Chapitre 27

Mes paupières se sont fermées d'elles mêmes sur l'épaule d'Arkan. Il ne s'agit pas que de la fatigue et de la peur, mais d'une oppression constante qui poussent à se réfugier dans les bras de l'obscurité. Je plains Théodore, qui ne peut lâcher la route du regard. Il nous entraîne le plus loin possible, au cœur d'une campagne inhabitée et sauvage. Enfin, je l'espère. Touver une parcelle de terre vide de vie humaine est chose rare, en bordure de Paris.

Mais chaque fois que l'horizon se peint de couleurs artificielles, de tuiles humaines, nous opérons aussitôt un demi-tour. Croiser la route de d'autres, morts ou vivants, est bien la dernière chose dont nous avons envie. Et puis, je sais d'expérience -de lecture et de films, soit- que les autres groupes de survivants sont parfois plus dangeureux que les coureurs. Manger est leur priorité. Survivre est leur priorité. Qu'importe s'ils doivent tuer.

Sur ce point, Lee et moi nous sommes bien vites entendus, même si Iris et Arkan persistent à croire que les humains ne peuvent devenir de tels rivaux en l'espace de quelques heures. Je suis plutôt d'avis que l'instinct de survie humain est plus cruel que celui d'un lion, plus rusé que celui d'un renard et plus violent que celui d'un hippopotame. Et je ne veux pas finir entre des crocs, quels qu'ils soient.

Alors, où roulions nous ainsi ? Sûrement dans l'espoir de trouver un espace si vide que même le vent s'y risque difficilement. Nous ne sommes certains que d'une chose : notre unique espoir réside au camp des réfugiés, en Corrèze. Cependant, nous y rendre avec en réserve un tiers d'essence, deux conserves et une lettre d'un papa effrayé n'est pas envisageable. Puisque les GPS ne donnent plus signe de vie -comme tous les engins satellites-, il ne nous reste qu'une seule solution. Une carte. Et aucun d'entre nous n'en possèdent. Personne ne court les rues avec une carte dans les poches, et ce depuis bien longtemps. Pourtant là, cela nous aurait été d'une grande utilité.

— Les gars, soupire Théo, j'ai plus que deux kilomètres d'essence.

— Faut vite trouver une solution, grince Lee, visiblement agacé.

Ma gorge se noue. Aucun de nous n'a jusqu'ici osé pointer un lieu et déclarer que nous y passerions la nuit. Cela signifie bien trop à nos yeux. Une transition directe vers la réalité, un basculement vers les jours futurs que nous ne voulions même pas entrevoir.

Je lève les yeux vers Marius, songe à Roxane, qu'il n'a pas pu sauver. Je peine à imaginer sa douleur. La mienne est déjà si grande.

— Faudrait peut-être se mettre sous les arbres ? bredouille Iris, dont les yeux rougis par les larmes scrutent le paysage.

— Je pense qu'au milieu d'un champs ça serait mieux, je rétorque, les yeux plissés.

Je suis penchée sur Lee et détaille moi aussi les images qui défilent par la vitre brisée. Malgré ma taille déchirée qui me tire et qui vomit quelques gouttes de sang séché, je me fais un devoir de chercher un abri avec eux. Et puis, y participer me rassure.

— On serait bien trop visible, au milieu des champs, conteste Marius. C'est pas logique.

— Mais au moins, on verra arriver les ennemis de loin... je soupire, une grimace de douleur au visage.

Mon flanc ne veut donc pas me laisser en paix et s'acharne à me faire souffrir. Je me redresse sur mon siège, prise de vertiges, et Arkan minaude d'une petite voix :

— Trouvons une maison abandonnée.

— Bonne idée, approuvent en chœur Théo et Marius.

Et soudain, le véhicule pile ; nous poussons un hurlement de terreur et nous écrasons à l'avant, les yeux écarquillés. Les roues crissent sur la route, le moteur crache et agonise. Le souffle me revient finalement lorsque Théo chasse les cheveux de son visage pour souffler :

— On est à sec.

— On va devoir pousser la voiture ?! geint Iris, qui se remet à peine du choc.

Quant à moi, j'aggripe ma plaie, comprime le sang pour l'empêcher de s'écouler. Comme si ça allait aider, je gronde intérieurement, frustrée. Pourtant, la peur prend le dessus sur le reste de mes émotions et empêche toute rationnalité de m'atteindre.

— Allez les gars, soupire Lee tout en ouvrant la portière. Au boulot.

Je me glisse sur le côté, mais une brutale bouffée de chaleur m'immobilise sur le siège.

— Lee, je murmure, soudain faiblarde.

Les vertiges me secouent, le monde tangue. Mon cœur comme ma respiration s'accélèrent, et mes doigts se crispent davantage sur ma plaie. Il y a du verre glissé dans ma peau. Le sang tâche mes vêtements. Pire, l'entaille s'est creusée lorsque j'ai tiré sur un zombie. Un zombie.

Mon rythme cardiaque tonne contre les paroies de mon crâne, comprime mes poumons qui souhaitent pourtant avaler le plus d'air possible. Pourquoi les molécules s'échappent elles ? Les larmes montent, la peur me tétanise et s'écoule lentement dans mes veines battantes.

— Lily ! s'écrie Arkan, à mes côtés, dont les yeux sortent des orbites.

Lee déboule dans mon champ de vision et cherche l'origine de ma douleur.

— Quoi, quoi ?! Tu t'es faite mordre ?!

Je perçois les cris étouffés du reste du groupe à l'extérieur.

— Je suis juste... fatiguée... je peine à articuler.

Ma voix se perd dans les aigus.

— Théo, Lily est blessée ! s'étrangle Marius. Tu le savais et tu nous a rien dit ?!

Le choc paralyse l'interpellé, qui me dévisage, soudain blême :

— Je... je pensais que...

— Elle fait une hémorragie interne ? souffle Iris, derrière les garçons.

L'air manque, la chaleur grimpe.

— Lily, tu devrais sortir de la voiture, me murmure Lee.

Les mouvements de ses doigts vibrent sous mes yeux, et sa voix porte un drôle d'écho sourd à mes oreilles.

— On a une trousse de soin ?! bafouille Arkan, terrifié.

— C'EST RIEN ! j'hurle, tandis que le ciel tombe, s'écroule sur mes épaules tremblantes et que je pousse ma voix le plus haut possible pour le repousser. Juste... juste une... une crise d'angoisse...

Secouée de spasmes incontrôlables, je me glisse à l'extérieur, épaulée par leurs mains inquiètes et leur mine effarée.

Là, enfin, le froid me gifle et mes poumons inspirent. Mes narines s'ouvrent doucement avant que mes lèvres ne relâchent la pression dans une longue expiration.

— Lily, souffle Iris, debout dans mon dos avec les autres. Je pense qu'il va falloir te recoudre.

Je pouffe :

— On verra.

Mon calme retrouvé, je passe deux mains encore tremblottantes sur mes paupières et pivote doucement dans leur direction :

— Pour l'instant, le déni reste. Allez, on pousse la bagnole.

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