La chambre froide


La boîte blanche, aux murs plus lisses que l'eau, angoissait fortement Maddie Smith. Elle n'avait jamais apprécié les petits espaces et cette chambre, cette cage, la ramenait à une autre chambre blanche, une qui avait accompagné certaines heures les plus noires de son enfance. Elle fit brusquement volte-face, et s'assit avec ses camarades, le cercle de prisonniers ainsi complété, ils se regardèrent, l'air entendu. La situation était grave, il leur fallait un plan. Ignorant divinement le petit homme à l'embonpoint prononcé ayant la fonction de gardien, Maddie déclara le conseil de guerre ouvert :

"- Ok, les gars...là, ça craint !
Les autres acquiescèrent avec un mouvement de tête identique.
- Le gardien a pas l'air très fûte-fûte, pointa Max avec raison.
Hank s'ofusqua devant tant de préjugés.
- Je crois qu'il t'entend, tu sais !
- Attends, on parle d'évasion et il ne dit strictement rien !
- Bon ok...
- Alors ?
- Ok, d'accord, il est pas super malin ! soupira Hank.
- Voilà !
- Mais c'est pas une raison !
Seul le silence lui répondit, avant d'être brisé par une proposition intéressante.
- On pourrait peut-être être le retourner ? avança prudemment Polanski.

Les autres regardèrent le docteur comme s'il venait de produire l'unique idée sensée de son existence, avant qu'une petite voix n'intervienne.

- Comme une crêpe ?
Hugh se tourna vers l'auteur de la réflexion.
- Désespérant, Monsieur le gardien...Je parlait de vous manipuler pour que vous nous aidiez !
- Oh... d'accord ! Je vois ! sourit bêtement le bonhomme.
- Il est carrément stupide ou c'est moi?
- Ouais, T'as raison Max...il est peut-être complètement abruti, mais ça peut nous servir ! confirma Maddie, ses yeux brillants d'une lueur inquiétante."

À plusieurs mètres de là, Roméo et Jimmy découvraient avec horreur la salle d'interrogatoire. Un cauchemar ! C'était un cauchemar, ça ne pouvait être que cela. Les garçons pénètrent dans l'arrière-salle de la boucherie, celle qui servait à préparer la viande atterrissant jadis dans leurs assiettes. Pendant que leur tortionnaire, tel un guide touristique, établissait l'inventaire de tous les ustensiles, plus coupant les uns que les autres, qui meublaient la pièce d'une blancheur éblouissante.

Jimmy n'appréciait pas du tout la visite, il aurait grogné avec inquiétude, pour peu que sa muselière rende cela possible. Roméo, lui, décida qu'il serait végétarien, dès maintenant et jusqu'à la fin de ses jours. Ironique pour un zombie, mais après tout, aucun d'entre eux n'avait tenté le régime plante verte, avant aujourd'hui !
Pendant que leur imposant tortionnaire plaçait consciencieusement ses outils, les deux jeunes hommes nouèrent un dialogue silencieux :

"- L'enfer est pavé de carreaux blancs, si j'avais su... Pensa Jimmy, circonspect.
Roméo ne pu s'empêcher de pouffer mais le tortionnaire, trop occupé à fredonner, ne l'entendit pas.
- Et l'autre ballerine qui chante...Tu te rends compte ?! On va se faire tailler par un rat d'opéra...'fin surtout un rat, mais bon ! repris Jimmy sur le même ton désintéressé.
- Jimmy, arrête ! T'es con, si on le met en colère, il va être encore pire !
- Roooh... ça va ! Il nous entend pas !
- Ouais, mais tu me fais rire et je ne pense pas qu'il apprécie ! Faut trouver un moyen de sortir d'ici avant qu'il nous..."
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase car le fou en question venait de choisir ce moment précis pour se retourner vers ses proies.

Sourire inquiétant et regard brillant, le tortionnaire se rapprochait dangereusement des prisonniers. Les deux garçons auraient bien voulu que la scène se déroule derrière un écran mais malheureusement ce n'était pas le cas. Le tas de muscles souleva Jimmy, suivi de Roméo, pour les pendre par les pieds à deux cros de boucher ! Les garçons découvrirent le monde autrement : ils tourbillonnaient sur eux-mêmes et leur bourreau marchait au plafond, cela aurait pu être amusant, si ledit bourreau n'avait pas choisi de se présenter à cet instant.
D'une grosse voix impérieuse il déclara :

"- Je suis le Capitaine Barrrb !
- Barbe quoi ?
- Barb tout court, imbécile ! accompagna-t-il d'une claque retentissante sur la personne de Roméo Swather.
- Oulà...ben v'là autre chose...On entendrait presque les courant d'air qui passe dans sa p'tite tête de rat !
-..."

Ce n'était qu'un grognement suivi d'un rire de Roméo. Mais c'était assez pour que Barb comprenne que ce n'était pas un compliment, assez pour qu'il se retourne vers Jimmy, écumant de rage.

BLAM !

Jimmy crachota, il venait de réaliser dans la douleur que ses pensées lui avaient échappées. Un second coup de ranger vint se loger au creux son estomac, provoquant un affreux gargouillement. Jimmy comprit avec horreur que sa phrase lui serait certainement plus fatale que toutes celles qu'il avait pu prononcer au cours de sa courte vie.

Roméo tenta de détourner l'attention de Barb, au risque de se faire taillader ou de perdre quelques bouts, il en avait l'habitude. De toute façon il ne craignait rien, ses nombreuses mésaventures lui avaient permis de tirer une déduction particulièrement utile dans la présente situation : il ne ressentait plus la douleur. Dans les moments où une séance de couture s'imposait, il avait réfléchi et supposait que seul ses organes vitaux avaient été conservés.

D'avant en arrière, Roméo se balançait tout en regardant son ami se faire implacablement réduire en bouillie. Les mouvements incessants de l'adolescent provoquaient des grincements toujours plus bruyants qui finirent par agacer fortement le tortionnaire. Malheureusement, il n'eut pas du tout la réaction imaginée par Roméo. Il fit volte-face et lança un puissant coup de pied sur le jeune homme, envoyant sa tête s'écraser contre le mur. Roméo gémit quelques instants avant d'être avalé par les ténèbres et de sombrer dans un coma ouaté.

Dans la chambre froide, les négociations battaient leur plein : le geôlier adhérait promptement aux idées du groupe mais il persistait à ne pas cautionner l'évasion et le coup d'état que fomentaient les prisonniers.
Un mauvais pressentiment saisit Maddie, elle s'empressa de hâter les pour-parler. Elle saisi soudainement le geôlier et le porta à son visage :

"- Écoutes-moi bien : tu ne pourras pas ramper toute ta vie...tu as une famille ?
-...Ou...oui... fit-il en tremblotant.
- Parfait...Tu ne peux pas les laisser vivre avec les fous qui règnent sur les rayons de ce supermarché ! Révoltes-toi, aides nous et on te donnera la possibilité de recommencer, tu pourras refaire le système de votre mini-royaume ! Tu seras un Leader !
- De quoi ?!
- J'ai dit : TU SERAS UN LEADER ! rugit-elle.
- Mais... pourquoi moi ?!
- Mais on s'en fout ! Je t' en pose, moi, des questions ?! C'est comme ça : on doit sortir, t'es là, tu fais ce qu'on te dit et tout le monde est content !
- Euh... J'essaierai ?
- Mon Dieu...quel ahuri !"

Elle le regarda comme la dernière des larves, irrécupérable, vraiment ce type était désespérant. Elle mit fin au négociations, annonça que toutes les parties était d'accord et , après que le bonhomme eût ouvert la porte, elle poussa ses camarades hors de la chambre froide. Le groupe s'élança en se dispersant dans les couloirs, Maddie, Hank et le geôlier, d'un côté ; Max et Hugh, de l'autre.

Malgré son état, étrangement, les pensées de Jimmy parvenaient encore à Roméo. Il sentait la haine de son ami bouillir à la surface de l'esprit. L'acidité des pensées qui traversaient le cerveau de Jimmy aurait pu rivaliser avec le vinaigre le plus fort, et chaque coup envenimaient la situation. Jimmy dérivait, lentement mais sûrement, vers un point de non-retour.

Ce que Roméo percevait se limitait à ce que Jimmy ressentait, il n'entendait rien et ne voyais pas. Mais il savait. Il sentait la violence des mots que Barb lançait contre Jimmy, son ami semblait perdu dans la tempête, se prenant les vague de plein fouet.
Puis un mot creva la surface. Monstre! L'unique mot gonfla jusqu'à prendre une place démesurée dans l'esprit de Jimmy. Il résonnait même dans les plus petits recoins, au fin fond du moindre espace. Enfin, le sentiment le plus atroce et violent que Roméo Swather n'ait jamais sentit envahit l'esprit : une envie de mort !
Jimmy hurla, il tira sur ses chaînes jusqu'à les briser. Roméo tenta un contact "Non...Non ! Jimmy, ne fait pas ça ! Nonnonnonnon...Nooooooon !". Il fut repoussé violemment par un Jimmy devenu fou ; c'était effrayant, il grognait et bavait en se démenant comme un diable.
Le pire arriva, le non-retour. Jimmy rugit et sauta sauvagement sur son agresseur, il mordit froidement dans la chair, révélant une nature monstrueuse.

Les cris parvinrent jusqu'à Maddie Smith, qui accéléra le pas et se mit à courir le long du corridor, sous les indications du gardien qui haletait. Elle dérapa au coin d'un couloir et sema ses compagnons en se lançant dans un sprint effréné.

Maddie surgit dans la pièce. Le spectacle était désastreux, du sang maculait le carrelage, Roméo tentait de retenir Jimmy et l'homme, la face écrasée au sol, se relevait lentement.
Hank déboula, le  geôlier juché sur les épaules ; à la vue du sang il s'effondra, inconscient, en laissant bruyamment tomber son chargement.
Un effroyable grognement ramena Maddie à la situation, la victime se traînait dangereusement vers elle. Son sang ne fit qu'un tour, elle dégaina et tira froidement à travers le crâne du zombie. Barb retomba mollement et Maddie se tourna vers Roméo et Jimmy. Les yeux de la jeune fille laissait présager l'orage, la tornade sur le point de déchirer l'espace. Jimmy eût la mauvaise idée de grogner...cela déclencha la fureur de Maddie ! Elle leva de nouveau son arme, mais cette fois, elle dirigea le canon sur ses compagnon. Le coup partit sans hésitation, Roméo se jeta à terre, emportant Jimmy dans sa chute. La balle se logea juste à l'emplacement précédent de sa tête. Jimmy se calma instantanément, et se recroquevilla à même le sol, enfouissant la tête entre ses genoux. Roméo, voyant son ami dans un état second et prenant conscience des événements, se redressa et bondit sur Maddie. Ils se précipitèrent dans une chute, violemment stoppée par le carrelage. Roméo arracha le pistolet des mains son amie et lui hurla à la figure, rouge et crachotant :

"- MADDIE ! MADDIE SMITH, C'EST MOI, ROMÉO !
- LÂCHE MOI ! Je sais qui tu es, je vais très bien !
- Tu vas bien ?! Tu tires sur tes amis ?! Je te connais ! T'es pas une meurtrière, tu ne tues personne!
- TU NE SAIS RIEN ET TU NE ME CONNAIS PAS ! Tu ne sais pas qui je suis !...elle reprit son souffle.
- Écoutes... Maddie je...
- Tais-toi !...et laisses moi faire ce qu'il faut.
- De quoi ?
- Laisses moi me relever.
- Tu dois faire quoi ?
- Tuer Jimmy. On a tué un des leurs, ils voudront une compensation.

Roméo ouvrit la bouche...la referma et se décida finalement, sous le regard perçant de Maddie.

- Ce ne sont pas des animaux.
- Si on laisse Jimmy en vie, ils n'hésiteront pas. Soit on attend qu'ils trouvent le corps et ils nous trucident tous...
-Soit ?
- Soit on les tue avant qu'il le fassent. Maintenant, laisse-moi faire...
- Non.
-Non ? Si tu veux crever, c'est pas mon projet d'avenir ! On doit les tuer avant qu'ils se rendent compte de ce qu'on a fait !
- ON PEUT PAS FAIRE ÇA ! Y'a une autre solution, y'a forcément un autre moyen...
- On est coincé...
- NON ! Je sais, on va les capturer par surprise !
- Et après ? Ils mourront en cage ?
- Après on négociera.
- Je te préviens, le moindre signe de révolte et c'est pas de pitié...je tirerais, ils ne nous toucherons pas, même pas en rêve."

Le silence plana quelques instants, le temps que les deux adolescents se jaugent du regard. Roméo Swather hocha la tête ; Maddie Smith pu se relever, elle tourna les talons et franchi la porte. La tête haute, l'air sombre et déterminé, elle savait que ce qui avait eu lieu était important et qu'aucune marche arrière n'était envisageable, elle avait la permission de tuer.

Roméo avait rejoint Hank, qui émergeait à peine, puis ils étaient partis à la recherche du reste du groupe. Le véhicule et les provisions devaient être remis en état, le groupe franchi discrètement la porte de secours menant au parking. Roméo fermait la marche, un coup de feu retentit, il tressaillit : Ça avait commencé.
Pendant qu'ils s'activaient, Roméo réalisa l'horreur de sa décision. En quelques minutes, il avait choisi de donner la mort à de parfaits inconnus. Impardonnable, qui était-il pour les juger ? Il se consola en se disant que c'était de la légitime défense. "Eux ou Nous, pensa-t-il avant de se raffermir, On a pas eut le choix."

Près de trois heures plus tard, le véhicule était prêt, le peuple du supermarché regroupé dans les chambre froide et le Leader mort.
Quelques lieutenant et le bras droit du Leader avaient aussi trouvé leurs places sur un gigantesque brasier, aux côtés de leur chef. Max et Hugh encadrèrent l'ex-gardien devenu Leader. Il lui firent comprendre que l'avenir de la colonie pesait sur lui et que le groupe ne seraient jamais bien loin, l'homme hocha vivement la tête, signe qu'il avait saisi la menace. Ils donnèrent pour consigne de n'ouvrir la chambre que lorsque la forteresse à roulettes aurait quitté le parking, une nouvelle fois, l'homme acquiesça. De toute façon, le risque était inexistant, personne n'irai les poursuivre au delà des murs pour venger des tyrans fous.

On leur ménagea une brèche dans le gigantesque mur d'enceinte et la forteresse roulante fila sur la route, s'enfonçant dans la ville en longeant un large fleuve.
Roméo avait récupéré Maddie, à proximité des chambres, dans un état quasi léthargique. Elle était fermée. Il réalisa, avec beaucoup trop de retard, c'était évident, qu'il n'aurait jamais dû la laisser faire ce qu'elle pensait être son devoir. Elle était certes, la seule à savoir réagir dans ce type de situation extrême mais elle n'avait que quinze ou seize ans. Il était déjà mystérieux et effrayant qu'elle sache tirer et plus encore, tuer.
Alors, lorsqu'enfin,elle fondit en larmes et se laissa aller contre l'épaule de Roméo,il ne dit rien. Max, au volant s'appliqua à ne rien voir, les autres dormaient. Roméo passa la main dans les longs cheveux bruns de Maddie, les larmes perlaient aux coins de ces yeux bleus qu'il trouvait si beaux. Ces mêmes yeux qu'elle ferma , les gouttes salées sillonnants toujours les joues de la jeune fille, lorsqu'elle s'endormit. Roméo ne parvenait pas à savoir si elle pleurait ses victimes ou si elle pleurait pour elle-même, toujours était-il qu'elle dormait sur son épaule et qu'ils filaient loin de ce cauchemar, vers d'autres endroits inconnus.

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Salut,
Chapitre plutôt sombre et surtout très long, retard oblige ! ;) À bientôt pour le prochain retour aux pays des Zinzins !😸

(2389 mots quand même ! N'est-ce pas crumbleb)

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