A feu et à sang - Partie 3
Rhys entra en trombe dans la salle des caméras, dents serrées. Dans la pièce sombre, deux soldats passaient frénétiquement de leur talkie-walkie aux écrans, dont la plupart ne diffusaient plus qu'une image grisâtre.
« Où sont-ils passés ?! » Raphiel, l'un de ses subordonnés, se tourna vers lui d'un air paniqué. « La machine », murmura-t-il en montrant du doigt la pièce couverte de débris et de cadavres ensanglantés. « La trappe est grande ouverte. Annie Leonhart est de leur côté... »
Le commandant passa sa main valide dans ses longs cheveux platine, avant d'en empoigner rageusement une mèche.
« Fais chier. Ces imbéciles ont tué les trois quarts de nos hommes ! Quelles équipes sont encore là ?
— La douze, la sept, et la neuf...
— Seulement ?! »
Il posa brusquement les coudes contre le bureau. Ces enfoirés... Ils nous ont massacrés, comme la dernière fois ! A la vision de ses hommes écrasés sous les pieds des titans ennemis, et de ceux égorgés ou éclatés par les explorateurs, une colère noire s'empara de lui. Ils vont le payer !
« Envoyez la neuf à l'extérieur en rappel, et la sept dans la salle. On a récupéré Angela Haussman ?
— Elle est morte, articula Raphiel.
— C'est pas vrai... Et Historia ?
— Toujours dans le sas qui mène à la machine. »
Il ferma ses yeux vairons un instant, le cœur légèrement douloureux. « On récupère Ackerman », finit-il par lâcher. « Par tous les moyens. Ordre 8.2000 du général Goldfein. Où se trouve l'équipe sept ? »
Le troisième pianota un instant.
« Dans l'aile ouest.
— Je les rejoins. Restez en position. S'il y a urgence, référez-vous au capitaine Kram. »
Il les quitta sans plus attendre. Je vais leur faire regretter, se jura-t-il, avant de bifurquer vers le bâtiment en question, la rage au ventre.
***
Des bruits de pas et de reniflements s'élevèrent subitement derrière l'escouade d'explorateurs alors qu'ils pénétraient un couloir souterrain froidement éclairé par quelques néons. Livaï se mit aussitôt en garde ; lorsqu'il reconnut Mike, ses épaules se relâchèrent.
« Tu n'étais pas à l'extérieur ? lança-t-il, agacé.
— Je suis venu vérifier quelque chose.
— Comment est-ce que tu es passé ?
— L'équipe de Hansi s'occupe des gardes en haut. »
Il claqua de la langue. Marion, postée plus loin avec Annie, tendit l'oreille. Malgré la tension qui régnait dans l'air, un brin de curiosité parvenait toujours à faire surface chez elle.
Ils regardèrent le chef d'escouade continuer sa route, s'approcher de la porte blindée qui les attendait au fond, l'examiner longuement, et sortir de la poche intérieure de sa veste ce qui ressemblait terriblement à une calculette. Là, il parut hésiter quelques instants. « Mike », lâcha le plus petit. Il l'ignora, et parut se résoudre à pianoter dessus. Un léger trouble se dessinait sur son visage.
« La sécurité... On s'attendait à tout, sauf ça. » Il marqua une pause.
« J'ai contacté la R2.0.
— Ils ne sont pas morts ? intervint Erwin.
— Si. Mais je peux toujours leur envoyer un message. Toutefois, c'est seulement en cas d'extrême urgence : il ne faut pas trop modifier la trame des évènements. De plus... »
Ses traits s'assombrirent. « C'est le dernier appel au secours que je peux leur envoyer. Désormais, il n'y a plus d'énergie. » Il y eut un silence. « Un résistant va arriver, et va aider à déverrouiller la pièce. C'est un crack du hack : il n'y aura pas de problème. Mais tout de même, c'est assez étrange... »
Un crack du hack. La chercheuse fronça les sourcils. Je ne sais même pas comment m'y prendre pour sceller la machine. Pourquoi est-ce qu'ils n'envoient pas directement un agent pour le faire, puisqu'ils en ont la possibilité ?
Elle avait eu beau tenter de comprendre pourquoi la R2.0 lui accordait autant d'importance, elle n'était jamais parvenue à trouver une raison valable. Ainsi, plus l'échéance se faisait proche, plus la pression montait en elle.
J'ai vu la machine de la Résistance. Il n'y a pas de bouton « sceller », seulement « avorter l'opération ». Je suppose qu'il faut enchaîner des commandes, et quel dommage, je ne les connais pas ! Si la colère pointait le bout de son nez, elle n'en dit rien.
Au-dessus, le combat se faisait de plus en plus bruyant. Ils étaient pressés par le temps. Attendre que ce fameux hacker pointe le bout de son nez était à la limite du supportable. Son cœur se mit à battre la chamade : ils y étaient presque, la machine se trouvait juste derrière, et il fallait poireauter ici comme des pruniers.
Une cécité soudaine la prit alors. Elle ne dura qu'ne fraction de seconde, toutefois largement suffisante pour la faire vaciller. Une toux sèche les fit se retourner d'un bond. Livaï et Annie se postèrent immédiatement devant elle ; quelques instants de silence plus tard, le premier baissa subitement ses lames, manifestement éberlué.
Livaï, choqué ? Elle jeta un œil à l'individu qui était apparu derrière eux : son cœur rata un battement. C'était Antoine qui se tenait là, les cheveux encore longs. Elle se dégagea du mur protecteur que formaient ses collègues pour se ruer vers lui.
Elle s'arrêta soudainement juste devant lui, et comprit sans difficulté la réaction de son supérieur. Ils étaient l'exact reflet de l'autre : mêmes traits fins, mêmes pupilles glacées, mêmes cheveux corbeau. Et pour la première fois de sa vie, Marion pouvait voir un caporal aux yeux écarquillés et à la bouche béante.
« Attendez », finit-il par lâcher. « Ce mioche... » L'intéressé fronça les sourcils.
« J'ai quinze ans, quand même.
—Marion, articula l'autre. C'est lui, Antoine ? »
Elle tira la joue de son ami, lèvres pincées. Elle aurait pu reconnaître cette peau fine entre mille. « Oui. » Le plus vieux des deux poussa un soupir quasi imperceptible, et désigna la porte, de nouveau impassible. « Fais ce que tu as à faire. »
Son alter-ego, sous le regard toujours sidéré du major, s'avança vers l'accès à la machine. Il lui suffit de tapoter l'écran quelques secondes pour qu'un clappement indique le déverrouillage de l'entrée. « Je vous en prie », dit-il ensuite en montrant le chemin à Erwin et Livaï. Le premier poussa le battant ; le second pointa son fusil vers l'intérieur de la pièce. Tous s'avancèrent, encadrant Marion de près.
Une lumière se déclencha alors. En face d'eux, quelques ordinateurs fins s'étalaient, reliés par une dizaine de câbles noirs et blancs. Plus loin, le même style de cage, cette fois-ci plus opaque que dans celle où Marion s'était retrouvée quelques mois auparavant, trônait au milieu de la salle.
Elle s'avança prudemment sur un signe de tête du petit homme. Elle et son meilleur ami s'approchèrent des écrans : aucun d'eux n'était allumé. Ils eurent beau chercher pour un bouton sur les machines, sous les tables, dans tous les recoins possibles, ils ne trouvèrent rien.
L'affolement commença à naître dans la poitrine de la jeune femme, et à poindre sur le visage de l'adolescent. Ils devaient bien se rendre à l'évidence : ils n'avaient aucun moyen de ne serait-ce que réveiller les ordinateurs qui dormaient devant eux.
Ce fut paniqués qu'ils se retournèrent vers les autres. « Il n'y a rien », souffla-t-elle. Son supérieur fronça les sourcils, et s'avança vers la cellule opaque. Il l'inspecta de haut en bas, la parcourut du bout des doigts, puis s'arrêta sur un endroit. « Marion. Il y a quelque chose de noté ici. »
Elle le rejoignit, la boule au ventre, et se pencha vers l'endroit indiqué, situé en bas du pan droit, à quelques centimètres du béton froid sur lequel ils marchaient. « Machine numéro cinq... » lut-elle, avant de réaliser, horrifiée.
A cet instant précis, un cliquetis se fit entendre au niveau de la porte. Les yeux de l'homme passèrent de blasés à écarquillés. « Attention ! » s'exclama-t-il avant de la plaquer au sol. Une détonation retentit, et de la fumée blanche se répandit dans la pièce.
Ses prunelles, sa bouche et ses narines se mirent à la brûler sauvagement. « Catch them ! » entendit-elle brièvement avant que les bras puissants qui l'enserraient à la taille ne se dégagent pour attraper quelque chose. Il la poussa brusquement contre le mur. Une fraction de seconde plus tard, un liquide chaud et poisseux giclait sur ses mains et sa chemise. Toujours aveugle, elle ne put savoir qui avait pris ce coup fatal.
Des bruits de lutte lui parvinrent au-dessus de sa souffrance. Elle resta là, l'œil larmoyant, muette comme une carpe, à attendre vainement que le gaz lacrymogène se dissipe. C'est alors qu'un corps musclé tomba lourdement devant elle.
« I got Ackerman !
— Where is Marion ?!
— We have to leave, screw it ! »
Elle recula précipitamment, passant à quelques millimètres de la personne qui ramassa le corps inerte de son supérieur. Les ennemis quittèrent les lieux aussi rapidement qu'en rentrant, et quelques minutes de toux passèrent avant qu'elle ne saisisse sa gourde et rince abondamment ses yeux. Bientôt, elle récupéra une vue floue, puis légèrement plus nette.
Un cadavre ennemi gisait juste en face d'elle, et un autre, manifestement assommé, était étalé devant Annie. Erwin, Mike et Antoine se tenaient non loin, tous dans le même état. Elle se leva brusquement. Elle ne voulait pas y croire, mais il fallait bien qu'elle se rende à l'évidence.
Livaï n'était nulle part en vue.
***
Quelque part à l'est des Murs, 14 juin 851
Le soleil se levait tout juste lorsque Marion sortit de la tente dans laquelle elle avait dormi, coincée entre Annie et Mikasa. Les américains étaient partis de la base sans demander leur reste, leur laissant l'opportunité de la fouiller de fond en comble.
Ce qu'ils y avaient trouvé les avait cloués sur place. Une cinquantaine de femmes, au visage et au ventre usés, avaient été égorgées précipitamment, manifestement juste avant le départ des américains. Au vu de leur état, elles avaient certainement servi de poulinières pour les titans, avait-elle conclu avec Hansi.
Une cinquantaine de femmes, exploitées et violées pendant des années.
Malgré leurs fouilles minutieuses, ils ne purent pas glaner plus d'informations, et la seule autre pièce qui aurait pu servir de machine spatio-temporelle avait été explosée. Quant à Livaï, ils n'avaient décelé aucune trace de lui.
La chercheuse s'étira longuement, et s'assit sur l'herbe fraîche, la boule au ventre. Depuis l'incident, elle avait passé son temps à ruminer. Aucun d'eux ne pouvait dire s'il avait été tué ou pas. Et malgré la présence des deux élites, elle ne sentait plus en sécurité sans lui dans les alentours.
Elle soupira longuement, et se frotta vigoureusement les joues. Elle avait beau tenter de relativiser, cette expédition avait été un échec total. Ils n'étaient pas tombés sur la bonne machine, le major avait compté quatre cents morts dans leur camp, ils avaient perdu le soldat le plus fort de l'humanité, Angela Haussman les avait trahis, et ses lunettes étaient cassées. Et pour ne rien arranger, ils n'avaient aucune idée de l'endroit où les ennemis se terraient.
Des pas la rejoignirent alors. C'était Antoine, qui sortait de la tente des soldats hommes. « Comment va Jean ? » demanda-t-elle machinalement, les yeux dans le vague. L'autre lui tapota doucement la tête.
« Un peu mieux. » Il continua à lui caresser les cheveux pendant quelques instants.
« Marion, finit-il par dire. Tu sais, il reviendra peut-être...
— Sans lui, je suis dans la merde, lâcha-t-elle. Même si Annie et Mikasa sont très douées, elles n'ont pas l'expérience de Livaï. Antoine, n'essaie pas de me rassurer : je suis dans une bonne grosse bouse, et tu le sais autant que moi.
— Il y a moi. »
Elle releva le menton avec surprise. « Lui et moi, nous sommes la même personne. Je le sais, Bern me l'a dit », rit-il nerveusement.
Ses yeux clairs se fermèrent un instant. Il prit une grande inspiration, ouvrit la bouche, détourna rapidement le regard. Après quelques secondes d'hésitation, il le planta dans le sien. « Je suis toujours là », murmura-t-il. Le cœur de la scientifique rata un battement. « Et je serai toujours là. »
Sa gorge se serra. Il est vraiment con, ragea-t-elle alors que les larmes lui montaient aux yeux. Face à l'expression un peu trop sincère de son ami, elle ne put que poser son front sur son épaule. Elle le laissa entourer son dos de son bras, et poser son menton sur son crâne. « Je reviendrai. »
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