Chapitre 12: Derniers adieux, dernier train
Ce qu'en disait Hope :
Une chose est sûre : je ne regrette rien. Oh, bien sûr, il serait tout à fait faux de penser que je me réjouis de quitter ma famille pour partir combattre dans l'Arène. Ce n'est pas de gaité de cœur que j'envisage l'idée de me voir lâchée en pâture à la joie malsaine qu'éprouve le Capitole à voir des enfants s'entretuer pour eux devant les caméras.
Eh quoi ! Ce n'est pas parce que l'on est une proie que l'on approuve ces Jeux, ce massacre, cette barbarie ! Non. Si jamais cette idée vous a, ne serait-ce qu'effleuré l'esprit, oubliez là. Mettez là dans votre poche et mettez votre mouchoir par-dessus ! Mieux : brûlez là et jetez les cendres à la mer, ou enterrez les dans un trou dans votre jardin, et n'hésitez pas à creuser profond, des fois qu'elle ressorte ! En tout cas, oubliez là à tout jamais. Ne me faites pas l'affront de me mettre dans le même panier que tous les autres, tout simplement à cause de mon espèce ! Je ne suis pas de ce genre de monstre aux distractions perverses et à la cruauté exacerbée, qui utilisent les enfants de districts pour leurs plaisirs malsains. Non. Non ! non !non !non et non !!!
Je ne suis pas cela. Et je ne suis pas non plus une carrière. Je ne rêve pas de tuer et, peut-être, probablement même, de me faire tuer aux Hunger Games. Je ne me suis pas entraînée à me battre pendant des années et des années pour affronter et tuer des gens qui n'ont jamais vu, et encore moins manié une arme de leur vie. Je ne me suis jamais entraînée à me battre tout court en fait. Je vais probablement mourir. Très probablement mourir.
Mais je ne pouvais pas laisser mourir Felicity.
Felicity est ma meilleure amie. Elle est, avec mon père et mes frères, la personne auquel je tiens le plus au monde. Perdre Felicity, c'est pour moi comme perdre une partie de moi-même, je n'y survivrai pas.
Et puis il est injuste que Felicity parte aux Jeux, que Felicity meure. Ça l'est pour tout le monde, d'ailleurs, mais pour Felicity plus que tout autre. Felicity est quelqu'un de bien, une renarde aussi généreuse que courageuse. Elle ne mérite pas de mourir, de mourir si jeune. D'autant que la mort de Felicity signerait, presque sans aucun échappatoire, la mort de sa famille, ses parents et ses trois sœurs. Même si ses parents travaillent, la famille ne trouverait pas suffisamment à se nourrir si elle ne vendait pas le produit de son braconnage et si elle ne prenait pas de tessaers, sans compter que sa mort blesserait mortellement la famille Wild au cœur.
- Ton nom, ma chérie ? me demande l'hôtesse de district d'une voix gentille mais un peu niaise et bien trop maniérée.
- Je m'appelle June. Espérance June.
Ma voix est ferme, assurée, volontaire. Un peu dure même, peut-être.
Avant qu'elle n'ait le temps de continuer, j'ajoute :
- Je suis une lapine. Et j'ai 16 ans.
- Bravooooo !! s'exclame la jument qui commence à être un tantinet ridicule seule avec sa joie de petite fille face à cette foule aux visages hostiles et aux figures ravagées par l'inquiétude ou la tristesse, ou brûlées par la colère
« Applaudissez cette courageuse volontaire ! Applaudissez ce courageux tribut ! Applaudissez les futurs vainqueurs de l'année ! Et joyeux Hunger Games ! » s'exclame t'elle Sa voix est un peu trop aigue, un peu fausse : elle sait bien qu'il est totalement impossible que deux personnes gagnent les Hunger Games la même année, et elle ne peut pas ignorer que les chances qu'un tribu du 15 revienne en vie sont infinitésimales.
Un pacificateur m'emmène vers l'hôtel de ville. Un autre s'est chargé du renard, Georges, je crois. Devant l'hôtel de ville se tient, comme veut la coutume, le maire du district, Franklin Bean. Il affiche un sourire triomphant. Je crois qu'il n'est pas fâché de me voir partir vers la mort. Mon père et lui ne se sont jamais bien entendu. Lorsqu'il a fallu voter pour élire le maire du district, mon père, qui, étant une proie, disposait d'une voix, n'avait jamais caché qu'il ne voterait pas pour le cerf. Nul doute que leurs caractères, et leurs opinions, notamment au sujet des prédateurs, les prédisposait à se détester cordialement, mais un autre point bien plus matériel entre en ligne de compte : quoiqu'un industriel de l'agroalimentaire riche, prospère et connu, Bean n'a jamais pu dépasser les Junes dans certains domaines. Nos cocktails de jus de fruit maison, et nos tartes à la myrtille sont meilleurs que les siens et nous sommes réputés pour nos jus de carotte. Je garde la tête haute, pas question que je flanche devant lui.
On nous ouvre une première porte, puis l'on nous amène devant deux salles côte à côte. C'est ici que nous allons revoir pour la dernière fois nos proches. On envoie Georges dans celle de droite, moi dans celle de gauche. Avant de franchir le seuil, nos regards se croisent.
Je m'assois, ou plutôt, je m'effondre, dans le fauteuil prévu à cet effet. Je n'ai pas le temps de réfléchir à ma situation, ni de m'apitoyer sur mon sort, car la porte s'ouvre aussitôt pour laisser passer Felicity. Elle court vers moi. Ses yeux sont rougis, et son pelage trempé de larmes.
- Espérance...
- Je ne regrette rien, Felicity. Je n'aurais pas supporté de te perdre. Tu es ma meilleure amie. Tu es la personne, avec mon père et mes frères, qui compte le plus pour moi. Te perdre aurais été comme perdre une part de moi-même. Comment vivre après cela ?
- Espérance... je...Essaye de revenir. Gagne ses jeux. Reviens ! Je ne veux pas que tu meures.
- Je te promets d'essayer Felicity.
- C'est tellement horrible, tellement. Savoir que ou toi, ou Georges, ou même vous deux... Vous ne méritiez pas ça... Comment vivre après cela ?
- Soit forte, Felicity. Soit forte en m'attendant. Et si jamais je dois ne jamais revenir, soit forte pour deux. Vis, Felicity. Vis pour moi si je meurs...
Je passe ma patte par-dessus les épaules de ma meilleure amie dans un geste de réconfort et de soutient. Ce geste semble redonner un peu de courage à Felicity qui me regarde droit dans les yeux d'un air moins dévasté et moins hagard que tout à l'heure.
- Montre leurs ce que tu vaux, Hope. Tu es bien plus forte, bien plus habile, qu'ils ne croient. Tu peux gagner Hope. Tu en as les capacités.
Un pacificateur entre, brisant notre entretien. « Bonne chance, Hope, bon courage ! » crie t'elle alors qu'on la raccompagne sans ménagement vers la sortie. «Survis aux Jeux, je t'en supplie. »
Sitôt la porte refermée derrière mon amie de toujours, elle se rouvre pour laisser passer quatre boules de poiles grises de même taille qui se jettent sur moi, s'agrippant à mes vêtements. Juste derrière eux entre mon père.
-Je suis désolée, papa, je sais que vous allez tous les cinq souffrir de mon départ. Je sais que l'on a besoin de moi à la maison... mais, je devais le faire. Je ne pouvais pas abandonner Felicity. Elle est ma meilleure amie, elle a toujours été là pour moi, nous nous connaissons depuis si longtemps, nous sommes tellement proches l'une de l'autre que sa mort aurais été pour moi si horrible que...
La patte de mon père se pose sur mon bras, m'interrompant.
- Je suis tellement fier de toi Espérance.
Je le regarde avec étonnement. Je m'attendais à des pleurs, des reproches, mais pas à cette déclaration.
-Oui, je suis fier de toi. Je suis fier de ton courage, de ta loyauté envers tes amis, de ta force. C'était un geste de pur courage, et je suis très fier que tu l'ais accomplis, même si je suis terriblement triste que tu partes. Ta mère aussi aurait été fière de toi. Tu lui ressembles énormément. Elle aussi était courageuse et prête à tout pour ceux qu'elle aimait. Garde de tout ton cœur ce que tu tiens d'elle et prend en soin.
Ma gorge est nouée par l'émotion. Depuis sa disparition, quelques années après la naissance de mes petits frères, mon père ne parle presque jamais d'elle. Moi-même, j'étais encore jeune, et je n'ai que peu de souvenir d'elle, mais je m'en souviens comme d'une lapine et d'une mère formidable.
« Dis, Espérance, tu reviendras ? »
C'est l'un de mes petits frères qui m'a posé cette question. Tous les quatre me regardent avec les yeux brillants d'espoir.
« C'est promis ! » répondit-je quoi que je sache que je ne réussirais probablement pas à tenir cette promesse « Et vous quatre, promettez moi de tailler mes rosiers ! » Ils acquiescent en cœur. Je les prend dans mes bras, en leur disant que je les aime, les larmes aux yeux.
« On t'aime, Espérance, alors soit prudente ! » me crie mon père avant que ma famille, à son tour, disparaisse derrière la porte, emmenée par le même pacificateur, que je commence à détester.
Derrière la porte résonnent des éclats de voix, tout d'abord indistincts, puis la dernière phrase résonne clairement « J'irai ! J'irai la voir ! Que tu le veuille ou non ! ». Je souris. Quelques instants plus tard, Marguerite passe la porte.
« Je suis désolée de ce qui t'arrive, Hope, sincèrement. » me déclare la fille du maire. Mon amie s'assied à côté de moi. Elle reste un moment silencieuse, comme si les mots ne parvenaient pas à franchir ses lèvres. Elle me tend soudain un petit paquet. Je la regarde, sans comprendre.
- Sais-tu que tu as le droit d'emporter un souvenir de ton district dans l'Arène ?
- Non.
- C'est pourtant le cas. Alors, je me suis dis que tu aimerais bien avoir là bas quelque chose qui te rappelle qu'ici, beaucoup de gens t'apprécient et espèrent ton retour. Je t'ai apporté ceci.
Elle désigne du doigt le paquet qu'elle vient de mettre dans la boîte. Je l'ouvre. Il contient une broche métallique : un cercle, et dedans un oiseau au long plumage sortant des flammes.
-C'est un phœnix, l'emblème de notre district. C'est un bijou qui me vient de ma famille. Je te l'offre. J'aimerais tellement t'aider, mais je ne peux pas faire grand-chose d'autre que te donner ceci et te promettre que je veillerais sur ta famille en attendant ton retour
- Je suis sure que ton père sera très contant.
Mon ton est cynique, un peu plus dur que je ne l'aurais voulu. Je sais bien que Marguerite n'y est pour rien si son père est ainsi, et qu'elle n'est pas non plus responsable d'être sa fille, mais je ne peux pas m'empêcher de détester cet odieux personnage.
- Mon père, je m'en charge. Toi, occupe-toi de revenir. De toute façon, mon père n'a rien à dire, cette broche me vient de ma mère.
- Merci beaucoup Marguerite.
Un pacificateur entre, voulant mettre fin à l'entretien.
« J'arrive, Monsieur. » lui répond mon amie.
Elle se tourne vers moi.
- Tu sais, Hope, on tient à toi ici. On est tous avec toi ! Alors n'abandonne pas. Tu n'es pas faible, je le sais. Alors montre aux autres qui tu es et ce que tu vaux. Gagne ces jeux, et reviens. Cette broche que je t'ai donné, j'aimerais vraiment te voir la porter ici, au district 15. Alors gagne, et reviens.
Sur ces derniers mots, elle rejoint le pacificateur, qui, devant la porte, commence à s'impatienter, et disparait à son tour. A sa suite arrivent deux amies, ou plutôt deux connaissances, une lapine et une hase, deux camarades de classe qui ont un peu l'air dindes, mais qui n'en sont pas moins gentilles. Ash elle-même vient me voir, pour me remercier d'avoir sauvé sa sœur, et tout compte fait de l'avoir sauvée elle-même. La famille Wilde au grand complet, parent et sœurs, viennent m'enlacer, me remercier, me souhaiter bonne chance, me jurer une gratitude éternelle et de veiller sur ma famille. Malheureusement le temps qui leur est accordé est bien court et c'est bien vite, bien trop vite que l'écoulement des minutes et le pacificateur me font quitter tous ceux qui ont eu la gentillesse de venir me faire une dernière fois leurs adieux.
L'arrivée de la dernière personne constitue en revanche pour moi une surprise. Il s'agit d'un petit lapin au pelage gris foncé, presque noir et au museau blanc, toujours vêtu du même complet élimé. Il n'a pas vraiment l'air impressionnant, mais pour relativement bien le connaitre, je sais ce qu'il en est. Dans l'école du district, où comme tous les jeunes mammifères j'ai suivi des cours, il enseigne à tous l'histoire, et aux proies le combat.
Les cours de combats. Voilà encore quelque chose qui creuse encore d'avantage, comme si cela était nécessaire, le fossé que notre société place entre proies et prédateurs. En effet, par décision du Capitole, tous les jeunes proies ont l'obligation de suivre dans leur district un cours de combat organisé par leur école, afin de pouvoir se défendre en cas d'attaque de prédateur redevenu sauvage. Par manque de moyens dans notre district, ce cours est assuré par l'enseignant d'histoire en plus de ses heures habituelles. Ce lapin, en effet, quoique n'étant ni très grand, ni très gros, ni très musclé, ridiculiserait au combat un troupeau de kangourous à lui tout seul.
- Félicitations, Espérance ! C'était un très beau geste ! C'est avec des gestes comme celui-ci que l'on fait l'histoire. D'ailleurs, tu es déjà entrée dans l'Histoire : premier volontaire du district 15, premier tribu proie du district 15, premier lapin tribu aux Hunger Games... Tu as tout pour devenir un symbole. Alors, si tu veux mon avis, sois en un. Fait réagir les gens. Fait changer les choses. Fait bouger tout ce que notre monde a d'injuste et de cruel... Tout, c'est un peu trop de travail, c'est vrai. Alors essaye au moins de faire un peu bouger les choses, de montrer un peu aux gens ce qu'ils ne voient pas. C'est un peu comme rendre le monde meilleur. On peut faire beaucoup de mal sans le savoir, sans le voir, sans le vouloir. L'ignorance et l'aveuglement – on ne voit jamais si peu que lorsqu'on ne veut pas voir- sont de véritables fléaux. Toi, tu peux remuer les vielles vérités enfouies sous le compost, et, ce n'est pas nécessairement plus facile, les vérités éclatantes, les moisissures qui s'épanouissent au soleil. Montre leur avant de mourir ou montre leur en survivant. En ce qui me concerne, je préférerais la deuxième option. Cela ne changerait pas grand-chose, bien sûr, mais cela me ferait plaisir. D'ailleurs, tu y gagnerais, toi aussi. Tu y gagnerais la vie. C'est déjà pas mal. Tu peux revenir, je sais que tu en es capable. Tu étais, pardon, tu es, ma meilleure élève. Montre leur ce que tu vaux, au passage. Ne te laisses pas avoir par les préjugés, surtout concernant les lapins. Ce n'est pas parce que l'on nous croit faibles, nous les lapins, que nous le sommes vraiment.
Il ne me laisse pas le temps de répondre, et me fait un petit sourire avant de me déclarer d'un ton léger :
- Adieux... Ou plutôt au revoir, Hope !
Avant que je n'ai eu le temps de me remettre de ce qu'il m'avait dit, et surtout du fait que cet animal qui toujours appelait ses élèves par leur nom de famille connaisse mon surnom, celui qu'utilise mes amis, il était depuis longtemps sorti, et le pacificateur se tenait devant moi.
« Il est temps d'y aller, mademoiselle » me dit-il avant de me conduire hors de la salle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top