Premier jour de détention (Seconde partie)

Je regardai la substance verte, tellement épaisse qu'elle ressemblait à de la gelée tremblotante dans son verre, avec dégoût.

- C'est quoi ça ?

- Le déjeuner, dit Hoseok avant de porter le verre à sa bouche et de s'enfiler le contenu comme si c'était une coupe de champagne.

Je me penchai pour sentir l'odeur et reculai vivement avant de me mettre à tousser.

- Mais ça pue !!

Jimin, qui était enfin sorti de sa catatonie, repoussa le verre après l'avoir senti avec une grimace de répulsion.

- Ce n'était pas prévu au programme ça...

- Si tu crois que je vais ingurgiter ce truc, tu peux toujours courir, Park Jimin.

Jimin leva un sourcil avant de déclarer.

- Premièrement, tu te calmes ! Je n'y suis pour rien et deuxièmement, je n'ai aucune idée de ce que peut être ce truc.

- Quoi c'est bon, dit Hoseok en léchant les bords du verre avec délectation. C'est un mélange d'herbes avec un jaune d'œuf cru et de l'eau de pluie.

Je le regardais comme s'il était un extra-terrestre.

- T'es sérieux là ? dis-je en haussant la voix.

- Taehyung... intervint Jimin. Ça doit être un quiproquo. Je vais en parler à Namjoon, ils ont dû se tromper de menu.

- Compte pas là-dessus mec. Ici tout le monde mange la même chose, pas de viande, pas de gras, pas d'alcool, décision du chef.

- PAS D'ALCOOL !! s'écria Jimin en se levant, enfin touché par le drame qui se jouait depuis notre arrivée.

Je portai la main à ma poche et sortis le tube de Tranxène que j'ouvris avant d'en glisser un sur ma langue.

Très mauvais pour mon stress tout ça ...

- Un problème ? demanda Jin qui venait d'apparaître au bout de la table, en train de tester le tranchant de sa lame avec le gras de son pouce.

Jimin se rassit aussi sec en lui jetant un regard effrayé alors que Hoseok levait un regard de pure adoration vers lui.

- En fait, ils ne veulent pas...

Je ne lui laissai pas l'occasion de continuer et lui plaquai ma main sur la bouche.

- Ça ira, merci, répondis-je à Jin, avec un sourire crispé.

Celui-ci nous regarda à tour de rôle, comme s'il allait nous éviscérer, et tourna les talons.

Je laissai retomber ma main et croisai le regard brillant de Hoseok qui me regardait avec des étoiles dans les yeux.

- Quoi ?

Il me sauta dans les bras avant de déclarer.

- Ça y est Taetae, tu acceptes enfin le contact ! Je suis tellement heureux.

Je lançai un regard assassin à Jimin qui riait aux larmes.

La journée allait être très très longue...

...

- Alors ?

Jimin s'assit sur la chaise longue qui faisait face à la mer et me jeta un regard torve. J'avais miraculeusement réussi à échapper à Hoseok qui s'était pris d'une affection démesurée pour ma personne en me planquant aux toilettes prétextant un transit bouché, alors que lui, s'était mis en quête de Namjoon pour avoir des explications sur le contenu du déjeuner que, du coup, nous n'avions pas pris.

Mon estomac tapait d'ailleurs sa meilleure symphonie à cet instant.

- Alors, c'est la merde.

- La merde ?

- C'est à cause de Glicko.

- Glicko ?

- Le lézard.

- Le lézard ?

- Tu vas répéter tout ce que je dis ?

- Ben, si tu pouvais aligner plus de deux mots à la suite, je t'avoue que ça aiderait.

Mon meilleur ami soupira avant d'enlever sa casquette et de passer la main dans ses cheveux blonds.

- Glicko, le lézard apprivoisé de Jin. Il est mort.

- Tu m'en vois profondément désolé, mais quel rapport entre le contenu du repas et un foutu lézard mort ?

- Namjoon m'a dit que Jin était profondément attaché à Glicko. Quand celui-ci est décédé, il y a un mois, il est entré dans une phase de profonde dépression.

- On parle toujours de la mort d'un lézard, là ?

Jimin me lança un regard de biais. Je voyais, à la lueur qui brillait dans ses yeux, qu'il était partagé entre le fou rire et la crise de larmes.

- Bref, il y a dix jours, Jin s'est réveillé pour la première fois de bonne humeur et avec le sourire aux lèvres, ce qui a ravi Nam qui ne savait plus trop quoi faire et là, bim ! Idée de merde ! dit-il en frappant du plat de sa main dans sa paume.

- J'ai peur...

- Tu peux ! Donc le Jin s'est réveillé tout joyeux en disant qu'il avait trouvé un moyen de rendre hommage à Glicko et que dorénavant, il ne cuisinerait que ce qu'il mangeait en souvenir de sa mémoire. Et comme son humeur est assez... fluctuante, Namjoon n'a pas osé le contredire. Cela fait donc dix jours que les clients mangent de la salade et du jus d'herbe.

- Et ils ne disent rien ?

- Non, ils leur ont vendu ça comme de la bouffe healthy.

- Bien, bien, bien, donc tu es en train de me dire que nous sommes coincés sur une île, entourés, tu m'excuseras l'expression, de personnes pas très nettes et que nous sommes dans l'obligation de manger de la nourriture de lézard, car un cuisinier psychopathe est en deuil ?

- C'est ça !

Je commençai à m'agiter sur ma chaise longue et à fouiller dans mes poches.

Jimin se redressa pour me regarder faire pendant un moment avant d'intervenir.

- Tu cherches quoi ?

Je redressai la tête de dessous le transat sous lequel je cherchais mon seul moyen de tenir le coup.

- Mon tube de cachets !

Il mit une main dans sa poche et en sortit le tube avant de l'agiter devant mon nez.

- Donne-moi ça !

- Pas question, répondit-il avant de le remettre dans sa poche. Tu dois limiter ta consommation, tu t'enfiles ça comme si c'étaient des smarties.

Je m'approchai de lui et commençai à palper son sarouel à la recherche de cette foutue poche.

Jimin, très chatouilleux, commença à se tortiller comme une anguille. S'ensuivit une lutte qui nous fit nous retrouver tous les deux emmêlés dans le tissu lâche de nos pantalons, à même le sol et le slip plein de sable.

Je me retrouvai dans l'obligation de me rendre quand il finit par s'asseoir sur ma taille, maintenant mes mains au-dessus de ma tête.

J'avais bien essayé de donner un coup de reins pour le faire dégager, mais sans succès. Ce mec avait des cuisses aussi musclées qu'un athlète olympique.

- Je te le rendrai ce soir, dit-il avant de se laisser glisser sur le côté et de s'allonger à mes côtés.

On n'était pas mal, là, ensemble, sous le soleil brûlant, le bruit des vagues dans nos oreilles.

Bon, certes, je crevais la dalle, le sable me piquait le cul et je commençais à sentir mon épiderme brûler, mais vous remarquerez que j'essayais de lâcher prise.

- J'ai une question.

Je tournai la tête pour croiser son regard que cachait partiellement le verre fumé de ses lunettes de soleil.

- Quoi ?

- Un lézard, ça mange des insectes, non ? demanda-t-il avant d'éclater de rire.

Je le regardai se tordre de rire avec horreur avant de lui sauter dessus pour reprendre coûte que coûte mon Tranxène.

Mon plan aurait pu marcher si je n'avais pas été soulevé du sol par la ceinture du sarouel, me laissant suspendu au-dessus de Jimin, les bras et les jambes pendantes, avant d'atterrir sur mes deux pieds qui s'enfoncèrent profondément dans le sable.

Avant que j'aie pu réaliser ce qui se passait, Jimin se faisait soulever à son tour pour se retrouver à côté de moi, la casquette de travers et les lunettes à moitié arrachées.

Nous levâmes notre regard tous les deux en même temps sur une montagne de muscles d'une telle ampleur qu'elle nous cachait les rayons du soleil.

Je clignai des yeux, essayant de faire le point, et rencontrai le regard d'épagneul breton d'un autre géant.

Hoseok, qui nous avait retrouvé, sortit de derrière la silhouette en sautillant joyeusement.

- Les mecs, c'est l'heure.

Jimin, qui avait remis de l'ordre dans sa tenue, regardait fixement le mastodonte qui nous faisait face, posant ses yeux globuleux sur nous.

Je sentis un frisson parcourir mon échine.

Mais c'est qui celui-là encore ?

Comme s'il avait lu dans mes pensées, Hoseok répondit après s'être accroché à mon bras.

Mais il est pire qu'un morpion, putain !

- Je vous présente Gunther, le prof de méditation. Gunther, je te présente mes amis Jimin et Taetae.

Ah ben voilà, on est best friends forever.

Jimin fut le premier à réagir et s'avança en tendant la main au géant qui ne baissa même pas le regard vers lui. Il se retourna et commença à s'en aller vers les jardins, en déclarant avec un fort accent :

- Cours.

- Quoi cours ? demandai-je affolé à Jimin. Pourquoi il veut qu'on coure, c'est une chasse à l'homme, il va nous bouffer ?

- Mais non ! Il veut dire qu'il y a cours de méditation, traduisit Hoseok avant de commencer à trottiner derrière lui.

Jimin roula des yeux avant de mettre la main dans sa poche et d'en sortir le tube de médocs qu'il ouvrit. Il prit un cachet et le coupa en deux avant de remettre le tube dans sa poche et de s'avancer vers moi.

- Ouvre grand.

J'ouvris la bouche sans chercher à comprendre et reçu le Graal tant attendu. J'avalais ma drogue avant de lui jeter un regard interrogateur en désignant le demi comprimé qui restait dans sa poche.

- Et ça, c'est pour quoi ?

Jimin ouvrit la bouche et avala le cachet pour seule réponse.

- À défaut de mojitos... dit-il avant de prendre à son tour la direction qu'avaient prise les deux autres.

...

- Il n'en est pas question !

- Allez Taetae, c'est pas la mer à boire, faudrait voir à péter un coup et à te détendre. Tu verras que c'est vivifiant, ça fait circuler les énergies et tu te trouves revigoré de l'intérieur.

- Il n'est pas question que je fasse un câlin à ce palmier !!!

Hoseok poussa un soupir et m'indiqua Jimin, étendu de tout son long un peu plus loin, sur un palmier à moitié couché au sol, les bras et les jambes pendant de chaque côté du tronc, la casquette entre sa joue et le bois, un air extatique sur le visage.

Je m'approchai de lui et plissai les yeux.

- Oh le koala, tu t'en aies enfilé combien ?

Le marsupial ouvrit les yeux et tendit sa main en soulevant deux doigts avec un sourire défoncé.

Je me tournai vers Hoseok.

- Il est complètement paf !

Le jeune homme souleva les sourcils, intéressé.

- Beuh ? Ecsta ? Champignons hallucinogènes ?

Je le regardai, choqué.

- Antidépresseurs !

- Ah, tant pis, répondit-il en se dégonflant comme un soufflé sorti trop tôt du four.

- CÂLIN !!!

Nous sursautâmes en chœur avant de nous retourner vers Gunther, qui était toujours en mode économie de mots.

- Ça lui arrive de faire des phrases complètes ? demandai-je à mon pot de colle attitré qui avait profité de l'occasion pour venir se coller à moi.

- On ferme sa gueule, on ouvre ses chakras et on fait un câlin à ce putain d'arbre. ÇA TE VA COMME PHRASE ? répondit Gunther.

Il serait plus efficace doublé en allemand.

J'allais l'envoyer paître avec armes et bagages, même si je n'étais pas vraiment rassuré par sa stature de colosse, quand j'entendis le bruit sourd d'une masse en rencontrant une autre.

Jimin venait de tomber de son arbre, pile-poil sur Min Yoongi qui passait par là.

Je vis mon ami, le regard bloqué sur le visage qu'il surplombait de quelques centimètres, visage qui d'ailleurs ne laissait rien présager de bon.

Je me précipitai pour le tirer en arrière avant qu'il perde complètement ses moyens.

Apparemment, le sauvage, comme l'appelait Hobi, lui faisait un effet dévastateur, effet qui ne semblait pas pour l'instant partagé.

Yoongi, ainsi dégagé, se releva d'un bond avant d'épousseter son sarouel plein de sable et de disparaître comme il était venu.

Je secouai mon ami qui affichait un code erreur 404 sur le front.

- Ça va ?

Jimin cligna des yeux avant de reprendre contact avec la réalité.

- Il m'a rattrapé, dit-il avec un sourire qui faisait se plisser ses yeux en demi-lune.

- Ah non Park Jimin ! Efface de suite ce sourire niais de ton visage.

Il se releva, s'époussetant à son tour.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Je parle du sourire que tu affiches et qui signifie emmerdements en approche.

Le sourire démoniaque s'étira un peu plus avant de disparaître complètement.

Je fronçai les sourcils et me retournai vers l'endroit que fixait Jimin.

Gunther arrivait au pas de course, nous donnant l'envie de détaler comme des lapins.

- Cours annulé, dit-il avant de tourner les talons et de disparaître à son tour.

Charmant...

Cet épisode marqua la fin de notre expérience sensorielle avec les cocotiers, du moins pour ceux qui avaient participé à cet échange charnel avec la nature.

Pour ma part, l'estomac dans les talons et un indice glycémique au ras des pâquerettes, j'avais traîné le Jimin qui planait à dix mille au restaurant de l'hôtel, en priant pour qu'un miracle se soit produit pendant cette séance de relaxation.

La Grâce divine ne sembla malheureusement pas être descendue sur le cuistot, qui servit pour le dîner, une salade de sa composition qui me rappela vaguement les préparations que je donnais à George, mon hamster caractériel qui avait fini par s'enfuir de la maison devant ce régime monotone.

Comme deux vaches neurasthéniques regardant passer les trains, nous avions mâché avec application notre tambouille, jetant des regards effrayés au cuisinier qui n'avait pas lâché son couteau depuis le matin.

Nous nous étions traînés, avec le peu de force qu'il nous restait, sur la plage pour assister à un magnifique coucher de soleil, qui, à défaut de nourrir notre corps, avait nourri notre esprit.

Le bilan de cette première journée était catastrophique. J'avais faim, j'avais chaud, je commençais à ressentir des démangeaisons dans des endroits que la décence me demande de vous taire et pourtant je sentais danser en moi une petite étincelle qui avait disparu depuis longtemps.

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