Chapitre 2 : Les premiers sentiments

Juin 2000

On n'entendait que le bruit des mines grattant le papier dans la chambre où se trouvaient les deux jeunes garçons, Chenle installé au bureau, Jisung assis contre le lit. Le plus vieux s'arrêta, regarda son exercice en se grattant le sommet du crâne à l'aide de son crayon avant de soupirer longuement.

Jisung, qui subissait ce petit manège depuis presque une heure releva la tête, agacé.

— Bon, qu'est-ce que tu as aujourd'hui ? C'est le devoir de coréen qui t'embête ?
— Non même pas pour une fois ! C'est les maths, je comprends pas.

Le plus jeune haussa les sourcils, surpris.

— T'es le plus fort normalement.

Chenle serra son crayon plus fort, sentant la frustration grimper en flèche.

— C'est justement pour ça que j'ai dit que je ne comprenais pas, répondit-il en détachant chaque syllabe. Je sais pas ce qu'il se passe, j'arrive pas à me concentrer.

Puis il se tourna sur sa chaise pour faire face à son meilleur ami qui le fixait silencieusement. Il fit une moue contrariée.

— Ça fait longtemps qu'on travaille...
— Oui, c'est la condition pour qu'on puisse rester seuls chez toi. Si les parents découvrent qu'on a pas avancé dans les devoirs on va se faire gronder.

L'autre garçon se leva de sa chaise pour venir vers lui et s'accroupit, plantant son regard dans celui de l'enfant toujours assis.

— On est grands maintenant, heureusement qu'ils nous laissent !

Jisung n'en était pas si sûr. Ils n'avaient que huit ans après tout. Mais à situation exceptionnelle, solution exceptionnelle. La mère de Chenle était partie à l'hôpital avec son mari pour accoucher et les parents de Jisung étaient encore au travail et n'avaient pu se libérer. Les Zhong avaient annoncé faire confiance aux garçons pour être sages, surtout Jisung, et pour rester calmement dans la chambre pour faire leurs devoirs.

L'enfant regarda à son tour son ami, cherchant une quelconque émotion vis-à-vis de la situation mais tout ce qu'il vit était cette lueur qu'il avait toujours aperçu quand le plus vieux posait les yeux sur lui. Il souffla doucement, pour se donner du courage.

— Ça va ?

Chenle fut surpris.

— Bah, ouais. Et toi ?

Jisung secoua la tête avant de poser une main sur l'avant bras de son ami.

— Non je veux dire, pour la naissance ? Ça te fait quoi de te dire que tu vas avoir un frère ?

Il sembla réfléchir quelques instants, les yeux dans le vague, avant de reporter son attention sur la main de son ami, posé sur lui.

— J'imagine que je m'en fiche un peu. J'ai déjà l'impression d'avoir un frère, alors en avoir un de plus... c'est cool, je crois.

Les pupilles du plus jeunes se dilatèrent en même temps qu'il ouvrait un peu plus les yeux avant de détourner la tête et se gratter la nuque.

— Tu parles de moi ?
— Tu voudrais que je parle de qui d'autre ?
— Pour moi aussi... t'es comme un frère.

Le visage de Chenle s'illumina avant qu'il ne se jette sur le plus jeune dans un rire suraigu, faisant râler celui-ci.

— Hey stop ! Je vais devenir sourd à force !

Ils continuèrent de se chamailler durant plusieurs minutes avant de finalement s'arrêter, épuisés. Ils se retrouvèrent allongés, côte à côte, observant le plafond de la chambre, entourés des cahiers de Jisung étalés sur le sol durant la bagarre.

— On restera toujours ensemble hein ? demanda subitement Chenle.

Jisung tourna la tête vers lui et observa son visage. Il était complètement détendu, avec encore quelques traces de rougeurs sur les joues. Il avait gardé ses yeux rivés sur le plafond, attendant une réponse. Le plus jeune se détourna avant de commencer à se tordre les doigts.

— Oui.

Il sentit son ami se redresser pour ensuite le voir se pencher au-dessus de lui.

— Tu le promets ?
— Mais oui !
— Alors il faut... euh, c'est quoi déjà ? On va obliger cette promesse d'être tenue !

Pour toute réponse, il reçut un regard incertain.

— Tu veux dire qu'on va la sceller ?
— Je ne sais pas, tu connais plus de mots que moi.

Jisung gloussa et se redressa, obligeant le plus vieux à s'éloigner.

— Tu n'as qu'à lire les livres que je te prêtes.

Chenle croisa les bras, marmonnant qu'ils n'étaient pas là pour parler livres.

— Bon alors comment on scelle une promesse ? On fait le petit doigt ? demanda le plus jeune.
— Oh ! Non, ça c'est des promesses d'enfants, nous on fait une promesse de grands, parce qu'on va la tenir toute notre vie ! J'ai vu comment faire dans un film l'autre jour ! C'étaient deux grands, ils se sont fait un bisou !

Jisung fronça les sourcils, vraiment pas certain de comprendre ce que racontait son ami. Promesse d'enfants ? Promesse de grands ? Quelle différence ? Parfois il avait une façon de penser très particulière et dans ces moments-là, il préférait juste le suivre dans ses histoires pour ne pas le contrarier.

Seulement la fin de sa phrase lui revint et il ne put s'empêcher d'émettre un doute.

— Un bisou ? Tu es sûr que c'était pour ça ?
— Oui ! Et du coup leur promesse a tenu bon !

Un long silence enveloppa les garçons pendant qu'ils se fixaient, l'un souriant, l'autre perplexe. Finalement, le plus jeune haussa les épaules avant de laisser échapper un "OK." et de se pencher sur les lèvres de son ami. Il posa sa bouche délicatement mais rapidement sur celle de Chenle et, avant que ce dernier ne comprenne ce qu'il venait de se passer, Jisung était de nouveau assis, une expression neutre sur le visage.

— Voilà, maintenant notre promesse est scellée, on restera ensemble pour la vie.
— Les enfants ? Jisung ? Chenle ? Vous êtes là ? s'écria une voix provenant du rez-de-chaussée.

Les deux enfant sursautèrent, n'ayant entendu personne rentrer.

— C'est Maman ! s'exclama Jisung en quittant rapidement la chambre.

Chenle resta assis quelques instants, toujours muet. Son visage le brûlait et il respirait fort, sans savoir pourquoi.

~

— Merci d'être passés prendre les enfants, vraiment.
— Oh, ne t'en fais pas Jian, ça nous fait plaisir ! Et puis Chenle devait être impatient d'enfin rencontrer son petit frère, s'enthousiasma Park Jaehwa en poussant doucement le garçon devant elle.

Celui-ci s'avança timidement vers sa mère, allongée dans le lit de la maternité, une couverture vert pâle enroulée dans les bras. Elle était visiblement épuisée mais rayonnait plus qu'il ne l'avait jamais vu.

Elle se pencha vers lui et tendit les bras afin qu'il puisse voir le minuscule être endormi dans la couverture. Seul son petit visage tout rouge dépassait et il le fixa quelques secondes.

— C'est Cheng, ton petit frère. Alors, tu es heureux ? demanda sa mère.
— Il n'est vraiment pas beau, répondit machinalement Chenle.

Il entendit les rires de la famille Park.

— Ah bon ? Pourtant tu avais exactement le même visage quand tu es né, et tu étais le plus beau bébé, lança Zhong Jian, hilare.

Chenle se retourna vivement vers son père avant de reporter son attention sur le nouveau-né qui posait une minuscule main sur son nez, comme pour le protéger du froid.

— Peut-être qu'il n'est pas si moche en fait.

~~~

Mars 2004

Chenle analysait rapidement les listes d'élèves affichées sur les vitres à l'entrée du collège. Son coeur battait la chamade et déraillait légèrement à chaque fois qu'il voyait un nom ressemblant à celui de Jisung (le sien étant étranger, il n'y avait pas de doute car il était le seul).

Il passait d'une liste à l'autre sans faire attention aux autres élèves qui cherchaient aussi leur nom, poussant des exclamations de joie ou de tristesse, parfois des grognements et d'autres fois de simples soupirs. 

C'est alors qu'il le vit. PARK Jisung, en classe 6. Il manqua d'arracher les cheveux d'une fille qui s'était glissée devant lui pour regarder la même feuille. Il se mit sur la pointe des pieds pour continuer de lire les noms, ses yeux parcourant frénétiquement chaque ligne et soupira bruyamment en voyant son nom d'inscrit.

Il se faufila lestement hors de la foule d'élève pour retrouver Jisung, une expression tendue sur le visage, en retrait, avec leurs mères. Quand il vit l'air béat qu'affichait Chenle, il sentit la pression le quitter instantanément et il tomba dans les bras de son ami.

— On commence le collège ensemble ! s'écria le plus vieux, aux anges.

~~~

Mai 2005

— T'as besoin d'aide ?
— Pour la quinzième fois, non Jisung, j'ai pas besoin de ton aide.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? 
— Oh rien, le couple Chenle et Jisung qui traverse une petite crise, rien de grave.
— Haha encore ? Ils ressemblent à un vieux couple tous les deux.
— J'avoue ! 
— On devrait leur trouver un nom vous croyez pas ? Le Jichen peut-être ?
— Mmh je dirais plutôt le Chensung, ça sonne mieux.
— Ah ouais, pas bête !

Chenle sentit le sang pulser dans ses tempes et il serra les dents aussi fort qu'il le pouvait, pour ne pas hurler sur leurs camarades de classes trop envahissants.

Jisung quant à lui, passa une main désinvolte dans ses cheveux, jetant un regard vague à l'assemblée autour d'eux.

— Et si vous alliez voir ailleurs si j'y suis ? demanda-t-il froidement.

Instantanément, les piaillements autour d'eux se turent et les gens s'éloignèrent en murmurant. Même Chenle, pourtant pas visé par la remarque, sentit une sueur froide couler le long de son dos. Timidement il releva la tête pour voir son meilleur ami, le regard braqué sur lui et les bras croisé contre son torse. Il se détourna aussitôt.

"Il est vraiment flippant quand il veut !"

La présence dans son dos se fit de plus en plus pressente, jusqu'à ce qu'il sente un souffle à côté de son oreille.

— Laisse moi t'aider.

Il frémit, et se leva, frustré de ne pas réussir à se débrouiller seul. Jisung s'accroupit à la place de son ami et analysa les lanières du sac à dos, attachées au pied du bureau de Chenle.

— Tu sais, ça fait plusieurs minutes que je bataille dessus donc...

Calmement et avec des gestes méthodiques, Jisung défit le nœud, libérant le sac qu'il tendit innocemment au plus vieux.

— Qu... Mais... Comment ?
— Tu t'énerves toujours trop rapidement, c'est pour ça que tu galères quand il faut agir posément. Bon maintenant dis moi qui a fait ça.
— Qui te dit que je le sais ?
— Tu n'arrêtais pas de murmurer que tu allais le chopper à la sortie des cours pour lui refaire le portrait.

Chenle passa une main derrière sa tête, laissant échapper un rire gêné.

— J'ai dit ça moi ? C'était sous le coup de l'émotion...-

À nouveau, Jisung lui lança un regard noir, le coupant dans sa phrase. Il s'avança d'un pas, intimidant un peu plus son ami.

— C'est vraiment pas juste, je suis le plus vieux mais t'es plus grand que moi...

Pour toute réponse il entendit un ricanement.

— Bon, c'est Jeno mais je ne veux pas que tu ailles le voir, je m'en occupe.
— Jeno... Lee Jeno ? Qui a un an de plus que nous ?
— Oui, ce Jeno là, soupira Chenle en se dirigeant vers la sortie de la classe. Hier midi j'ai pris la dernière part de gâteau à la cafétéria et il a pas aimé.

Ils étaient désormais dans le couloir presque vide et se dirigeaient vers la sortie du collège pour rentrer chez eux après leur journée de cours.

— Mais... C'est super immature, fit Jisung, consterné.
— Alors ça je te le fais pas dire !
— Mais ce qu'il ne te dit pas c'est qu'il avait vu que j'allais la prendre, et que c'est pour ça qu'il s'est jeté dessus.

Les deux garçons se retournèrent d'un même mouvement, surpris. Derrière eux se trouvait le fameux Lee Jeno, un sourire agacé aux lèvres.

Chenle et lui s'affrontèrent du regard pendant que Jisung assistait à leur duel. Il y mit fin au bout d'une longue minute en donnant un coup à son ami, derrière la tête.

— Hé !
— En fin de compte c'est toi le gamin de l'histoire.

Il attrapa la anse de son sac pour le traîner derrière lui, après avoir fait une courbette d'excuse au plus vieux. Ils disparurent ainsi, Jisung tira Chenle qui faisait des grimaces à Jeno, le laissant abasourdi par la scène qui venait de s'offrir à lui.

~

— Maman, Papa, on est rentrés !
— Chenle ! s'écria une voix enfantine.

Aussitôt, ledit Chenle écarta les bras et réceptionna Cheng qui s'était jeté sur lui, riant aux éclats. Alors qu'il le serrait fort contre lui, heureux de revoir son petit frère, un flash l'éblouit.

— AH. Qu'est-ce que... Je vois plus rien...!

Il entendit Jisung pouffer à côté de lui et après avoir cligné des yeux plusieurs fois, il vit son père s'enfuir, secouant la photo qu'il tenait entre les doigts.

— Papa est super heureux ! Il a une nouvelle boîte à photos, expliqua le bambin en se tournant vers le jeune Park.

Jisung se pencha vers Cheng qui tendit les bras pour qu'il le prenne à son tour.

— Une boîte à photos ? demanda-t-il en le serrant contre lui.
— Je trouve que ça sonne mieux. Et il n'arrête pas de nous flasher mais j'aime bien, les photos sont jolies.
— Oui, mon père s'est acheté un appareil photo hier et depuis il est intenable, il a dû en prendre une dizaine déjà.

Jian revint juste à ce moment-là, tenant un large album photo dans les bras, qu'il posa sur la table de la salle à manger. Cheng quitta les bras de l'adolescent pour s'approcher.

— Tu me remercieras quand tu seras vieux et que tu te remémoreras tous tes souvenirs à travers les photos que j'aurais prises !

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