Chapitre 29

L'écho de hurlements lointain tonne contre les murs fissurés, tapissent le plafond de lierre et de pierre pour s'en aller au ciel, qui se fait si clair, si pur pour un tel jour de mort. Je ne sais dire s'il s'agit des miens où de ceux des coureurs, qui rugissent toujours dans nos souvenirs. C'est tout comme s'ils étaient là, aux portes de cette vieille maison abandonnée, et ne nous avaient jamais perdus. Je bats des paupières, et mon faible souffle balaie les poussières au sol. Ma tête repose sur mon sac, tandis que mon manteau me sert de couverture. Là, sous mes yeux, le corps d'un pistolet endormi repose. Dans ce silencieux tableau qu'est notre refuge, lui seul scintille à la lumière du soleil. Drôle de paradoxe que celui-ci.

J'émets une quinte de toux, ne grimace même plus sous la douleur des points à ma taille. Iris les a maladroitement cousus ; du mieux qu'elle a pu, du moins. Entre mes coups, mes hurlements et sa nervosité. Sa peur. Son angoisse. Celle que nous partageons tous, et qu'elle a eu le courage de braver ; ce que je n'ai pu faire.

Heureusement, il demeure un peu de chaleur ; Lee ronfle à mes côtés, mène un orchestre de respirations synchronisées. Seul Marius ne s'y prête pas. Il monte la garde, pendant que nous nous réfugions dans un monde de paix et de sérénité. Ce monde qu'autrefois nous connaissions. Dans quelques heures, tout cela s'achèverait. Lee se réveillerait. Il faudrait alors parler de l'essence. De la carte. D'antibiotiques. D'armes. De provisions. De matériel. Et puis je ne sais quel autre chose que Lee trouverait utile à notre survie. Lui et les autres avaient d'ailleurs remporté leur première bataille : celle de me convaincre de la réalité des évènements. Désormais, je sais que les choses ne mentent pas. Que l'apocalypse, même si cela demeure insensé, est réelle.

A ce stade, la meilleure chose à faire est ainsi de laisser notre meneur improvisé croire en ses stratégies de survies. Après tout, il s'y connait mieux que chacun d'entre nous. De plus, il est peu de dire que nous n'aurions pas survécu sans lui. En plus d'avoir un instinct vif et une insensibilité effrayante, Lee s'est révélé être un adepte du combat aux planches de bois.

Je me redresse sur mon oreiller de fortune, étire une légère grimace. Le plus silencieusement possible, je me glisse hors de la pièce, mon manteau sur les épaules, et cherche notre veilleur du regard. Je l'aperçois aux pieds du 4x4, qui balaye les champs d'une mine lasse.

— Marius ? je souffle, pour éviter de réveiller les autres.

Je relève les yeux dans ma direction et esquisse un sourire fatigué, qu'il veut probablement rassurant :

— Ca va mieux ?

Je hausse les épaules, m'assois à ses côtés et serre ma veste sur mes genoux, que je ramène contre ma poitrine malgré la douleur.

— T'as vu quelque chose ? je demande plutôt.

C'est à son tour d'hausser les épaules :

— Rien, nada. Pas une voiture.

Un frisson m'hérisse l'échine.

— T'as réussi à dormir un peu ?

— Pas du tout, je soupire, pourtant exténuée. J'ai trop peur pour dormir.

Il me jette un regard doux :

— Il t'arrivera rien, ici.

Je plonge mon regard dans le sien et les larmes se glissent au coin de mes yeux :

— Je n'ai pas peur des coureurs, Marius. J'ai peur de ce que je vais découvrir en me réveillant. Peur de ce que je vais voir en rêve. Peur de me réveiller dans le passé, et découvrir que rien n'est vrai, que le seul et unique présent, c'est celui-ci.

Il me fixe un instant, et ses yeux bleus se chargent à leur tour de larmes. Mais il finit par reporter ton attention sur les landes et leurs herbes folles, silencieux. Que peut-il répondre à ça, après tout ?

— Et toi ? je souffle, tout en l'imitant. Pourquoi t'as pas voulu dormir et laisser la place ?

Il prend quelques secondes avant de se décider. Il émet alors une quinte de toux puis soupire :

— Lily, je sais que c'est pratiquement impossible. Mais je sens que Roxane est en vie. Et je l'ai laissée là bas, toute seule.

Un sourire désespéré fend ses lèvres :

— Je l'ai abandonnée.

Je ne sais que dire non plus. A vrai dire, il n'est pas seul responsable. Nous avons tous abandonné Roxane. Mon coeur se serre. Mon amie est-elle toujours vivante ? Serait-ce au moins possible, ou réaliste, de le supposer ?

J'émets une quinte de toux et lui glisse en cou de coude dans les côtes, histoire de changer de sujet :

— Au moins on aura vu le vrai Lee, hum ?

Il écarquille de grands yeux qui miment le choc à la perfection et plaque une main sur sa bouche tandis que j'éclate de rire :

— C'est un killer pro ! j'assure, hilare.

— Moi j'dis à tout moment il nous sort une mitraillette de sa poche, renchérit-il, l'air faussement sérieux.

Nous calmons notre fou rire au bout de quelques minutes, avant qu'il ne me jette un regard lourd de sous-entendu :

— Sinon, quand est-ce que vous allez sortir ensemble ?

— Qui ?

Il lève les yeux au ciel, exaspéré, et mine les puissantes rafales d'une mitrailleuse en action.

— Le psychopathe qui joue d'la trompette en dormant, me sourit-il.

— Lee et moi ?

Même mes mots peinent à le croire tant que la chose est surréaliste. Plus encore que l'apocalypse ? fait une petite voix moqueuse au creux de mon oreille. Evidemment que ça l'est.

— On est juste amis, je pouffe. Et encore. Faut que j'arrive à le supporter.

  Marius affiche une moue peu convaincue :

— Arrête de mentir. Parmi nous tous, c'est avec lui qu't'a été amie en premier. Tu sais, à l'époque, quand tu supportais pas Iris et Arkan.

Un sourire grandit sur mes lèvres gercées :

— Je me souviens.

Puis, je secoue vivement le menton négativement et lève un doigt menaçant devant son visage ;

— Mais y aura jamais rien entre Lee et moi. Jamais.

Et tandis que nous reportons notre attention sur les champs alentours, une grimace naît sur mon visage :

— Lee et moi ? Pouah, Marius, non...

— C'est super méchant, pouffe-t-il en retenant à grande peine un rire au fond de sa gorge. Pauvre Lee.

— Non mais c'est pas contre lui, juste... non...

Il opine doucement du nez, signe qu'il a compris, et le soulagement libère l'air comprimé de mes poumons. Je ne souhaite pas créer de malentendu au sein du groupe, en particulier sur un tel sujet. Je n'ai aucun sentiment pour Lee. Et puis, quels idiots nous serions à nous disputer sur un tel quiproquo en pleine apocalypse.

Je déglutis : un instant, j'avais presque oublié l'existence des "zombee", comme les appelle si bien mon père. J'avais presque oublié qu'à l'heure actuelle, nous sommes coincés en banlieue parisienne, sans essence pour fuir, sans carte pour nous repérer. Que les coureurs dévorent les rues et chaque vie qui s'y trouve. Que l'humanité détale à toute allure droit vers sa perte.

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