Chapitre 10: La moisson
Ce qu'en disait Georges :
La Place du Marché est noire de monde. Ça n'est pas exceptionnel. Elle l'est tous les samedis, lorsqu'à lieu, justement, le marché. Mais aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Déjà parce qu'aujourd'hui est mercredi, et que mercredi n'est pas samedi. Aujourd'hui n'est pas le marché. Pas de joyeux désordre des clients qui achètent, des vendeurs qui vendent, des passants qui passent, mais des rangs serrés et des lignes droites comme dans une plantation d'ognons ; pas d'un gai brouhaha, pas d'éclats de voix, de cris ou de rires, mais des murmures inquiets; pas d'odeurs alléchantes de nourriture, ou des autres denrées , mais le parfum de la peur ; pas une foultitude d'étalages aux couleurs vives et bariolées ; mais une estrade de bois, qui rappelle la mort.
Aujourd'hui n'est pas le marché. Non, aujourd'hui est la Moisson.
Avant de nous séparer et de nous diriger moi vers la file des garçons, elle vers la file des filles, Felicity et moi nous nous serrons la main, comme tous les ans, à chaque année qui passe un peu plus nerveusement. Cette année encore plus que les autres. Cette année, je vois mon nombre de tessaers se démultiplier de façon insensée. Cette année elle voit une sœur de plus avoir son nom parmi ceux des possibles victimes de l'Arène.
Bean monte sur l'estrade, suivi du seul vainqueur que n'ait jamais eu notre district, Hector Haminsch, puis d'Emilie Tankers, l'hôtesse de notre district, celle qui tire le nom des futurs victimes des Jeux. Comme tous les ans, le futur mentor s'assoit sur un côté, un peu en retrait, là où devraient normalement se tenir les deux mentor de l'année, et au moins quelques autres anciens vainqueurs, tandis que Bean s'installe devant son pupitre, prêt à lire, comme tous les ans son interminable discours, que personne n'écoute, illustré d'images projetées sur des écrans situés derrière l'estrade et autour de la place que personne ne regarde. Emilie Tankers se tient à côté de lui, comme tous les ans, offrant un immense sourire, toujours le même depuis des années, à une foule dont le visage exprime plutôt la tristesse, la peur ou la colère, mais qui ne lui rend pas, et ne lui rendra jamais ce sourire démesuré. Sa tenue est peut-être la seule chose à changer d'une année sur l'autre, bien qu'elle reste toujours typique des quartiers riches de Panem, quelque peu clinquante, un brin extravagante, et probablement si chère que sa vente pourrait assurer le couvert à une famille des districts pauvres pendant un an. Cette année, la jument au pelage impeccablement blanc a revêtue une longue robe de soie pourpre. Un décolleté en V est mis en valeur par de la dentelle, pourpre également. Elle a teint certaines mèches de sa crinière en pourpre et en violet et y attaché des centaines de petits papillons argentés. Je dois avouer que cette année, l'effet est plutôt réussi. Je me souviens que l'année dernière, elle était vêtue d'un horrible ensemble jaune canari, et elle avait un affreux petit galurin de la même couleur. Et surtout, elle avait des paillettes dorées absolument partout sur le visage, les pattes et le cou, bref, tout ce qui dépassait de la jupe et du corsage. Les modes du Capitole sont parfois surprenantes.
Ma réaction aussi doit être surprenante. Ici, la plupart des gens ne regardent la robe de l'hôtesse en pensant seulement deux choses : qu'il est inadmissible d'exhiber des vêtements si couteux face à des gens si pauvres qu'ils meurent de faim, et que le pourpre de la robe est la couleur du sang de leurs enfants, qui bientôt teintera l'Arène. Mais il est toujours plus drôle de regarder la robe de l'hôtesse de district que d'écouter une énième fois Bean et son discours, en pensant qu'on va peut-être mourir dans quelques jours.
Au bout de ce qui me semble des heures, ce discours doit être volontairement long pour laisser les éventuels tributs s'angoisser le plus longtemps possibles avant d'être, à l'exception de deux d'entre eux, libérés de leurs craintes, du moins jusqu'à l'année prochaine, l'interminable baratin de Bean s'achève sur ses mots : « Et j'espère, au nom du district 15 tout entier, que cette année enfin, les... euh, pardon, le vainqueur du district amènera l'un de nos valeureux tributs vers la victoire ! ». Phrase, dont il ne pense pas un mot, mais qui est un moyen de faire remarquer à Hector Haminsch qu'il est un incapable, et qu'il ne sait pas remplir correctement son rôle de mentor. La haine entre l'ancien vainqueur et le riche fermier date, dis-t-on, de leur première rencontre, alors que le prédateur n'était pas encore parti aux Jeux, et s'est depuis accentué au fil des ans. Comme Bean et moi, d'ailleurs. Cette phrase est aussi un moyen de rappeler aux habitants du district que les tributs choisi n'ont aucune chance de revenir. Cette année, elle prend pour moi un sens tout particulier. Bean le sait, et du haut de l'estrade me regarde, méprisant et hautain. Je lui rends son regard, l'affrontant visuellement, fier et déterminé, déterminé surtout à ne pas me laisser impressionner.
Bean laisse ensuite le micro à Emilie Tankers, qui récite à son tour un « petit discours » d'une vingtaine de minutes, identique chaque année, et que personne n'écoute, et surtout pas moi. Lorsque retentissent enfin les mots « Joyeux Hunger Games ! Et que le sort vous soit favorable ! » , l'assemblée entière semble se réveiller, et fixe l'hôtesse d'un œil anxieux : le moment de vérité est arrivé.
La jument s'avance vers l'énorme boule de verre qui contient le minuscule papier, perdu au milieu de tous les autres, qui enverra bientôt l'un entre nous à la mort. Malgré mes efforts, je ne parviens à faire taire cette voix menaçante qui répète sans cesse dans mon esprit « N'oublie pas qu'il y en a 225 a ton nom. ».
Ca y est. Elle sort un papier. Elle le déplie avec une lenteur calculée, et lit le nom.
-Georges Fox !
Je respire, enfin soulagé. Tout va bien, ce n'est pas moi, Bean a échoué, je ne vais pas partir. La présentatrice répète une deuxième fois le nom, sans que personne ne la rejoigne sur l'estrade. Je pleins de tout mon cœur le malheureux choisi, tant de l'avoir été, que de ne pas se présenter immédiatement : il risque des ennuis avec les pacificateurs, et son hésitation, quoiqu'inspirée par un désespoir et des craintes plus que légitimes paraitra lâcheté aux Alzariens. Il perd ainsi d'éventuels sponsors, qui auraient fort bien pu lui sauver la vie dans l'Arène, bien que, pour n'en point mentir, les sponsors sont, ce n'est un secret pour personne, pas quelque chose de très nombreux pour les pauvres hères du dernier des districts.
L'hôtesse répète une troisième fois le nom. Je supplie le pauvre type de se dépêcher, ne pas venir de lui-même d'infléchira pas l'inévitable. Soudain je reçois un léger coup de coude dans les côtes de la part de mon voisin, un jeune coyote, que j'ai déjà croisé à la Planque. Je mets un temps avant de comprendre, mais rapidement la réalité me revient en pleine figure.
JE m'appelle Georges Fox. JE viens d'avoir 16 ans. JE suis un renard roux, Vulpes vulpes en latin. MON nom a été tiré. JE suis, par un hasard qui n'en est pas un, le tribut masculin de mon district aux Hunger Games cette année. JE vais partir. JE vais mourir. Adieu.
Je monte sur l'estrade.
Ce qu'en disait Felicity :
NOooooooooooooooooooooon !!!!!!! Je sens mon cœur se briser en des millions de petits morceaux.
Bean a réussi. Georges a été choisi. Georges va partir. Georges va mourir. Bean a gagné. Il a gagné. Georges va mourir, c'est inéluctable. La seule chose qui pourrait le sauver, ce serait la présence d'un volontaire. Il n'y en aura pas. Il est un garçon, je suis une fille. Je ne peux pas me présenter pour lui. Et personne d'autre ne le fera. Personne dans le 15, dont un seul tribut est jamais revenu des Hunger Games autrement qu'immobile à jamais entre quatre planche, personne ne se porte jamais volontaire. Bean a gagné, Bean a tué Georges aussi sûrement que s'il lui avait planté un couteau dans le cœur.
La jument s'avança ensuite vers l'autre boule, celle qui contenait le nom du tribut féminin de l'année. Sa patte, ou plutôt un son sabot tâtonna un long moment avant d'en sortir le minuscule papier. Au moment où elle s'apprêtait à le lire, un coup de vent lui arracha. Il s'envola ainsi qu'une feuille morte au-dessus de la file des filles, et vient se poser, comme par un signe du destin, juste devant mes pieds. Un silence de mort planait sur l'assistance. Je me baisse, le ramasse, et le tend aussitôt au pacificateur, qui se tient juste devant moi, qui me l'arrache sans un mot. Mais j'avais eu le temps de lire un nom.
Ce n'est pas le mien. C'est celui de Ash Wilde.
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