Chapitre 24

Mes poumons refusent d'aspirer une nouvelle bouffée d'air ; ils sont si comprimés que seul le souffle rauque qui s'échappe de ma gorge indique que je respire toujours.

Et le peu d'air qui s'échappe de ma bouche grande ouverte demeure le seul bruit aux alentours ; avec ça, un léger vent plaintif traversant les ruines des bâtiments, repliés sur eux-mêmes, tels des témoins muets de cette tragédie apocalyptique. Les zombies ont chassé toute forme de vie sur leur passage, le moindre reflet d'un rire ou même d'un pleur. La mort exhibe ses cicatrices béantes, elle-même frappée par ce fléau ; violée et dépourvue de tout sens, elle a vu ces âmes qu'elle devait prendre disparaître d'un seul hurlement déchirant.

Tandis que mon pas ralentit, que je titube de fatigue, mes yeux glissent sur le paysage et mon cœur se serre. Qu'est devenu le monde que je connaissais ? Il y a encore quelques heures, tout était si paisible, si doux, si rassurant. Désormais, l'horizon semble pétrifié dans un éternel crépuscule, où les souvenirs d'un présent se mêlent à de toutes nouvelles vérités dans une danse macabre. Le berceau de mon existence entière est devenu un monde où chaque instant est une épreuve, où seuls les plus forts et les plus déterminés osent défier les caprices impitoyables du destin. Et mon esprit refuse de croire une telle chose, malgré les visions d'horreur que je dois subir à chaque nouveau pas que j'avale. Pourtant, ce ciel paré d'une écharpe sombre, brodée de fumées âcres, est une réalité que je ne peux nier ; tout comme ces veines de sang qui strient les routes, cette effluve charogneuse qui nargue le moindre de mes souvenirs désespéré.

Alors que les larmes me brouillent à nouveau les yeux, je perçois soudain un long cri, qui me tire aussitôt de cette transe à demi consciente dans laquelle je me trouve. Je me stoppe net et tends l'oreille, les yeux écarquillés. Un frisson me secoue l'échine et pour la première fois depuis ce qu'il me semble être une éternité, je me demande si j'ai pris la bonne décision en abandonnant ainsi mes amis. Puis, l'image d'Arkan détalant au croisement de la rue me revient, ravivant avec elle ma colère et mon désespoir. Il ne devait pas mourir. Il ne devait pas être changé en zombie. Je ne le permettrais pas.

Une fois de plus, des cris résonnent à travers la ruelle et d'instinct, je détale vers l'origine des sons. Qu'importe si je sens à peine mes jambes, si mes pieds ne sont que deux poids lourds et que mes yeux sont deux fenêtres prêtes à se clore sans cirer gare ; il s'agit de l'un de mes amis, que je ne peux abandonner.

Je vire à gauche, titube sur quelques gravas et me stoppe brutalement ; à une dizaine de mètres, une silhouette se dresse seule au milieu de la route. J'écarquille les yeux et le nœud se serre dans ma gorge tandis que je fonce dans sa direction. Il pivote lentement sur lui-même, comme perdu. Lorsqu'il m'aperçoit, les couleurs renaissent sur son visage et il titube dans ma direction. Nos corps se percutent violemment et je l'étreins avec force, sanglotant doucement.

— Refais jamais ça ! je gronde, menaçante, entre deux pleurs silencieux.

Le silence nous avale, où seuls les bruissements de nos larmes étouffées se murmurent dans ce vide funeste qui nous englobe.

Je fais alors un pas en arrière et fixe ses yeux baissés, les dents serrées. Mes poings se serrent, et j'envoie brusquement ma paume frapper sa joue :

— Tu n'es qu'un imbécile ! je lui crie, la voix brisée. Ne refais jamais ça !

Hébété, il frotte sa peau endolorie d'un geste fébrile et esquisse un faible sourire :

— Je ne te garantie rien, je suis d'humeur héroïque, ces derniers temps.

Une grimace de rage me monte au visage et je ne retiens pas quelques coups supplémentaires sur ses bras, tandis qu'il se protège vainement la tête de ses mains. Il réprime quelques petits cris avant de reculer, vaincu :

— Oui, d'accord, ok, d'accord ! J'arrête.

— En plus, je suis obligée de venir te chercher, après, je siffle, agacée.

Néanmoins, une vague de chaleur glisse au creux de mon ventre : je suis soulagée de l'avoir retrouvé. Qu'il ne soit pas devenu un monstre.

— Comment est-ce que tu as échappé aux zombies ? je le questionne tout en jetant un coup d'œil aux alentours, inquiète de savoir les morts-vivants non loin d'ici.

Il hausse les épaules :

— Je me suis caché sous une voiture. Au début, ils essayaient tous de m'attraper, et puis comme ça, sans aucune raison, ils sont tous partis en courant.

Je fronce les sourcils, perplexe :

— Toute à l'heure, avec...

Mais un vacarme assourdissant me coupe brusquement et d'un même geste, nous faisons volte-face ; mon cœur rate un battement tandis que mes yeux s'écarquillent. A l'extrémité de la rue, un 4x4 déboule dans notre champ de vision, dérape sur le sentier bétonné et file à toute vitesse dans notre direction. Arkan et moi réprimons un cri de terreur lorsqu'un tsunami de chair putrifiée et de sang est vomi à leur suite. Les zombies s'entremêlent, roulent et glissent les uns sur les autres à la suite du véhicule.

Je titube vers l'arrière, pétrifiée d'horreur, quand les portières de la voiture se déploient ; je saisis alors soudainement la réalité de la scène qui court littéralement sous mes yeux et m'élance en parallèle du 4x4, talonnée par Arkan. La nuque dévissée vers l'arrière pour anticiper les mouvements du véhicule, je livre une course folle contre la peur qui semble vouloir me tirer vers l'arrière. Seule l'adrénaline trouve encore la force de me pousser vers l'avant, d'ignorer la mer de monstres qui se rue dans notre direction, leurs hurlements déchirants.

Alors, la voiture finit par atteindre notre niveau, ainsi que les regards épouvantés de mes amis. Arkan se glisse derrière moi et l'envie me prend de lui décrocher un regard noir. Mais à ce stade où des centaines de zombies cavalent à notre suite, je n'ai pas vraiment le choix. Je pousse alors sur mes pieds, la respiration saccadée, et tends la main vers la portière battante. La poussière et la fumée jouent contre nous ; elles se glissent sous mes paupières et dans ma gorge, me brûlent la rétine et les poumons.

Mes doigts frôlent la hanse, et je réprime un cri de frustration, mêlé à une terreur indescriptible. Je sens cette foule sur mes talons, ces monstres prêts à m'engloutir à tout instant. Le souffle coupé, je tire à nouveau mon bras et cette fois-ci, ma main s'agrippe à la hanse ; un choc soudain fait trembler chaque os de mon corps, tandis que mes amis me hissent à l'intérieur. Mais à peine la chaleur du véhicule m'englobe-t-elle que je me penche sur mon siège, la main tendue vers Arkan.

Ce dernier se démène à une dizaine de centimètres, les yeux ronds de terreur. J'essuie mes larmes de douleur et d'effarement et l'encourage en quelques cris inaudibles ; nos regards se croisent et ses doigts touchent les miens. Une bouffée de frustration me prend, mêlée à l'adrénaline qui ruisselle à travers mes veines. Je tente de me pencher davantage, mais Arkan se propulse soudainement vers moi dans un dernier élan. Prise de cours, j'attrape ses deux bras et est aussitôt entraînée vers l'avant. Je pousse un cri de terreur et me stoppe net dans ma chute lorsque l'on m'enserre solidement la taille. Arkan, déséquilibré, garde ses yeux écarquillés plantés dans les miens tandis qu'il glisse sur le béton.

Brusquement, la voiture effectue un virage serré et le poids de mon ami s'allège ; je le tire aussitôt à l'intérieur et les portières se claquent dans un bruit sec.

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