Verseau (20 janvier - 19 février)

Verseau. Je ne devrais pas être Verseau.

C'est pourtant ce que je fais, tous les jours, depuis presque huit mois. Je verse de l'eau. Je verse des larmes. J'ai tellement pleuré que je ne sais pas comment il est encore possible qu'il me reste une seule goutte d'eau dans le corps. Mes yeux sont secs, et rouges, d'avoir trop pleuré. Ils cèdent, pourtant, à chaque fois. A chaque fois que je me mets à trop penser, à chaque fois que je porte un regard sur ce que je suis ou ce que je fais, c'est comme un raz-de-marée balayant une digue, abattant des arbres, se frayant un chemin, dévastant tout, inondant tout. Je ne peux pas résister.

Et je me déteste d'être aussi faible. Une raison parmi tant d'autres de me détester.

Je vous vois venir. Encore une petite fille gâtée qui se plaint de sa pauvre vie d'adolescente. Vous avez raison, je ne peux pas vous blâmer.

La preuve, regardez : je parle toute seule. Si ça ce n'est pas la preuve que je déraille...

Je devrais être Lion. Lionne, plutôt. Je l'ai été, sans doute. Il n'y a encore pas si longtemps. J'étais une lionne qui s'ignore. Timide, réservée, pas très à l'aise avec les gens de son âge. Surtout avec les garçons. C'est assez simple, finalement, de résumer Ginny Weasley.

Si vous interrogiez mes camarades de classe aujourd'hui, je suppose qu'ils vous diraient que je suis une lionne. 1m75, chevelure rousse, 95C. Tels sont les caractéristiques d'une lionne, pour les membres de la gente masculine. Je ne peux pas tellement leur reprocher ce jugement. Je l'ai mérité. J'ai tout fait pour. Et puis, ce n'est pas comme si « Lionne » était le pire qualificatif que l'on m'ait attribué.

Pour tout vous dire, je m'en fous. Enfin, j'essaye de m'en foutre. Mon existence est sans doute résumée dans cette unique phrase. C'est dire ce qu'elle vaut.

Une nouvelle larme roule sur ma joue, mais cette fois, c'est une larme de plaisir. Elle accroche mes cils, se suspend un instant à ma pointe lacrymale, puis trace un sillon brûlant sur ma peau en sueur.

Dean me pénètre, lentement, profondément, et toutes mes pensées se mélangent.

Il sait se montrer doux, quand il veut. Et dans ces moments-là, il est... terriblement compétent.

Le genre d'amour comme celui que nous vivons ce soir, cela ne lui arrive pas souvent. Dean est une créature sans âme, sans jugement et sans émotion, excepté le plaisir que lui procure la souffrance des autres. C'est pour cela que je l'ai choisi, je crois. Il est mon parfait opposé. Je souffrais tellement que j'avais besoin de me heurter à un mur : sa froideur. Son indifférence. Le seul habitant de ce château à ne pas me considérer avec compassion, pitié ou dégoût. Le seul pour qui mes pensées, mes sentiments, n'avaient pas la moindre importance. Le seul capable de me détourner de mes souffrances, en m'en procurant d'autres...

D'habitude, Dean aime le sexe violent. Il est brutal, dominateur, et je dois avouer que j'adore ça, comme la chienne que je suis. C'est peut-être ce fameux complexe du viol dont j'ai entendu parler. Mais c'est plus probablement parce qu'il me donne ce que je mérite. A chaque fois qu'il me prend, sans me demander mon avis, à même le sol, qu'il me fait réaliser ses moindres fantasmes, ses positions les plus humiliantes... Je me sens plus basse que terre. Je me sens... moins que rien. Je suis à ma place. Il me commande, je lui appartiens. Je n'ai plus à me soucier de quoi que ce soit. Ma vie est entre ses mains. Ma vie, mon corps... S'il tentait de me tuer – et je sais qu'il y a songé : c'est dans sa nature – je crois bien que je le laisserais faire. Ce n'est pas comme si j'estimais devoir être sauvée, de toute façon.

J'aime la dureté de son membre en moi, son manque de considération, sa sécheresse, les douleurs qu'il éveille parfois. J'aime me sentir physiquement impuissante : cela fait écho à ce que je ressens, cela comble enfin le vide en moi, l'espace de quelques secondes...

Dean me fait me sentir exister, et en même temps, il m'empêche d'exister. Je ne suis plus Ginny Weasley, je suis sa chose. Cela tombe bien, je ne veux plus être Ginny Weasley. Je suis fatiguée d'être une Lionne. Je suis fatiguée d'être une Verseau.

Quelques fois, je me demande si je serais plus heureuse en étant comme lui. Incapable de ressentir. Ne songeant qu'au nouveau stratagème que j'élaborerai contre mon prochain. Si j'étais vraiment capable d'envoyer mes émotions aux oubliettes, mes affections, mes souvenirs...

Oui, je serais plus heureuse, sans aucun doute. Détestée de tous, peut-être. Mais je n'en aurais rien à foutre. Au lieu de cela, je m'accroche à Dean : mon îlot de souffrance et de non-souffrance, mon bourreau, mon sauveur, mon maître.

Cela fait cinq mois que nous sortons ensemble. Un record, pour lui comme pour moi. Au début de notre relation, je ne m'attendais pas à découvrir le monstre derrière le charisme souriant de Dean Thomas. J'ai compris dès la première nuit, cependant. Il s'est marré, après. Il s'attendait à ce que je parte de la chambre en courant. Au lieu de ça, j'ai essuyé le sperme qui avait coulé sur ses cuisses, et je l'ai léché, à genoux devant lui, attendant qu'il me donne encore un peu de cette torture perverse qui donnait un sens à ma souffrance.

Longtemps, j'ai eu peur qu'il ne finisse par se lasser de moi, comme j'ai compris qu'il l'avait fait pour ses autres amantes. Il est cependant vite apparu qu'il y avait quelque chose de magnétique, entre nous. Dean n'aime pas la Lionne : il aime la Verseau. Il aime me voir pleurer pendant qu'il me prend, avant, après. Il aime appuyer là où ça fait mal, me donnant la sensation que je ne pleure pas pour rien. Il donne un sens à mon existence, d'une certaine façon. Sans lui, je serais seule, et perdue. Errant d'une couche à l'autre, dans l'espoir d'un instant de répit, d'une seule seconde où la paix se fraierait un chemin dans mon esprit, où je trouverais les réponses, enfin, les solutions à tous mes problèmes, les miens et ceux des autres...

J'ai quinze ans. En huit mois, j'ai eu douze amants. Les onze premiers compris entre Juin et Août, la moitié d'entre eux alors que j'avais encore 14 ans. Je ne dis pas cela parce que j'en suis fière, ne vous méprenez pas. Ce serait plutôt l'inverse. A chaque nouveau sperme en moi, je me sentais plus sale. Plus conforme à l'image que j'avais de moi. Je devais continuer, encore et encore. Je devais devenir ce que l'on disait de moi. Je vous épargnerai les détails : vous êtes sans doute assez grands pour connaitre le vocabulaire dont on m'a qualifiée.

Avec du recul, j'ai compris qu'il existait un certain paradoxe en moi. Peut-être l'avez-vous déjà identifié. Je veux souffrir, et pourtant, je veux arrêter de souffrir. Je veux n'en avoir plus rien à foutre. La vérité, c'est qu'il existe différents types de souffrances. Certaines sont plus incisives que d'autres. En ce qui me concerne, l'épine qui s'enfonce dans mon cœur, chaque minute de chaque heure de chaque jour de mon existence, s'appelle Harry Potter.

Une nouvelle onde de plaisir me traverse, et son image se disperse comme des feuilles emportées par le vent.

Comme je vous l'ai dit, Dean aime le sexe violent. Pourtant, il lui arrive parfois, de rares fois... de se montrer aimant. Dans ces moments-là, il m'embrasse. Il caresse mes cheveux, mon visage. Il picore mon cou, faisant naître des frissons d'anticipation dans tous mes membres. Ensuite il retire mes vêtements, un par un, délicatement, et ses baisers descendent sur mes seins, mon ventre. Il retire mes sous-vêtements, et sa langue chaude vient me caresser, jouer avec moi, m'exciter, me pénétrer. Il me prend entre ses lèvres, et je ne sens plus que lui. Il continue jusqu'à ce que je ne retienne plus mes soupirs, jusqu'à ce que mes mains trouvent ses cheveux, l'intiment de continuer.

Alors seulement il entre en moi, doucement, presque consciencieusement, emplissant lentement mon désir. Il ne fait attention qu'à moi. Il déploie tous ses efforts, toute son attention, à me rendre folle de son corps, de ses caresses, de ses baisers, et de ses coups de rein qui s'accélèrent exactement au rythme des miens.

Au bout d'un moment, il arrête, il se retire presque entièrement, et me prend de nouveau, vite, fort, frappant quelque chose en moi qui lui répond par une vague de plaisir intense. Il recommence, encore et encore, jusqu'à ce que je le supplie de continuer.

Il ne peut pas renoncer à sa pointe de sadisme, pas totalement. Il me demande ce que je ressens. Comment ça fait de le sentir en moi. Il exige que je lui décrive ce que je veux qu'il me fasse.

- Prends-moi... plus vite..., j'articule en m'agrippant désespérément à lui.

Il s'exécute, et je me perds complètement. J'ai eu douze amants, et Dean est de loin le meilleur de tous. Je ne peux trouver les mots pour décrire les sensations qu'il éveille en moi. C'est un plaisir tellement intense, tellement profondément enfoui en moi, qu'il en devient presque douloureux, insoutenable. Il tord absolument tout, et je ne suis plus qu'une chair frémissante, droguée à l'endorphine, et aux dizaines d'autres substances qui se déversent en moi, esclave de ce désir qu'il est le seul à m'avoir procuré.

Dean m'a rendu dépendante. De sa froideur, de son sadisme, de ces quelques séances de sexe pur où le plaisir supplante tout. Le corps nous lie aussi profondément qu'un amour sincère. Après avoir goûté au nectar des dieux, on ne peut plus y renoncer.

Il jouit en moi, tandis que mon plaisir se prolonge, et même la sensation de sa semence coulant entre mes cuisses me parait agréable. Dean jouit toujours en moi. C'est comme un impératif qu'il m'impose, une manière pour lui de me contrôler un peu plus, d'exercer un pouvoir sur ma vie et celle que je pourrais engendrer.

C'est déjà arrivé, une fois. Dean m'a mise enceinte un mois plus tôt. Il ne m'a pas posé la question une seconde : il m'a fait boire un liquide épais et noir dont il ne m'a pas donné la composition, et je me suis aussitôt mise à perdre des trainées de sang, alors que la douleur me donnait la sensation qu'une créature vivante cherchait à se frayer un chemin hors de mon ventre rien qu'avec ses crocs. Dean m'a prise alors que j'avortais, savourant la vision de mon sang sur les draps, et je le soupçonne d'attendre la prochaine grossesse avec impatience.

Je ne peux m'en empêcher, ce souvenir me glace le sang. Je n'ai pas eu de décision à prendre, aussi je sais que je ne devrais plus m'en préoccuper. Mais mon esprit continue de me rappeler, encore et encore, la nature toute organique de ce sang qui s'écoulait entre mes jambes...

Dean me caresse encore un peu, embrasse mes lèvres, suçote mes seins. Je ne pourrais supporter qu'il recommence. Mon corps ne saurait l'endurer. Je suis encore tremblante, électrisée, affaiblie des sensations qui m'ont traversée. Il le comprend et m'accorde un sourire presque tendre. Il arbore l'air satisfait de quelqu'un qui vient de remettre les pendules à l'heure.

Je sais pourquoi il fait cela. C'est un moyen pour lui de renouveler son emprise sur moi. Chaque fois qu'il sent que je lui échappe, ne serait-ce qu'un tout petit peu... Il me rappelle que même en y mettant toute ma volonté, mon corps ne pourra plus jamais se passer du sien.

Ses dents laissent une dernière empreinte – sa marque – dans la chair tendre de mon cou. Après quoi il s'allonge auprès de moi, et il laisse ses doigts humides dériver sur mes courbes dénudées, sous la lumière pâle de la pleine Lune qui se faufile entre les rideaux. Je peux sentir mon odeur sur lui. Il rit, alors je fais de même.

Pourtant depuis le temps, j'aurais dû savoir qu'un rire de Dean Thomas n'est jamais bon signe.

J'entends les pas qui se lèvent du lit voisin et sortent du dortoir. Pour la première fois, je perçois les ronflements autour de moi, là où les caresses de Dean m'empêchaient jusqu'alors de les entendre.

- Tu as levé le sortilège d'assourdissement ? je m'exclame en me redressant brusquement.

- Juste au moment où tu as joui, ma chérie, sourit-il en dévoilant ses dents.

Je me lève d'un bond, réalisant à peine que je suis nue. D'un geste vif, je lui vole son drap et l'enroule autour de moi. Il adhère à ma peau, à l'endroit où nos ébats ont laissé des traces...

- Où est-ce que tu crois aller ? demande Dean sans esquisser un geste pour me retenir.

- T'es vraiment qu'un sale con, je réponds avant de courir à la poursuite des pas, parfaitement consciente de jouer le jeu de mon bourreau.

Je le rattrape au sommet de la Tour d'astronomie. Harry. Il se détourne de moi, refusant de me regarder, et encore moins de me toucher.

- Harry...

- Fous le camp, articule-t-il, les mâchoires si serrées que j'ai du mal à le comprendre. Il doit probablement t'attendre.

- C'est Dean qui a enlevé le confinement, je regrette, Harry, je ne voulais pas...

- Ce ne sont pas mes affaires. Tu fais ce que tu veux, tu viens très bien de le démontrer toi-même.

Ses paroles me désespèrent. Je secoue la tête, en quête d'arguments qui ne viennent pas. Le rouge me monte aux joues lorsque je réalise la scène dont il a été témoin.

Je finis par renoncer à parler. Je reste plantée là, totalement nue sous ce drap où Dean m'a fait jouir moins de dix minutes plus tôt. Quelque chose de chaud palpite encore entre mes cuisses, et je brûle de honte. De nouvelles larmes veulent monter à mes yeux, mais je les réprime.

Harry est un Lion. Pour lui, je devrais être une Lionne. Mais je n'en ai pas le courage...

A défaut, je le dévisage en silence, attendant qu'il réagisse à ma présence, d'une quelconque façon. Cela fait des semaines que nous ne nous sommes pas parlés. Nous avons développé un talent certain pour nous éviter, Harry, moi, et nos conquêtes respectives. Excepté Dean, que la situation semble amuser comme un enfant découvrant ses cadeaux de Noël.

Je finis par me rendre compte que tout ce que je pourrais dire pour me justifier n'a pas la moindre importance. Je n'ai pas la moindre importance. C'est de lui dont je me préoccupe :

- Comment tu vas ? je lui demande, le plus délicatement possible, et me sentant comme la dernière des idiotes.

- Arrête, s'il te plait. Je ne veux pas recommencer cette discussion.

- Les choses pourraient être différentes, pourtant. Tu le sais.

- Non, elles ne le peuvent pas. Elles ne le pourront jamais. Tu ne l'as pas encore intégré ?

Il se tourne brusquement vers moi :

- Je suis désolé, Ginny, désolé ! hurle-t-il. Désolé de ne plus pouvoir être celui que tu veux que je sois ! Désolé d'avoir perdu la foi, d'avoir changé, de ne plus être celui que tu as aimé ! Je suis mort, tu comprends, ça ? J'aimerais que les choses soient différentes, mais je ne peux pas ! C'est en moi ! Je vais mourir, ou vivre pour n'être qu'un meurtrier ! Toutes les choses que j'aime finiront par pourrir, comme elles l'ont toujours fait ! Je ne peux pas changer, je ne peux pas redevenir celui que j'étais, même pour toi. Cela ne dépend pas de moi.

J'avale ma salive avec difficulté. Je cherche ce courage Gryffondor en moi, que je semble avoir perdu comme j'ai perdu Harry.

- On pourrait y arriver, je murmure, réalisant à peine que j'ai prononcé ces mots.

Pour la première fois, je sens une vague d'estime monter en moi. Peut-être que je vais réussir, enfin... Peut-être que je vais abattre la barrière que j'ai dressé entre nous, la barrière qui nous sépare, parce que je suis incapable de la franchir. Peut-être vais-je cesser de fuir devant le désespoir, la douleur et la mort, et accepter Harry pour ce qu'il est devenu.

Je me rapproche de lui, et doucement, je pose mes mains sur ses épaules. Je ne me soucie pas du drap qui glisse jusqu'à mes pieds, me révélant nue, toute entière, sous le regard de la Lune. Harry me dévisage, hypnotisé. Lui aussi mesure l'importance de ce pas que je fais vers lui.

Au fond de moi, mon désir s'est réveillé. Un désir sincère, profond, car il est porté par l'espoir. J'incline la tête, et refusant de reculer, je pose mes lèvres sur celles d'Harry. Elles sont encore sensibles des baisers de Dean. Peu importe. Je sens Harry me goûter comme la pulpe d'une orange sanguine, et j'enroule ma langue autour de la sienne. Je me colle à lui, ses mains caressant mes cheveux, la peau de mon dos frissonnante dans la froideur de l'hiver, puis la chair tendre de mes fesses.

Ses gestes sont timides, hésitants. J'en conçois une émotion infinie. Nous allons réussir, réussir. La fin de la douleur se tient là juste au bout du chemin, dans les bras d'Harry, à la pointe de sa langue unie à la mienne.

J'avance une main jusqu'à son entrejambe, avec la force de l'expérience, et je défais sa boucle de ceinture sans ouvrir les yeux. Je le prends entre mes doigts encore chaud, mon corps tout entier tendu vers ce qui nous attend ensuite.

Sauf que son désir ne vient pas. Harry demeure inerte entre mes doigts caressant. J'insiste, mais il arrête de m'embrasser, et se dégage soudain de moi. Il ne parle pas, ne me regarde pas. Un froid immense se répand soudain en moi. Je ne me soucie plus du vent sur ma peau : ce qui m'envahit et infiniment plus fort, et infiniment plus glaçant.

- Je suis désolé, finit-il par dire.

- Après tout ce temps, tu ne peux toujours...

- Pas avec toi, me coupe-t-il sèchement.

Il se reprend, posant sur moi un regard déchiré et aimant, le premier depuis si longtemps... :

- Je t'aime, avoue-t-il, et des larmes roulent sur ses joues. Alors je ne peux pas... Je ne peux pas...

Il inspire à fond, interrompu par des sanglots qu'il ne peut plus réprimer :

- Je ne peux plus être celui que tu veux, dit-il. Tout ce que je touche finit par mourir.

Et il retourne sans bruit vers la salle commune, m'abandonnant nue au sommet de la tour battue par les vents.

Je n'ai même pas la force de ramasser le drap. Déjà, je le sens arriver. Le raz-de-marée. Il enfle, gonfle et grandit en moi, prêt à tout détruire, à tout renverser, les barrières, les rêves, l'espoir terrible que j'ai ressenti. Je n'aurais pas dû y croire. Mais j'y ai cru, une fraction de seconde... Et c'était déjà trop.

Les sanglots me possèdent : je fonds en larmes au point de ne plus pouvoir respirer, recroquevillée, sur moi-même, entourant mes genoux de mes bras, à même la pierre. Je me traite de tous les noms pour m'être montrée si stupide, pour avoir osé y croire...

L'espoir est le plus abominable des poisons, car il prolonge les souffrances de l'homme...

Aujourd'hui, l'espoir m'a pratiquement tuée. Pratiquement.

Je n'ai plus la volonté de me relever, alors je reste prostrée sur le sol, attendant que le froid me tue, ou qu'à défaut, il gèle les émotions en moi.

Un bruit de pas dans les escaliers me détourne – un bref instant – de la concentration de douleur pure que je suis devenue. Je suis stupéfaite de voir débarquer Dean, son éternel sourire plaqué sur son visage parfait, comme si le spectacle qu'il avait sous les yeux ne le surprenait pas le moins du monde :

- Ah, tu es là, observe-t-il. Je me demandais où vous étiez passés.

Il s'approche et passe son bras autour de ma taille pour me relever. Puis sans me lâcher, il ramasse le drap et l'enroule à la manière d'une toge, en le nouant à l'épaule. Il recule pour contempler son œuvre, visiblement satisfait. J'observe l'incarnation de son inhumanité, dans ce comportement si détaché, cette cruauté de tous les instants. Il me prend la soudaine envie de le repousser, de l'envoyer se faire foutre et de lui dire enfin ce que des semaines d'humiliations ont étouffé. Je n'en fais rien.

- Viens, dit-il en m'agrippant par le bras. J'ai un petit service à te demander. Tu me le dois bien, après cette fugue improvisée avec Potter...

Je le suis, dans un état second. Je ne me demande pas vraiment ce qu'il me veut. Je sais que ça ne peut pas être honorable, et il ne m'en faut pas plus. Pour la première fois, j'ai la sensation de toucher du doigt ce que Harry ressent, à chaque minute de chaque heure de chaque jour de ce qu'est devenue sa vie. Je me sens morte. Mais la mort ne devrait pas faire aussi mal. Au contraire, cela devrait être une libération...

Mes espoirs, mes illusions perdues retombent sur moi comme le poids immense qu'elles étaient censées porter. Tout n'est plus que dévastation, chaos, et la voix de Dean me parvient à travers cet ouragan comme un murmure étouffé, un message du monde des vivants auquel je n'appartiens plus vraiment. Je mets un moment à me rendre compte qu'il m'entraine dans une salle de classe vide, non loin de la tour des Gryffondors.

Quatre autres élèves sont déjà à l'intérieur. Tous des garçons, plus âgés que moi. Je les reconnais vaguement, sans identifier leurs noms.

- Ginny, me lance Dean d'un ton jovial, voici Michael, Jeffrey, Thaddeus et Pline. Ils m'ont dépanné pendant la dernière sortie à Pré-au-lard. Seulement, je suis un petit peu à sec en ce moment. On s'est entendu sur un autre moyen de les rembourser.

Je le dévisage, ses paroles prenant sens en moi et pourtant, ne suscitant rien. Une opportunité, peut-être. L'opportunité de me fondre, de me perdre. De ne plus penser à rien.

Je revois les yeux d'Harry posés sur moi. Je sens ses lèvres sur les miennes, et la douleur dans son regard, lorsqu'il a compris qu'il était incapable de changer, et moi incapable de l'aimer tel qu'il était. Son absence de désir, parce que m'imaginer coucher avec lui sans amour le répugne...

Je vais coucher sans amour, mais pas avec lui.

- La seule condition, c'est que je reste pour regarder, susurre Dean.

Je découvre un second niveau à sa perversité. Je l'avais toujours cru trop possessif pour supporter de me voir avec d'autres, et pourtant... Qu'y a-t-il de plus possessif, en fait, que de s'attribuer le droit de me « prêter » ? L'autoriser, juste sous ses yeux ? Sans me demander mon avis ?

De toute façon, je n'ai pas d'avis à donner. Dean défait le nœud qu'il a fait dans le drap, me livrant comme une marchandise convoitée. Les garçons s'approchent de moi. Je ne sais déjà plus qui est qui. Leurs mains me touchent, me palpent, partout. Je me laisse faire. Leurs yeux me regardent et passent à travers moi, comme si je n'étais qu'un objet. L'un d'eux semble prendre l'avantage sur ses camarades : il m'appuie contre une table, m'allonge.

J'écarte les cuisses. J'en viens à me dire que je ne suis bonne qu'à ça.

Ses doigts me fouillent quelques instants, puis il me prend, vigoureusement, sans plaisir ni attention de ma part. Mon esprit flotte loin, très loin. D'autres mains se baladent sur ma peau. Un index s'introduit dans ma bouche, on m'embrasse. Deux bouches sucent mes seins, la première avec gourmandise, la seconde avec cruauté. Je sens qu'un autre se substitue là où le sperme du premier vient juste de couler, puis c'est le tour d'un troisième. Ce dernier semble se lasser rapidement de notre position classique, car il m'attrape par les bras pour me relever, et me force à m'agenouiller. Il me présente son érection, et je sais ce que j'ai à faire. Je le prends dans ma bouche, sans le regarder, consciente du mouvement des autres autour de moi, comme une meute de loups affamés. J'aperçois brièvement Dean, le sourire aux lèvres, dans un coin de la pièce. Il se touche à travers le pantalon de pyjama qu'il a enfilé.

Je sens qu'on me pénètre par derrière alors que ma langue va et vient autour de l'autre garçon. Les mouvements sont profonds, rapides, violents. Qui est-ce ? Je n'en ai aucune idée. Ça n'a pas d'importance. A cet instant, je ne suis plus rien, rien que l'objet que les hommes voient en moi.

Je ferais n'importe quoi pour échapper au monde. M'échapper de moi.

Je les laisse me prendre, les uns après les autres, encore et encore. Leurs bouches, leurs langues, leurs mains sont partout, dévorant chaque partie de moi, jusqu'aux plus intimes. L'odeur de leur semence est omniprésente, leur goût... Je me plie à leurs moindres caprices, je laisse leurs fluides se mélanger en moi, sur moi, jusqu'à ce que ce tourbillon de sensations me perde.

Je préfère encore ça.

Tout plutôt que de penser à Harry.

Je préfère laisser la Terre entière me baiser.

Je préfère laisser Dean faire de moi sa chose.

Je préfère être un objet, car les objets ne souffrent pas.

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