Chapitre 16
Chaque muscle, chaque veine, chaque cellule de mon corps est tendu. Je garde les yeux fermés et je ne cesse de répéter une faible prière à voix basse. J'entends les autres faire de même à mes côtés ; nous espérons tous la même chose. Que tout ceci ne soit que passager.
La radio ronronne et, après un déclic sonore, une voix d'homme se fait entendre :
— ... et le Président des Etats Unis d'Amérique débattent en ce moment même sur les mesures à prendre. Le Japon tente de fermer ses frontières pour empêcher la propagation du virus mais il serait, d'après les statistiques récemment obtenues par les scientifiques de l'ONU, le pays le plus touché par cette épidémie. D'après eux, il se pourrait même qu'il soit l'origine de la maladie.
On m'informe à l'instant que le gouvernement Japonais vient de tomber, ainsi que celui de la Corée du Sud. Les pays les moins touchés sont les plus isolés, comme l'Australie qui ne compte pour le moment que dix mille contaminés sur ses côtes. Le territoire allemand, lui, est envahi de tous les côtés. Il semble que la France soit dans la même situation.
L'ONU recommande à tous les citoyens de rester chez eux et de n'ouvrir à personne, de faire des provisions ou de se réfugier dans les hauteurs. Il rappelle également que des recherches scientifiques sont actuellement menées dans le monde entier pour tenter de trouver un remède à la transmission du virus. Il explique dans son premier compte rendu que la propagation des Z.B05 aurait commencé la nuit précédente. Les scientifiques en savent donc trop peu pour le moment pour déterminer des mesures efficaces à prendre.
Théo presse le bouton et la voix se dissipe. J'ai gardé les yeux fermés. Je ne veux pas y croire. L'apocalypse est vraiment là. Pire encore, cette invasion de zombies -et c'est ainsi qu'on peut désormais les nommer- touche la planète entière. Chaque pays y est confronté.
— J'aurais tellement voulu avoir tord, murmure Lee d'une voix rauque.
Les larmes roulent sur mes joues et je lâche un sanglot. Les autres se joignent aussitôt à moi et le silence se comble de pleurs étouffés. Personne ne sait trouver le courage suffisant pour relever les autres.
Au bout de quelques minutes, j'entends Lee renifler bruyamment avant de se redresser. J'esquisse un faible sourire ; je savais qu'il se relèverait en premier. Il a bien plus de courage que nous.
— Allez les gars, lance-t-il d'une voix plus calme, mais d'où percent encore les larmes. On doit aller chercher nos familles, vous vous souvenez ?
J'acquiesce doucement et me redresse à mon tour, imitée par mes amis. Nous échangeons un regard terrifié ; personne ne sait qui reviendra dans cette voiture vivant, ou même simplement humain.
Mes mains tremblent. Les couleurs vrillent devant mes yeux, les ombres dansent et me donnent des vertiges. J'ai peur. J'ai si peur.
— Lily, vient à ma place, me dit Marius alors que je relève des yeux embués de larmes dans sa direction.
— Sinon, on change de place quand on arrive, je propose.
Il hoche la tête en silence et notre chauffeur empoigne le volant :
— Je vous dépose où ?
— Enfonce toi un peu dans la forêt, propose Arkan en se penchant vers l'avant, pour s'offrir une meilleure vision des alentours.
Il pointe du doigt un sentier escarpé à l'orée de la forêt :
— Là, passe par là, et tu nous lâches un peu avant qu'on arrive dans la ville.
Théo acquiesce et pousse doucement la pédale. Le vrombissement du moteur nous secoue et, l'estomac noué, je regarde la forêt nous avaler. Les arbres surgissent à nos flancs, presque menaçants, et nous serpentons en silence sur la litière de feuilles mortes. Nous rebondissons sur nos sièges, secoués par les racines.
— Heureusement que la dernière voiture du parking était un 4x4 et pas une Twingo, je dis d'une voix neutre d'où perce un mélange de soulagement et d'amusement.
Ma remarque fait sourire mes amis.
— On aurait été bien malins à fuir une horde de zombies en Twingo, pouffe Iris, retenant un éclat de rire.
Nous pouffons, amusés, quand soudain un hurlement strident résonne à nos oreilles. Nous nous figeons, terrifiés à l'idée d'être pris en chasse avant même d'avoir atteint la frontière de la ville. Je tends l'oreille, osant à peine respirer. La voiture s'est arrêtée.
— Nous ne devons plus être très loin de la ville, murmure Théodore. On vous laisse ici.
— On prend nos sacs à dos ? demande Iris d'une voix toute aussi basse que son ami.
— Vous devriez les prendre, je réponds tout en scrutant les alentours, guettant le moindre mouvement. Au cas où vous voudriez prendre des trucs chez vous. Des trucs utiles ou personnels, peu importe.
Mes quatre amis approuvent d'un signe de tête. Les portières s'ouvrent lentement, et nous descendons sans faire le moindre bruit.
— Bon, lâche Arkan, nerveux. Nous oubliez pas, hein ?
— Jamais, jure Théo, solennel. Ne vous inquiétez pas.
J'acquiesce lentement du menton, les larmes aux yeux ; l'idée que mes amis ne reviennent pas me terrifie. Je me tourne vers Iris et la serre dans mes bras :
— Tu as intérêt à survivre, je lui murmure en l'étreignant.
— Toi aussi, me souffle-t-elle en retour d'une voix rauque.
Je vois les autres faire de même à nos côtés, chacun leur tour auprès de Théodore. Lee se tourne vers moi :
— Faites attention à vous.
Je hoche du menton, les lèvres pincées pour retenir les larmes. Et, n'y tenant plus, je fais un pas en avant et le serre dans mes bras.
— Reviens, je souffle. Il le faut.
Il m'enserre solidement la taille quelques secondes, incapable de prononcer le moindre mot, avant de me relâcher. Je me tourne vers Marius et, après hésitation, je le prends à son tour dans mes bras.
— Je suis tellement désolée.
Il étouffe un sanglot et me serre contre lui. Nous finissons par nous écarter et je finis par pivoter vers Arkan.
— On compte sur vous, me rappelle-t-il avec un faible sourire.
— Je sais.
Nos regards se croisent ; je le vois serrer des dents. Il retient les larmes. Comme nous tous. Je m'approche, le serre vivement dans mes bras et il m'entoure fermement.
Je recule, tremblante, et les quatre se regroupent à quelques mètres de là.
— Si vous revenez pas vivants, je vous tuerai ! je leur crie.
Ils pouffent doucement et Lee brandit son arme de bois, menant sa troupe comme un chef de guerre commanderait son armée :
— Allez, on y va.
Ils nous saluent de la main et, incapable de les voir ainsi s'éloigner, je contourne le 4x4 et referme les portières en passant. Je saute à l'avant, claque la porte et attache ma ceinture. Je ferme quelques secondes les yeux, reprenant mon souffle et calmant mes battements de cœur, tandis que Théo monte à mes côtés.
Le véhicule gronde, et je rouvre mes paupières. Tout a changé, désormais. Plus rien ne sera comme avant.
— On y va ? demande Théo, le regard fixé sur les ombres de la forêt.
— On y va.
Théo appuie sur la pédale et nous voilà lancés à travers les arbres qui bordent la ville. Je me penche sur mon siège, les yeux plissés, et fixe les ombres qui dorment au pied des végétaux. Bientôt, de nouveaux cris nous parviennent et je sens mon ami se raidir à mes côtés. Je coule un regard dans sa direction ; son visage blême trahit son épouvante. Je déglutis ; nous signons probablement notre arrêt de mort à ainsi revenir.
Je songe soudain au fait que la famille de Théo est déjà morte, et comprends soudain pourquoi il ne souhaitait pas revenir. Il n'a personne à sauver.
— Merci d'être revenu pour nous, je souffle, émue.
Il hausse les épaules, les dents serrées, avant de ralentir légèrement :
— Regarde, on arrive.
Je reporte mon regard sur le pare-brise. En effet, les arbres s'écartent pour nous laisser entrevoir à travers leurs branches brûlés quelques pâtés de maisons. Aussitôt, mon cœur se serre et j'étouffe un cri d'horreur ; les toits s'effondrent, les poteaux s'entrelacent, s'emmêlent de leurs fils électriques. Les voitures jonchent çà et là, cadavres gémissants et épargnés par le massacre. Aucune trace de vie humaine ; seulement du sang, qui colore les routes, les trottoirs et les murs. Le ciel se voile de fumée âcre. Les belles couleurs pâles de l'horizon sont loin, désormais. Ici ne règne que la mort ; et pire que la mort elle même, de terribles créatures dévoreuses de chair.
Nous serpentons à travers les ruines, vestiges de l'invasion récente. Si récente qu'elle doit se poursuivre à cet instant même.
— Evitons le centre ville, je murmure à Théo, de peur que ma seule voix n'en attire.
Il hoche vivement la tête, n'osant lui aussi prononcer le moindre mot. Ni lui ni moi n'ouvrons nos vitres ; la puanteur ne doit pas être des plus agréables à l'extérieur. De plus, à la moindre attaque de monstres, il est préférable pour nous de tout garder clos.
— Tu connais un magasin où on peut trouver un peu de tout ? me demande Théo à voix basse.
— Essaie Lidl, à quelques rues d'ici, je propose.
Il approuve d'un signe de tête et tourne doucement le volant vers la droite. Il semble savoir où se trouve le commerce. Je fronce soudain les sourcils :
— Arrête la voiture.
Il obéit aussitôt et se dresse sur son siège, les muscles bandés. Je pose une main sur son bras pour le rasseoir lentement et lui souffle :
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'aller au magasin, finalement.
— Pourquoi ? s'inquiète-t-il, les sourcils froncés.
Son visage est marqué par l'incompréhension ; ne voit-il pas où je veux en venir ?
— Après l'annonce à la radio, tous les gens vont se précipiter dans les magasins, Théo ! je siffle entre mes dents, les yeux écarquillés. Soit il n'y aura plus rien, soit on se retrouvera à se battre pour avoir une boîte de conserve ! On pourrait se faire voler la voiture ! Pire, le monde qu'il y aura attirera toutes les créatures des alentours !
Il fait glisser sa main sur son visage, désespéré. Que faire, désormais ? Je sais aussi bien que lui que nous n'avons pas le choix de nous y rendre. Mais d'un autre côté, les risques à prendre sont trop grands.
— On fait quoi, alors ? soupire-t-il, exaspéré.
— Allons dans une maison vide, ou détruite, peu importe, et prenons ce que nous pouvons. Ce qu'il reste d'intéressant. On passe de maison en maison, comme ça l'un de nous reste dans la voiture pendant que l'autre va fouiller.
Il opine du chef, son courage retrouvé :
— Si l'un de nous voit des zombies, il hurle le nom de l'autre.
— D'accord.
Revigorée par cette idée, je me redresse sur mon siège et cherche du regard un logement qui me paraîtrait vide.
— Là, regarde là bas.
Je pointe du doigt une habitation à deux étages, dont le toit s'est effondré. L'arbre qui se dressait à son flanc s'est écrasé sur la voiture et a déchiré le portail en deux.
Mon ami réveille notre véhicule et s'avance vers la maison que je désigne. Je plisse les yeux, les sourcils froncés : serait-ce... ?
Je pousse soudain un cri d'horreur et Théodore pile brusquement : là dans la voiture écrasée, couchée devant le portail, trois silhouettes se dessinent. Parmi eux, bien visible, un jeune nourrisson embroché par une branche. Ses parents gisent à l'avant, la colonne vertébrale brisée.
Je réprime un haut-le-coeur et, les yeux écarquillés, bondis hors de la voiture pour dégobiller aux pieds du véhicule. Je suis aux prises de tremblements incontrôlables ; les vertiges me secouent, tandis que je n'arrive même plus à respirer. L'air est coincé dans mes poumons comprimés, qui m'arrachent une grimace de douleur à chaque inspiration. Je suis à bout. Je voudrais sortir de ce cauchemar, que tout ceci ne soit pas réel. Que ce bébé dans cette voiture ne soit qu'une invention de mon esprit.
— Lily, me souffle Théo tout en m'attrapant l'épaule. Allez, il faut se lever. Pour Arkan, Lee, Marius et Iris. Pour ta famille.
Ses paroles semblent cependant plus s'adresser à lui-même qu'à moi. Ses mains tremblent tout autant que les miennes et, lorsque je relève les yeux dans sa direction, je peux voir que toute couleur, toute vie a quitté son visage. Ne reste que l'éclat des larmes dans ses yeux bruns.
J'acquiesce en silence et me redresse lentement. Je tâche de respirer lentement, de calmer les spasmes qui m'arrachent de terribles nausées.
— Tu restes dans la voiture et j'y vais ? je propose d'une petite voix.
Je ne souhaite pas le moins du monde demeurer dans notre 4x4 à attendre le retour de mon ami, avec pour seule compagnie les cadavres du véhicule voisin.
— D'accord.
Il fait quelques pas vers l'arrière, un regard inquiet posé sur moi. Sûrement masque-t-il son épouvante face à la situation à se demander ainsi si c'est une bonne idée que j'y aille. Il ouvre la portière arrière, attrape mon sac à dos et me le tend. Je reste fixé quelques secondes sur sa main tendue vers moi ; les doutes me prennent à mon tour. Mais je n'ai pas le choix.
Je retire prestement mon manteau, que je lance sur les sièges passagers. J'attrape le sac et souffle un bon coup :
— Allez, j'y vais.
— Utilise la lampe de ton portable comme éclairage, me conseille-t-il.
Je tire l'objet de ma poche ; il est couvert de boue et de sang. Je lâche une grimace :
— Je ne crois pas qu'il s'allume encore...
— Utilise le mien.
Il dégaine son téléphone et le place soigneusement dans ma main :
— Fais attention. Oublie pas notre signal.
— C'est la première maison qui va être la plus difficile, je tente de me rassurer, cherchant d'un regard l'approbation de Théo. On enchaînera le reste plus facilement.
— Oui, approuve-t-il.
Cependant, je vois bien qu'il essaie de se rassurer lui aussi. Aucun de nous deux n'est sûr de ce qu'il va réellement se passer. Je recule de quelques pas, lui fais un léger signe de main et me tourne vers l'habitation.
Je lance mon sac sur mon épaule, enjambe les restes du portail et m'avance vers l'entrée obscure de la maison, qui se dresse là telle une bouche noire et béante à la recherche d'une proie à dévorer. Quelle stupide mouche je fais ; mes poumons se compriment, j'allume la lampe du portable et, prenant mon courage à deux mains, m'avance dans l'embouchure.
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