Chapitre 17 : Le rêve d'une nuit

Quitter Cassadre fut une épreuve qu'Ædrian n'avait pas anticipée. Aussitôt le château disparu dans son sillage, il se mit à désirer ses bras et pleurer son étreinte.

— Ça m'étonne quand même que la reine nous ait laissé partir aussi facilement... dit soudain Mirabelle.

— On ne lui a pas vraiment demandé, grommela Adam.

Adam et Mirabelle l'accompagnaient. Ils n'avaient pas réévoqué le sujet Renart : c'est-à-dire qu'Adam évitait d'exposer son point de vue qui, Ædrian l'avait déduit, n'avait pas réellement changé.

— Vous savez où on va ? demanda Mirabelle.

Avant de partir, elle avait appris que ses parents n'avaient point soufferts de la maladie. Elle sautillait sur le sentier cahoteux en sifflant.

— Je crois, dit Ædrian. Je retrouverais le chemin. Puis, nous avons une carte.

— Que fera-t-on, une fois là-bas ? ronchonna Adam.

Ædrian haussa les épaules :

— On verra, on improvisera.

— Ah ! j'adore ! Comme c'est excitant, l'aventure !

— Cela n'a aucun sens...

— Adam, rabat-joie !

Ædrian observa Adam et ne put s'empêche de pouffer : il adorait le voir habillé comme un plouc.

— Vous prenez les choses à la légère ! Comprenez-vous que nous risquons nos vies dans cette entreprise ? Mirabelle, je savais Ædrian inconscient mais toi...oh ! tu m'épates !

Mirabelle s'arrêta, ses pommettes se coloraient.

— Zut Adam ! Je sais tout ça. Alors on fait quoi, hein ? On se morfond et on pleure ? Tu veux quoi, au juste ? Je sais que c'est du sérieux, mais ça n'empêche pas un peu de légèreté. Mais non, toi tu es toujours trop sérieux : « la vie est dure blablabla ». Tu sais quoi, ça m'ennuie ! Toute cette histoire me rend...triste !

Adam rougit :

— Désolé.

Ils marchèrent dans le silence. Ils s'orientaient suivant l'itinéraire erratique qu'Ædrian déduisait, de souvenirs confrontés à la carte offerte par Jolimar avant leur départ. Ils erraient dans une plaine immense, chauffée de soleil et ponctuée d'arbres rachitiques à-demi dénudés. Ils avaient décidé de s'en tenir aux vieilles voies de voyage, entre des broussailles jaunies et des épineux, qui évitaient avec une précision inquiétante le chemin effacé dans la savane. Ædrian essayait de reconstituer un trajet emprunté jadis, dans un autre sens.

— J'ai l'impression que cet endroit était moins pauvre autrefois.

Vers midi, le soleil cognait et ils se réfugièrent sous un grand chêne qui bordait le sentier. L'arbre risquait ses ramures au-dessus du chemin, mais le bout de ses branches se dénudait et ses racines sortaient de la terre en s'ouvrant comme des mains.

— C'est bizarre, on dirait qu'il est mort et vivant à la fois. Regardez son tronc, il vire au gris et l'écorce s'effrite en cendre.

Ils burent et mangèrent mais ne s'attardèrent pas. Le vieux géant grinçait étrangement et son ombre s'étirait comme un spectre. Après qu'ils se furent éloignés, Ædrian risqua un œil dans son dos : le bout d'une corde oscillait, pendue à une branche au-dessus du chemin – il ne l'avait pourtant pas remarqué avant.

Quand le soleil déclina, Ædrian crut reconnaître le paysage :

— Enfin ! s'exclama-t-il. Je connais cet endroit. J'en suis sûr !

Ses deux compagnons ne le regardèrent même pas. Tous étaient las.

La terre sèche se craquelait, et la flore, au fur et à mesure qu'ils avançaient, virait du jaune à des teints plus grisâtre. Alors que naissait le soir, ils firent halte. Ici, l'herbe – si c'en était – était friable et cendreuse ; elle mourrait en fumée lorsqu'ils marchaient dessus, comme des vesses-de-loup.

— Ce devait être une mare, regardez, il y a même un puit là-bas !

Un peu plus loin d'où ils s'étaient arrêtés, un semblant de forêt côtoyait le berceau d'une source morte. La terre s'inclinait en pente douce vers un fond de quelques pieds, vide. Ils s'en approchèrent et, dans les derniers rayons du jours, des formes inquiétantes se peignirent sur le ciel vide.

— Je crois savoir où nous sommes... maugréa Ædrian.

— Ah bon ?

Ils dépassèrent la forêt et tombèrent sur le squelette d'un hameau. Difficile de nommer les habitations ainsi, ce n'étaient plus que des carcasses. Quelques poutres rongées se hissaient encore vers le ciel et au milieu de ce cimetière, un cercle de pierre s'ouvrait sur des ossements parfaitement blancs, comme disposés dans la terre noire d'où le vent fuyait en gémissant, emportant avec lui des cendres en nuage.

Adam revenait vers eux, l'air inquiet :

— Le puit est asséché, évidemment ! Que s'est-il passé ici ? Ce hameau aurait brûlé, sans doute. Pourtant...même la nature, ici, paraît morte...ahhh !

— Quittons cet endroit, il ne me dit rien, geignit Mirabelle.

— Oui, partons, somma Ædrian.

— Nous aurions dû suivre la Rivoule, lâcha Adam lorsqu'ils furent plus loin.

— Je crois que nous avons gagné un temps précieux. Bien que le chemin ne soit pas le plus beau. Surtout, en évitant la Rivoule, nous évitons aussi les villages et les bavards.

— Tu as raison.

Ils finirent par s'échouer de fatigue dans un champ en friche. Ils avaient avancé sur la nuit, marché longtemps pour s'éloigner, guidés par les étoiles. Quelque rumeur d'un bois colorait l'horizon. La nuit était claire et ils imaginaient les ombres allongées comme les troncs d'une forêt, désormais trop loin pour qu'ils s'y rendent aussitôt. Ils s'écartèrent du chemin et s'écroulèrent, à côté du vestige d'un foyer de pierre ; témoignage du passage d'une caravane marchande, dans l'imaginaire qui les rassurait. Ils s'endormirent sans encombre.

Ædrian se réveilla le premier. On tirait son bras avec insistance.

— Vite, murmurait la voix d'Adam, lève-toi, il faut filer.

— Où est Mirabelle ?

La nuit était noire. Ædrian se frottait les yeux et tournait la tête, mais n'apercevait que la silhouette d'Adam, voûtée.

— Nous la rejoindrons dans les bois. Vite, il faut partir.

Soudain, Ædrian entendit un bruit, lointain mais qui résonnait dans le calme de la nuit.

Adam détalait déjà et Ædrian lui emboîta le pas. Tandis qu'il courait, il discernait le son qui se faisait plus distinct : un bruit de sabots. Il apprécia l'ironie de la situation : eux, des nobles de Fortmage, enveloppés dans des loques et fuyant comme des voleurs. Voilà qui ne ressemblait pas à la vie rêvée, mais bien à une aventure.

Les bois paraissaient si loin. Il apercevait sous la faible lumière, dispensée par les étoiles, l'ombre pressée qui le précédait. Il jeta un regard en arrière, il ne voyait rien.

— Sors de la route !

— Pourquoi ?

— Ædrian, éloignes-toi de la route !

Il obliqua de la route pour courir droit et tandis qu'il vérifiait dans son dos, il discerna des lueurs. Elles se rapprochaient à une vitesse effrayante.

Soudain, il ne sentit plus ses jambes, et roula par terre.

— Aie !

— Silence !

Ils se dissimulaient derrière un talus qui chutait en pente. Ædrian ne put s'empêcher de se hisser, pour laisser dépasser ses yeux, inquiet et excité à la fois.

Les lumières approchaient ostensiblement et soudain, le bruit des sabots gronda le long de la route, à moins de cent pieds de leur cachette. Ædrian n'eut que le temps de deviner leurs formes mouvantes, mais il lui sembla apercevoir le visage de l'un d'eux ; enfin, ce n'était pas vraiment un visage, plutôt un entrelacs de vêtements qui couvrait la silhouette dans son intégralité.

Il frissonna.

— Tu crois que c'était qui ? murmura Ædrian après que les hommes eurent disparus, puis le son de la chevauchée dans le lointain.

— Je ne sais pas.

— Ils venaient d'où ? Du sud ?

— Je ne sais pas, Ædrian.

Ædrian vit luire les yeux d'Adam qui ajouta :

— Pourquoi viendraient-ils du sud ?

— Je sais pas, comme ça...

— Qui se presserait comme ça à cheval, en pleine nuit ? réagit Mirabelle, et vous avez vu les canassons ? Ils étaient étrangement...sveltes ? Avec de très longues pattes...comme des araignées !

— Euh...

— Des araignées, Mirabelle ? Vraiment ? Tu n'as rien trouvé d'autre ?

Ils s'esclaffèrent. Un instant, ils s'étaient tendus, avaient vécu cet évènement comme un grand danger...

— Ce n'était sûrement rien, lâcha Adam.

— Peut-être une caravane marchande, essaya Mirabelle.

— Une caravane marchande, Mirabelle ! En pleine nuit, à cette allure et...sans caravane ?

— Non. C'était sûrement rien. On ferait mieux de se recoucher.

Ils s'adossaient au talus. Une brume poissait le ciel, vidait les étoiles et occultait toute lumière. Ils ne faisaient que se deviner, par contours obscurs, mais Ædrian reconnu les yeux de Mirabelle lorsqu'il les rencontra.

— Je n'ai plus envie de dormir, gémit-il.

— À dire vrai, moi non plus... Mirabelle ?

— Je n'aime pas cet endroit.

— Oui, partons. Allons vers la forêt, nous y serons mieux, je le crois.

Ils se hâtèrent. Quelque évènement semblait posséder les lieux. La brume se faisait plus épaisse, l'air devenait lourd. Un silence surnaturel pesait et les ombres semblaient s'agiter au creux de cette mélasse.

Le terrain s'accidentait de dépressions : cratères et dolines ; et ils devaient marcher lentement dans le brouillard traître qui les poussaient dans des trous, parfois profonds. Ils aperçurent alors des formes longues et allongées : les cimes de la forêt, sûrement, mais qui leur parurent beaucoup plus loin qu'ils ne l'avaient d'abord imaginé.

— Je n'aime pas cela, c'est étrange...

— Cet endroit ne devrait pas exister ici ! renchérit Mirabelle. Où sommes-nous ?

— Nous devrions être à une journée de La Franche, au plus. Je ne reconnais pas cet endroit...

— Nous avons pourtant frayé au nord, n'est-ce pas Ædrian ?

Ædrian eut un doute. Ils avaient bien suivi la carte...pourtant.

— N'aurions-nous pas bifurqué, après le hameau brûlé ? reprit Adam.

— Nous avons pourtant suivi la route.

— Oui, mais laquelle ?

Ils s'étaient arrêtés. La brume, épaisse, s'entortillait le long des chevilles d'Ædrian ; son contact était étrange, comme si elle avait été solide...elle le chatouillait, le démangeait...

— Merde !

Il se secoua, sautant partout dans son affolement.

— Un truc m'a touché ! hurlait Ædrian.

— Tais-toi, siffla Adam.

— Ça m'a mordu !

Il y eut une sorte de couinement.

— C'était rien qu'un rongeur, Æd, lâcha Mirabelle.

Elle rit.

Soudain, ils entendirent des hurlements, au loin derrière eux.

D'un commun accord, ils détalèrent vers les formes évasives qu'ils supposaient la forêt. Ils n'y voyaient pas grand-chose, trébuchaient et se relevaient, sans jamais s'arrêter. Ædrian allait à en perdre haleine. Soudain, quelque chose attrapa sa jambe et il tomba en avant. Son corps fourmillait et il senti des picotements sur tout son visage ; puis courir sur son torse, le long de ses membres... Il sentit une force s'emparer de son avant-bras et alors qu'il allait hurler, on l'empêcha d'ouvrir la bouche :

— Silence ! siffla Adam.

Il se releva, appuyé par Adam, et se débarrassa des épines qu'il avait sur tout le corps.

— Foutue racine, grommela Ædrian.

— Chut ! Écoutez.

D'abord le silence, puis Ædrian distingua des sons, d'abord des fragments puis des voix.

— Approchons-nous. Mais pas un bruit !

Tandis qu'ils allaient vers les voix, ils aperçurent une lueur fantomatique se dessiner. Ici, la brume devenait moins épaisse et ils distinguaient à quelques pas devant eux le tapis de branches et d'aiguilles.

La lumière semblait flotter dans son immobilité mais parfois ils devinaient ses errances : elle semblait se déplacer, lente mais implacable. Maintenant ils distinguaient les voix, sans les comprendre. Étouffées, elles paraissaient difformes et au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient, des bruits sauvages vinrent s'ajouter à cette symphonie étrange : grognements, murmures et cris divers.

— On tourne en rond, cette brume infecte nous égare !

Ils fixèrent la lueur et s'en servirent comme repère, prenant le temps d'avancer droit vers lui.

Soudain, une voix résonna ; elle semblait leur être adressée mais ils n'en comprirent rien.

Encore une fois. Elle s'exprimait dans un dialecte aux sonorités rocailleuses :

— Nak raïk ?!

Alors, une seconde lumière se détacha de la première. Elle s'approchait d'eux ; vite, trop vite. Ils étaient paralysés...Ædrian ferma les yeux.

— Vous comprenez la langue commune ?

Un personnage étrange leur faisait face, une torche à la main.

— Oui... bredouilla Adam.

— Si je vous ai fait peur, excusez-moi ! D'autres voyageurs croiser, je ne le pensais pas. Hé, mauvaise mine vous avez, venez donc vous réchauffer !

Ils le suivirent jusqu'à une clairière où brûlait un feu de camp, éclairant deux silhouettes semblables à la sienne. Posés en tailleur, immobiles, leurs visages s'inclinaient vers le sol.

— Asseyez-vous donc près du feu ! Voudriez-vous boire ou manger un peu ?

— Cela ira. Nous vous remercions.

Ædrian dévisagea Adam, interrogateur : son visage affichait l'inquiétude.

Ils s'assirent en silence et Ædrian s'attarda sur leur guide. L'ayant d'abord pris pour un homme, il doutait : svelte et gracile, il portait de longs cheveux tressés qui encadraient un visage aux traits fins. Sous ses longs cils s'ouvraient des yeux en amande, qui papillonnaient tandis qu'il tisonnait le feu, avec des gestes mesurés, presque maniérés et gracieux – voire respectueux.

— Le temps de voyager, guère il n'est, chanta une voix.

Ædrian sursauta : l'un de ceux qu'il avait pensé endormi avait relevé la tête, révélant le même caractère androgyne que son compagnon, autant qu'il lui était physiquement dissemblable. Ces personnages lui rappelèrent vaguement quelqu'un.

— Trompeuses sont les nuits, par ici, répondit le dernier.

Les flammes jetaient une lumière vive autour du campement de fortune, faisait luire la brume argentée ; Ædrian regarda les cimes invisibles et s'attarda sur un sac, posé près du feu : le manche d'un luth dépassait. Leur guide capta son regard :

— En jouer le sais-tu ? Ou l'instrument t'est inconnu ? énonça-t-il, rieur.

— Euh...non.

Soudain, il sentit un souffle contre son oreille :

— Qui sont-ils ? Nous devrions nous méfier, c'est étrange qu'ils soient ici... murmura Adam.

Un rire cristallin éclata :

— Allons, amis voyageurs, nous sommes comme vous, n'ayez point peur ! Nous voyageons, tout simplement. Voudriez-vous nous quitter ? Allez-vous-en ! Mais par ce temps ? Ah, je ne le ferais guère...

Adam répondit sur la défensive :

— Si vous le dites.

— Voyez mes mignons : dormir vous pouvez et sur vous nous veillerons. Sinon craindre, et rester en éveil ; je comprends, mais vous lutterez avec le sommeil.

— Souhaitez-vous vous repaître ? demanda un autre.

Dans sa main : des baies.

— Merci ! s'exclama Mirabelle, s'emparant de la nourriture.

— Mira...

Trop tard : elle les mangeait. Il y eut un long silence, puis des rires enjoués. Adam se rasséréna.

— Au fait, lâcha Ædrian, vous n'avez pas donné vos noms.

— Nos noms ! quelle idée, ils ne vous diraient rien...

— Boisdoré.

— Rosépine.

— Ah ! (leur guide regarda ses compagnons) c'est ainsi ! Bon, nommez-moi Vertetige.

— Que voilà des noms bien curieux !

— Curieux...ou savoureux ? Mais vous, jeune fille, quel nom vous habille ?

Mirabelle mâcha et ingurgita :

— Mirabelle.

— Ah ! cocasse. Disiez-vous curieux ?

Elle rougit.

— C'est vrai... grommela-t-elle.

— Que faites-vous ici ? demanda Ædrian.

— Nous ? La même chose que vous, voyons. Nous voyageons. Mais vous, que venez-vous faire par ces terres ?

— Nous nous rendons à La Franche.

— À La Franche ? interrompit le présumé Boisdoré. Vous ne vous n'y rendrez point par ce chemin.

— Nous en venons... Il baissa la voix : égarés ils se sont...

— Tu dis vrai...Rosépine !

Ils rirent en chœur. Leurs éclats étaient comme le tintement d'une cloche : léger et doux. Ædrian n'arrivait toujours pas savoir lesquelles d'entre eux étaient femmes et lesquels étaient hommes.

— Nous montons au nord, nous pensions arriver à La Franche demain.

— Vous n'y êtes point ! Vous avez dérivé vers l'est.

— Vous devrez repartir vers l'ouest, pour arriver à La Franche. Mais demain, vous n'y serez jamais.

— En êtes-vous certains ? grommela Adam.

Il restait sur ses réserves, et se tenait un peu à l'écart, bien qu'il gardât un œil sur ses deux compagnons, tout en surveillant les étrangers.

— Évidemment, quelle question ! Nous en venons.

— Pourquoi vous partez ? C'est à cause de l'épidémie ?

Une ombre voila le visage de Vertetige.

— La Franche n'est plus ce qu'elle était. Ce fut quelque temps un lieu accueillant, une cité de la diversité et du partage où chacun avait sa place. Ce n'est plus le cas désormais et nous préférons nous en éloigner.

— L'épidémie a contaminé le corps des hommes, ajouta Boisdoré, mais leur cœur l'était déjà depuis longtemps.

— Vous n'avez point dit ce que vous faisiez ici.

Vertetige eut l'air amusé.

— Le garçon blond se méfie de nous ? C'est dommage ! Nous rentrons chez nous.

— Chez vous ? C'est où ? rebondit Ædrian.

— C'est ailleurs.

Vertige pointa un point vague, un peu tristement ; mais sans repère, Ædrian ne se faisait nulle idée de l'endroit désigné.

— Qu'est-ce qu'il y a là-bas ?

— Beaucoup de questions.

— Très peu de réponses.

— Il y a chez nous...

Leurs paroles résonnaient comme une douce symphonie. Ædrian se sentait bercé. Soudain, Boisdoré tira le manche qui dépassait du sac, révélant un luth ouvragé. Il commença à jouer.

— Dites, demanda Mirabelle, vous savez ce que c'est qu'ici ? Pourquoi cet endroit est si étrange ?

— La jeune fille doit traiter du brouillard.

— Autrefois, Joliefleur, c'était une terre de feu.

— Parfois la terre souffle.

— Et elle souffre !

— Le sol libère encore ses gaz.

— Des miasmes toxiques.

— Et hallucinatoires...

— D'ailleurs, peut-être rêvez-vous, en ce moment.

— Peut-être sommes nous des brigands qui vous ont déjà détroussés !

— De vos guenilles...

— Je suis certains qu'ils cachent de l'or sous leurs draps !

— Oui ! Emparons-nous en !

Et encore ils riaient.

Ædrian somnolait, la tête appuyée dans le creux de sa paume ; il se sentait partir. Et tandis qu'ils riaient, ils se mirent à chanter. Il ne comprenait pas leurs mots mais dans son esprit résonnait des paroles, claires et limpides...

Comme une eau dans le lit de rivière

Finalement, ils s'endormirent sans même s'en rendre compte, encore assis. Même Adam, qui luttait contre le sommeil, animé par l'angoisse, se laissa aller...

Filant dans sa source, claire et fière

Mais où sont passés les champs

Où, petiots, nous allions en dansant

Parmi les sylves, sous les troncs et les branches

Où parfois, encore, résonne le chant

Des oiseaux, et fleurissent les pervenches

Ils s'en sont allés, comme les enfants

Ont grandi trop vite, et trop tôt sont partis

De la forêt, où avant riaient nos amis.

Ils se réveillèrent allongés dans un doux tapis d'herbe et de mousse, enfouis sous des branches et des feuilles pour les garder au chaud. Autour d'eux, que la plaine. Pas de bois, pas de clairière ; sous le ciel où brûlait le soleil. Non loin la route qu'ils avaient quitté les bordait.

Et ils conclurent alors qu'ils avaient tout rêvé.

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