A feu et à sang - Partie 1

Base américaine Est, 11 juin 851

Marion regarda autour d'elle, la boule au ventre. Son crâne était dans un bordel monstre. Les claquements des charrettes qui venaient d'arriver avaient été recouverts par l'alarme stridente. Tous les effectifs se retrouvaient concentrés autour d'eux, dissimulés comme autant d'ombres, prêts à fondre sur la base à tout moment. Elle s'était rarement sentie aussi submergée.

Elle jeta un œil à Livaï et Annie. Je dois rester près de ces deux là. Heureusement pour elle, ils ne la quittaient pas d'une semelle ; mais malgré leur proximité, un très mauvais pressentiment la dévorait. Plus Isaac tuait de soldats, plus il semblait s'affaiblir. Eren paraissait, quant à lui, sur le point de jaillir hors de leur cachette pour massacrer son ancien bourreau.

Cela faisait ainsi plusieurs minutes qu'ils attendaient. La pression était abominable. Les chevaux eux-mêmes, alignés en rang, piétinaient de nervosité. Bartholo était l'un des seuls à rester à peu près serein, mais la chercheuse voyait à ses oreilles qu'il sentait la menace aussi bien qu'elle. Elle glissait entre leurs pieds, s'enroulait autour de leurs chevilles et leur rongeait les os : toujours plus sombre, sadique, sanguinaire.

Des coups de feu résonnèrent d'un coup. Les balles désespérées des américains rebondirent sur la peau du colosse sans même l'égratigner. Celui-ci s'affaissa un peu : ses yeux rouges cherchèrent le Bataillon du regard. A ses pieds, des cadavres tordus baignaient dans leur mare de sang. Erwin fut le premier à bouger près du caporal-chef.

« Livaï, prépare-toi à entrer dans le bâtiment avec Leonhart.

— Et Marion ? lâcha-t-il. Les ennemis grouillent comme des asticots, ici. Qui va la garder ?

— Toi. »

Une rare expression de stupeur peignit les traits du plus petit. Puis, il fusilla son supérieur du regard.

« Elle, là-dedans ? Tu veux notre mort ?

— Je viendrai avec vous.

— Et le commandement ?

— Hansi et Mike s'en chargent. »

Il fronça le nez. L'intéressée le gratifia d'un air apeuré : ils se regardèrent quelques secondes. L'angoisse lui écrasait le cœur. Je vais devoir les suivre, alors que les américains veulent me récupérer à tout prix ? C'est de la folie !

Il y eut un silence, durant lequel elle espéra un changement de situation. Mais ce fut parfaitement impassible que le petit homme vérifia finalement ses manettes de commandement. Il venait, à coup sûr, de prendre la même décision que d'habitude : suivre les ordres d'Erwin. Il a raison, tenta de se convaincre la scientifique, poings serrés. Erwin est un crack de la stratégie. J'ai deux monstres du combat avec moi. Aucun problème, hein ?

Déjà le blond partait-il ordonner l'équipe en charge des bombes. Elle inspira et expira lentement : son souffle, qui se voulait régulier, se vit immédiatement saccadé. Et merde ! Je vais devenir tarée ! Ses yeux affolés rebondirent sur les branches, les feuilles, ses mains. Ses lames attirèrent immédiatement son attention.

Elle n'était plus qu'une souris en cage, coincée derrière des barreaux étroits ; et à l'extérieur, c'était une horde de chats qui rugissait. Aucune issue de secours ne lui était offerte. Elle ne pouvait que foncer dans le tas, et crever la gueule ouverte. Et quitte à mourir, pourquoi attendre ?

Les sons s'étouffèrent, le temps s'enrailla. Il n'y avait que ses doigts pour se tendre vers sa libération. Rien ne la retenait plus : un mur impénétrable la séparait de tout ce qui aurait pu la détourner de son objectif. La forêt dans laquelle elle se trouvait aurait tout aussi bien pu être vide et froide...

Elle se raidit brusquement. La forêt aux troncs infinis lui revint en mémoire, et la voix qui y résonnait dans chacun de ses rêves la frappa comme une balle. Des lèvres douces, des prunelles d'ange... Et ses dernières paroles, auxquelles elle était à deux doigts de manquer.

Elle ne pouvait pas trahir le baiser qu'elles avaient échangé, pas plus qu'elle n'était capable de réduire son sacrifice à une perte misérable. Elle avait frôlé cette ignominie de si près que de violents tremblements la secouaient.

« Marion ! » Elle se redressa dans un sursaut. Les yeux clairs et froids du caporal-chef la perçaient depuis un temps indéterminé. « Écoute-moi quand je te cause. On n'est pas ici pour faire dans son froc. On se contrefout de ce que tu peux bien penser, tu vas nous accompagner dans cette base. C'est compris ? »

Elle déglutit. « Oui. » L'autre plissa les paupières un instant. Puis, il se tourna vers leur objectif : le bout de bâtiment aux murs froidement gris et homogènes. Les carrioles de bois se faisaient déjà décharger par des soldats tendus. Que leur cape soit ornée d'une licorne, de roses ou des ailes de la liberté, face à leurs nouveaux ennemis, tous étaient sur un même piédestal. C'était des humains qu'ils avaient en face d'eux ; les Titans n'étaient plus qu'une barrière.

Ceux-là même attirèrent alors l'attention de Marion. Bien rangés dans leur enclot, aussi actifs que du bétail, ils ne levaient pas le petit doigt face au massacre de leurs créateurs. Et mêmes s'ils l'avaient voulu, la petitesse de leurs membres ne pouvaient très certainement pas les porter sur plus d'un mètre. Mais si ce constat aurait dû la rassurer, il ne fit que l'inquiéter davantage.

Les hommes des Murs n'étaient habitués qu'aux mastodontes. Comment allaient-ils réagir face à de simples bipèdes de moins de deux mètres ? Deux choix s'offraient à eux : soit ils les décimaient, soit ils se faisaient décimer. Dans tous les cas, il allait leur falloir se battre de toute leur force.

Se battre, hein... Pour la première fois depuis quelques heures, elle se remémora sans le refouler ce moment où elle avait perdu le contrôle sur elle-même. Elle qui était la pire des plaies en combat, comment avait-elle réussi à tenir face à un déviant ? Elle n'avait que des souvenirs flous de l'instant même, mais les visages choqués de Hansi, et surtout de Livaï, l'homme le plus neutre de cette Terre, en avaient dit long.

Elle n'y comprenait rien. Elle avait beau se retourner la cervelle, aucune explication logique ne lui venait. Elle avait usé tout ce gaz, et n'avait même pas tenté d'achever son adversaire ! C'était comme si tout s'était inversé chez elle : son sens de la stratégie et ses aptitudes physiques...

En parlant de gaz, j'ai défoncé mes sabres et mes bonbonnes tout à l'heure, réalisa-t-elle subitement. « Excusez-moi, Livaï », dit-elle. Il se tourna vers elle.

« Il faudrait que je recharge mon gaz et mes épées...

— Leonhart, accompagne-la.

— Compris. »

La blonde lui adressa un regard. Elles descendirent de leurs montures pour approcher en silence les charrettes de ravitaillement, s'enfonçant plus encore dans la forêt. Elles croisèrent quelques trios, tous sur leurs gardes, mais ici, les effectifs avaient l'air plutôt disséminés pour une surveillance optimale.

Elles atteignirent enfin le chariot en question, auquel étaient attelés deux chevaux bais qui broutaient tranquillement. Un jeune homme au visage rond brossé d'une touffe blonde les accueillit alors, adressant au passage un regard mauvais à Annie.

« Vous voulez ?

— Du gaz et des lames, répondit Marion. »

Il lui fit signe de lui tendre ses bouteilles ; elle les retira de son équipement. Pendant qu'il les vissait sur les bidons de rechargement, elle regarda distraitement autour d'elle. Toujours les mêmes arbres à l'écorce foncée, toujours la même verdure folle caractéristique de l'Europe de l'Est envahissaient l'espace, leur procurant au passage une excellente cachette.

Une conversation entre deux soldates attira alors son attention. Elle tendit l'oreille. « ... l'équipe d'Arlert ? » disait une brune. « Ils ne sont toujours pas arrivés... Il paraît qu'Angela, de l'escouade du major, est allée y faire un tour.

— J'espère qu'il ne lui est rien arrivée, murmura l'autre d'un air anxieux. »

Avant que la scientifique n'ait pu épier le reste, une main solide se posa sur son épaule. « Ton gaz. » Elle se retourna, et bredouilla des remerciements. Elle récupéra ses affaires puis repartit.

Si ses pensées se désordonnaient déjà avant, Marion aurait pu jurer que son crâne était désormais l'incarnation même du chaos. Non seulement elle ne se comprenait plus, mais en plus, l'équipe d'un de ses amis les plus proches était perdue. L'idée qu'il soit mort la fit frissonner d'horreur. Armin, assassiné ? Son niveau de combat était si faible qu'il en devenait presque intouchable. C'était inconcevable.

Elle arriva à la hauteur de Livaï sans s'en rendre compte. Elle s'était déjà arrêtée, les yeux perdus dans le vague. Il lui jeta un regard, pinça les lèvres, et lui ficha son coude dans les côtes. Elle retint un cri de surprise.

« Marion, concentre-toi. On est en terrain ennemi, là.

— Pardon, murmura-t-elle. »

Elle baissa le menton. Ne t'occupe pas de l'équipe d'Armin. Angela y est partie exprès, c'est son travail. Avec son niveau, ils n'auront pas de problème. Puis, elle observa les soldats s'activer silencieusement. Chacun sa part du boulot. La tienne, c'est de rester en vie et de détruire la machine numéro sept.

Sa main droite plongea alors dans la poche de son pantalon blanc. Elle en retira un papier et le déplia, sourcils froncés. Dessus étaient écrites de sa calligraphie trop allongée les quelques informations trouvées dans la cave de l'ancienne maison d'Eren.

« Si les électrodes sont retirés lors du transfert, l'organisme transféré mourra dans les 9,6447xE-6 secondes suivantes.

- En cas de dysfonctionnement de la machine, l'opération doit être avortée avec le bouton « Avorter ».

- Si la machine est scellée lors de l'opération, la mort de l'organisme est certaine. Aucun cas de survie n'a été rapporté jusque-là à la suite d'une situation similaire. En ce cas, la probabilité que la particule manipulée ne provoque pas l'explosion de l'entièreté du système est d'un sur mille trois cent quarante-six. »

Elle relut ce paragraphe encore et encore, jusqu'à en mémoriser la moindre lettre. Ses pupilles vertes se tournèrent alors vers le caporal-chef. « Tu n'es pas obligée d'y renoncer », avait-il dit. Seulement, le souvenir de sa maison douillette était si lointain qu'elle ne savait plus si son ancienne vie lui manquait ou pas. Pourrait-elle vraiment reprendre une existence normale après tous ces évènements ? Une existence normale, non, mais peut-être plus paisible...

Elle soupira. Je ne connais pas les coordonnées spatiales de la France, ni temporelles des années 2000. Je ne sais pas si elles sont cartésiennes ou polaires, ni si elles sont exprimées en degrés décimaux, grades ou radians. Je ne peux pas deviner quel système ils ont choisi entre le WGS84 et le NTF. En bref, je ne peux pas effectuer de transfert spatio-temporel : je ne sais que sceller la machine. La R2.0 a bien fait son boulot...

Une mince colère la traversa, mais elle l'oublia bien vite. Elle devait se concentrer. Ce jour-ci, elle n'allait pas mourir. Un étrange sentiment grandit en elle. Elle l'accueillit à bras ouverts. Point d'auto-dégradation, ni d'envie de se foutre en l'air : rien qu'une énergie grondante, qui venait de naître du fond de ses entrailles. Leah, bordel... Elle serra le poing. Même quand tu n'es plus là...

Le Nicholas qui était parti chercher les explosifs arriva vers eux, ses cheveux roux en bataille. « Tout est prêt. Le major vous informe qu'il vous attend en face du bâtiment... » Livaï se saisit de ses manettes de commandement. Une boule se forma au creux de l'estomac de la chercheuse : elle l'ignora superbement, flatta l'encolure de Bartholo et suivit le petit homme.

Puisqu'elle ne devait plus s'éloigner à plus de trois centimètres de lui, maintenant qu'ils avançaient, elle ne quitta pas sa nuque courte et rasée du regard. Elle sentait toujours la présence de la petite Annie derrière elle ; ses épaules se détendirent légèrement. Avec ces deux là, pas de souci.

Ils zigzaguèrent entre les guerriers. Les regards presque trop respectueux adressés au caporal-chef se transformaient vite en surprise lorsqu'ils la voyaient. Il n'y avait que la blonde pour récolter les œillades méfiantes, voire haineuses. L'irritation piqua la jeune femme. Ils savaient que les victimes de sa collègue se comptaient par milliers... Mais ils n'avaient aucune idée du poids que les morts laissaient sur la conscience.

A cet instant-là, elle aurait aimé se prendre une partie de ces expressions mauvaises, ne serait-ce que pour alléger le fardeau de l'ex-ennemie. On est trois à avoir massacré des gens, leur hurlait-elle avec ses prunelles chargées comme des fusils d'assaut. Pourquoi n'en blâmer qu'une ? Elle n'eut comme toute réponse que de l'incompréhension.

Ils aperçurent bientôt Erwin, et se dirigèrent discrètement vers lui. Ils étaient presque à découvert ; ici, seules deux équipes se cachaient, accroupies derrière les ronces. Son escouade presque au complet s'occupait prudemment des tas d'explosifs entourés de carton. Elle en avait entendu parler : c'étaient les derniers mis au point par les ingénieurs de l'armée. Son attention fut toutefois vite déviée vers le petit homme et le blond.

« Si on réussit à percer suffisamment le mur, Mike, son escouade et la mienne s'occuperont de notre défense, rappela-t-il. Eren restera sous les ordres de Hansi, en retrait avec Mikasa et le reste de l'équipe. Ils n'interviendront qu'en deuxième position. Rico et ses subordonnés se trouvent également en rappel non loin. Nous les préviendrons avec une grenade verte.

— Et si ça foire ?

— On lancera une grenade rouge. Il faudra attaquer de front. Dans ce cas-là, il faudra que Marion reste avec toi à l'arrière, jusqu'à ce qu'elle puisse naviguer sans danger. »

Il hocha la tête. « Pour Haussman ? » laissa-t-il ensuite tomber. Les prunelles du major parurent briller, un court instant, d'autre chose que d'indifférence. Oh. Elle jeta un œil à son supérieur. Il était toujours aussi impassible.

« On attend qu'elle revienne », répondit enfin le plus grand. Le silence s'installa pendant de longues secondes. Elle sentit alors qu'on lui tapotait le dos ; elle se retourna, et baissa la tête vers Annie. Elle fut une nouvelle fois prise de court par ses yeux terriblement clairs. « La sangle de ta cuisse droite. Elle s'est détachée. »

L'intéressée remarqua assez vite le cuir qui pendait au-dessus de son pantalon noir. « Merci », souffla-t-elle en la remettant en place. Si même mon équipement commence à faire de la merde, on est mal barrés.

« Major Smith, c'est bon. » Il hocha la tête, et jeta un œil au caporal-chef. Ils se mirent d'accord sur un simple signe de tête. Son escouade, explosifs en main, contournèrent les buissons pour sortir doucement à découvert, prenant soin de rester dans un angle mort. Puis, ils s'approchèrent du mur de béton avec rapidité.

Marion suivit la scène avec une grande attention. Leurs défenseurs attendaient, les mains crispées sur leurs manettes de commandement, prêts à bondir à tout instant. Les coups de feu, pourtant à plus de cent mètres, étaient assourdissants.

Ils posèrent soigneusement les paquets, et se concertèrent d'un regard. Nicholas sortit alors une boîte d'allumettes de la poche intérieure de sa veste marron. Il dirigea la flamme qu'il venait de créer vers une petite tige. Un instant plus tard, elle crépitait ; ils se précipitèrent vers la droite.

C'est alors qu'un soldat ennemi pointa du doigt l'emplacement où ils se tenaient. Lui et une poignée d'autres se crièrent quelque chose, pour se ruer vers eux, arme au poing. Livaï et la blonde se positionnèrent immédiatement devant la scientifique. D'abord tendus, ils manquèrent de reculer d'un pas lorsque les ennemis passèrent à quelques mètres des bombes, et qu'une détonation violente retentit.

Ils se bouchèrent les oreilles juste à temps. La chercheuse rouvrit, au bout de quelques secondes, ses yeux clos ; la fumée épaisse commençait à se disperser. Elle et ses deux collègues purent découvrir les corps éclatés de leurs anciens assaillants, et le mur tout juste égratigné. Elle serra les dents.

Désormais, les choses ne pouvaient que se compliquer.

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