Chapitre 2
Le rire gagne mes joues, redresse mes épaules voûtées sous le poids du sac. La soirée tombe sur le lycée, tout comme nos pas nous entraînent vers les grilles.
Les garçons poursuivent leur chant, hurlant les paroles d'une voix grave, tous attelés sur le vélo de Marius. Celui-ci peine d'ailleurs à détacher sa bicyclette tout en chantant. Et ses amis n'aident en rien. À mes côtés, Roxane braque le flash sur leurs visages gais, concentrée sur les images qu'elle filme.
— On va rater le bus ! s'impatiente finalement Théodore, qui ne s'est pas prêté au concert.
— T'es lent, Marius, t'es lent ! rechigne Arkan, qui pourtant empêche son ami de prendre son vélo depuis bien dix minutes.
— Les gars, le bus ! s'étrangle Iris en pointant du doigt la navette, qui pointe déjà son nez au croisement de la rue.
Aussitôt, nous nous précipitons sur la chaussée, laissant un Marius amusé nous hurler :
— À demain !
Pour que nous lui crions à notre tour d'une même voix :
— À demain !
Nous filons sur le passage piéton, grimaçons lorsque plusieurs voitures kalonnent sans pourtant nous arrêter ; enfin, l'arrêt approche, et nous sommes arrivés à temps. Nous sautons à bord du véhicule, hors d'haleine, et Roxane replace soigneusement ses cheveux derrière ses oreilles.
— Au fait, le prof d'Anglais t'a engeulé, pour les devoirs ? me sourit-elle.
Je lui jette un regard de travers, l'air coupable :
— Je lui ai dis que j'avais oublié mon cahier chez moi.
Mes amis s'esclaffent.
— Eh ben, je te croyais pas comme ça, Lily, grogne Lee.
— Quelle tug... s'épouvante Arkan, l'air faussement choqué.
La voix robotique du bus annonce l'arrêt, et Iris et Théo nous saluent lorsque les portes se referment sur eux. Au suivant, ce sont Lee et Arkan qui descendent. Roxane et moi demeurons assises en silence, somnolant à moitié sur la banquette de velours, jusqu'à qu'elle quitte finalement, à son tour, le transport après m'avoir légèrement serré dans ses bras.
— Bisous, à demain ! me sourit-elle.
— Bisous, je souffle, soudain extenuée.
Mes paupières ne tardent finalement pas à se fermer sur la vitre, et ne se rouvrent que sur le terminus ; heureusement, c'est là qu'est ma sortie. Je me glisse dehors, réprime un frisson lorsque le froid se glisse sur ma peau et m'en vais affronter les trente-trois marches qui emmènent à la gare. Une fois là haut, je m'élance sur la pacerelle, le souffle court, et dérape au carrefour pour passer les portiques du quai. Le train chante son départ imminent, et je me glisse dans le wagon juste à temps.
La nuit dépose sa couverture sur le ciel, saupoudre l'obscurité d'une pluie d'étoiles invisibles. La pollution de la ville m'empêche chaque soir de les apercevoir, mais cela ne me dérange pas. Je sais qu'elles sont là, masquées par les couches d'air et les nuages, et cela me suffit.
Je quitte finalement la gare une quinzaine de minutes plus tard, manteau redressé aux oreilles, et saute dans le bus. Il ne lui faut pas plus de dix minutes pour me relâcher à une rue de chez moi. Bien que mes muscles me hurlent de m'arrêter, de prendre mon temps, le calme inquiétant et la faible lueur jaune des lampadaires me poussent à galoper jusqu'à ma maison. Je pousse le portail, essouflée, et le referme vivement. Je grimpe les marches du perron deux à deux, enclenche la porte d'un violent coup d'épaule et aussitôt, la chaleur du foyer m'englobe, les odeurs familières calment mon poul.
— Hello everyone ! je crie, tout en retirant ma veste.
— Coucou !
J'aperçois ma mère, penchée sur son bureau, ainsi que mon frère et mon père, avachis sur le canapé. Je me précipite dans la cuisine, hume les odeurs de pâtes en cuisson et me réjouis d'avance de cette soirée. Un bon plat signifie toujours une bonne soirée.
***
— Alors, le prof d'Anglais a aimé ton devoir ?
J'engouffre une brochette de petites coquillettes au fond de mon gosier en hochant vivement le menton. Adrine, ma mère, qui me dévisage depuis l'autre bout de la table, esquisse un sourire ravi. Désormais qu'elle était rassurée de mes devoirs, tout irait bien. Même si, en réalité, ce devoir d'anglais n'existe tout bonnement pas.
— Et vous, la journée ? m'enquis-je, penchée sur mon assiette.
— J'ai eu seize en français, déclare Anya, ma sœur aux épaisses lunettes rondes, juste en face de moi.
Adrine et Chris, mon père, approuvent la nouvelle d'un joyeux signe de tête. Samuel, mon petit frère, qui garde son silence à l'extrémité de la table, tire deux yeux fatigués sur la télévision dans son dos. Bien que le son soit coupé, les images de lits d'hôpitaux gonflés de gens pris de spasmes en disent long sur ce qu'il se raconte.
Je me presse d'éteindre, et il me jette un regard assassin.
— Lily a raison, s'impose cependant Chris. Ce n'est pas pour toi.
— Pourquoi ? intervient Anya. Il se passe quoi ?
— Rien, soupire Adrine. C'est juste le gouvernement qui est incapable de financer les services publiques et alimenter correctement les hôpitaux. C'est gorgé de monde, ils peuvent plus prendre personne.
— Les gens sont malades ? fait Sam d'une petite voix.
Ma mère passe une main délicate dans les cheveux roux du petit garçon et lui sourit :
— Il y a toujours des gens malades, Samuel. Mais comme la population grandit, et les hôpitaux non, alors au bout d'un moment il n'y a plus de place.
— Mais à la télé ils disaient que les gens étaient malades d'un truc bizarre, insiste-t-il.
Je lève les yeux au ciel et quitte la table pour débarrasser mon assiette :
— Ça doit être Ebola. Ou des vieilles images du COVID.
— Comment c'était incroyable le COVID, lâche Anya, le regard dans le vague. J'aimais trop le confinement.
— Ah oui, nous aussi, glousse Adrine. C'était génial de pas avoir à travailler.
— Enfin parle pour toi, grommelle Chris, qui masque à grande peine un sourire en quoi. Moi, j'ai fais que bosser, je te rappelle.
Je reviens sur mes pas, emmène le reste de la vaisselle et passe l'éponge sur la nappe tandis que le reste de la famille quitte ses chaises pour retourner vaquer à ses occupations. Mon père travaille dans les services de l'armée, tout comme ma mère ; mais il y a sept ans, durant l'épisode de l'épidémie, Adrine était enceinte et n'avait pu assurer ses fonctions. Aussi Chris s'était absenté du foyer de longues journées, et non pas pour rattraper les heures perdues de sa femme. Paris était une ville silencieuse, il y a sept ans, mais terriblement effrayée.
Je file dans les escaliers, saute les marches deux à deux, attrape mon pyjama sur mon lit et me précipite dans la salle de bain. Je tourne la clé, déjà réconfortée par cette douche à venir, et me débarrasse de mes vêtements pour me glisser sur le carrelage.
Une journée de moins. Encore vingt-sept avant les vacances. Tu peux tenir le coup.
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