Chapitre 8: Finnick

Ce qu'en disait Georges :

Les gens qui n'y sont jamais allés pensent que la forêt est un monde de calme et de parfait silence. On voit bien qu'ils n'y connaissent rien. La forêt au contraire a sa musique, est une musique ; un concerto, une symphonie, un opéra. Il n'y a qu'à tendre un peu l'oreille pour entendre : le souffle du vent dans les feuillages, les chants gracieux des oiseaux, le martellement du bec du pic qui cherche des insectes dans le tronc d'un vieil arbre, les craquements des branches, les cris des animaux sauvages, le léger chantonnement du ruisseau tout proche, et ... le ronflement du moteur d'une camionnette. Elle s'arrête soudain devant moi. La porte s'ouvre sur un fennec en short et T-shirt de sport, des lunettes de soleil sur le museau, et une batte de baseball à la main.

- Hey mec.

- Salutation à toi aussi Finnick, je suis ravi de te voir ici et espère de tout cœur que tu as fait un agréable voyage. Réponds – je, pince sans rire.

- Agréable voyage mon œil oui ! Quand est-ce que le foutu gouvernement de ce foutu pays, va se décider à construire des routes qui ressemblent un tant soit peu à quelque chose ?

- Vu que les étrangers ne sont pas autoriser à venir partager avec nous les joies et le bonheur de la vie dans un pays si juste et si égalitaire, je crains que tu ne doives attendre un petit bout de temps. Je ne sais pas moi... un ou deux siècles ?

- Tu parles, la route qui longe le précipice est en tellement mauvais état que j'ai failli tomber ! Tout ça pour aider un mioche à survivre dans un pays tellement « égalitaire » comme l' dis, qu'il laisse les prédateurs crever de faim tout simplement à cause de préjugés stupide !

- Allons Finnick, je sais bien que même si tu dois te lancer de 1000 ou de 2000 mètres de haut, tu n'hésiteras pas à te jeter sur l'occasion de faire preuve de cette incroyable générosité qui te caractérise !

- Si tu fais d'aussi mauvais mots, Georges, je repars tout de suite.

- Tu ne ferais tout de même pas ça à un pauvre orphelin, un malheureux renardeau sans ressources et abandonné de tous ?

Je croise le regard noir comme le charbon du fennec, et éclate de rire.

- Ok, ok, j'arrête. Alors, quelles nouvelles du monde civilisé?

- Mouais, civilisé...

- Certes, la civilisation est une notion toute relative qu'il faut considérer avec précautions, et en la mettant en relation avec tout un tas de données dont l'objectivité doit être discutée dans ses moindres détails, afin d'évaluer le degré de généralisation qu'on peut leur accorder, car une opinion personnelle ne pourra être analysée et comprise que si l'on se demande quels facteurs peuvent la créer ou l'influencer, et qu'il faut bien prendre garde à ne pas considérer qu'une opinion seule est le reflet de la vérité d'un lieu et d'une époque dans toute sa complexité.... Certes. Mais encore ?

- Tu sais que tu es vraiment lourd quand tu t'y mes ?

- Si je le sais ? Oui, je le sais. Alors ?

Le regard furieux se transforme finalement en sourire, puis en un profond éclat de rire de la part du fennec.

- J'ai quelque chose qui, je crois, pourrais bien t'intéresser.

Il rentre quelques instants dans la camionnette, avant d'en ressortir avec trois livres assez larges et assez long pour un livre, mais très fin : en un mot, des bandes dessinées.

- « Les aventures de Tim, Milou et du Capitaine Brochet » trois nouveaux épisodes sortis depuis la dernière fois qu'on s'est vu ! Des millions de lecteurs ont passé cinq heures dans la queue sous la pluie pour l'acheter ! Fallait être motivé quand même ! Enfin bon, moi j'l'ai acheté sur Internet, ça évite les bronchites et les crampes aux pattes ! Bon, j'ai ragé deux semaines le temps qu'ils soient livrés mais c'est un moindre mal, non ? C'est vrai qu'il est pas mal ce bouquin ! dit-il, montrant avec tout de même une petite pointe de fierté les couvertures aux couleurs bleu, rouge et ocre sur lesquelles, dans une voiture, sur le pont d'un bateau ou simplement assis sur un banc, souriaient trois hommes, un renard vêtu pantalon de golf, d'un pull-over bleu d'un manteau brun et coiffé d'une manière irrécupérable, un chien blanc portant une chemise grise et un anorak rouge et un hippopotame en tricot bleu foncé et un bonnet de marin sur la tête avec le plus souvent soit une pipe à la bouche soit un verre d'alcool à la main, voire les deux.

- Cool !

-Attends, ce n'est pas tout, ajoute-il me tendant une boîte contenant manifestement un dvd, et dont la couverture était illustrée d'une jument à la crinière démentiellement longue brandissant une poêle à frire d'un air décidé, puis une deuxième, de format identique à la première, mais sur laquelle dansait un couple de loutres sus la lumière d'un réverbère.

- En gros, c'est l'histoire d'amour entre une actrice et un musicien. Pas mon style, mais ça a fait fureur à Zootopie. explique-t'il, désignant la deuxième.

- En même temps, tu n'es content que s'il y a des gros combats à coup de battes de baseball ou des courses poursuites en camionnettes rouillées.

- Tu oublies les éléphants. J'adore tout ce qui parle d'éléphants. Surtout les histoires d'éléphanteaux tout mignons type peluche avec trompe en klaxon de vieille locomotive et oreilles démesurées qui font flap-flap dans le dos. répliques t'il goguenard, ayant bien compris que je me moquais de lui

- C'est vrai que les éléphants et toi, c'est une grande histoire d'amour, n'est ce pas ?

Mon vieil ami croise les bras, faisant mine de bouder.

- Si tu te flûte ma tête comme ça, je ne te montre pas la surprise que je t'ai préparé.

- Pourquoi ? demandai-je, d'un ton faussement indigné

- Parce que.

- Grand prix du meilleur argument de l'année. lançai-je, sarcastique

- Et inutile de prendre ton air de chien battu, tu ne me fera pas plier.

- Pas besoin, tu me la montrera de toute façon, ta surprise.

- Ah, vraiment, et pourquoi ?

- Parce que. Dis-je, moqueur

- Grand prix du meilleur argument de l'année.

- Eh, tu n'as pas le droit de me piquer mes phrases. Et si tu veux tant savoir, je sais que tu me montreras ta fameuse surprise, parce que tu as autant envie de me la montrer que moi de la voir. J'ai raison ?

- A 100%. Tu es infernal.

- Merci.

-Passe-moi mon MP3.

Je le sors de ma poche et le lui tend.

-Je reviens, dis t'il, le prenant et retournant une fois de plus dans sa camionnette.

Ce qu'en disait Fitnnick :

« C'est pas vrai. Où est-ce que je l'ai fourré ? »

Evidemment, c'est toujours quand on cherche quelque chose qu'n'on arrive pas à mettre la patte dessus. Moi et ma mauvaise habitude de ne rien ranger...

Tout en fouillant l'indescriptible fouillis qui compose les tiroirs de ce qui devrait être un placard à chaussettes, et qui contient du paquet de bonbons à la console de jeux en passant par le déguisement petit-éléphant-trop-mignon, qui me permet de fêter tous les jours mon anniversaire autour d'un djumbo pop avec papa Nick ; tout en remuant vaguement la pile de T-shirt presque propres et les chaussettes, elles d'une propreté très franchement douteuse ; à la recherche (désespérée) de mon ordinateur ; je me remémore les premiers instants de notre rencontre, Georges et moi.

C'était il y a huit ans. Je ne sais même plus ce que je faisais sur cette maudite route qui était d'ailleurs surement aussi mauvaise qu'aujourd'hui. Je crois que je m'étais perdu en prenant un raccourci qui à vrai dire me rallongeait plutôt la route. En faisant un effort de mémoire, je crois vaguement me souvenir que j'allais quelque part. Où par contre, je ne saurais pas vous le dire. Ce dont je suis en revanche à peu près certain c'est que, quel qu'ait été ma destination, je n'y suis jamais parvenu.

Encore, que j'ai bien failli ne réussir ni à atteindre mon but, ni à retourner à Zootopie. Et ce, parce que j'ai tout bonnement failli mourir sur ces routes mal entretenues. En vérité, je serais mort, si Georges n'avais pas été là.

Le fameux raccourci qui devait me mener à ma destination en moins de deux heures m'en avait déjà fait perdre quatre. La nuit était en train de tomber, et on n'y voyait pour ainsi dire rien. Comme si je n'étais pas déjà suffisamment dans la poisse, l'orage commença à gronder et une pluie torrentielle à tomber, transformant la terre autour de la route en une pâtée boueuse. Soudain, alors que je conduisais en jurant rageusement contre le triple crétin qui m'avait conseillé ce soit - disant raccourci, j'entendis un cri. Attention !! Par réflexe, j'appuyais aussitôt sur la pédale de frein, pour voir tout à coup s'écraser juste devant ma camionnette un énorme arbre mort, frappé par la foudre.

- Vous allez bien monsieur ?

C'est un jeune renard au pelage trempé et aux vêtements miteux qui me pose cette question, le même qui vient de me sauver la vie en m'avertissant de la chute de l'arbre.

- Oui, oui, merci. bredouillais-je, sous le choc. Dis – moi petit, où sommes-nous ?

Lorsqu'il me répondit que nous étions dans la forêt qui longeait le district 15, je commençais par me demander qui, de moi ou de lui, avait perdu la boule. Je lui demandais donc des précisions. De quel pays il s'agissait, par exemple.

- Eh bien, nous sommes à Panem. Vous n'êtes pas d'ici, monsieur ? Mais alors, d'où venez-vous ?

Lorsque je lui répondis qu'en temps normal, j'habitais à Zootopie, ce fut à lui d'ouvrir de grands yeux stupéfaits.

- Zootopie, pour de vrai ?

- Ben ouais...

- Alors cet endroit existe vraiment ?

- Ben ouais...

- Alors, ce n'est pas une légende ?

- Ben non...

- Alors, la ville n'a pas été détruite par les prédateurs redevenus sauvages ?

- Hein ? Quels prédateurs redevenus sauvages? C'est complètement idiot ! Les prédateurs ne « redeviennent » pas « sauvages». Les proies non plus, d'ailleurs. Personne ne « redevient sauvage ». On n'est plus à la préhistoire !

- Alors le Capitole a menti ?

- Ecoutes, je ne sais pas ce que c'est que le « Capitole », comme tu dis, mais si quelqu'un t'as raconté que Zootopie était une légende, ou qu'elle avait été détruite par des « prédateurs redevenus sauvages », soit ce type ne connaissait rien à ce à quoi il causait, soit c'était juste un gros mytho.

- Donc, ça veut dire que Zootopie existe en vrai ?

- Mais oui ! Puisque je te le dis !

- Et les prédateurs ne portent pas de collier ?

- Qui de quoi de quand ???? C'est quoi cette histoire de collier ?

- Le collier de civilisation. Le collier anti-prédateur. Celui qui a un bouton vert qui devient rouge et qui envoie des décharges électriques quand on ressent des sentiments trop forts. Il n'y en a pas à Zootopie ?

- Quoi ! Mais pas du tout ! Jamais les prédateurs n'accepteraient de porter un truc pareil !

Bizarrement, cette histoire de collier faisait pourtant en moi écho à quelque chose. En fouillant dans ma mémoire, je retrouvais l'image d'une caribou à lunettes à écailles qui nous racontait la Grande Révolte. Grande Révolte lors de laquelle, je l'avais appris par hasard, elle avait elle-même perdu son père, tué par l'armée lors de la bataille de Tundra Town, alors qu'il était membre de la FRTT (Forces Rebelles de Tundra Town).

- Attends, ça a existé, ce truc là ! Mais c'est vieux de chez vieux ! Ca fait au moins 40 ans ! Avec Crumb et ses idées à la con... Mais c'est fini ça ! Il n'a même pas réussi à détruire Zootopie avec ses idées arriérées de sexiste, de raciste et de carniphobe. Les gens se sont soulevés et on l'a renvoyé dans sa thurne. Bien fit pour sa poire ! Il a fait croire aux proies que les prédateurs étaient dangereux et pouvaient redevenir sauvages. « Redevenir sauvage » ! Comme si on pouvait « redevenir sauvage »... Du grand n'importe quoi ! Enfin, les gens ont compris la leçon. Plus personne n'y croirait aujourd'hui. Les gens ne sont tout de même pas si cons...

Soudain, les oreilles du renardeau se mirent à bouger dans tous les sens. Il me chuchota : « chut, ils arrivent », et m'indiquais d'un signe de tête un bosquet non loin de là dans lequel nous nous dissimulâmes. Nous vîmes alors passer un groupe de trois proies en uniformes, aux airs vaguement patibulaires. Ils agitèrent rapidement le faisceau de leurs lampes de poche dans toutes les directions, puis le plus grand d'entre eux, un rhinocéros, déclara :

-Allez c'est bon, il est pas là. Ca fait déjà deux heures qu'on l'cherche, on va pas y passer notr' vie non plus. Au pire, c'est jamais qu'un prédateur. Si y s'fait buter par un animal sauvage, ça s'ra pas une grand' perte non plus. Franchement. Allez, les gars, on s'rentre. J'ai la dalle et plus on s'caille ici.

Lorsqu'ils furent loin, nous sortîmes de notre cachette et le jeune mammifère m'expliqua :

- Ce sont des pacificateurs. C'est moi qu'ils cherchent.

- Pourquoi ?

- Je me suis enfui de l'orphelinat. dit-il avec de la fierté dans la voie Au fait, je m'appelle Georges. Et vous monsieur ?

- Finnick.

- En tout cas, heureusement qu'ils n'ont pas vu votre voiture. L'arbre a dut la cacher. Comme le dis le proverbe : à quelque chose malheur est bon.

- Pourquoi heureusement ?

- Parce qu'ils vous auraient tué. me répondit-t 'il, ce qui était une bonne raison en soi. Les étrangers n'ont pas le droit de venir chez nous.

- Donc tu m'as sauvé la vie une deuxième fois ?

Il réfléchit quelques instants à la question puis annonça gravement :

- Oui, je crois.

J'étais tout de même un peu intrigué par ces histoires. J'aurais bien posé une ou deux question au petit renardeau, mais il ne m'en laissa pas le temps, car s'est lui qui m'en posa. Et pas qu'un peu. Beaucoup. Beaucoup beaucoup, même. Trois cent milliards de questions, de la plus naïve à la plus complexe, de la plus simple à la plus absurde, de la plus facile à répondre à la plus compliquée.

Lui décrire la géographie générale de Zootopie, avec ses quartiers aux différents climats, pourquoi pas; lui raconter les grandes lignes de notre histoire, la création de Zootopie après un accord de paix entre proies et prédateurs, ok; lui expliquer comment on élisait le maire de la ville, je veux bien ; lui lister les principaux chanteurs à la mode du moment à Zootopie, en lui citant quelques titres d'œuvres et en détaillant les particularités de quelques styles de musique, passe encore .

Mais comment étais-je sensé savoir comment fonctionnent les différents biotopes des différents quartiers ; quelle est l'espèce animale la plus présente à Zootopie ; quelle est la proportion proies/prédateurs ; quel est le bâtiment le plus haut de la ville ; quelle est la destination touristique préférée des zootopiens ; comment et où produit-on l'énergie pour éclairer et chauffer les habitations ; combien de kilomètres compte le réseau du métro zootopien ; combien y as t'il de ligne de bus ; quand ont été légalisés les mariages entre animaux de classes alimentaires différentes ;quelle est la superficie exacte de Zootopie ; quelle est la maladie la plus difficile à guérir pour les médecins zootopiens ; quelle est la durée des études de médecine ; quel cursus scolaire faut-il suivre pour être juge ; combien de temps faut-il pour voter une loi ; comment la police mène t'elle une enquête ; par qui et quand ont été réalisés les différents quartiers de Zootopie ; à quelle espèce appartient le mammifère le plus riche du pays ; combien il y a de renards à Zootopie ; quel est le métier le plus souvent exercé par les loutres ; comment se nomme le plus grand théâtre de la ville ; de quoi parle le livre le plus lu des Zootopiens... Comment pouvais-je le savoir?

Est-ce que j'ai l'air d'un ingénieur, d'un médecin, d'un architecte, d'un professeur d'histoire-géographie, d'UNE ENCYCLOPEDIE ?

Le flot interminable finit toutefois par se tarir devant les absences de réponses de plus en plus régulières ; quand il posa une dernière question : que représentait l'image dessinée sur ma camionnette ?

Ravi de pouvoir enfin répondre à l'une de ses innombrables interrogations, je lui expliquais que l'image, deux fennecs, un guerrier et une guerrière, le frère et la sœur, lui portant la jeune femme, gravement blessée, dans ses bras, représentait deux des principaux personnages d'une série de mangas que j'affectionnais particulièrement : Game of faune. Je lui montrais même le premier tome de la série. Il le regarda avec autant d'émerveillement que s'il s'était agi d'un trésor particulièrement précieux. Je le lui tendis, et il commença à le lire, tournant délicatement les pages. Il semblait tellement captivé que je dis alors quelque chose d'incroyable. Quelque chose de complètement fou, et qui pourtant allais changer sa vie ; et la mienne, par la même occasion :

- Veux-tu que je te le prête?

- Vous parlez sérieusement, monsieur ?

- Eh bien, oui. répondis-je, moi-même surpris de ma proposition.

Lorsqu'il me remercia, il était si heureux qu'il semblait sur le point de fondre en larmes.

- On se retrouve dans deux mois, lui dis-je, même jour, même heure, même endroit. déclarais-je avant de partir, Georges m'ayant, en parlant, aidé à dégager l'arbre de la route. Je mis mon moteur en marche puis m'en allait, vers Zootopie. Où peut –être vers le but initial de mon voyage. Finalement, peut-être avais-je fini par m'y retrouver.

C'est en retournant à Zootopie que je commençais à avoir des remords d'avoir laissé l'un de mes livres préférés à ce jeune garçon que, tout compte fait je ne connaissais nullement. Certes, ce bouquin était facilement retrouvable en librairie, et pas d'une valeur financière très importante, mais tout de même. J'étais surtout vexé de m'être fait ainsi carotter : qui mieux que moi, qui en avait usé (et abusé), connaissait la facilité avec laquelle le regard tendre, triste ou heureux d'un enfant peut nous émouvoir et nous duper ? J'avais été stupide de me laisser ainsi manipuler et d'avoir cru qu'il viendrait me rendre mon livre. Et quand bien même il serait sincère, n'était-ce pas folie de retourner dans cet endroit au péril de ma vie ?

Toutefois, lorsque la date de nos retrouvailles s'approcha sérieusement, quelque chose, je ne sais quoi, peut-être l'instinct, qui sait, me poussa à tout de même tenter la chance et à retourner dans cette forêt étrange de ce pays bizarre, retrouver ce renard qui l'était tout autant.

Contrairement à mes craintes, il était bien là, toujours aussi petit, toujours aussi maigre, mais beaucoup plus souriant. Il semblait sincèrement heureux de me voir. Et surtout, il me rendit, et en parfait état, le livre.

« Il est formidable ! » me déclara t'il, les yeux brillants. « Je l'ai lu au moins dix fois J'y repense tous les soirs avant de m'endormir, quand la faim m'empêche de trouver le sommeil. » Le pauvre quand même, pensais-je. Bien que moi-même issu d'un milieu très modeste, j'avais toujours pu manger à ma faim, et l'injustice dont il était victime me révoltait. « Ils m'ont repris, tu sais. » ajouta t'il « Mais ils n'ont pas trouvé le livre. Je l'avais laissé dans la forêt. Je connais une très bonne cachette, où il est à l'abri des intempéries et des regards indiscrets. »

Sa joie était vraiment sincère. Après quelques instants, je pris la décision, plus réfléchie, mais pas moins folle que la dernière fois, de lui prêter les deux tomes suivants. Et on se retrouve ici dans deux mois. Je ne savais encore l'importance que ces quelques prêts de livres allaient avoir pour moi, et surtout, surtout pour lui.

Deux mois plus tard, lorsqu'on se retrouva, c'est mi- honteux, mi- fier qu'il me raconta qu'un de ses camarades de classe avec lequel il s'entendait plutôt bien ; j'avais entre temps appris que, comme tous les orphelins de son district, Georges travaillait aux champs du Capitole le matin, et allait à l'école l'après-midi ; avait découvert notre petit secret, et que, après lui avoir résumé le tome 1, il lui avait prêté les deux suivants le temps d'une journée. Les livres avaient fait le tour de la famille du jeune loup. L'enthousiasme avait été général, autant chez les parents que chez la sœur cadette, que chez les trois frères aînés, ou que chez la grand-mère, et en remerciement, Georges avait reçu de la famille deux pommes et une part de tarte aux myrtilles, ce qui lui avait permis, un soir, de se coucher le ventre un peu moins vide. Avec un regard craintif de petit animal apeuré, le renardeau me demanda si je ne lui en voulais pas de trop. Les livres, étant, à ma grande satisfaction toujours en parfait état lorsqu'il me les rendit, j'ai beau n'être pas toujours très ordonné, j'ai horreur que l'on détériore un livre, je n'hésitais pas à lui affirmer que tant que je retrouvais ce que je lui prêtais dans le même état que je l'avais prêté, j'étais parfaitement d'accord, et même ravi qu'il puisse gagner en prêtant à son tour mes livres, gagner de quoi manger un peu plus à sa faim.

C'est ainsi que de mois en mois, ou de deux mois en deux mois, les dates de nos retrouvailles n'étaient pas non plus réglées comme un coucou suisse, de prêts de livres en prêts de livres, puis plus tard de musiques, de films, de jeux vidéo ... Georges bâti, avec mon aide, une petite affaire de prêts d'objets interdits par le Capitole, car le Capitole, cela aussi Georges me l'a appris, interdit aux alzariens tout échange avec le monde extérieur, et j' étais assez satisfait d'aider mon ami, car désormais je considérais Georges comme un ami, tant à gagner son pain quotidien qu'à transgresser au nez et à la barbe du Capitole l'une de ces lois injustes.

Ah, le voilà enfin.

Mon ordinateur.

Sous une boîte à chaussures contenant des chaussettes. Je vais vraiment devoir apprendre le sens du mot « rangement ». Et l'appliquer à ma camionnette. Enfin, si possible...

Quelques minutes plus tard, je ressors à l'air libre et présente au jeune prédateur le MP3, annonçant :

« Et voilà, plus d'une trentaine de nouveaux titres. Et pas des moindres... Parmi les plus grands musiciens et groupes de musique de Zootopie et au-delà : Racoons, Coldplayers, Black Sable, Ewe2, Destiny's Cub, Mick Jaguar, Fur Fighters, Kanine West, Baboon5, Katty Perry,Coldplayers, Fleetwood Yak, The Beagles, Hyena Gormez... Et puis, surtout une toute nouvelle chanson, sortie depuis trois jours seulement, et qui a pourtant déjà fait le tour de Zootopie...

J'appuie sur le bouton de démarrage, et sort de l'instrument une voix féminine :

I messed up tonight
I lost another fight
I still mess up but I'll just start again
I keep falling down
I keep on hitting the ground
I always get up now to see what's next


Georges souris, surpris, et murmure :

- Gazelle?

- Eh oui ...

I won't give up, no I won't give in
Till I reach the end
And then I'll start again
Though I'm on the lead
I wanna try everything
I wanna try even though I could fail
I won't give up, no I won't give in
Till I reach the end
And then I'll start again
No I won't leave
I wanna try everything
I wanna try even though I could fail


C'est peu dire que je suis fier de lui avoir ramené cette chanson. Ça va être un phénomène dans le district 15, j'en suis persuadé. J'aimerais voir la tête des pacificateurs lorsqu'ils vont entendre le district entier murmurer, siffler ou chantonner un air qui leur est parfaitement inconnu sans savoir d'où il vient.

I'll keep on making those new mistakes
I'll keep on making them every day
Those new mistakes...

Je jette un regard à Georges. M'attendant à le voir ravi et enthousiaste, je suis surpris de voir des larmes dans ses yeux.

- Moi aussi j'ai fait une erreur, Finnick. Me dit-il dans un sanglot. J'ai menti à Felicity, j'ai trahis sa confiance, je me suis mis en danger stupidement, et je vais surement mourir dans quelques semaines.

Ce qu'en disait Georges :

Je lui raconte toute l'histoire, Finnick ponctuant régulièrement mon récit de « oh ! », « ah ! », « comment ? », « j'y crois pas », « c'est impossible ! » « quoi ?! », « sérieux ? », « hein !?!? », « j'y crois pas. », « c'est révoltant, vraiment révoltant »... Il dit à l'encontre de mes trois ennemis des mots que je n'oserais pas répéter, et conclut mon récit d'un « Merde ! » furieux.

- Georges, laisse-moi te dire deux choses. Primo, quoi qu'ait pu dire Bean, il n'est pas du tout certain que ce soit ton nom qui soit tiré. Tu as peut-être un peu plus de papiers à ton nom que tu ne le devrais, mais cela n'implique pas que ce soit l'un d'entre eux qui sorte. Secundo, même si ton nom est pris, cela ne signifie pas que tu vas mourir. Tu peux gagner.

- Je ne sais pas, Finnick, je ne sais pas.

- Eh bien moi, je sais. Tu peux gagner. Tu en es capable. Tu sais chasser et pêcher, tu pourras te nourrir ; tu connais les plantes, tu pourras te soigner ; tu sais tirer à l'arc, tu pourras tuer ; tu sais faire du feu, tu ne mourras pas de froid ; tu sais grimper aux arbres, tu pourras de te cacher ; tu es habile, tu pourras voler ; tu es adroit, tu pourras éviter les pièges ; tu es intelligent, tu pourras élaborer des stratégies ; tu es malin, tu pourras ruser ; tu es charmeur, tu pourras séduire ; tu es drôle, tu pourras faire rire... Tu connais bien le monde de la nature ; et tu es un champion de la survie. Crois-moi, tu peux faire aussi bien, voire mieux qu'un carrière.

- Merci Finnick.

- Je n'ai qu'un conseil à te donner, Georges, un seul, mais indispensable. Tu n'oublieras pas, hein ?

- Non, promis.

- Ne montre jamais à personne qu'on t'a blessé. Jamais.

- J'y penserai, merci Finnick. A bientôt, enfin... j'espère.

- Pas de « j'espère ». A bientôt, gamin, à bientôt. Et que la chance soit avec toi....

J'arrivais presque à la limite du district, lorsqu'une voix m'interpelle : « Bonjour, Georges ».

Je manque de faire une crise cardiaque et me retourne, le cœur encore battant. Une silhouette émerge de l'ombre, entre deux arbres. Celle-ci les mains sur les hanches, me regarde d'un air scrutateur.

- Felicity ! Je ne t'avais pas vu là, toute seule dans le noir.

Je lui fais un immense sourire, un peu faux cependant, comme un enfant pris sur le fait à faire quelque bêtise. Et comme un enfant pris sur le fait à faire quelque bêtise, je cache aussitôt l'objet de ma culpabilité derrière mon dos, dans l'espoir, assez vain que celui-ci devienne invisible, en l'occurrence, l'objet de ma culpabilité étant ma queue blessée. Malheureusement, cette méthode ne marche pas, pas du tout, surtout avec Felicity.

- Qu'est t'il arrivé à ta queue ?

- Oh, rien, c'est juste qu'avant-hier, en sortant de chez moi, je me suis pris les pieds dans une racine que n'avais pas vu, je suis tombé sur une pierre tranchante, et je me suis égratigné la queue...

Mon excuse n'était pas très bonne. Je croisais les doigts derrière mon dos pour que Felicity me croie. Mais cela ne marche pas, pas du tout, surtout avec Felicity. Elle me regarde d'un air mécontent, avant de déclarer, cette phrase à mon gout bien trop vraie :

« Si il se passe ce que je crois qu'il se passe, ça va se passer mal. »



NDA: 4 773 mots, je vous avais promis un grand chapitre, c'est fait. J'ai eu beaucoup de mal à l'écrire, alors n'hésitez pas à me donner des conseils si vous voyez des passages maladroits qui pourraient être améliorés.  Plus généralement, n'hésitez pas comme d'habitude à voter et surtout à commenter, ça fait toujours plaisir!

NDA: Une référence à une autre fanfiction Zootopie publiée sur wattpad est cachée dans ce texte. Je vous met au défi de la trouver, même si ce n'est pas franchement difficile.


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