Quelque part dans le sud de l'Angleterre.

— Quand vous entrerez dans l'abbaye, il vous sera impossible d'en ressortir. Vous en avez conscience ?

— Oui, j'ai été mise au courant, mon père.

Même si je disais cela, je n'en étais pas moins inquiète. On m'avait retirée de mon couvent à Londres sans réelles explications. Tout ce qu'on m'avait dit, c'était que je devais remplacer une jeune sœur qui s'était donnée la mort. En soi, un grand péché. Là où je me rendais, il n'y avait que des femmes, les hommes qui y entraient n'avaient droit qu'à un champ d'action plutôt... limité. Mais je ne comprenais pas pourquoi... mon entrée serait définitive. Ne pourrais-je réellement jamais plus quitter les lieux ?

— Pourrais-je au moins donner des nouvelles à ma famille ?

Je rentrai dans le prête qui me guidait quand celui-ci cessa d'avancer sans prévenir. Je reculai rapidement et mes yeux couleur jade se plantèrent dans le regard sévère du prête qui m'observait. Son visage était fermé et sa posture austère. Je ne pus m'empêcher de frémir face à cela.

— Non, me répondit finalement l'homme, nous allons nous mettre d'accord, sœur Calyptia, personne ne doit connaître le lieux où vous allez. Donc personne ne doit savoir où vous êtes.

— Mais... pourquoi ? demandai-je d'une petite voix.

— L'ordre vient directement du Vatican et c'est ainsi depuis des siècles, voulez-vous désobéir à un ordre de Sa Sainteté le pape ?

— N... non, veuillez me pardonner, mon père.

Il parut satisfait de ma rapide soumission. Mais comme il l'avait dit, je ne voulais pas désobéir à un ordre qui venait d'en haut et qui, visiblement, était déjà en place bien avant ma naissance. J'avais toujours été droite et je comptais bien continuer ainsi. Nous reprîmes la route et plus nous avancions, plus l'atmosphère devenait pesante. Je ne pus me retenir de jeter une oeillade par dessus mon épaule en direction du bout du chemin où nous avions laissé la voiture. La forêt se faisait de plus en plus dense, jusqu'à ce que le ciel ne soit presque plus visible à travers la cime des arbres. Ma prise se resserra sur ma valise et des sueurs froides me glissaient dans le dos. Infâme sensation qui m'envahissait. Une légère brume avait également fait son apparition. L'automne avait beau s'être installé, il ne faisait pas si froid, pourtant j'avais l'impression que la température avait brutalement chuté.

J'ouvris la bouche avant de la refermer. Je ne pouvais rien dire, j'étais là, alors faire demi-tour n'était plus une option. Je vis alors la forme d'un grand bâtiment se dessiner, l'abbaye n'était plus très loin. Avançant encore de quelques mètres, je fis soudainement halte quand une bourrasque glacée comme la mort souleva légèrement ma longue jupe et mon manteau. Mes longs cheveux roux se mirent à danser au tour de mon visage moucheté de tâche de rousseur. Je fermais les yeux pour les préservés du souffle glacé qui s'était abattu sur nous. Quand ma chevelure retomba au tour de mon visage, je rouvris les yeux et il tombèrent directement sur le prête qui se tenait à bien deux mètres de moi.

— Bienvenue à l'abbaye de Sainte-Lucie, sœur Calyptia.