Chapitre 17
Prise d'une quinte de toux à cause de la poussière qui se glisse dans ma gorge, je plisse les yeux pour décerner les contours des débris qui m'entourent. La peur se faufile entre mes entrailles, crispe chacun de mes muscles ; bientôt, je n'ose même plus respirer. L'air lui-même se cache dans l'ombre, tremble sous les ruines de la maison.
J'avance à pas menus, le plus silencieusement possible, jusqu'à pénétrer dans une pièce où la lumière extérieure permet enfin de voir l'ensemble des lieux. La partie manquante du plafond en est la cause ; cependant, la poussière et la fumée demeurent présentes, planant lourdement dans l'air.
Une lueur d'espoir jaillit au creux de mon estomac lorsque je reconnais les vestiges des meubles ; je me trouve dans la cuisine. Le frigidaire, tombé au sol un peu plus loin, semble intacte, tout comme les placards, four et plan de travails. Ils sont cependant recouverts d'une épaisse couche de poussière grisâtre ; le carrelage, quant à lui, est brisé de par en par. Le cœur serré de voir ainsi une habitation saccagée, ses habitants morts au portail, je me précipite vers les placards et les ouvre un par un prestement, tremblante. Il faut faire vite.
Les propriétaires de la maison ont probablement emportés les vivres les plus essentielles avec eux ; ainsi je ne suis pas surprise de ne trouver que de vieux flacons d'épices et sauces d'accompagnement. Je fais rouler au sol ce qui ne m'est pas utile et passe ma main jusqu'aux recoins les plus sombres des placards ; alors, mon regard s'illumine lorsque je tire enfin trois boîtes de haricots en conserves non entamées.
Je me presse de les ranger dans mon sac, que je referme avec soin. Ma gorge se noue à la pensée que désormais, ces boîtes seront nos biens les plus précieux, hormis la barre de métal de Lee.
Je quitte la cuisine d'un pas prudent, cependant plus assurée. La détermination remplace courageusement ma peur tandis que mon esprit chasse la vision d'horreur des cadavres dans la voiture au seuil de la maison. J'oublie que des centaines de monstres courent dans les rues, que désormais ma vie ne sera plus jamais la même. Seule reste mon obsession à trouver des armes, de la nourriture, tout ce qui pourrait nous être utile. Seulement cela.
J'enjambe un débris, les yeux plissés alors que ma lampe balaye les environs. Je me glisse dans un couloir délabré avant de passer le seuil du salon. Là encore, les meubles sont dans un piteux état. Les photos et tableaux qui pendaient aux murs gisent au sol dans un triste silence de mort. Je détourne vivement le regard ; le nœud dans mon estomac s'est soudain resserré. N'y pense pas, je me murmure intérieurement, terrifiée. Reste concentrée.
Soudain, je trébuche sur une planche et mon sac glisse de mon épaule. J'écarquille les yeux, horrifiée, et le rattrape juste avant qu'il ne se fracasse au sol. Je m'autorise alors à reprendre ma respiration, soulagée ; la peur soudaine que sa chute n'attire des monstres a raidi tous mes muscles.
Cette fois-ci, je replace mon sac sur mes deux épaules. Ainsi, aucun risque qu'il ne glisse.
Je me redresse et éclaire la planche sous laquelle mon pied s'est coincée ; les sourcils foncés, je remarque qu'elle est surélevée. Je m'accroupis, le coeur battant, et dépose le portable de Théo au sol, lumière vers le haut. Puis, le plus silencieusement possible, je déplace mes doigts sous la planche et la soulève.
J'écarquille les yeux. Bien que le rangement secret soit recouvert de poussière, je distingue des endroits, comme un dessin, où elle ne s'est pas accumulée. Je devine sans peine qu'un objet y était autrefois posé. Je retiens mon souffle en attrapant le téléphone ; je tourne autour du trou en pointant ma lumière sur la marque, avant de me stopper net. La trace vide de poussière dessine une arme. Une arme à feu.
Sans réfléchir, je fais volte-face et détale hors de la pièce. Je saute les débris, sans me soucier du bruit que je cause. Je glisse, me prend un mur de plein fouet mais n'y prête aucune attention. Mes jambes s'élancent d'elles mêmes jusqu'à la sortie, où je manque de chuter.
Même si la lumière m'aveugle, je ne m'arrête pas. Je dérape sur l'herbe, le souffle court, et me stoppe face à la voiture écrasée par le tronc.
— Lily ! s'épouvante Théo, blême, en quittant la voiture. Qu'est-ce qu'il se passe ?!
Je reprends mon souffle, les yeux toujours écarquillés.
— Aide moi à déplacer le tronc, je lui lance, ignorant sa question.
J'éteins la lampe du portable et le glisse dans ma poche, avant de placer mes mains sur l'écorce brûlée. De l'autre côté, je vois mon ami hésiter.
— Allez ! je le presse, la voix tremblante.
Peu sûr de lui, il se glisse à mes côtés et plaque à son tour ses mains sur le tronc. Je lui lance un regard fébrile :
— Pousse !
Je grogne sous l'effort, tout comme lui ; mes pieds s'enfoncent dans la terre brûlée, tandis que mes paumes s'écorchent sur les écorces. Après quelques secondes, le tronc émet un bruit rauque et glisse sur la ferraille. Le crissement éveille les derniers oiseaux du coin, qui s'envolent dans de grands cris.
Il tombe alors dans un grand fracas, nous emportant avec lui vers l'avant. Haletante, les bras tremblants, je me presse d'ouvrir le coffre cabossé du véhicule. Je retire prestement les trois sacs écrasés et découvre finalement un tissu sale et jauni, que j'attrape délicatement.
A mes côtés, je sens Théo retenir son souffle ; je déballe l'objet, tremblante. L'éclat de métal m'aveugle et mon ami plaque sa main sur sa bouche, les yeux écarquillés. J'ai dans mes mains un pistolet, accompagné de quatre gousses de recharges complètes.
Je l'attrape délicatement, avec crainte, et l'examine quelques secondes. Puis, je coule un regard vers Théo. Nos yeux se croisent. Nous avons tous deux compris quelque chose. Désormais, nous ne pouvons plus revenir en arrière. Désormais, la porte de notre ancienne vie s'est fermée. Désormais, l'apocalypse commence.
— Comment est-ce que... s'étrangle Théo, soudain blême.
— Regarde dans les autres sacs, je le coupe, les dents serrées, quoiqu'un peu trop sèchement. Il doit y avoir des trucs utiles.
Tandis que je replie le tissu sous son œil inquiet, il attrape les trois sacs en lâchant un grognement et les entraîne vers le 4x4. L'arme soigneusement calée sous le bras, je lui ouvre la portière et grimpe à sa suite.
J'ôte alors vivement mon sac et lui lance :
— Je n'ai trouvé que trois boîtes de haricots en conserve dans leur cuisine. Ils ont dû emporter tout le reste.
Mon ami opine du chef sans pour autant réagir à ma remarque. Il semble comme perdu, effrayé ; les traits de son visage, d'habitude si délicats, sont rudement tendus. Sa mâchoire se crispe, et les veines de son coup palpitent sous les féroces pulsions de son cœur. Je l'observe ouvrir les sacs, inquiète. Lui comme moi ne savons pas comment réagir face à notre situation. Lui comme moi sommes dévorés par la peur et rongés par les doutes ; mais alors que des centaines de monstres courent dans les rues, le temps n'est certainement pas à l'hésitation. Avec un pincement au cœur, je réalise que je comprends désormais les motivations de Lee ; dorénavant, nous ne sommes plus des humains. Nous sommes des proies. Les proies ne se laissent pas aller à l'espoir. Elles survivent, elles fuient, elles se cachent, guidées par la peur qui leur ronge le cerveau ; mais elles ne se bercent pas d'illusions, n'espèrent pas que l'on viendra les sauver. Pour la simple raison que celle qu'une proie ne pense qu'à sauver sa propre vie.
Nous sommes tous dans le même bateau. Plus de rames, plus de gouvernail ; seules les vagues, qui frappent la coque et emportent à chaque foulée des dizaines de marins. Plus question de se jeter à l'eau pour en sauver quelques uns. Même les bouées de sauvetage dénouent leurs nœuds d'attache, se pressent de s'éloigner. Elles ne peuvent sauver si elles sont déjà dans l'incapacité de se sauver elles-mêmes.
— Regarde ça, Lily, m'interpelle Théo, m'arrachant à ma rêverie par la même occasion.
Son regard s'illumine, et les couleurs renaissent sur son visage ; je baisse les yeux vers le sac et, aussitôt, l'espoir me prend à mon tour. Heureusement que j'avais dit "pas de place pour l'espoir"... je soupire intérieurement, étalant un semblant de sourire sur mes joues.
Il y a là des dizaines de conserves, de bouteilles d'eau ; au fond, je discerne même quelques couteaux dissimulés sous les boîtes de métal.
— Il y a quoi dans les deux autres ?
Mon ami m'accorde un sourire et me les désigne un par un, triomphant :
— Dans celui là, on a un peu de tout. Allumettes, une radio, lampes torches, piles... Et celui-là, ce n'est pas un sac. C'est une tente !
J'écarquille les yeux dans sa direction et le dévisage avec des yeux ronds :
— Sérieusement ?!
Il hoche vivement la tête :
— Oui. On a vraiment eu de la chance !
— Cette famille était bien équipée... je murmure, sous le choc.
Peut-être finalement sommes nous dans un film. Il n'y aurait aucune autre explication réaliste que je pourrais tirer de notre situation.
Théo referme délicatement les sacs, les yeux brillants. Il semble que désormais, ces trois contenants sont devenus ses biens les plus précieux. Il quitte la banquette arrière, et je le regarde contourner le véhicule pour ouvrir le coffre. Il se stoppe alors, soudain raide et immobile. Je fronce les sourcils, et mon cœur s'élance : a-t-il vu quelque chose ?
— Qu'est-ce qu'il se passe ? je lance, depuis les sièges arrières de la voiture.
Il lève aussitôt la main pour me faire taire ; je me recroqueville sur moi-même, les yeux écarquillés. Je ne veux pas revoir les monstres. Je ne veux pas revivre une course poursuite. Pas encore, s'il vous plaît...
Brusquement, Théodore referme le coffre et détale dans ma direction ; il jette les sacs sur mes genoux, claque la portière et saute à l'avant. Il empoigne le volant et appuie sèchement sur la pédale. Je suis pressée contre le siège et pousse un cri de surprise :
— THEO ! j'hurle, épouvantée, alors qu'il prend un virage sec au coin d'une rue.
Je suis plaquée contre la portière et serre le tissu de l'arme à feu contre ma poitrine, incapable de comprendre ce qu'il se passe. Soudain, des hurlements déchirants me parviennent et mon sang ne fait qu'un tour : les zombies.
Alors que je peine à reprendre ma respiration, je me redresse sur le siège sans réfléchir. Tremblante, je déballe le pistolet et l'attrape d'une main hésitante. Je passe par la fenêtre brisée et une nausée me prend : là, une dizaine de mètres plus loin, des centaines de monstres courent à notre suite. Leur mâchoire claque, et leurs pas irréguliers frappent dans un grand bruit d'horreur le sol. Ils s'emmêlent, s'entassent, se marchent les uns sur les autres. C'est une véritable marée de chair putréfiée qui vient nous engloutir. Même d'ici, je peux voir leurs yeux injectés de sang me dévorer du regard ; un frisson d'épouvante me secoue, et je brandie l'arme devant moi. Alors que je prends garde à ne pas la lâcher, Théo opère un nouveau virage et je manque de basculer par la fenêtre ; mes doigts frôlent la chaussée et mes yeux sont cernés par un paysage déroulant de gris. Alors que je tente de revenir m'abriter dans le véhicule, je lâche un hurlement de terreur lorsqu'un monstre bondit à mon niveau et m'attrape fermement l'avant bras. Ses dents claquent à quelques centimètres de ma peau, et son corps désarticulé tressaute au sol.
Sans réfléchir, je pointe le pistolet vers son crâne et pousse le chien. La détonation est immédiate ; le sang gicle de toutes parts et je suis pressée vers l'arrière sous la puissance de l'arme. Je pousse un cri de douleur lorsque les morceaux de verre brisés me transpercent le flanc. Le monstre roule au sol et renverse une dizaine d'autres avec lui.
Je me presse de rentrer dans la voiture et m'étale sur la banquette. Mes poumons ne veulent plus respirer. Mon crâne hurle, frappe mes tympans, mes yeux, ma bouche, mon nez ; la douleur me tire chaque partie de mon corps, me déchire la peau et les muscles.
— Lily ! me hèle Théo, épouvanté. LILY !
Mais le son s'envole. Le plafond du 4x4 danse devant mes yeux. Alors qu'il mène une dernière pirouette, l'obscurité surgit et m'avale.
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