Chapitre 8
C'est au pas de course que nous rejoignons le réfectoire. Le commandant mène la troupe, tandis que ses deux soldats couvrent nos flancs. À mes côtés, Lee, Arkan, Marius et Théodore suivent le rythme, les poumons comprimés. Iris et Eliot talonnent les professeurs tandis que Roxane, Lucia et Raphaël nous devancent.
Je prends garde à ne pas jeter un seul regard vers l'arrière, trop inquiète d'y voir se dessiner la silhouette d'une masse de monstres affamés.
Nous passons les grilles, le souffle court. Le soleil, si calme, observe notre course perché sur ses nuages gris. Les vents se sont calmés et chantent un affreux silence de mort. Ce même silence que j'avais tant plaisir à écouter avant aujourd'hui, sur mes heures libres. Ce même silence que désormais je n'entenderai plus jamais de la même façon.
Cette pensée m'arrache un haut-le-coeur, et je serre les poings. C'est une pensée bien dramatique, qui n'a pas la moindre logique.
Nous atteignons enfin le seuil du réfectoire. Mais tandis que je me presse sur la porte, les soldats se recroquevillent, tirent leur arme et se faufilent au pied des fenêtres. En un bref coup d'œil, le périmètre est sécurisé et Derel a l'autorisation d'ouvrir. Il tourne son trousseau dans la serrure, tire la poignée et nous nous précipitons à l'intérieur.
Roxane tombe sur la première chaise venue et, très vite, le reste du groupe l'encadre. Ryan s'accoude au mur, surveille les alentours, tandis que ses collègues, accompagnés de Lee et des professeurs se dépêchent aux cuisines. Je les suis quelques secondes du regard, inquiète, jusqu'à ce que leurs talon disparaissent dans l'encadrement de la porte battante, marquée d'un hublot. Les cuisines se situent à l'arrière du réfectoire et donnent un accès direct aux réserves, ainsi qu'au parking. Je ne sais pas ce qu'ils espèrent y trouver, mais mon avis demeure le même. Ces excursions sont pour le moins inutiles. Puisque dans quelques heures, les secours viendraient prendre les malades et nous assurer que tout cela n'est qu'un héritage de la rage ou je ne sais quel autre pathogène.
Je m'assoie sur la table, anxieuse, et échange un regard avec Théo. Ce dernier n'a pas dit un mot depuis bien longtemps.
— T'en fais pas, je lui souris, bien que moi-même peu convaincue par mes paroles. Demain, tout sera réglé.
— C'est des zombies, répète Ryan, visiblement exaspéré. Demain ils seront le double d'aujourd'hui. Ou vous serez tous morts.
Je le fusille du regard :
— Les zombies n'existent pas.
Il fait un pas dans ma direction, pointe le couteau sur ma poitrine et arque un sourcil :
— J'ai plus d'expérience que toi, tu te rappelles ?
Les autres observent notre échange, confus.
— Je crois que les zombies existent, murmure Roxane, prise d'un frisson. C'est forcément ça.
Arkan hausse les épaules, le regard dans le vague. Peu semblent avoir un avis sur la question, malgré l'évidence de la réponse.
— C'est impossible ! j'insiste, solide sur mes arguments. Tout simplement parce que les zombies n'existent que dans le cinéma, et pour une raison très particulière.
Ceux qui se désintéressaient du débat coulent un regard dans ma direction, alors curieux. Arkan et Marius m'encouragent à poursuivre d'un mouvement de menton. Je ramène mes jambes en tailleur sous mes fesses, pivotant vers Ryan :
— Les zombies ont été créés pour dénoncer la société de consommation, les modes. George Romero le premier.
Ils battent des paupières, perplexes, et la frustration me gagne :
— C'est celui qui a créé les zombies qu'on connait aujourd'hui... même quand ils sont morts, ils vont vers les supermarchés, les centres commerciaux. Ça a été beaucoup repris. Enfin bref. Vous voyez le tableau ? Comment est ce qu'ils pourraient exister alors que c'est nous qui les avons créés pour dénoncer les défauts de l'Homme ?
Ryan recule, l'ombre d'un sourire aux lèvres, tandis que le silence plane sur le groupe. Je les dévisage un par un, priant pour qu'ils cernent l'incrédulité de notre situation.
— Ils nous font peut-être un Truman Show ? propose Derel, caché au coin de la pièce, guettant par la fenêtre.
Je hausse les épaules. Dans un sens, j'espère que cette blague est vraie. Cela changerait bien des choses.
L'écho des pas de Lee et des autres nous parviennent alors. Ils déposent sur une table leurs trouvailles, qu'ils se pressent de trier.
— Faites gaffe, nous souffle Lee en tombant à nos côtés. Y avait des marcheurs aux cuisines.
J'arque un sourcil :
— Des marcheurs ?
Il hausse les épaules :
— Des marcheurs, des monstres... des zombies, quoi.
— Du coup, intervient Marius, un pâle sourire aux lèvres, là ça serait plutôt des coureurs...
Je passe deux mains dans mes cheveux, reprends mon souffle du mieux que je peux. Je dois me concentrer sur mes idées. Les zombies ne peuvent exister. Les zombies ne peuvent exister...
Je jette un œil à la table où ils ont déposé le matériel trouvé et plisse les yeux, médusée. Il n'y a là que quelques boites de conserves et une dizaine de couteaux de cuisine. Et je ne suis pas certaine que nous puissions en utiliser un. Le simple fait de tenir l'arme blanche brandie dans ma paume, prête à trancher la gorge d'anciens amis, me fait vaciller. L'irrationnalité pèse sur mes épaules, appuie sur mon cœur et m'empêche de respirer. Désormais, seul le mot "impossible" tonne dans mon esprit. Puisque cela ne peut être que ça. Impossible.
— Eh, me souffle Iris, qui s'asseoit à mes côtés. Ça va ? Tu tiens le coup ?
Je hausse les épaules. Les larmes tentent une nouvelle fois de se frayer un chemin jusqu'au coin de mes yeux. Ceux de mon amie semblent avoir déjà trop pleuré.
— Iris... je murmure d'une voix rauque. Tu crois que j'ai raison ? Tu crois que ça va s'arranger, que les zombies n'existent pas ? Qu'on retournera à l'école demain ?
Elle laisse son regard traîner quelques secondes au fond du mien. La lueur bleutée de ses iris s'est soudain ternie.
— J'espère, Lily. J'espère vraiment.
— Au moins on est encore vivant, soupire Eliot, qui nous rejoint.
Au pied de notre table, avachi sur sa chaise, une grimace naît sur le visage de Théodore. "Pas pour longtemps", dit-elle. Arkan et Marius, face à lui, se sont envolés vers une autre planète et demeurent aussi immobiles que des pantins de porcelaine.
— Marius, souffle Roxane, qui n'a toujours pas fini de pleurer, Marius !
— Hum ? grogne-t-il sans pour autant esquisser le moindre mouvement.
— Et Sophie, hein, Marius ? Comment je fais pour savoir si elle est en vie ?
Sophie, lycéenne de terminale dans un établissement voisin, est en effet la jumelle de Roxane.
Mon cœur manque alors un battement et j'écarquille les yeux, la paume plaquée sur la bouche. Ma famille. Mon frère, ma sœur, ma meilleure amie.
Les vertiges m'attrapent les épaules, jettent des tâches noires sur mes yeux vitreux. Sont ils morts, à l'heure qu'il est ? Truman Show ou non, cela n'a désormais plus d'importance. La réalité a révélé son véritable visage et me sourit à pleines dents. Aucune famille ne survit jamais à une apocalypse sans perdre plusieurs de ses membres en cours de route. C'est inéluctable.
Mon regard dérive aux fenêtres, glisse sur les branches des arbres qui dansent dans le parc. C'est impossible et pourtant, ça l'est soudain. Suis-je plongée en pleine apocalypse ?
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