa un cri de victoire, et la prit énergiquement par le poignet. « Enfin, il ne faut pas qu'on attende trop, Diana, ou on va rater notre avion ! » C'est toi qui dis ça... Elle ne put toutefois pas réprimer le petit sourire qui venait sur ses lèvres rouges. Son amie prenait son rôle de touriste particulièrement à cœur.
Si elle était toujours aussi gentille, son comportement différait de celui qu'elle avait lorsqu'elle était soldate. Désormais, elle paraissait plus enfantine, curieuse sur tout et incroyablement dynamique, alors qu'elle découvrait le monde duquel elle avait été arrachée enfant. Elle profite du calme avant la tempête...
« Diana », l'appela-t-elle. Marion remarqua qu'elle s'était encore égarée, les yeux collés à une vitrine derrière laquelle trônaient des chocolats. « C'est quoi, ça ? Ça se mange ? » Elle s'approcha. « Je vais prendre une boîte de vingt », annonça-t-elle au vendeur.
« Voilà », dit-elle en lui tendant. « Maintenant, on va à la porte, d'accord ? » La soldate hocha la tête, et elles repartirent enfin, parvenant à atteindre leur objectif sans plus d'encombre, malgré les regards insistants, si ce n'est implorants, de la femme aux yeux bleus.
Une heure plus tard, elles pénétrèrent l'avion. La chercheuse regarda une nouvelle fois son billet, imprimé en cyrillique. Mon siège se trouve à côté de la vitre, et celui d'Emilie, à ma gauche. La déception se peignit sur la figure de cette dernière.
Je suppose que je peux bien lui accorder ça... Elle la laissa passer.
« T'es sûre ? s'exclama-t-elle, stupéfaite.
— Ça ne m'intéresse pas, mentit l'autre. Vas-y, c'est la première fois que tu vis ça.
— Si tu insistes... »
La combattante prit place. Dès qu'elle jeta un œil au hublot, sa face s'éclaira, et elle lui tapota frénétiquement l'épaule.
« Diana, c'est trop bien !
— On n'a pas encore décollé, lui fit remarquer la jeune scientifique en se pinçant l'arête du nez.
— C'est comment, quand on décolle ?
— Encore mieux.
— C'est vrai ?! »
Une vieille dame, assise derrière elles, grogna quelque chose en chinois. « Euh... Esfir », murmura la jeune fille en déglutissant. « Il faudrait faire moins de bruit. Ça dérange les gens... » L'Esfir en question acquiesça et se tut, sans pour autant quitter son air rêveur.
Direction Bruxelles, pensa la plus petite en mettant des boules quiès en mousse. Elle avait toujours eu très mal aux oreilles pendant l'avion, et seule la combinaison protections auditive-boîte de chewing-gum au cassis pouvait l'aider.
L'engin décolla. Elle s'enfonça un peu plus dans son siège, le cœur serré. Ça fait déjà six mois que j'ai été ramenée. Revenir dans les années 2000 lui faisait un bien fou, mais ses nouveaux amis commençaient, à sa grande surprise, à lui manquer.
Lui manquer, oui, mais pas au point de vouloir revenir avec eux. J'ai été chargée d'une mission, après tout. Une fois notre attentat réussi, il faudra que je dise adieu à ce monde...
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